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Décisions

CA Toulouse, 3e ch. corr., 27 septembre 1990, n° 803

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Pouytes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rivals

Substitut général :

M. Desert

Conseillers :

MM. Laventure, Delpech

Avocat :

Me Dumas

TGI Foix, ch. corr., du 27 mars 1990

27 mars 1990

Statuant sur les appels réguliers en la forme et interjetés dans le délai légal le 4 avril 1990 par le Ministère public et le 6 avril 1990 par Pierre Pouytes, partie civile, d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Foix le 27 mars 1990.

Le Ministère public requiert la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action publique éteinte par acquisition de la prescription. Il requiert en outre l'acquittement de la prévenue, le délit de tromperie reproché à Mme G1 épouse G2 n'étant pas constitué.

Pierre Pouytes conclut à la déclaration de culpabilité de Mme Denise G2 et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 338 028,80 F en réparation du préjudice subi avec intérêts à compter de chacune des échéances du prêt consenti par la caisse de Crédit Agricole et celle de 10 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Denis G2 conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a constaté que l'action publique était éteinte en faisant valoir que la prescription est acquise depuis le 4 juillet 1986, la contrat ayant été conclu le 4 juillet 1983 et qu'en tout état de cause la plainte déposée par la partie civile le 27 novembre 1986 n'était pas de nature à interrompre la prescription qui était déjà acquise le 5 mars 1987, date à laquelle M. Pouytes s'est en réalité constitué partie civile. Elle conclut subsidiairement à son acquittement et à la condamnation de M. Pouytes à lui payer la somme de 10 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

I) Sur l'action publique

1°) Sur la prescription,

Attendu qu'il résulte de l'ensemble des éléments du dossier, non contestés à l'audience par la prévenue, que M. Pouytes, entrepreneur en charpente à 09 Larroque d'Olmes, passait verbalement commande d'une machine à fabriquer du polyuréthane à la société X, dont Mme G2 est le président directeur général, dans le courant du mois de juillet 1983; que par courrier du 4 juillet 1983, M. M, attaché de direction à la société X, faisait une offre de fourniture d'une machine modèle C 15 SP spécialement conçue pour les besoins de M. Pouytes; que la machine a été livrée au mois de décembre 1983 et au plus tard le 6 décembre 1983, date d'une première intervention de M. P, technicien de la société X;

Que par lettre datée du 27 novembre 1986, reçue au cabinet du juge d'instruction de Foix le 3 décembre 1986, M. Pouytes déposait plainte contre les dirigeants de la société X du chef de tromperie sur la nature, la composition, la teneur en principe utile et l'origine de la machine qui lui avait été livrée en exposant que la machine vendue n'était pas une véritable machine X, conçue et fabriquée en Italie ; que dans cette lettre, M. Pouytes précisait qu'il déposait plainte entre les mains du juge d'instruction et qu'il élisait "domicile au cabinet" de son avocat;

Que le juge d'instruction a constaté la constitution de partie civile de M. Pouytes par procès-verbal en date du 5 mars 1987 et a rendu le 26 mars 1987 une ordonnance fixant le montant de la consignation à la charge de la partie civile et à deux mois le délai dans lequel la consignation devrait être faite; que la consignation a été versée le 13 avril 1987;

Attendu en premier lieu qu'il résulte des dispositions de l'article 1 de la loi du 1er août 1905 que le délit de tromperie sur la qualité de la marchandise vendue est un délit instantané consommé par la livraison de la chose à propos de laquelle la tromperie a été commise ; qu'en conséquence le délai de prescription de l'action publique court à partir de cette livraison ;

Que la seule date certaine de la livraison figurant au dossier est celle du 6 décembre 1983; que la prescription de l'action publique n'était donc pas acquise à compter du 14 (ou du 8) juillet 1986 comme le soutient la prévenue mais devait l'être à compter du 7 décembre 1986;

Attendu en second lieu qu'il résulte des articles 85 et 88 du Code de procédure pénale que la prescription de l'action publique est interrompue par le dépôt d'une plainte attestant la volonté formelle et sans équivoque de son auteur de se constituer partie civile; que le dépôt de la plainte entre les mains du juge d'instruction et la déclaration d'adresse du plaignant chez son avocat laissent suffisamment apparaître la volonté formelle et non équivoque de M. Pouytes de se constituer partie civile; qu'il ressort du visa apposé par le greffier sur cette plainte que celle-ci a été déposée le 3 décembre 1986; que le dépôt de cette plainte a été suivi du versement du montant de la consignation fixée dans les délais impartis; que la manifestation expresse du plaignant de se constituer partie civile étant déjà contenue dans la plainte déposée le 3 décembre 1986, celle-ci, ayant été suivie de la consignation des frais,a valablement interrompue la prescription; que dès lors l'action publique n'est pas éteinte; que le jugement entrepris sera réformé sur ce point ;

2°) sur la tromperie reprochée à Mme G2,

Attendu qu'il convient de relever en premier lieu qu'ayant bénéficié d'une ordonnance de non lieu partiel en date du 9 janvier 1990, devenue définitive, des chefs de tromperie sur la nature, la composition et la teneur en principe utile de la machine vendue et livrée à M. Pouytes dans le courant du mois de décembre 1983, Mme G2 n'est poursuivie que pour le délit de tromperie sur l'origine de la marchandise vendue ;

Attendu que ce délit nécessite un comportement fautif du vendeur ayant eu pour effet de tromper son co-contractant; que ce comportement doit avoir eu lieu au moment de la conclusion du contrat lorsqu'il a tendu à obtenir de la victime un consentement que, mieux instruite, elle aurait refusé;

Qu'en l'espèce M. Pouytes reproche à la société X, de lui avoir vendu une machine X, modèle C 15 SP, dont la conception et la fabrication ont été sous-traitées par une société française, la société Y; alors que lorsqu'il avait passé sa commande il n'avait été "question que de l'achat d'une machine X fabriquée et conçue au siège (de la société X) en Italie suivant les spécifications définies avec la société X" dans la lettre du 4 juillet 1983 portant offre de fourniture de cette machine; qu'il fait valoir à cet égard que la société X qui assurait la vente et le service après- vente des matériels conçus et fabriqués par la société italienne X, diffusait des documents publicitaires indiquant que toutes les machines de la gamme X étaient assemblées en Italie ;

Mais attendu que la prévenue conteste formellement qu'il ait été caché à M. Pouytes que la machine incriminée ne serait pas importée d'Italie; que la commande de cette machine a été passée verbalement par M. Pouytes à M. M, de la société X, sans qu'aucun écrit n'ait été rédigé à cette occasion précisant notamment le lieu de fabrication de cette machine; que lors de son audition, M. M a affirmé qu'à aucun moment il n'avait été fait allusion au lieu de fabrication lors de la commande.

Qu'aucune mention relative au lieu de conception, de fabrication ou d'assemblage ne figure sur les deux lettres en date respectivement des 14 et 29 juillet 1983 adressées par la société X à M. Pouytes, seuls documents contractuels versés au dossier relatifs à la commande; que les en-têtes de ces lettres démontrent que M. Pouytes n'a contracté qu'avec la société X, sans qu'il soit fait référence à une activité de vente de machine X d'origine italienne exercée par ladite société;

Que si par ailleurs M. Pouytes a versé au dossier plusieurs documents publicitaires, aucun élément n'établit que ces documents lui aient été remis à l'occasion de la commande, ni même qu'il en ait eu connaissance avant de traiter avec la société X alors qu'il n'a jamais indiqué à quelle date et à quelle occasion ces documents lui avaient été remis ; qu'en tout état de cause il est constant que la machine incriminée était une machine "spécialement conçue" pour M. Pouytes, alors que les documents publicitaires produits ne font référence qu' aux machines standard avec ou sans option, fabriquées par la société X Afros en Italie; qu'ils sont donc insuffisants pour servir de support à une manœuvre tendant à induire un contractant en erreur ;

Qu'il résulte de ces éléments que la preuve d'un comportement fautif ayant eu pour effet de tromper M. Pouytes sur l'origine de la machine vendue par la société X n'est pas rapportée; qu'il apparaît dès lors que le délit reproché à Mme G2 n'est pas constitué ; que Mme G2 doit donc être renvoyée des fins de la poursuite ;

II) Sur l'action civile,

Attendu qu'en raison de l'acquittement de Mme G2, M. Pouytes sera débouté de l'ensemble de ses demandes ;

Attendu en ce qui concerne la demande présentée par Mme G2 à l'encontre de M. Pouytes qu'il résulte de l'article 472 du Code de procédure pénale que la personne acquittée peut former une demande de dommages-intérêts contre la partie civile pour abus de constitution de partie civile; que par contre une partie civile ne peut être tenue au paiement des frais non recouvrables prévu par l'article 475-1 du Code de procédure pénale; que Mme G2 ayant présenté une demande en compensation de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, sa demande ne peut qu'être rejetée ;

Attendu qu'aux termes de l'article 475 du Code de procédure pénale, la partie civile qui succombe est tenue des frais ; que dès lors M. Pouytes sera condamné aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vu les articles 85, 88, 475, 475-1, 496 et suivants du Code de procédure pénale, 1 et 7 de la loi du 1er août 1905, Déclare les appels réguliers et recevables en la forme, Réforme le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Foix le 27 janvier 1990, Rejette l'exception de prescription de l'action publique, Au fond, Renvoie Denise G1 épouse G2 des fins de la poursuite sans peine ni dépens; Déboute Pierre Pouytes de toutes ses demandes Déboute Denise G1 épouse G2 de sa demande présentée au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Condamne Pierre Pouytes aux dépens. Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, selon la loi Le tout en vertu des textes susvisés ; Ordonne que le présent arrêt soit mis à exécution à la diligence de Monsieur le Procureur général.