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Décisions

CA Toulouse, 3e ch. corr., 10 octobre 1991, n° 913

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedos

Conseillers :

MM. Laventure, Delpech

Avocat :

Me Melliard Bertholz.

TGI Montauban, ch. corr., du 5 avr. 1991

5 avril 1991

Vu les appels réguliers en la forme et interjetés dans le délai légal le 10.04.1991 successivement par Pierre S et par le Ministère public -l'appel de ce dernier étant dirigé tant contre Pierre S que contre Alain H- à l'encontre du jugement prononcé par le Tribunal correctionnel de Montauban le 5.04.1991 ;

Pierre S conteste le délit qui lui est reproché, conclut à la réformation du jugement entrepris et sollicite sa relaxe ;

Le Ministère public requiert la confirmation dans le cas de Pierre S, la réformation dans celui d'Alain H, estimant que ce dernier a également commis le délit poursuivi ; il s'en remet à la cour sur le prononcé de la peine concernant Alain H ;

Ce dernier, relaxé par le tribunal correctionnel, conclut bien entendu à la confirmation ;

Sur quoi

LA COUR,

Le 8.10.1988 Richard Laurie a acheté une Renault h d'occasion à la SARL H de Montauban, dont Alain H est le Gérant ; la voiture avait été immatriculée pour la première fois le 23.01.1986 et son compteur affichait 16 602 km ; la transaction s'est effectuée pour un montant de 46 995 F c'est-à-dire pour un prix supérieur à celui de l'Argus ;

Alors qu'il avait effectué au volant de cette voiture un peu plus de 11 000 km, Richard Laurie a été victime d'un grave incident le 14.07.1989 sur autoroute près de Lyon ; la boîte à vitesses de la R 11 a littéralement éclaté ;

Sur les conseils d'un garagiste, Richard Laurie a fait effectuer une expertise par Max Goudard, expert agréé, demeurant à Vienne ; celui-ci a constaté que la voiture avait été accidentée, ce que Richard Laurie ignorait, et surtout que le kilométrage inscrit au compteur -27 929 km au jour de la panne- était très inférieur au kilométrage réel ;

Richard Laurie a porté plainte et engagé par ailleurs une procédure civile contre son vendeur en résiliation de vente ;

L'expertise ordonnée en référé, effectuée par Jean Vicier, expert près la Cour d'appel de Grenoble, a démontré :

- que le véhicule avait été gravement accidenté avant sa revente à Richard Laurie et que la remise en état, certes correctement effectuée, avait nécessité le passage de la carrosserie au marbre avec une reconstitution partielle de la coque ;

- qu'au jour de son achat par Richard Laurie, la voiture avait parcouru environ 80 000 km ;

- qu au jour de l'achat c'est-à-dire au 8.10.1988, la R 11 avait une valeur marchande de 33 588 F ;

L'enquête à laquelle il a été procédé à la suite de la plainte de Richard Laurie a mis en évidence les faits suivants :

- la R 11 a été achetée neuve, le 23.01.1986 par Aubert Garcia, médecin et homme politique du Gers, à la société X d'Auch dont Pierre S est le président directeur général;

- le compteur kilométrique de la voiture est tombé en panne alors qu'il affichait 8 869 km, mais le propriétaire a attendu plusieurs mois, sinon plus d'une année, avant de le faire réparer ;

Le compteur a été changé au garage X d'Auch le 14.01.1988 ;

- La voiture a été reprise par la SA X le 16.06.1988 à l'occasion de l'acquisition par Aubert Garcia d'un véhicule neuf, en l'espèce une Renault 21 Turbo Diesel ; la reprise s'est effectuée pour un montant de 41 000 F ; le compteur du véhicule affichait à ce moment là environ 15 000 km ;

- La SA X, qui a l'habitude de travailler avec la société H, spécialisée dans les véhicules d'occasion, a revendu la R 11 dans un lot de voitures le 23.09.1988 à la société H pour un montant de 40 000 F ; la facture délivrée à cette occasion mentionne "nombre de kilomètres au compteur non garantis 16 602" ;

- Dès le 6.10 suivant la société H a revendu la voiture à Richard Laurie pour le prix indiqué ci-dessus (46 995 F) ;

Sur le bon de commande signé tant par le vendeur (H) que par Richard Laurie il est mentionné "kilomètres au compteur 16 300", sur le certificat de cession aucun kilométrage n a été indiqué et sur le certificat de garantie de 6 mois on relève la mention "position du compteur kilométrique 16 050 km" ;

Pierre S ne conteste pas qu'au jour où la société dont il est le PDG a revendu la voiture à la société H, cette voiture avait parcouru beaucoup plus de kilomètres que ceux qui figuraient au compteur, soit 16 602 ; mais il se base sur une attestation qu'il lui a été délivrée le 22.08.1991 par Aubert Garcia, le première propriétaire du véhicule, pour soutenir que le kilométrage réel n'excédait pas 36 000 km ; dans cette attestation, Aubert Garcia déclare en effet qu'il avait du parcourir environ 20 000 km pendant le temps de la panne du compteur ;

Manifestement le premier propriétaire de la voiture a des trous de mémoire ; en effet, Aubert Garcia a déclaré lui-même le 23.10.1989 dans le cadre de l'enquête ouverte après la plainte déposée par Richard Laurie qu'il avait du effectuer de 60 000 à 70 000 entre le 23.01.1986, date de son acquisition de la R 11 et le 20.07.1988 date de la reprise de ce véhicule par la SA X ;

Le kilométrage retenu par l'expert désigné en référé -80 000 km- ne paraît donc pas excessif mais la cour comme le tribunal s'en tiendra à celui qui a été retenu dans la prévention sur la base des déclarations faites par Aubert Garcia le 23.10.1989 ;

Le kilométrage d'un véhicule a toujours été considéré comme relevant des "qualités substantielles" au sens de l'article 1er de la loi du 1.08.1905 ; il est en effet évident qu un véhicule qui a parcouru au moins 70 000 km n'a pas la même valeur qu'un véhicule qui n'en a parcouru que 16 000 et ne doit pas être payé au même prix ;

Pour échapper à sa responsabilité pénale, Pierre S ne saurait se retrancher comme il tente pourtant de le faire derrière la mention "kilomètres au compteur non garantis" qui figure dans la facture qu'il a adressée à la société H ;

En effet, le décret n° 68-993 du 4.10.1978 n'autorise la mention " non garantis " s'appliquant au kilométrage que dans le cas où le vendeur n'est pas en mesure de le justifier (cass. crim. 13.10.1987 - arrêt Sabiani) ce qui n'est pas le cas pour les raisons suivantes :

- tant au cours de l'enquête pénale qu'au cours de la procédure civile, Pierre S a reconnu que le Dr Garcia l'avait avisé qu'il avait parcouru environ 20 000 km de plus que ne l'indiquait le compteur kilométrique ;

- ce compteur a été changé par les ateliers de la SA X elle-même le 14.01.1988 ainsi qu'en fait foi la facture de même date délivrée à Aubert Garcia ;

- le Dr Garcia a donc repris sa voiture en janvier 1988 avec un compteur affichant 0 km ; ce compteur affichait environ 15 000 km au jour de la reprise soit en juillet 1988 ; il était donc facile à Pierre S, au moment de la reprise de la R 11 puis de sa revente à la SA H, de calculer le kilométrage approximatif effectué par le véhicule ;

La cour retiendra encore, bien que cet élément n'ait pas été retenu par l'accusation, que Pierre S a dissimulé à la société H l'accident survenu au véhicule courant 1987 ; pourtant à la suite de cet accident la R 11 avait été réparée par la SARL Y, <adresse>à Auch, qui n'est sans doute pas une filiale de la SA X, mais qui est en lien étroit avec elle puisque les actionnaires majoritaires de la Y sont Pierre S, PDG de la SA X et Pierre M, lequel est à la fois gérant de la Y et directeur général de la X ;

En sa qualité de professionnel Pierre S avait l'obligation d'exercer les contrôles nécessaires sur le véhicule qu'il vendait à la société H ; il avait dans son établissement tous les éléments de nature à lui permettre de connaître l'état réel du véhicule et en particulier son kilométrage approximatif ; manifestement, Pierre S n'a pas respecté cette obligation et manqué à ses devoirs ; son désir de consentir une reprise substantielle à un client considéré comme très important ne l'autorisait pas à revendre la voiture au dessus de sa valeur réelle même à un professionnel et la mention "kilomètres au compteur non garantis" est inopérante ;

Ce prévenu est d'ailleurs poursuivi non pas pour avoir trompé la société H mais pour avoir trompé indirectement, ce que permet l'article 1er de la loi du 1.08.1905 le co-contractant d'Alain H , c'est-à-dire Richard Laurie ;

C'est donc à raison que le tribunal correctionnel l'a retenu dans les liens de la prévention ; en le condamnant à 10 000 F et en ordonnant la publication par extrait d'un extrait de leur décision dans la dépêche du midi, dans une limite d'un coût de publication de 2 000 F les premiers juges ont fait une correcte appréciation des circonstances de l'espèce ; leur jugement sera donc confirmé tant sur la déclaration de culpabilité de Pierre S que sur le prononcé des peines le concernant, l'édition du Gers de la Dépêche du Midi étant cependant, pour la publicité, substituée à celle du Tarn-et-Garonne ;

Le tribunal correctionnel a relaxé Alain H au motif qu'il ne saurait lui être reproché de s'être rendu compte de l'état réel du véhicule, ses relations commerciales habituelles avec la société X, le prix payé pour la voiture et le kilométrage affiché au compteur n'ayant aucune raison de le faire douter de l'état apparent de l'engin ; il a donc été considéré que sa mauvaise foi n'était pas établie ;

Sur ce point, la cour réformera le jugement entrepris ;

En effet, si le délit de tromperie sur les qualités substantielles de la chose vendue exige l'intention frauduleuse de son auteur, il est considéré que cette mauvaise foi peut être déduite du fait que le prévenu n'a pas procédé aux vérifications qu'il lui incombait de pratiquer à raison de son métier (cass. crim 5.05.1986 - dalloz 1986 - inf. rapide, 402) ;

En sa qualité de professionnel spécialiste dans le négoce de véhicules d'occasion, Alain H avait lui aussi l'obligation d'exercer les contrôles nécessaires sur la R 11 qu'il offrait à la vente ;

Un acheteur étranger au métier de l'automobile tel que Richard Laurie peut parfaitement ignorer qu'un véhicule affichant au compteur 16 000 km en a en fait parcouru 70 000 ; un professionnel averti ne peut se méprendre dans la même hypothèse un examen rapide et ne nécessitant aucun appareil spécial lui permet de connaître approximativement la vérité beaucoup de techniciens dans un cas semblable examinent l'usure des pédales et, paraît il, ce contrôle est riche de renseignements ;

Au surplus, tout véhicule est actuellement muni d'un carnet d'entretien sur lequel doivent être portées les opérations habituelles d'entretien telles que vidange dont la périodicité est indiquée par le constructeur ; il importe peu que la R 11 ait, semble-t-il, été suivie non pas par le garage X d'Auch du moins d'une façon permanente, mais pas un garagiste de Castera Verduzan où habite le Dr Garcia ; avant d'acheter le véhicule à la SA X en tout cas avant de le revendre à Richard Laurie à un prix nettement supérieur à l'Argus (46 995 F au lieu de 41 000 F) et surtout à la valeur réelle de la voiture (33 500 F d'après l'expert Vicier) Alain H aurait du à tout le moins exiger que lui soit remis le carnet d'entretien ; il a effectué aux dépens de Richard Laurie une transaction qui lui a permis de gagner 6 000 F pour un séjour de 15 jours dans son garage, mais il est établi qu'il n'a procédé à aucune des vérifications qui lui incombaient en sa qualité de professionnel cela caractérise sa mauvaise foi au sens de la jurisprudence précitée ;

Il est d'ailleurs symptomatique de remarquer que la mention "kilomètres au compteur non garantis " ne figure ni dans le bon de commande signé tant par le vendeur que par l'acheteur le 6.10.1988 ni dans le certificat de garantie de 6 mois ; le premier document mentionne 16 300 km le second 16 050, ce qui témoigne d'un certain désordre ; qui plus est, dans le certificat de vente la rubrique kilométrage est restée entièrement vierge alors qu'elle doit mentionner obligatoirement soit le kilométrage réel qui peut être justifié, soit tant de kilomètres au compteur non garantis ;

La cour réformera en conséquence le jugement dont appel en ce qui concerne Alain H ; cependant, la responsabilité de celui-ci apparaît moins gravement engagée que celle de Pierre S ; Alain H sera condamné à 5 000 F d'amende mais dans son cas aussi la publication d'un extrait de l'arrêt sera ordonné ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, en audience publique et en dernier ressort Vu les articles 406, 410, 417, 427 et s, 458 et s, 462, 464, 473, 477, 485, 486, 497, 512 et s, 749 et s du CPP, article 1er de la loi du 1.08.1905, 463 du Code pénal ; Déclare les appels réguliers et recevables en la forme ; Au fond, Dit l'appel de Pierre S injustifié, celui du Ministère public justifié ; Confirme le jugement prononcé le 5.04.1991 par le Tribunal correctionnel de Montauban dans ses dispositions concernant Pierre S déclaration de culpabilité, prononcé de la peine (amende de 10 000 F), publication d'un extrait de la décision dans la dépêche du midi dans la limite d'un coût de 2 000 F, l'édition du Gers de ce quotidien étant cependant substituée à celle du Tarn-et-Garonne ; Réforme ledit jugement dans ses dispositions concernant Alain H Déclare Alain H coupable du délit qui lui est reproché ; En répression le condamne à 5 000 F d'amende ordonne la publication par extrait de la présente décision à la diligence du Ministère public aux frais du condamné dans la dépêche du midi édition du Tarn-et-Garonne dans une limite de coût de 2 000 F ; Condamne Pierre S et Alain H aux dépens, chacun à concurrence de moitié ; Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale ; Le tout en vertu des textes susvisés.