CA Limoges, ch. civ. sect. 1, 23 mai 2002, n° 00-00249
LIMOGES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fabre
Défendeur :
Constructions mécaniques A. Deshors (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bressoulaly
Conseillers :
M. Vernudachi, Mme Barberon-Pasquet
Avoués :
Me Garnerie, SCP Christophe Durand-Marquet
Avocats :
Mes Amalric, Rouquie.
LA COUR,
Faits et moyens des parties :
Monsieur Jacques Fabre, agent commercial s'est vu confier par les Etablissements Overbeck GMBHI & CO.KG, par contrat du 1er septembre 1983, la représentation exclusive de produits suivants : cylindres gravés, cylindres cannelés, plaques gravées, cylindres contre-partie et accessoires sur les territoires de France, Algérie, Tunisie et Maroc. Sa commission a été fixée à 10 % du montant des commandes passées et réglées.
La filiale de cette société, la société Overbeck France, lui a confié par contrat du 1er octobre 1988, la représentation exclusive du produit " cylindre cannelé rénové par rectification, accessoires " dans le même secteur géographique, selon mêmes conditions de rémunération. Par lettre du 1er juillet 1993 la société Overbeck France lui a alloué une rémunération supplémentaire de 1 % calculée sur le chiffre d'affaires.
Par suite en 1994 de modification intervenue dans la forme juridique du mandant, la fabrication des produits intéressés par ce contrat et assurée par les sociétés Overbeck GMBH & CO.KG et la société Overbeck France a été transférée à la SA " Overbeck Deshors - Cylindres cannelés" à compter du 1er janvier 1995, et un nouveau contrat a été établi pour une durée indéterminée confiant à Monsieur Fabre l'exclusivité, sur le même territoire géographique que ci-dessus, des produits suivants, à l'exclusion de tous autres : cylindres cannelés, presses lisses, cylindres colleurs, cylindres docteurs et accessoires, pour les mêmes secteurs géographiques. La rémunération de Monsieur Fabre pour toutes ventes desdits produits a été fixée à 10 % des commandes passées et payées, étant convenu que pour le marché Overbeck France et plus généralement la rectification des rouleaux, les commissions de l'agent ont été limitées à 7 % du chiffre d'affaires réalisé avec rétrocession de 50 % du boni sur marge éventuellement négociée au-delà du tarif de référence pour ce type de fabrication.
Un litige est intervenu entre les parties relatif à la rémunération de Monsieur Fabre et par acte du 27 juillet 1998, Monsieur Fabre a fait assigner son mandant devenu depuis la SA Constructions mécaniques A Deshors, pour lui voir déclarer imputable la rupture de son contrat et obtenir sa condamnation à payer la somme de 2 564 500 F HT à titre d'indemnités et en réparation de son préjudice matériel, ainsi que 100 000 F au titre de son préjudice moral, 334 039,70 F TTC au titre de commissions restant dues et impayées, 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 26 novembre 1999, le Tribunal de grande instance de Brive a:
- débouté Monsieur Jacques Fabre de l'ensemble de ses demandes,
- donné acte à la société Deshors de ce qu'elle a reconnu devoir à ce dernier 34 254,02 F à titre de commissions,
- l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,
- et a condamné Monsieur Fabre aux dépens.
Monsieur Fabre a régulièrement interjeté appel de cette décision le 28 janvier 2000.
Au soutien de son appel, par dernières conclusions sous bordereau du 29 mai 2000, Monsieur Fabre demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial liant Monsieur Fabre à la SA Deshors est imputable au mandant, de dire et juger que le mandant a délibérément manqué à ses obligations, condamner la SA Deshors à lui payer la somme de 2 564 500 F hors taxes à titre d'indemnité en réparation de son préjudice matériel, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 21 janvier 1998 et jusqu'à parfait paiement, 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour son préjudice moral, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 21 janvier 1998 et jusqu'à parfait paiement, la somme de 94 083,68 F TTC au titre des commissions restant dues avec intérêts de retard au taux légal à compter du 19 mars 1998 et jusqu'à parfait paiement. Il demande en outre à la cour de condamner sous astreinte la SA Deshors à lui communiquer l'ensemble des informations et documents nécessaires pour vérifier le montant de ses commissions, bons de commandes, factures et extraits des livres comptables, et enfin à lui payer la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 22 septembre 2000, sous bordereau, la société Constructions mécaniques Deshors demande à la cour de débouter Monsieur Fabre de son appel, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions non critiquées par elle, de faire droit à son appel incident et statuant à nouveau sur ce point de condamner Monsieur Fabre à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter a charge des dépens. Monsieur le conseiller de la mise en Etat a rendu une Ordonnance de clôture le 8 novembre 2001.
Motivation de la décision
- Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial:
Attendu qu'il apparaît que la lettre émanant d'Overbeck Deshors du 20 octobre 1997, adressée à Monsieur Fabre, se réfère expressément à " nos différents entretiens... ", ce qui démontre que les propositions de diminution de rémunération des deux taux de commissions, proposées par la société à son agent commercial à compter du 1er janvier 1998 de 10 % à 6 % pour l'ensemble des produits de l'article VIII du contrat et de 7 % à 4 % pour les autres produits réservés par ledit article, faisaient déjà l'objet de discussions et de négociations entre le mandant et l'agent, lors de l'envoi de ladite lettre;
Attendu que si cette lettre est adressée, certes en lettre simple, il apparaît que le ton est comminatoire et met fin à toute autre proposition et négociation de la société sur les nouveaux taux de commissions proposés ; qu'en effet, il avait déjà été proposé à Monsieur Fabre par la société Deshors une diminution de sa rémunération en 1995 et en 1996, qui ne s'était pas concrétisée ; que le ton utilisé dans les échanges de correspondances à l'époque était bien différent et laissait largement ouverte la discussion entre les parties, ce qui ne ressort pas du courrier du 20 octobre 1997 ; que cette situation ressort également de la lecture de la lettre du 20 octobre 1997, la société Overbeck Deshors faisant état de ses difficultés et de " l'impossibilité de continuer à vous verser les commissions actuelles devenues excessives " invoquant l'état du marché et ses contraintes de compétitivité; que par ailleurs il ressort de la méthode employée par Deshors qu'elle n'hésite pas à exiger un retour de la dite lettre signée avec la mention "lu et approuvé" avant le 30 novembre 1997, et à mentionner en fin de lettre qu'elle confirme qu'à défaut elle se verra contrainte de rompre les relations contractuelles;
Attendu que le respect des clauses de rémunération est un élément fondamental du contrat d'agent commercial, et qu'aucune des parties ne peut opérer unilatéralement à cette révision;
Attendu qu'en agissant de la sorte, il apparaît des faits que la société Deshors a, par un jeu de pression forte sur son agent commercial, essayé de lui imposer une modification de son contrat et ce dans la mesure où les discussions préliminaires de renégociation du contrat de l'agent commercial s 'avéraient manifestement vouées à l'échec ; qu'en essayant de faire peser l'initiative de la rupture sur l'agent commercial en soulevant l'ambiguïté de la situation juridique qu'elle a volontairement créée, par une rupture détournée, la société Deshors tente ainsi d'échapper à toutes les conséquences de cette prise d'initiative de la rupture des relations contractuelles;
Attendu que dans ce contexte la société Deshors a pris un risque d'acceptation par Monsieur Fabre de la rupture des relations contractuelles qu'elle lui a expressément proposée dans sa lettre du 20 octobre 1997, et ce dans la mesure, où au regard de la conjoncture économique, de ses restructurations et de ses propres difficultés, il ne lui était plus possible d'assurer sa rémunération aux taux contractuels;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence au regard des éléments de fait du dossier de réformer le jugement entrepris et de dire que l'initiative de la rupture des relations contractuelles incombe à la société Constructions mécaniques Deshors dans la mesure où cette cessation des relations contractuelles, s'est justifiée par des circonstances imputables au mandant
Sur l'indemnité compensatrice :
Attendu que le statut des agents commerciaux applicable aux relations des parties prévoit à l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 qu'en cas de cessation du contrat d'agent, celui-ci a droit à réparation; que cette réparation n'est cependant pas due " en cas de cessation du contrat provoquée par la faute grave de l'agent commercial, ou que la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement engagée ";
Attendu qu'en conséquence, au regard de ce qui précède, il y a lieu de dire que Monsieur Fabre a droit à indemnité compensatrice de son préjudice pour cessation du contrat d'agent;
Attendu malgré les diverses restructurations intervenues, que les relations commerciales se sont poursuivies pratiquement 10 ans et ont donné lieu au regard des rémunérations servies à Monsieur Fabre, à un important volet d'affaires ; qu'au regard de l'usage en la matière, il y a lieu d'attribuer à Monsieur Fabre une indemnité calculée sur la base de deux ans de commissions à ce titre;
Attendu que Monsieur Fabre calcule cette indemnité compensatrice sur la moyenne des commissions des 33 derniers mois, alors que la société Deshors dans ses dernières écritures indique que Monsieur Fabre aurait perçu durant cette période de 24 mois une rémunération de 1 909 060 F soit 291 034,32 euros; qu'il y a donc lieu de condamner la société Constructions mécaniques Deshors à payer ce montant à Monsieur Fabre au titre de l'indemnité compensatrice de cessation du contrat, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, de réformer le jugement en conséquence et de débouter monsieur Fabre du surplus de ses demandes à ce titre;
Sur le solde de commissions qui serait du à Monsieur Fabre:
Attendu que la société Deshors ne conteste pas devoir à Monsieur Fabre un montant de 34 254,02 F ; que cependant elle n'apporte aucun élément probant permettant de prendre en compte ses argumentations développées dans ses dernières écritures par lesquelles elle conclut au rejet des réclamations supplémentaires de Monsieur Fabre au titre de trois factures alléguant que celles-ci auraient été modifiées à l'origine ou non facturées pour les autres ; qu'elle ne produit pas plus de relevés de sa comptabilité ou d'éléments probants permettant d'en justifier ou encore que ces sommes n'auraient pas encore été réglées par les clients concernés et ne seraient pas encore exigibles alors que ces commandes intéressent les périodes 1997 et 1998;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris, de faire droit à la demande de Monsieur Fabre et de condamner la société Constructions mécaniques Deshors à payer à Monsieur Fabre :
la somme reconnue par Deshors soit : 34 254,02 F soit 5 221,99 euros,
la facture Otor Godard soit : 2 701,44 F soit 411 83 euros,
la facture Otor Picardie soit : 39 315,60 F soit 5 993,63 euros,
la facture Smurfit Socar soit : 17 812,62 F soit 2 715,52 euros
Total : 94 083,68 F soit 14 342,96 euros TTC, et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Constructions mécaniques Deshors:
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de dommages-intérêts pour résiliation abusive, celle ci s'avérant infondée,
Sur la demande de dommages-intérêts formée par Monsieur Fabre:
Attendu que Monsieur Fabre n'apporte aucun élément justifiant de la réalité de son préjudice à ce titre ; qu'il y a lieu de le débouter de sa demande,
Sur les demandes d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Attendu que la nature de l'affaire ne justifie pas qu'il soit attribué aux parties qui en font la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, Dit recevable en la forme l'appel interjeté par Monsieur Jacques Fabre, Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Dit que la rupture du contrat du 2 janvier 1995, liant les parties, est imputable à la société Constructions mécaniques Deshors, dans la mesure où cette cessation des relations contractuelles s'est justifiée par des circonstances imputables au mandant, En conséquence, vu les articles 12 et 13 de la loi n° 91593 du 25 juin 1991 auquel le contrat est soumis : Dit que Monsieur Jacques Fabre a droit à une indemnité réparatrice compensant son préjudice pour cessation de son contrat; Fixe celle-ci à la somme de 291 234,32 euros, Condamne la société Constructions mécaniques Deshors à payer ce montant, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, à Monsieur Jacques Fabre, Condamne la société Constructions mécaniques Deshors à payer à Monsieur Jacques Fabre le montant des commissions restant dues soit la somme de 14 382,96 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, Déboute les parties de leurs demandes de dommages-intérêts, et de toutes leurs demandes plus amples ou contraires, Dit n'y avoir lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Constructions mécaniques Deshors à supporter la charge des dépens de première instance et d'appel et admet Maître Garnerie, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.