Livv
Décisions

CJCE, gr. ch., 13 juillet 2004, n° C-429/02

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bacardi France (SAS)

Défendeur :

Télévision française 1 (SA), Groupe Jean-Claude Darmon (SA), Girosport (SARL), Gouvernement français, Gouvernement du Royaume-Uni, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Rosas, Gulmann, Puissochet, Cunha Rodrigues

Rapporteur :

M. Jann

Avocat général :

M. Tizzano

Juges :

MM. Schintgen, von Bahr, Mme Silva de Lapuerta

Avocats :

Mes Niedzielski, Cot, Bousquet, Sprung

T. com. Paris, 16e ch., du 15 avr. 1996

15 avril 1996

LA COUR (Grande chambre),

1 Par arrêt du 19 novembre 2002, parvenu à la Cour le 27 novembre suivant, la Cour de cassation a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23), ainsi que de l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Bacardi France SAS, anciennement Bacardi-Martini SAS (ci-après "Bacardi"), à Télévision française 1 SA (ci-après "TF1"), au Groupe Jean-Claude Darmon SA (ci-après "Darmon") ainsi qu'à Girosport SARL (ci-après "Girosport") et visant à ce qu'il soit enjoint à ces trois dernières sociétés de cesser d'exercer des pressions sur des clubs étrangers pour que ceux-ci refusent la publicité pour des boissons alcooliques produites par Bacardi sur des panneaux publicitaires implantés sur les lieux de manifestations sportives binationales se déroulant sur le territoire d'autres États membres.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 La directive 89-552 vise à abolir les restrictions à la libre prestation des services d'émission de programmes de télévision. À cette fin, elle pose le principe de la liberté de réception et de diffusion des émissions transfrontalières et coordonne les lois applicables à celles-ci dans les différents États membres dans des domaines tels que la publicité télévisée. Selon le système que cette directive met en place, il incombe à l'État membre d'origine de réglementer et de contrôler les émissions transfrontalières dans le respect des règles minimales qu'elle prescrit. En revanche, dans les domaines coordonnés par ladite directive, les États membres de destination ne sont, en principe, plus compétents.

Les définitions

4 La notion de "publicité télévisée" est définie à l'article 1er, sous b), de la directive 89-552 comme "toute forme de message télévisé contre rémunération ou paiement similaire par une entreprise publique ou privée dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale dans le but de promouvoir la fourniture, contre paiement, de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations".

Les règles de fond

5 L'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, première phrase, de la directive 89-552 prévoit:

"Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive."

6 L'article 10, paragraphe 1, de ladite directive précise:

"La publicité télévisée doit être aisément identifiable comme telle et être nettement distincte du reste du programme grâce à des moyens optiques et/ou acoustiques."

7 L'article 11, paragraphe 1, première phrase, de la même directive dispose que "[l]a publicité doit être insérée entre les émissions".

8 Aux termes de l'article 11, paragraphe 2, de la directive 89-552:

"Dans les émissions composées de parties autonomes ou dans les émissions sportives et les événements et spectacles de structure similaire comprenant des intervalles, la publicité ne peut être insérée qu'entre les parties autonomes ou dans les intervalles."

La réglementation nationale

Les règles de fond

9 La loi n° 91-32, du 10 janvier 1991, relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite "loi 'Evin'" (JORF du 12 janvier 1991, p. 615, ci-après la "loi Evin"), a modifié notamment les articles L. 17 à L. 21 du Code des débits de boissons qui limitent la publicité pour certaines boissons alcooliques, à savoir les boissons comportant un taux d'alcool supérieur à 1,2º.

10 Selon lesdites dispositions, la publicité télévisée directe ou indirecte pour les boissons alcooliques est interdite, interdiction qui est d'ailleurs réitérée à l'article 8 du décret n° 92-280, du 27 mars 1992, pris pour l'application de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant les principes généraux concernant le régime applicable à la publicité et au parrainage (JORF du 28 mars 1992, p. 4313).

11 D'autres formes de publicité sont, en revanche, autorisées par la réglementation française. Ainsi, il est admis, par exemple, de faire de la publicité pour des boissons alcooliques dans la presse écrite, à la radio (sauf à certaines heures) ou sous forme d'affiches et d'enseignes, y compris sur les panneaux publicitaires implantés dans les installations sportives, etc.

12 Une infraction à la loi Evin est qualifiée de "délit" par le droit pénal français.

Les règles de procédure

13 Selon l'article 42, premier alinéa, de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, dite "loi 'Léotard'" (JORF du 1er octobre 1986, p. 11755), il incombe au Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après le "CSA") de veiller à l'application de la loi Evin. Dans ce contexte, le CSA peut mettre en demeure les distributeurs de services de télévision de respecter leurs obligations et, dans le cas où ceux-ci ne se conformeraient pas aux exigences qui leur sont fixées, il peut prononcer des sanctions administratives à leur encontre. Par ailleurs, le CSA peut saisir le procureur de la République de toute infraction commise par ces distributeurs.

Les mesures d'application

14 En 1995, les autorités françaises, à savoir le CSA ainsi que le ministère de la Jeunesse et des Sports, et les chaînes de télévision françaises ont élaboré un Code de bonne conduite, publié au Bulletin officiel du ministère de la Jeunesse et des Sports, portant interprétation des règles de la loi Evin en ce qui concerne leur application à la télédiffusion d'événements sportifs se déroulant à l'étranger (c'est-à-dire des transmissions directes ou des retransmissions), au cours desquels est visible de la publicité pour des boissons alcooliques, par exemple sur des panneaux publicitaires ou sur les maillots des sportifs, et qui sont, par conséquent, susceptibles de comporter de la publicité télévisée indirecte pour des boissons alcooliques au sens de ladite loi.

15 Sans être juridiquement contraignant, ce Code de bonne conduite indique que, s'agissant d'événements binationaux ayant lieu à l'étranger, qui sont dénommés dans ce Code "autres événements", les diffuseurs français ainsi que toute autre partie soumise à la loi française (ci-après, ensemble, les "diffuseurs français"), qui ne maîtrisent pas les conditions de prise de vue, doivent mettre en ouvre les moyens disponibles pour prévenir l'apparition à l'antenne de marques commerciales concernant des boissons alcooliques. Ainsi, le diffuseur français doit, au moment où il acquiert les droits de retransmission, informer ses partenaires étrangers des exigences de la législation française et des règles prévues par ledit Code. De même, ce diffuseur doit s'enquérir auprès du détenteur des droits de retransmission, selon ses possibilités matérielles et préalablement à la diffusion de la manifestation sportive, des publicités qui figureront sur le lieu où celle-ci se déroulera. Enfin, ledit diffuseur doit utiliser les procédés techniques disponibles de manière à éviter une mise en évidence télévisée des panneaux publicitaires pour des boissons alcooliques.

16 S'agissant en revanche d'événements multinationaux ayant lieu à l'étranger, les diffuseurs français ne sauraient être suspectés de complaisance à l'égard des publicités apparaissant à l'écran lorsqu'ils diffusent des images dont ils ne maîtrisent pas les conditions de prise de vue.

17 Dans sa version applicable au litige au principal, le Code de bonne conduite définissait les événements multinationaux comme ceux "dont les images étant retransmises dans un grand nombre de pays ne peuvent pas être considérées comme visant principalement le public français". Les événements binationaux, quant à eux, étaient définis comme "les manifestations se déroulant à l'étranger autres que celles mentionnées dans le cas précédent, lorsque la retransmission vise spécifiquement le public français".

18 Outre l'élaboration du Code de bonne conduite, le CSA a fait des démarches auprès des diffuseurs français en vue d'obtenir que ceux-ci exigent la suppression des panneaux publicitaires relatifs aux boissons alcooliques ou bien renoncent entièrement à retransmettre l'événement en question. Dans un cas au moins, ledit organisme est allé jusqu'à saisir le procureur de la République afin que celui-ci engage des poursuites à l'encontre d'un diffuseur français.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 Bacardi est une société française appartenant au groupe international Bacardi-Martini, qui produit et commercialise dans la plupart des pays du monde de nombreuses boissons alcooliques, dont le rhum Bacardi, le vermouth Martini et le pastis Duval.

20 Darmon et Girosport sont des sociétés qui négocient pour le compte de TF1 les droits de retransmission télévisuelle des matchs de football.

21 Se prévalant du fait que Darmon et Girosport auraient exercé des pressions sur des clubs étrangers pour que ceux-ci refusent l'accès des marques de Bacardi aux panneaux publicitaires implantés autour des stades, cette dernière a assigné Darmon, Girosport et TF1 en vue de leur faire enjoindre de cesser ce comportement en raison de son incompatibilité avec l'article 59 du traité.

22 Cette demande ayant été rejetée aussi bien en première instance qu'en appel, Bacardi s'est pourvue en cassation.

23 Nourrissant des doutes sur la compatibilité avec le droit communautaire du régime français interdisant la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées en France, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres (ci-après le "régime de publicité télévisée en cause au principal"), la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) [...] la directive 89-552-CEE du 3 octobre 1989 dite 'Télévision sans frontières', dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la directive 97-36-CE du 30 juin 1997, s'oppose[-t-elle] à ce qu'une législation interne, telle que les articles L. 17 à L. 21 du Code français des débits [de] boissons, et l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, prohibe, pour des raisons tenant à la protection de la santé publique et sous peine de sanctions pénales, la publicité pour les boissons alcoolisées, qu'elles soient d'origine nationale ou en provenance d'autres États membres de l'Union, à la télévision, qu'il s'agisse de spots publicitaires au sens de l'article 10 de la directive [(publicité directe)] ou de publicité indirecte résultant de l'apparition à la télévision de panneaux réalisant la promotion de boissons alcoolisées sans pour autant constituer la publicité clandestine visée à l'article 1er c) de la directive [?]

2) [...] l'article 49 du traité CE et le principe de libre circulation des émissions télévisuelles au sein de l'Union doivent[-ils] être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'une loi nationale, telle que résultant des articles L. 17 à L. 21 du Code français des débits [de] boissons, et de l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, et qui prohibe, pour des raisons tenant à la protection de la santé publique et sous peine de sanctions pénales, la publicité pour les boissons alcoolisées, qu'elles soient d'origine nationale ou en provenance d'autres États membres de l'Union, à la télévision, qu'il s'agisse de spots publicitaires au sens de l'article 10 de la directive [publicité directe] ou de publicité indirecte résultant de l'apparition à la télévision de panneaux réalisant la promotion de boissons alcoolisées sans pour autant constituer la publicité visée à l'article 1er c) de la directive, ait pour effet que les opérateurs chargés de la diffusion et de la distribution des programmes de télévision:

a) s'abstiennent de procéder à la diffusion de programmes de télévision, tels notamment que la retransmission de rencontres sportives, qu'ils soient réalisés en France ou dans d'autres pays de l'Union, dès lors qu'y figurent des publicités prohibées au sens du Code français des débits de boissons,

b) ou y procèdent à la condition que n'apparaissent pas les publicités prohibées au sens du Code français des débits de boissons, empêchant ainsi la conclusion de contrats publicitaires concernant les boissons alcoolisées qu'elles soient d'origine nationale ou en provenance d'autres États membres de l'Union [?]"

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question: l'obligation d'assurer la liberté de réception et de retransmission

24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, première phrase, de la directive 89-552 s'oppose à ce qu'un État membre interdise la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées dans cet État, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres.

Dans ce cadre, ladite juridiction souhaite savoir si une telle publicité télévisée indirecte doit être qualifiée de "publicité télévisée" au sens des articles 1er, sous b), 10 et 11 de cette directive.

25 À cet égard, il convient de rappeler que l'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, première phrase, de la directive 89-552 prévoit une obligation pour les États membres d'assurer la liberté de réception et de ne pas entraver la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par cette directive. Par ses articles 10 à 21, celle-ci harmonise les règles concernant la publicité télévisée.

26 En vertu de la définition donnée à l'article 1er, sous b), de la directive 89-552, la "publicité télévisée" comporte "toute forme de message télévisé contre rémunération ou paiement similaire par une entreprise publique ou privée dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale dans le but de promouvoir la fourniture, contre paiement, de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations". Aux termes de l'article 10, paragraphe 1, de cette directive "[l]a publicité télévisée doit être aisément identifiable comme telle et être nettement distincte du reste du programme grâce à des moyens optiques et/ou acoustiques". L'article 11, paragraphe 1, première phrase, de ladite directive prévoit que "[l]a publicité doit être insérée entre les émissions" et, à son deuxième paragraphe, ledit article 11 énonce que "[d]ans les émissions composées de parties autonomes ou dans les émissions sportives et les événements et spectacles de structure similaire comprenant des intervalles, la publicité ne peut être insérée qu'entre les parties autonomes ou dans les intervalles".

27 Dans l'affaire au principal, il convient de constater que, pour les motifs exposés par M. l'avocat général aux points 48 à 52 de ses conclusions, la publicité télévisée indirecte pour des boissons alcooliques résultant de panneaux visibles à l'écran lors de la retransmission de manifestations sportives ne constitue pas un message télévisé individualisable destiné à promouvoir des biens ou des services. Pour des raisons évidentes, il est impossible de ne montrer cette publicité que durant les intervalles entre les différentes parties de l'émission télévisée concernée. En effet, les images de panneaux publicitaires qui apparaissent en arrière-plan des images transmises et, de façon irrégulière et imprévue, en fonction des exigences de cette retransmission, ne comportent aucun caractère individualisable dans le cadre de celle-ci.

28 Une telle publicité télévisée indirecte ne doit donc pas être considérée comme une "publicité télévisée" au sens de la directive 89-552 et, partant, celle-ci ne s'y applique pas.

29 Il convient, par conséquent, de répondre à la première question que l'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, première phrase, de la directive 89-552 ne s'oppose pas à ce qu'un État membre interdise la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées dans cet État, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres.

Une telle publicité télévisée indirecte ne doit pas être qualifiée de "publicité télévisée" au sens des articles 1er, sous b), 10 et 11 de cette directive.

Sur la seconde question: le droit à la libre prestation des services

30 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 59 du traité (devenu, après modification, article 49 CE) s'oppose à ce qu'un État membre interdise la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées dans cet État, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres.

31 L'article 59 du traité exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services, même si cette restriction s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 1991, Säger, C-76-90, Rec. p. I-4221, point 12, et du 3 octobre 2000, Corsten, C-58-98, Rec. p. I-7919, point 33). Par ailleurs, la liberté de prestation des services bénéficie tant au prestataire qu'au destinataire de services (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, 286-82 et 26-83, Rec. p. 377, point 16).

32 La libre prestation des services peut cependant, en l'absence de mesures communautaires d'harmonisation, être limitée par des réglementations nationales justifiées par les raisons mentionnées à l'article 56, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 46, paragraphe 1, CE), lu en combinaison avec l'article 66 du traité CE (devenu article 55 CE), ou par des raisons impérieuses d'intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., C-243-01, non encore publié au Recueil, point 60).

33 Dans ce contexte, il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité (voir arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad Exterior et Publivía, C-1-90 et C-176-90, Rec. p. I-4151, point 16), qui exige que les mesures adoptées soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir, notamment, arrêts Säger, précité, point 15; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369-96 et C-376-96, Rec. p. I-8453, point 35; Corsten, précité, point 39, et du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390-99, Rec. p. I-607, point 33).

34 Dans l'affaire au principal, étant donné qu'il n'existe pas de mesures d'harmonisation communautaires en la matière, il convient donc d'examiner successivement trois points, à savoir l'existence d'une restriction au sens de l'article 59 du traité, la possibilité d'une justification d'un régime de publicité télévisée tel que celui en cause au principal au regard de l'article 56, paragraphe 1, dudit traité, lu en combinaison avec l'article 66 de celui-ci, et le caractère proportionné de ce régime.

35 En premier lieu, il convient de constater qu'un régime de publicité télévisée tel que celui en cause au principal constitue une restriction à la libre prestation des services au sens de l'article 59 du traité. En effet, un tel régime comporte, d'une part, une restriction à la libre prestation des services de publicité en ce que les propriétaires de panneaux publicitaires doivent refuser, de manière préventive, toute publicité pour des boissons alcooliques dès lors que la manifestation sportive est susceptible d'être retransmise en France. D'autre part, le même régime empêche la prestation des services de diffusion de programmes télévisés. En effet, les diffuseurs français doivent refuser toute retransmission d'événements sportifs au cours de laquelle seraient visibles des panneaux publicitaires portant de la publicité pour des boissons alcooliques commercialisées en France. En outre, les organisateurs d'événements sportifs se déroulant hors de France ne peuvent vendre les droits de retransmission aux diffuseurs français, dès lors que la diffusion des programmes télévisés consacrés à de tels événements est susceptible de comporter de la publicité télévisée indirecte pour lesdites boissons alcooliques.

36 Dans ce contexte, ainsi qu'il ressort des points 28 et 29 de l'arrêt de ce jour, Commission/France (C-262-02, non encore publié au Recueil), l'argumentation du Gouvernement français concernant, d'une part, les possibilités techniques permettant de masquer les images afin d'occulter de manière ciblée les panneaux affichant de la publicité pour des boissons alcooliques et, d'autre part, l'application non discriminatoire dudit régime de publicité télévisée à toutes les boissons alcooliques, qu'elles aient été produites en France ou à l'étranger, ne saurait être accueillie. En effet, s'il est vrai qu'il existe de telles possibilités techniques, l'utilisation de celles-ci impliqueraient, cependant, des coûts supplémentaires élevés à la charge des diffuseurs français. Par ailleurs, dans le cadre de la libre prestation des services, ce n'est que l'origine du service en question qui peut être pertinente dans le cas d'espèce.

37 En deuxième lieu, il convient de constater qu'un régime de publicité télévisée tel que celui en cause au principal poursuit un objectif relevant de la protection de la santé publique au sens de l'article 56, paragraphe 1, du traité, ainsi que l'a explicité M. l'avocat général au point 69 de ses conclusions. En effet, des mesures limitant les possibilités de publicité pour des boissons alcooliques et cherchant ainsi à lutter contre l'abus d'alcool répondent à des préoccupations de santé publique (voir arrêts du 10 juillet 1980, Commission/France, 152-78, Rec. p. 2299, point 17; Aragonesa de Publicidad Exterior et Publivía, précité, point 15, et du 8 mars 2001, Gourmet International Products, C-405-98, Rec. p. I-1795, point 27).

38 En troisième lieu, il importe également de constater qu'un régime de publicité télévisée tel que celui en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l'objectif de protection de la santé publique qu'il poursuit. Par ailleurs, il ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif. Ce régime limite en effet les situations dans lesquelles les panneaux publicitaires pour les boissons alcooliques peuvent être vus à la télévision et est, de ce fait, susceptible de restreindre la diffusion de tels messages, réduisant ainsi les occasions dans lesquelles les téléspectateurs pourraient être incités à consommer des boissons alcooliques.

39 À cet égard, ainsi qu'il ressort des points 33 à 39 de l'arrêt de ce jour, Commission/France, précité, les arguments développés par la Commission et le Gouvernement du Royaume-Uni pour établir le caractère disproportionné dudit régime doivent être rejetés.

40 En ce qui concerne le seul argument soulevé par Bacardi qui n'a pas été examiné dans l'arrêt de ce jour, Commission/France, précité, à savoir l'argument selon lequel le régime de publicité télévisée en cause au principal serait incohérent dans la mesure où il ne concerne pas la publicité pour les boissons alcooliques visible en arrière-plan dans le décor des films, il suffit de répondre que cette option relève de la libre appréciation des États membres auxquels il appartient de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint (voir arrêt Aragonesa de Publicidad Exterior et Publivía, précité, point 16).

41 Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question que l'article 59 du traité ne s'oppose pas à ce qu'un État membre interdise la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées dans cet État, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres.

Sur les dépens

42 Les frais exposés par les Gouvernements français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (Grande chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation, par arrêt du 19 novembre 2002, dit pour droit:

1) L'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, première phrase, de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, ne s'oppose pas à ce qu'un État membre interdise la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées dans cet État, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres.

Une telle publicité télévisée indirecte ne doit pas être qualifiée de "publicité télévisée" au sens des articles 1er, sous b), 10 et 11 de cette directive.

2) L'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) ne s'oppose pas à ce qu'un État membre interdise la publicité télévisée pour des boissons alcooliques commercialisées dans cet État, dans la mesure où est concernée la publicité télévisée indirecte résultant de l'apparition à l'écran de panneaux qui sont visibles lors de la retransmission de manifestations sportives binationales ayant lieu sur le territoire d'autres États membres.