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Décisions

CA Versailles, 8e ch., 3 mars 1994, n° 94-219

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Dovi Akue

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazars

Substitut :

général: M. Asnard

Conseillers :

M. Marill, Mme Duno

Avocat :

Me Normand.

TGI Pontoise, ch. corr., du 23 mars 1993

23 mars 1993

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Par jugement en date du 23 mars 1993, le Tribunal correctionnel de Pontoise a déclaré B Gérard coupable de:

0149 - tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise (art. 1, loi du 01-08-1905, art. 7 6 loi du 01-08-1905)

à Cergy Saint Christophe et dans le département du Val d'Oise, le 6 décembre 1988;

- l'a condamné à peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis;

- l'a condamné aux dépens de l'action publique.

Sur l'action civile:

A reçu M. Dovi Akue Paul représenté par Monsieur Delnord Luc, en sa constitution de partie civile;

A condamné B Gérard à lui payer la somme de 1 817,16 F à titre de dommages et intérêts;

A condamné en outre, B Gérard aux dépens envers la partie civile.

Appels:

Appel a été interjeté par:

- B Gérard, le 1er avril 1993,

- Le Ministère public, le 5 avril 1993.

Décision:

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant:

Le 22 février 1990, Monsieur Dovi Akue déposait plainte avec constitution de partie civile contre Gérard B, vendeur de cuisines.

Il exposait crue s'étant rendu en décembre 1988 à la Foire Exposition "Les Décoralies", il avait commandé une cuisine fabriquée par la SA Trouillet, à La Ferté Bernard dont Gérard B était le correspondant, le montant de la commande s'élevant à 79 000 sur lequel il avait versé un acompte de 20 000 F. Il expliquait qu'il entendait bénéficier des prestations et de la qualité de la fabrication de la société Trouillet qui fabrique des cuisines sur mesures de manière artisanale réputées pour la qualité du bois et de la finition.

Il exposait qu'au moment de la livraison, s'apercevant des incidents de montage, il avait constaté que les meubles installés ne correspondaient en rien à la qualité de fabrication qu'il était en droit d'attendre de la société Trouillet et qu'il s'agissait de meubles non conformes à sa commande; qu'ayant contacté la société Trouillet, il a appris que Monsieur B n'avait passé aucune commande de cuisine correspondant à la sienne; qu'interrogé Monsieur B a fini par reconnaître qu'il avait cessé ses relations commerciales avec la société Trouillet et qu'il avait livré une cuisine fabriquée par un autre fabricant.

Entendu par le juge d'instruction sur le délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, Gérard B a reconnu que Monsieur Delnord, gendre et mandataire de Monsieur Dovi Akue était venu à deux reprises, en décembre 1987 et en décembre 1988, au stand Trouillet des Décoralies, et avait finalement passé commande en décembre 1988 d'une cuisine. Il soutenait que cette commande avait été passée à "Gérard B" d'une cuisine Louis XV en chêne massif et s'appuyait sur la rédaction du bon de commande sur lequel ne figure pas la mention de la société Trouillet; que comme il ne travaillait plus avec la société Trouillet, il avait livré une cuisine conforme à la commande, fabriquée par la société ADS.

Il ajoutait qu'en définitive, au moment de la livraison, Monsieur Delnord avait accepté la cuisine à condition que le prix soit ramené à 55 000 F; qu'il avait alors refait la facture en ce sens et que le client avait inscrit "bon pour accord", ce qui démontrait qu'il était tout à fait d'accord pour la livraison d'une cuisine ADS; qu'il croyait qu'ainsi l'affaire était réglée et qu'il ne comprenait pas pourquoi il était poursuivi.

Le plaignant rétorquait que Monsieur B avait dit qu'il avait l'exclusivité des cuisines Trouillet et qu'il était certain d'acheter une cuisine Trouillet.

Devant la cour, Gérard B soutient que les éléments constitutifs de l'infraction qui lui est reprochée ne sont pas constitués.

Il critique les premiers juges d'avoir indiqué que dans le bon de commande et la facture relative à l'achat de décembre 1988, seul en cause, rien ne faisait référence à une cuisine Trouillet alors qu'ils affirment ensuite qu'en livrant une cuisine d'une autre marque que celle commandée et sans 1' accord du client, il a commis le délit de tromperie sur l'origine de la marchandise vendue.

Il fait valoir ensuite que la cuisine ADS, dont la marque apparaît bien sur la facture, et qu'il a livrée, était de même gamme et de même qualité que celles fabriquées par la société Trouillet.

Il explique qu'il n'a pas trompé son cocontractant car à aucun moment il ne s'est livré à un mensonge, une dissimulation, une réticence ou une quelconque manœuvre.

Enfin il précise qu'il ne peut être tiré aucun argument de ce qu'il a accepté de réduire le prix pour tenter d'apaiser un client mécontent et parce qu'il ne pouvait reprendre cette cuisine fabriquée sur mesures et selon les choix du client.

Il demande à la cour de le relaxer des fins de la poursuite.

Le Ministère public conclut à une relaxe au bénéfice du doute en retenant qu'en l'espèce Monsieur B n'a fait aucun acte positif de tromperie.

Sur ce,

Considérant qu'il sera statué par défaut à l'égard de la partie civile car la citation qui lui a été adressée ne lui a pas été remise;

Considérant que commet une tromperie quiconque, lors de la formation ou de l'exécution du contrat, dit ou suggère à une partie des informations inexactes et relatives aux qualités substantielles de l'objet mobilier vendu;

que pour apprécier si une qualité est ou non substantielle, il convient de s'attacher aux dispositions des usages professionnels;

Considérant qu'il ressort des déclarations des parties qu'au moment de la formation du contrat qui a eu lieu sur le stand tenu par Gérard B à l'exposition "Les Décoralies" de décembre 1988, les parties étaient d'accord sur la vente et l'achat d'une cuisine dont les meubles devaient être fabriqués par la société Trouillet;

que Monsieur B, devant la cour, a bien précisé que le stand était tenu sous l'enseigne "Trouillet", l'installation de ce stand ayant été financé pour l'essentiel par la société "Trouillet";

Qu'il résulte des propres déclarations de Gérard B qu'en décembre 1988, il avait des relations commerciales avec la société Trouillet et que ce n'est que postérieurement qu'il a rompu ces relations avec la société Trouillet et, pour cette raison, a livré à Monsieur Dovi Akue une cuisine fabriquée par la société ADS;

Que la tromperie n'a donc pas eu lieu au moment de la signature du contrat mais lors de son exécution, Gérard B ayant transmis la commande à la société ADS au lieu de la transmettre à la société Trouillet et Monsieur Dovi Akue s'étant vu livrer autre chose que ce qu'il attendait;

Considérant qu'il est incontestable que Gérard B n'a pas averti son co-contractant de ce qu'il lui livrait autre chose que ce qui était prévu; que ce n'est que grâce à ses propres investigations, notamment en s'informant directement auprès de la société Trouillet comme en atteste le courrier de celle-ci en date du 14 avril 1989, qu'il a appris la vérité;

que comme les premiers juges l'ont exactement souligné, Gérard B a reconnu sa tromperie puisqu'il a accepté de diminuer considérablement le prix de la cuisine;

Considérant que le fait que la cuisine de fabrication ADS ait été équivalente à la cuisine de fabrication Trouillet n'est nullement démontré par Monsieur B, lequel n'a à aucun moment justifié de ses affirmations en ce sens et n'a donné aucun élément d'information sur les réalisations de la société ADS;

Considérant qu'en matière de meubles de cuisine, la marque et l'origine de la fabrication constituent une qualité substantielle;

Que le fait d'avoir livré à son client lequel avait incontestablement, et quoiqu'en dise Monsieur B, commandé une cuisine Trouillet, fabricant dont il avait vu, en décembre 1987 et en décembre 1988, les réalisations sur le stand des Décoralies, une cuisine provenant d'un autre fabricant, constitue une tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, délit prévu et réprimé par les articles 1 et 7 de la loi du 1er août 1905;

Considérant que Monsieur B ne saurait s'appuyer sur le fait que le bon de commande ne fait pas état du nom de la société Trouillet, puisqu'il ne conteste pas que la commande a été prise par lui sur le stand "Trouillet" dont il était, au moment de la commande le représentant;

que la mention de la société ADS figurant sur la facture rédigée postérieurement à la livraison n'est nullement déterminante puisque, à cette date, la partie civile était informée de l'origine réelle de la marchandise et que Monsieur B était, à l'évidence, tenu de rétablir la réalité;

qu'il ne peut non plus tirer argument de la transaction acceptée par la partie civile et intervenue pour remédier au dommage causé par l'infraction;

Considérant que professionnel de l'installation de cuisine, Gérard B, en s'abstenant d'avertir son client de la substitution d'un fabricant à un autre fabricant, a commis un dol par omission et a agi de mauvaise foi;

Considérant que le jugement sera confirmé sur la culpabilité;

Considérant, sur la peine, qu'il convient de modifier la peine prononcée comme il sera dit au dispositif ci-après;

Considérant que le jugement sera confirmé en ses dispositions civiles qui sont équitables;

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard du prévenu et par défaut à l'égard de la partie civile; Reçoit Gérard B en son appel et le Ministère public en son appel incident; Confirme le jugement déféré sur la culpabilité, Le réforme sur la peine, et, statuant à nouveau; Condamne Gérard B à la peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 30 F; L'avertissement prévu par les dispositions légales n'a pas été donné au condamné; Confirme le jugement en ses dispositions civiles.