CA Paris, 13e ch. B, 12 février 1993, n° 7150-92
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenormand
Avocat général :
Mme Barthez
Conseillers :
Mmes Magne, Barbarin
Avocats :
Mes Mande, Arents.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
tel qu'il sera rappelé en tête des motifs du présent arrêt,
étant toutefois précisé que:
- les faits ont été commis en février 1990
- les dépens de première instance ont été liquidés à (montant non précisé au jugement)
Appels:
Appel a été interjeté par:
Gérard G, le 18 juin 1992.
Décision:
rendue, après en avoir délibéré conformément à la loi;
Par jugement contradictoire en date du 16 juin 1992, le Tribunal de Meaux (3e chambre) a déclaré Gérard G coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, a ajourné le prononcé de la peine au 12 janvier 1993 et a condamné Gérard G à payer à Jean-Christophe Hennequin, partie civile, la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Appel de cette décision a régulièrement été interjeté par le seul prévenu, dont le recours porte sur les dispositions tant pénales que civiles du jugement.
A l'audience du 8 janvier 1993, le prévenu, assisté de son conseil, demande à la cour par voie de conclusions:
- de le recevoir en son appel et de l'y déclarer bien fondé,
- de dire et juger que l'action introduite par voie de citation le 17 octobre 1991, alors que la vente du chiot est intervenue courant février 1990 est irrecevable par application de l'article 1er du décret du 28 juin 1990 qui, pris pour l'application du titre 6 du livre 2 du Code rural, précise que le délai imparti à l'acheteur d'un animal pour introduire l'une des actions, ouvertes par l'existence d'un vice rédhibitoire, est de 10 jours.
- d'infirmer, en conséquence, en toutes ses dispositions le jugement dont appel.
- de dire et juger que les éléments constitutifs du délit que M. Hennequin tente de lui reprocher, é savoir une tromperie sur les éléments substantiels de la chose vendue n'est pas établie.
- de dire et juger que Monsieur Hennequin ne rapporte absolument pas la preuve qui lui incombe, à savoir l'intention de nuire ou la mauvaise foi, et que, dès lors, le délit de tromperie sur la qualité de la chose vendue ne saurait être retenu à son encontre.
- en conséquence, de prononcer sa re1axe pure et simple, et de statuer ce que de droit quant aux dépens.
Jean-Christophe Hennequin, partie civile, assisté de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions:
- de déclarer M. G mal fondé en son appel.
- de confirmer le jugement du Tribunal correctionnel de Meaux du 16 juin 1992 en:
1°) ce qu'il a déclaré non prescrite l'action,
2°) l'a reçu en sa constitution de partie civile,
3°) l'a dit bien fondé,
4°) A déclaré M. G coupable des faits qui lui sont reprochés en application de l'article 1er de la loi du 1.08.1905;
5°) a condamné M. G à lui payer la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- de condamner M. G à lui payer la somme de 7 000 F en application de l1article 475-1 du Code de procédure pénale pour la procédure devant la cour.
- de le condamner aux entiers dépens, qui comprendront les frais de citation;
I. Sur la recevabilité de l'action introduite par Jean-Christophe Hennequin:
Considérant que Gérard G fait valoir, dans ses écritures, que l'article 1er du décret du 28 juin 1990 pris pour l'application du titre 6 du livre 2 du Code rural dispose que le délai imparti à l'acheteur d'un animal pour introduire l'une des actions ouvertes par l'existence d'un vice rédhibitoire est de dix jours; que le chiot a été acheté courant février 1990 et que, la citation introductive d'instance étant du 17 octobre 1991, Jean-Christophe Hennequin se trouvait forclos;
Considérant, sur ce point, que Jean-Christophe Hennequin a, par acte d'huissier en date du 17 octobre 1991, fait citer directement Gérard G devant le Tribunal correctionnel de Meaux du chef de tromperie sur les qualités substantielles de la chose vendue, délit prévu et réprimé par l'article premier de la loi du 1er août 1905; qu'il a ainsi mis en mouvement, tout à la fois, l'action publique et l'action civile; que, la prescription de l'action publique, en matière de délit, étant de trois années révolues et le délai de prescription courant, en matière de tromperie, à compter de la livraison de la chose vendue, en l'espèce courant février 1990, l'action publique dont la cour se trouve saisie par la citation, régulièrement en la forme, n'est nullement éteinte par la prescription;
Qu'au demeurant le délai de dix jours auquel Gérard G se réfère dans ses écritures est le délai imparti à l'acheteur d'un animal pour introduire l'une des actions ouvertes par l'existence d'un vice rédhibitoire tel qu'il est défini au livre II du titre VI du Code rural, c'est-à-dire, en ce qui concerne les transactions sur les chiens, à l'article 285-1, alinéa 1er 1°, et qu'en l'espèce l'on ne se trouve dans aucun des six cas prévus;
II. Sur l'action publique:
Considérant qu'il n'est pas contesté que Gérard G a diffusé dans le numéro 299-90 de la revue "Flash 77" (quinzaine du 7 au 20 février 1990) une annonce rédigée en ces termes: "vends chiots bichon Tenerie nés le 13 janvier 1990, prix 2 200 F"; que, fin février 1990, Jean Christophe Hennequin a acquis de Gérard G un chiot de cette portée, pour le prix annoncé; que, le 9 juin 1990, le Docteur Joseph Adjai, vétérinaire à Vaires-sur-Marne (77), délivrait à l'acheteur un certificat portant que l'animal, dénommé Fanny, ne présentait pas la morphologie et les caractéristiques retenus de la race bichon;
Considérant que le Docteur Belemi, vétérinaire à Thorigny-sur-Marne, qui avait examiné le chiot en avril 1990 à la demande de ses nouveaux propriétaires, inquiets de la pousse insuffisante de ses poils, émettait, le 19 novembre 1991, deux hypothèses pour expliquer ce défaut de développement pileux, à savoir, pour la, première et la plus probable selon lui, que la chienne serait atteinte d'hypotrichose, anomalie héréditaire, et, pour la seconde, qu'elle pourrait présenter les caractéristiques d'un ancêtre non pur, même lointain, qui aurait été croisé avec un bichon de race; que le même praticien, après avoir revu le chien litigieux, devenu adulte, le 28 janvier 1992, estimait, aux termes d'un écrit du même jour, qu'il était plus logique d'évoquer la seconde hypothèse pour tenter d'expliquer l'aspect de cet animal.
Qu'il résulte à l'évidence de ces différentes attestations et de la comparaison des photographies de Fanny avec celles de chiens bichon ténérife de race que cette chienne, outre qu'elle a le poil ras alors qu'il devrait être "fin, soyeux et tirebouchonné", ne présente aucune des caractéristiques morphologiques du bichon ténérife, ainsi que l'atteste le Docteur Adjai; Que le prévenu ne soutient d'ailleurs pas que Fanny est de race pure, ce qu'il ne peut démontrer, mais fait valoir qu'il pensait de bonne foi, qu'elle l'était lorsqu'il l'a cédée puisqu'issue du croisement de sa chienne Douchka, qui lui a été vendue comme étant un bichon ténérife, avec un mâle dénommé "Snoopy", appartenant à M, Daniel Ferret, qui lui a également été présenté comme étant de cette race;
Considérant que Gérard G, pour démontrer sa bonne foi, produit notamment les certificats de santé des géniteurs de la chienne Fanny qui portent tous deux mentions de leur race "bichon ténérife", ainsi que des attestations de personnes qui ont acquis des chiots de la même portée qui présenteraient les caractéristiques de la race; qu'il fait valoir également qu'il n'est nullement professionnel de l'élevage ou du commerce des chiens;
Considérant que, si le prévenu a manqué de prudence en faisant passer l'annonce incriminée dans la revue "Flash 77" sans avoir vérifié préalablement si sa chienne Douchka et le chien Snoopy étaient bien de race bichon ténérife, il ne s'ensuit pas qu'il ait volontairement trompé son cocontractant sur cette qualité substantielle de l'animal vendu, alors qu'il n'est ni professionnel ni spécialiste en matière canine; qu'il convient, dès lors, en infirmant le jugement attaqué, de renvoyer Gérard G des fins de la poursuite exercée à son encontre;
Considérant que, compte tenu de la relaxe à intervenir, les demande de Jean-Christophe Hennequin, partie civile, se trouvent être sans fondement;
Par ces motifs: Statuant publiquement et contradictoirement, LA COUR, Reçoit l'appel du prévenu; Infirmant le jugement attaqué; Relaxe Gérard G du chef de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise; Déboute Jean-Christophe Hennequin, partie civile, de l'ensemble de ses demandes; Laisse les dépens à la charge du Trésor, compte-tenu de la bonne foi de la partie civile.