CA Paris, 13e ch. B, 14 janvier 1993, n° 4466-92
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Stratmore, Union fédérale des consommateurs de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenormand
Avocat général :
M. Jeanjean
Conseillers :
Mmes Magnet, Barbarin
Avocats :
Mes Wallenstein, Fourtanier.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Par ordonnance d'un des juges d'instruction au Tribunal de Paris en date du 14 mars 1991, Guy H a été renvoyé devant cette juridiction sous la prévention d'avoir:
1°) à Paris, courant juin 1984 et mai 1985, trompé le co-contractant sur la nature, l'origine, les qualités substantielles d'une marchandise et les contrôles effectués en vendant à Robert Stratmore des sculptures en bronze intitulées "les joueurs de polo"," la jument et son poulain", "le jockey et son cheval" et une paire de "grands chevaux" attribués faussement par la signature à PJ Mene ou à I Bonheur et une sculpture en bronze intitulée "Arabe sur son cheval" datées faussement du XIXe siècle;
Faits prévus et réprimés par l'article 1er de la loi du 1er août 1905;
2°) à Paris, courant juin 1984 et mai 1985, débité des œuvres contrefaites par atteinte au droit moral des sculpteurs PJ Mene et I Bonheur, en vendant à Robert Stratmore des sculptures en bronze intitulées "les joueurs de polo", "la jument et son poulain", "le jockey et son cheval" attribuées faussement par la signature à ces mêmes auteurs;
Faits prévus et réprimée par les articles 425 à 429 du Code pénal;
Par jugement contradictoire en date du 9 avril 1992, le tribunal a déclaré Guy H coupable d'avoir à Paris, courant juin 1984 et mai 1985, trompé le co-contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise en vendant à Robert Stratmore des sculptures en bronze intitulées "joueur de polo", "jument et son poulain", "jockey et son cheval" et datées faussement du XIXe siècle et l'a condamné de ce chef à 50 000 F d'amende mais l'a relaxé du chef des autres infractions visées à la prévention.
En outre, le tribunal a condamné Guy H à payer à l'Union fédérale des consommateurs de Paris, partie civile, la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts et celle de 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Enfin, le tribunal l'a condamné à payer à Robert Stratmore, partie civile, la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts;
Le tribunal a condamné Guy H aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de: 16 434,27 F.
Appels:
Appel a été interjeté par:
1°) la partie civile, Stratmore Robert, le 10 avril 1992, par l'intermédiaire de son conseil,
2°) l'Union fédérale des consommateurs, partie civile, le 15 avril 1992, par l'intermédiaire de son conseil,
3°) le Procureur de la République prés le Tribunal de grande instance de Paris, le 21 avril 1992,
Décision:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les parties civiles et le Ministère public à l'encontre d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (31e chambre) en date du 9 avril 1992 dont le dispositif est rappelé ci-dessus.
Régulièrement cité à la mairie de son domicile, le 13 juillet 1992, Guy H ne comparait pas à l'audience de la cour du 22 octobre 1992. Il n'est pas, toutefois, établi qu'il ait eu connaissance de la citation. Il sera, dès lors, statué par défaut à son égard.
Robert Stratmore, représenté par son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions, de:
- dire établies les infractions poursuivies et de faire application à Guy H de la loi pénale;
- le dire recevable et bien fondé en u constitution de partie civile et, en conséquence, de condamner Guy H à lui payer:
* la somme de 271 500 F à titre de dommages-intérêts avec intérêts légaux à compter du 19 mars 1986, date de la première mise en demeure
* la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires avec intérêts légaux
- dire que Guy H aura l'obligation de rembourser la victime dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve qui serait prononcé;
- condamner, en outre, Guy H à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ainsi qu'en tous les dépens.
Il fait valoir, notamment, à l'appui de son recours, que les premiers juges ont écarté à tort le délit de tromperie pour trois sculptures ("la paire de grands chevaux" et "Arabe sur son cheval") alors que tous les bronzes lui ont été vendus comme étant des épreuves anciennes du XIXe siècle, de plus de cent ans d'age, et qu'il résulte des analysas des experts que ces bronzes sont de factura récente; il soutient, en outra, que le délit de contrefaçon par atteinte au droit moral des sculpteurs Isidora Bonheur et Pierre-Jules Mene, artistes renommés, aurait dû être retenu à l'égard du prévenu, "le commerce d'œuvres de qualité médiocre faussement attribuées à ces artistes étant de nature à porter atteinte à leur nom et à leur œuvre"; enfin, il demande à la cour de retenir, pour déterminer son préjudice, le prix qu'il a versé au prévenu diminué de la valeur réelle des sculptures telle quelle a été fixée par les experts et de tenir compte de son préjudice complémentaire (frais de garde-meuble, d'expédition, d'assurance, de mainlevée des scellés...).
L'Union fédérale des consommateurs de Paris, partie civile, représentée par son conseil, demande à la cour de:
- confirmer le jugement attaqué en ce qu' il a déclaré Guy H coupable de tromperie et reçu les constitutions de partie civile;
- l'infirmer en retenant à l'encontre de Guy H le délit de contrefaçon;
- prévoir la publication de la décision à intervenir dans une revue d'art, deux quotidiens nationaux et dans le "bulletin du consommateur de Paris" diffusé par l'"UFC Paris";
- condamner Guy H à lui payer:
* 50 000 F à titre de dommages-intérêts,
* 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Elle fait valoir, notamment, que le droit moral de l'auteur implique le droit au respect de l'intégrité de l'œuvre, et qu'en l'espèce les deux auteurs dont les œuvres sont contrefaites ont accordé le plus grand soin à l'édition de leurs bronzes; que, dès lors, la mauvaise, et, souvent, grossière exécution des bronzes contrefaits, sans qu'il soit besoin d'évoquer une fausse signature, porte atteinte au droit moral des auteurs auxquels ils sont attribués, et que le délit de contrefaçon doit donc être retenu à l'égard du prévenu; en outre, elle relève que le marché de l'art a connu depuis plusieurs années une évolution vers le grand public, et que l'efficacité des associations de consommateurs, qui repose sur la diffusion de l'information, suppose des moyens que seules les juridictions sont à même de leur donner; en conséquence, elle réitère ses demandes de dommages-intérêts à hauteur de 50 000 F et d'une somme de 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
I. Sur les faits et la procédure:
Par lettre en date du 17 janvier 1987, Robert Stratmore, de nationalité américaine, portait plainte auprès du parquet de Paris contre Guy H, antiquaire exploitant un magasin à l'enseigne "X", au "Louvre des antiquaires ", Place du Palais Royal, à Paris (1er) , pour fraude en matière artistique et tromperie sur les qualités des marchandises vendues. Il exposait qu'il avait acheté quinze sculptures équestres, en deux lots, à Guy H:
- le 30 juin 1984, il avait acquis un premier lot de 10 sculptures signées et présentées comme étant de l'artiste Isidore Bonheur pour la somme de 500 000 F intégralement payée le 23 octobre 1984.
M. H lui remettait ultérieurement des certificats d'authenticité spécifiant les dites œuvres.
Lors de la livraison, il s'était aperçu que manquait l'une des deux sculptures intitulées "joueurs de polo", payées 55 000 F la paire.
- le 22 mai 1985, il avait acheté un second lot de bronzes comprenant cinq sculptures signées Mene, Blot et Bonheur pour la somme de 300 000 F sur laquelle il versait 250 000 F le 31 juillet 1985.
Courant novembre 1985, Robert Stratmore apprenait par la société Christie's de New York que l'authenticité des bronzes du premier lot était contestée, exception faite des deux pièces intitulées "le Jockey" et "le très important Jockey". Il en informait son vendeur, tentait d'organiser une expertise amiable, puis assignait Guy H en référé expertise devant le Tribunal de commerce de Paris. Le prévenu produisait, lors des débats, des certificats d'authenticité établis par M. de Buttet, expert de la Compagnie d'assurance des marchands du Louvre des antiquaires.
Par ordonnance de référé en date du 24 juin 1986, le Président désignait M. Jean-Pierre Dillée comme expert. Celui-ci , assisté de M. André Pacitti, spécialiste des sculptures du XIXe siècle, examinait six sculptures (toutes les sculptures du 2e lot et une sculpture du 1er lot intitulée "joueur de polo"; il concluait dans son rapport (déposé le 24 septembre 1986) qu'à l'exception du bronze dit "l'Arabe sur son cheval" signé Blot, les sculptures vendues à Robert Stratmore n'étaient pas des fontes anciennes et ne correspondaient pas aux dates certifiées sur factures.
Le parquet de Paris ordonnait une enquête. Entendu par les services de police, Guy H déclarait:
- qu'il avait exercé la profession de fabricant de spécialités vétérinaires de 1965 à 1980-1981, mais qu'il était déjà collectionneur de bronzes;
- qu'ayant dû cesser sas activités, suite à un redressement fiscal de quinze millions, il avait ouvert un commerce au "Louvre des antiquaires " (l'inscription au registre du commerce date en fait du 1er mai 1979, ainsi qu'en fait foi l'extrait K-bis) et y avait commencé par présenter des objets provenant de sa collection personnelle;
que M. Stratmore lui avait acheté neuf bronzes et non dix et qu'il avait établi les certificats d'authenticité , pour ces neufs bronzes , le 22 février 1985;
- que, concernant le doute émis par la maison Christie's sur l'authenticité des bronzes vendus, il s'agissait là de manœuvres dilatoires à but commercial et de concurrence déloyale, et qu'il était lui-même connaisseur de la statuaire du XIXe siècle
Enfin il récusait M. Pacitti en tant qu'expert, prétendant qu'il avait eu un contentieux avec lui et qu'il était incompétent; il maintenait que les bronzes vendus étaient du XIXe siècle, ce que contestaient formellement les experts, MM. Dillée et Pacitti, entendus par les services de police.
Une information était ouverte contre Guy H des chefs de fraude en matière artistique , contrefaçon d'œuvre d'art, contrefaçon de marque, débit d'objets contrefaits, tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue.
Lors de ses premiers interrogatoires (D 67 - D 68), Guy H maintenait ses précédentes déclarations, précisant, toutefois qu'il n'avait pas rédigé les certificats d'authenticité et qu'il les avait établis d'après la facture; il donnait quelques indications sur la provenance des bronzes et s'engageait à fournir au magistrat instructeur certaines factures , mais ne produisait par la suite aucune pièce justifiant l'origine des sculptures.
Le juge d'instruction désignait deux experts, M. Marcillac et M. Dubos, ce dernier étant fondeur, afin de donner leur avis sur l'authenticité des ouvres.
Les experts estimaient (D 91) que quatre des six bronzes examinés (le vainqueur de Derby, le joueur de polo, la jument normande et son poulain, l'arabe sur son cheval) étaient des faux, des surmoulages récents ayant moins de dix ans; ils expliquaient qu'un surmoulage était réalisé d'après un moule pris sur un bronze et non avec un moule réalisé an fonderie à l'époque ou sur une cira originale. Quant aux deux épreuves identiques représentant un cheval antérieur gauche et postérieur droit levés, ils estimaient qu'il s'agissait de deux épreuves tardives authentiques, mais de qualité moyenne.
La prévenu contestait formellement les conclusions des experts, prétendant qu'il avait eu un contentieux avec M. Marcillac et que M. Dubost, n'étant pas fondeur au sable, était incompétent.
Le 19 octobre 1989, le juge d'instruction lui impartissait un délai d'un mois pour solliciter une contre expertise ou un complément d'expertise (D 148). Le 30 mai 1990, le juge d'instruction commettait à nouveau M. Marcillac afin qu'il donne, en complément d'expertise, un avis sur la valeur marchande des bronzes litigieux; l'expert déposait son rapport le 21 septembre 1990 (D 173);
Le 11 novembre 1990 Guy H sollicitait du magistrat instructeur , par lettre , une contre expertise ou un non-lieu. Il critiquait également l'estimation faite par M. Marcillac.
Par ordonnance en date du 14 novembre 1990, le juge d'instruction refusait la mesure de contre-expertise, la demande étant présentée hors délai. Le prévenu faisait appel de cette ordonnance.
Par ordonnance en date du 26 novembre 1990, le Présidant de la chambre d'accusation déclarait l'appel irrecevable.
Par arrêt en data du 25 mars 1991, la Cour de cassation déclarait irrecevable le pourvoi formé par Guy H contre l'ordonnance du 26 novembre 1990.
Par ordonnance en date du 14 mars 1991 (D204), le juge d'instruction prononçait un non-lieu partiel et renvoyait Guy H devant le tribunal correctionnel sous la prévention rappelée supra.
II. Discussion sur l'action publique:
1°) Sur la prévention de tromperie sur la nature. l'origine et les qualités substantielles de la marchandise vendue à Robert Stratmore:
Considérant que les différents experts désignés par le Président du tribunal de commerce, puis par le magistrat instructeur, ont examiné six sculptures, soit un bronze du premier lot intitulé "joueur de polo~ réexpédié en France par Robert Stratmore et les cinq bronzes du second lot, à savoir:
- "vainqueur du derby" (ou "jockey et son cheval")
- "jument normande et son poulain"
- "Arabe sur son cheval"
- "cheval antérieur gauche et postérieur droit levée"
(deux exemplaires identiques dénommés également dans la procédure "paire de grands chevaux";
Considérant que, s'agissant du bronze intitulé "joueur de polo", Guy H délivrait à Robert Stratmore, le 22 février 1985, un certificat d'authenticité (D6) où apparaissent les mentions "signé Isidore Bonheur (1827-1901) " "Epreuve ancienne du XIXe siècle" "Bronze à plus de cent ans d'âge"; que, s'agissant des cinq autres sculptures, Guy H adressait à l'acheteur, le 22 mai 1985, une facture globale comportant les titres des œuvres et les noms des auteurs (Isidore Bonheur, Pierre-Jules Mene) ou fondeur (Blot), ainsi que la mention "plus de cent ans d'âge"; qu'à cette facture globale étaient jointes quatre factures, de la même date, particulières à chacune des sculptures (une seule facture ayant été établie, toutefois, pour les deux sculptures identiques de chevaux), portent toutes, outre le titre de l'œuvre et le nom de l'auteur, les mentions "épreuve ancienne du XIXe siècle" ... "plus de cent ans d'âge" (D 24 à D 27).
Considérant que les experts Dillée et Pacitti ont conclu qu'à part le bronze "Arabe sur son cheval", "toutes les autres pièces ne peuvent en aucun cas être considérées comme des fontes anciennes exécutées du vivant des artistes ou dans la décennie suivant leur mort. Ce sont toutes des pièces qui auraient dû être vendues comme: "d'après", avec indication de fonte tardive"; qu'en revanche, s'agissant de la sculpture "Arabe sur son cheval", ils ont noté: "cette œuvre aurait été exécuté par un éditeur, "Blot", d'après une œuvre du sculpteur Letourneau. Nous considérons cette assertion comme tout à fait vraisemblable d'après les recherches que nous avons effectuées. Ce bronze est donc conforme à la facture la concernant";
Considérant que les experts Marcillac et Dubost, désignée par le magistrat instructeur, ont estimé que, mis à part la paire de chevaux, il ne pouvait y avoir de doute sur la "non-authenticité" des pièces examinées, qu'il ne pouvait s'agir que de faux, et plus particulièrement de surmoulages récents datant de moins de dix ans; que, s'agissant de "l'Arabe sur son cheval", ils notaient que les tiges de fixation laissent apparaître des copeaux de métal fraîchement réalisés, que toute l'œuvre était maladroite, lourde, sans qualité, que l'épreuve examinée était un surmoulage grossier réalisé d'après une édition courante en bronze; que s'agissant des deux sculptures identiques intitulées "Cheval antérieur gauche et postérieur droit levés", les experts ont conclu qu'il s'agissait de "deux épreuves tardives authentiques, mais de qualité moyenne et réalisées à partir d'un moule d'atelier identique pris sur un modèle original"; qu'ils ont estimé que ces sculptures, qui avaient "vraisemblablement plus de cinquante années d'existence" ne pouvaient cependant "être considérées comme ayant été exécutées du vivant de l'artiste ou dans les dix années suivent son décès" la fonte étant de "qualité moyenne et d' une facture tardive";
Considérant qu'il résulte clairement de ces rapports que tous les experts sont d'accord pour estimer que les sculptures intitulées "joueurs de polo", "jument normande et son poulain", "jockey et son cheval" ne sont pas des fontes anciennes exécutées du vivant des artistes ou dans la décennie suivant leur mort; qu'au surplus il s'agit, au dire des experts Marcillac et Dubost, dont l'avis est fondé sur de nombreuses constatations matérielles comme l'exécution en plusieurs parties, la qualité du bronze, le mode d'assemblage etc., de surmoulages datant de moins de dix ans, c'est-à-dire exécutés d'après un moulage pris sur un bronze, et non avec un moule réalisé en fonderie à l'époque ou sur une cire originale, ce qui explique que les pièces ainsi obtenues sont surdimensionnées par rapport aux bronzes authentiques, c'est-à-dire réalisés du vivant des artistes; que s'agissant de la statuette "Arabe sur son cheval", si les premiers experts ont estimé qu'elle pouvait avoir été exécutée par un éditeur (Blot) d'après une œuvre du sculpteur Letourneau, mais sans être totalement affirmatifs sur ce point et surtout sans justifier leur point de vue, MM. Marcillac et Dubost ont conclu qu'il s'agissait, là encore, d'un surmoulage grossier, avis largement étayé par le fait, notamment, que les tiges de fixation, qui sont postérieures à 1960, laissent apparaître des copeaux de métal fraîchement réalisés, que la signature a été reprise sur une signature déjà moulée, que l'aspect extérieur du bronze a été artificiellement vieilli.; que, pour ce qui concerne la paire de grands chevaux signés Isidore Bonheur, MM. Marcillac et Dubost concluent, contrairement aux premiers experts, qu'il s'agit d'œuvres authentiques (en ce qu'elles ont été coulées dans un moule d'origine) mais tardives, qui ne peuvent être considérées comme ayant été exécutées du vivant de l'artiste ou dans les dix années suivant sa mort; que, dès lors, Isidore Bonheur étant décédé en 1901 ces bronzes sont au moins postérieurs à 1911, et qu' il n'est pas discuté que Guy H a garanti à Robert Stratmore que toutes les sculptures litigieuses étaient des épreuves anciennes du XIXe siècle et avaient plus de cent ans d'âge; que ces assertions totalement démenties par les expertises, suffisent à caractériser l'élément matériel de l'infraction pour les six bronzes en cause, savoir "jockey et son cheval", "joueur de polo", "jument normande et son poulain", "Arabe sur son cheval" et "Paire de grands chevaux", l'ancienneté étant une qualité substantielle de ce type d'œuvres d'art et un élément déterminant pour l'acheteur qui, compte tenu des garanties données par le vendeur et du prix payé, pensait bien évidemment acquérir des sculptures originales exécutées du vivant des artistes, alors que les surmoulages sont des faux;
Considérant que l'élément intentionnel du délit de tromperie est amplement démontré par le fait que Guy H, qui faisait alors profession d'antiquaire et aurait dû à ce titre, vérifier l'origine et l'authenticité des bronzes qu'il vendait, se présentait, en outre, comme "collectionneur, spécialiste des sculptures du XIXe siècle et fournisseur des musées internationaux"; qu'il convient enfin de rappeler qu'il n'a jamais fourni aucun élément sur l'origine des bronzes litigieux;
Considérant qu'il convient, en conséquence, en réformant pour partie, sur ce point, le jugement attaqué, de déclarer Guy H coupable de tromperie sur l'origine et les qualités substantielles des sculptures en bronze vendues à Robert Stratmore ainsi que sur les contrôles effectués, le délit portant sur les six statuettes expertisées;
2°) Sur la prévention de débit d'œuvres contrefaites par atteinte au droit moral des sculpteurs Pierre-Jules Mene et Isidore Bonheur:
Considérant que la prévention vise trois sculptures, à savoir, le "joueur de polo", "la jument normande et son poulain" le "jockey et son cheval", portant pour la première la signature d'Isidore Bonheur et pour les deux autres celle de Pierre-Jules Mene;
Qu'il convient de rappeler que les experts Dillée et Pacitti ont conclu qu'aucun de cas bronzes ne pouvait être considéré comme une fonte ancienne exécutée du vivant de l'artiste ou dans les dix ans suivant son décès du fait que la patine n'était pas conforme à celle obtenue du vivant de l'artiste, que la qualité de la fonte était extrêmement médiocre et la ciselure inexistante, ce qui est la caractéristique majeure des fontes tardives; que les experts Marcillac et Dubost ont affirmé qu'il, ne pouvait y avoir de doute sur la "non-authenticité" des pièces examinées (s'agissant de ces trois sculptures), qu'il ne pouvait s'agir que de faux et plus particulièrement de surmoulages récents de moins de dix ans, relevant notamment la mauvaise qualité de la fonte, la patine récente, le défaut ou la grossièreté des ciselures;
Que, selon l'article 6 de la loi du il mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, l'auteur (que l'article 8 de la même loi définit comme celui sous le nom de qui l'œuvre est divulguée) jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre, ce droit étant perpétuel, inaliénable et imprescriptible; que le fait pour le prévenu d'avoir mis en vente des copies récentes grossièrement exécutées et faussement attribuées à des sculpteurs animaliers renommés du XIXe siècle constitue indubitablement une atteinte au droit à la paternité et au respect de leurs œuvres des auteurs Isidore Bonheur et Pierre Jules Mene, et caractérise donc le délit de contrefaçon par diffusion d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur prévue par l'article 426 du Code pénal;qu'il convient, dès lors, en infirmant sur ce point le jugement attaqué, de déclarer Guy H coupable de contrefaçon par diffusion d'œuvres de l'esprit en violation du droit moral des auteurs Isidore Bonheur et Pierre-Jules Mene, s'agissant des trois sculptures visées à la prévention;
3°) Sur la peine:
Considérant que, compte tenu de la gravité des faits et des condamnations figurant au bulletin n° 1 du casier judiciaire de Guy H, il convient de prononcer à son égard une peine d'emprisonnement ferme assortie d'un mandat d'arrêt, afin de garantir l'exécution de le décision à intervenir, l'adresse actuelle et les occupations du prévenu étant incertaines;
III. Sur les actions civiles:
1°) Sur l'action civile exercée par Robert Stratmore:
Considérant que la constitution de partie civile de Robert Stratmore a été estimée à juste titre recevable par les premiers juges; que les agissements délictueux de Guy H ont causé à la partie civile un préjudice certain, direct et personnel dont il lui est dû réparation;
Considérant que MM. Dillée et Pacitti, puis M. Marcillac (ce dernier sous forme d'un complément d'expertise ordonné par le magistrat instructeur) ont estimé le valeur des six sculptures en cause; que Robert Stratmore demande à la cour de retenir, pour tous les bronzes, excepté la paire de grands chevaux (deux sculptures identiques), les prix moyens de reproduction moderne fixés par M. Marcillac, dont l'estimation est la plus récente; que, ce dernier ayant au surplus procédé à une véritable étude de marché, ce que n'ont pas fait les premiers experts, il convient de retenir son estimation pour les cinq bronzes considérés, ainsi que le mode de calcul de son préjudice par la partie civile, qui consiste à soustraire du prix effectivement payé par Robert Stratmore, pour chacune des pièces, celui qui a été fixé par l'expert;
Considérant que, s'agissant de la paire de grands chevaux, la partie civile demande au contraire à la cour de retenir le prix fixé par MM. Dillée et Pacitti (soit 200 000 F) au motif que M. Marcillac, estimant qu'il s'agissait d'épreuves tardives (mais coulées dans un moule d'origine) aurait dû s'attacher à ce qui était garanti par Guy H, à savoir des épreuves anciennes du XIXe siècle ou, à tout le moins, d'appliquer une décote de 50 % sur la valeur de 200 000 F (prix effectivement payé et que M. Marcillac a estimé correspondre à la valeur marchande);
Mais considérant, sur ce point, que cet expert s'est fondé, pour estimer l'ensemble des bronzes, sur la valeur réelle du marché entre 1984 et 1985, c'est-à-dire à l'époque où les sculptures ont été vendues à Robert Stratmore et, pour la paire de chevaux, sur les prix de vente de bronzes comparables pratiquée dans deux salles des ventes de réputation internationale, Christie's à New York (en 1984) et Sotheby's à Londres (en 1985); qu'il convient, à l'évidence, pour évaluer le préjudice subi par la partie civile, de se fonder sur les prix en vigueur à l'époque des ventes faites par Guy H à Robert Stratmore, la décote demandée de 50 % n'étant pas, au surplus, justifiée; que l'estimation faite par M, Marcillac sera donc retenue pour évaluer le préjudice subi par Robert Stratmore, lequel se monte donc à:
- 48 000 F pour le "joueur de polo"
- 23 000 F pour "la jument normande et son poulain"
- 13 000 F pour le "jockey et son cheval"
- 27 500 F pour l'"Arabe sur son cheval"
soit au total 111 500 F auxquels doivent d'ajouter les intérêts légaux à compter du 19 mars 1986, date de la première mise en demeure;
Considérant que Robert Stratmore demande en autre une somma de 100 000 F en réparation de son préjudice complémentaire, d'une part en raison des frais importants qu'il devra payer pour reprendre possession des statues, qui se trouvent toujours en garde-meuble, et les rapatrier aux Etats-Unis (frais qui se montent au total à la somme de 86 500 F, justifiée par des devis), de seconde part, pour couvrir les frais de mainlevée des scellés et de douane, ainsi que les frais engagés pour défendre ses droits (déplacements Etats-Unis - France, perte de temps) et de troisième part pour perte de jouissance des objets d'art "qu'il avait cru acheter";
Considérant, sur ce point, que seuls seront pris en compte les frais certains justifiés par des devis (se montant à 86 500 F); qu'en effet les frais de levée des scellés et de douane sont, en l'état, purement éventuels, et que les frais engagés par la partie civile pour défendre ses droits ne sauraient être indemnisés par des dommages-intérêts, mais seulement au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; qu'enfin, la soit disant perte de jouissance ne saurait être fondée sur un objet mythique, et que le préjudice subi du fait de la différence de valeur entre les bronzes achetés et des œuvres authentiques sera réparé par les dommages-intérêts alloués précédemment à ce titre;
Considérant qu'il convient, dès lors, en réformant pour partie le jugement attaqué (étant observé que la tardiveté du dépôt de plainte et les tentatives d'accord amiable entre les parties ne sauraient être prises en compte pour apprécier le préjudice subi), de fixer à 198 000 F au total (111 500 F + 86 500 F) toutes causes confondues, le montant des dommages et intérêts que Guy H devra payer à Robert Stratmore en réparation de son préjudice, dont 111 500 F avec intérêts de droit à compter du 19 mars 1986, et le reste avec intérêts de droit à compter du présent arrêt, devenu définitif;
Considérant qu'il échet de condamner Guy H à payer à Robert Stratmore la somme de 50 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, laquelle est équitable compte-tenu des frais exceptionnels, non taxables , que la partie civile, qui demeure aux Etats-Unis d'Amérique, a dû exposer en première instance comme an cause d'appel;
2°) Sur l'action civile exercée par l'Union fédérale des consommateurs de Paris (UFC Paris):
Considérant que l'UFC de Paris, association agréée par arrêté du Préfet de la Région Ile-de-France du 8 mars 1989, a notamment pour objet, aux termes de ses statuts, de défendre les droits des consommateurs et de représenter en tous lieux et auprès de toutes les instances, notamment en justice, les intérêts matériels ou moraux des consommateurs ainsi que des unions locales qui les représentent; que la constitution de partie civile de cette association, à qui l'article 1er de la loi de 1901 donne le droit d'ester en justice, est donc recevable, étant en outre régulière en la forme;
Considérant que la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988 a accordé aux associations de défense des consommateurs, agréé dans les conditions prévues par le décret n° 88-586 du 6 mai 1988 portant application de l'article 2 de la loi précitée, le droit d'agir en justice pour tous les faits qui portent un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs; que l'UFC Paris a reçu cet agrément par arrêté précité du 8 mars 1989; que les agissements tels que ceux reprochés à Guy H, qui consistent pour un antiquaire (exerçant, en outre, en un lieu prestigieux et très fréquenté par le public, et se présentant comme un expert) à tromper l'acheteur sur l'ancienneté et l'authenticité d'œuvres d'art, alors que le marché de l'art est devenu un marché de masse, causent indubitablement un préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs; que la cour puise dans les faits de la cause et la procédure tous éléments pour fixer 8 20 000 F la somme que Guy H devra verser à l'UFC Paris en réparation de ce préjudice;
Considérant qu'il échet, en outre, de condamner Guy H à payer à l'UFC de Paris la somme de 2 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Considérant qu'il convient d'ordonner la publication du présent arrêt, par extraits, dans les journaux "France Soir" et "Le Figaro", ainsi que dans le bulletin "Le consommateur de Paris" diffusé par l'UFC de Paris, sans que le coût de ces insertions puisse dépasser 10 000 F pour chacune des deux premières publications, et 5 000 F pour la troisième;
Par ces motifs: LA COUR Statuant publiquement , par défaut à l'égard de Guy H et contradictoirement à l'égard de Robert Stratmore et de l'Union fédérale des consommateurs de Paris, parties civiles, Reçoit les appels de Robert Stratmore, de l'Union fédérale des consommateurs de Paris et du Ministère public, Réformant pour partie le jugement attaqué sur l'action publique: Déclare Guy H coupable de tromperie sur l'origine, et les qualités substantielles de six sculptures en bronze vendues à Robert Stratmore, ainsi que sur les contrôles effectués, Déclare Guy H coupable de contrefaçon par diffusion d'œuvres de l'esprit en violation du droit moral des auteurs Isidore Bonheur et Pierre-Jules Mene, pour trois de ces sculptures, Le condamne, de ces chefs, à treize mois d'emprisonnement, Décerne mandat d'arrêt à son encontre. Réformant pour partie le jugement attaqué sur les actions civiles exercées par Robert Stratmore et par L'Union fédérale des consommateurs de Paris: Condamne Guy H à payer à Robert Stratmore, partie civile; - la somme de cent quatre vingt dix huit mille (198 000) francs à titré de dommages-intérêts, dont 113 500 F avec intérêts de droit à compter du 19 mars 1986, et le reste avec intérêts de droit à compter du présent arrêt, devenu définitif: - la somme de cinquante mille (50 000) francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Condamne Guy H A payer à I 'Union fédérale des consommateurs de Paris, partie civile: - la somme de vingt mille (20 000) francs à titre de dommages-intérêts, - la somme de deux mille (2 000) francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Ordonne, à titre de réparation complémentaire, la publication du présent arrêt, par extraits, dans les journaux "France Soir" et "Le Figaro" ainsi que dans le bulletin "Le consommateur de Paris" diffusé par l'Union fédérale des consommateurs de Paris, sans que le coût de ces insertions puisse dépasser dix mille (10 000) francs pour chacune des deux premières publications et cinq mille (5 000) francs pour la troisième, Condamne Guy H aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant liquidés à la somme de: 497,92 F. Le tout par application de l'article premier de la loi du 1er août 1905, 425 à 429 du Code pénal, 464, alinéa premier, 465, 473, 512, 515 du Code de procédure pénale.