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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 27 mai 1993, n° 2963-90

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ancitel (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Avocat général :

M. Bouazzouni

Conseillers :

Mme Magnet, Barbarin

Avocats :

Chanson, Michel.

TGI Paris, 31e ch., du 19 mars 1990

19 mars 1990

Rappel de la procédure:

La procédure est rappelée dans l'arrêt avant dire droit en date du 21 mars1991 qui fait corps avec l'arrêt de ce jour.

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Par jugement en date du 19 mars 1990, le Tribunal de Paris (31e chambre) a déclaré Dirk G coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise et l'a condamné à 50 000 F d'amende ainsi qu'à verser à la société Ancitel, partie civile, la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par arrêt en date du 21 mars 1991. la Cour d'appel de Paris (13e chambre) a reçu les appels relavés contre cette décision par Dirk G (dont le nom patronymique avait été mal orthographié par le tribunal) et par le Ministère public et, avant dire droit sur l'action publique, a ordonné une expertise portant sur l'état du matériel en cause, a désigné en qualité d'expert M. Lionel Becquereau, inscrit sur la liste des experts établie pour le ressort de la Cour d'appel de Paris, avec notamment mission, après avoir procédé à son examen:

- de dire si ce matériel ou partie de celui-ci a été endommagé lors de l'incendie survenu au château de Sens à Vouvray le 14 janvier 1987;

- de dire s'il l'a été de manière irréparable ou s'il pouvait, au contraire, être remis en état;

- de dire l'état actuel de ce matériel après qu'il a été révisé par la société DPCE devenue société Granada

- de dire s'il peut être considéré comme entièrement fiable;

- fournir à la cour tous renseignements sur l'état de ce matériel et son utilisation possible.

Par le même arrêt, la cour a ordonné un supplément d'information aux fins de faire rechercher les circonstances dans lesquelles la société Or Télématique Galande a été amenée à céder, en mars 1987, à la société X du matériel informatique dont tout ou partie aurait été endommagée lors de l'incendie survenu le 14 janvier 1987 et de faire verser au dossier une copie des procès-verbaux de gendarmerie établis à l'occasion de ce sinistre.

Un exemplaire du rapport d'expertise de M. Lionel Becquereau, dressé le 30 novembre 1991 et déposé au greffe, a été versé au dossier de la cour.

Il a, par ailleurs, été procédé au supplément d'information ordonné.

A l'audience du 8 avril 19963, Dirk G, assisté de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions, de:

- "(le) déclarer recevable et bien fondé en son appel"

- "infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 mars 1990 par la 33e chambre du Tribunal correctionnel de Paris"

- "statuant à nouveau, prononcer (sa) relaxe"

- "débouter la société Ancitel de sa constitution de partie civile"

- "décharger (le concluant) de tous dépens."

Dans ses écritures en appel, Dirk G fait notamment valoir:

- que l'expert commis a refusé de voir fonctionner le matériel "au centre du débat" qui se trouvait dans les locaux de la société X à Commines (59);

- que ce matériel avait été révisé en 1987 par la société DPCE, aujourd'hui Granada, qui, à l'époque, avait proposé un contrat de maintenance;

- qu'il a été remis an état de fonctionnement en 1993. et depuis fonctionne régulièrement;

- qu'en 1992, il bénéficie d'un contrat de maintenance et d'un contrat d'assurance.

M. G soutient, en outre, que sa bonne foi est totale.

Quant à la société Ancitel, représentée par son conseil, elle demande à la cour, par voie de conclusions, vu le rapport déposé par M. Lionel Becquereau, expert désigné par la cour, et sur les réquisitions du parquet, de:

- "confirmer le jugement entrepris"

- "en conséquence, condamner Dirk G à (lui) payer les sommes suivantes:

* 200 000 F à titre de dommages et intérêts

* 50 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale."

Sur l'action publique:

Considérant que, par ordonnance en date du 25 septembre 1989 de l'un des magistrats instructeurs au Tribunal de Paris, Dirk G a été renvoyé devant cette juridiction sous la prévention d'avoir à Paris et sur le territoire national, dans le courant de l'année 1987 et depuis temps non couvert par la prescription, trompé le cocontractant sur les qualités substantielles, l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation d'appareils informatiques, en l'espèce un processeur central et quatre unités de disques, en omettant d'indiquer au cocontractant que ces appareils avaient été sinistrés et en lui donnant faussement l'assurance que leur maintenance avait été par le passé et serait dans l'avenir effectuée par le constructeur, délit prévu et réprimé par l'article 1er de la loi du 1er août 1905;

Considérant qu'il est constant que, dans la matinée du 14 janvier 1987, la société Or Télématique, qui est propriétaire et serveur de bases de données télématiques et spécialisée dans l'information économique et financière des entreprises, a été victime d'un incendie au château de Sens, à Rochecorbon (37); que le sinistre s'est déclaré dans les combles et que les bureaux aménagés sous ceux-ci ont été entièrement détruits; que le plancher s'est effondré sur la salle informatique où se trouvait du matériel informatique de marque ICL; qu'aux termes du procès-verbal établi par la brigade de gendarmerie de Vouvray, les éléments électroniques constituant l'ordinateur sont soit détruits, soit rendus inutilisables et irrécupérables que les gendarmes enquêteurs ont précisé que le court-circuit à l'origine de l'incendie était dû à des infiltrations de neige fondue; qu'ils ont également indiqué que, pour éteindre le sinistre, les pompiers avaient eu recours à l'eau d'une piscine et que, le 26 janvier 1987, Mmc Galande, responsable du groupe Galande, leur avait fait savoir que "tous les éléments de l'ordinateur de marque ICL types 29-66 et 29-88, des unités de disques, deux climatiseurs et une pompe à chaleur, sont détruits" et que le préjudice total est estimé à 20 000 000 F pour la partie électronique;

Qu'entendu le 6 juin 1991, Jean-Claude Clavey, directeur des relations humaines au sein de la société Or Télématique où il est également responsable de la gestion et des achats du matériel, a déclaré:

- que ce sinistre a endommagé la totalité du matériel informatique de marque ICL qui a subi un choc thermique important dû au fait des changements de température auxquels il a été soumis; qu'en effet ce matériel est, en temps normal, maintenu à une température de 20° C; que la chaleur provoquée par l'incendie a fait monter celle-ci à 110° C environ; que le matériel a ensuite été sorti à l'extérieur où il régnait une température hivernale de moins 13° C environ, ce jour-là;

- que l'eau de la piscine utilisée par les pompiers était chlorée;

- que le constructeur ICL leur a indiqué, que les appareils étaient devenus non fiables et que la compagnie d'assurances s'est rangée à cet avis;

- que, dans le milieu professionnel qui est le leur, la chose s'est sue très rapidement et que la société X s'est proposée pour racheter la totalité du matériel endommagé; que, suivant facture en date du 31 mars 1987, celui-ci a été vendu par le groupe Galande à X, en l'état, pour la somme de 600 000 F;

Que, le 2 juillet 1991, entendu à nouveau, Jean-Claude Clavey précisait que deux ordinateurs, ICL 2988 et ICL 2966, avaient été rachetés par X ainsi que divers appareils appelés périphériques;

Considérant que l'expert commis n'a pu dire, à l'examen des matériels litigieux, s'ils avaient été endommagés par le sinistre, ceux-ci ayant subi des interventions de sociétés de reconditionnement et de décontamination, et, par voie de conséquence, s'ils étaient réparables au non et qu'il n'a pas non plus été à même de constater dans quel état ils se trouvaient à l'issue de l'intervention de la société DPCE, c'est à dire lors de sa livraison, ceux-ci n'ayant pas, notamment, été stockés dans des conditions normalement admises pour le stockage de matériels informatiques;

Que l'expert a, néanmoins, estimé que les pièces du dossier démontraient que les matériels provenant du sinistre et dont la société X conservait la garde avaient été endommagés et qu'elles permettaient d'affirmer qu'ils étaient irréparables et que le sinistre qu'ils avaient subi rendait toute remise en état inutile, sauf à changer toute l'électronique, ce qui n'avait pas alors été fait; qu'il a précisé que, même si des tests de fonctionnement avaient été effectués après la remise en état par la société DPCE ou ultérieurement comme Dirk G a indiqué l'avoir fait courant septembre 1991, ceux-ci n'étaient pas adéquats pour démontrer le bon fonctionnement tel qu'il est normalement exigé d'un système électronique;

Qu'enfin l'expert a conclu son rapport en ces termes:

"Ce matériel révisé ne pouvait être considéré comme fiable. L'état de ce matériel ne permettait que d'envisager une mise à la casse"; qu'à cet égard il a noté que le prix payé par X pour l'acquérir correspondait bien à une "valeur à la casse";

Qu'il y a lieu, en outre, d'observer que l'expert a indiqué que, s'il a jugé ni indispensable ni même utile d'examiner de nouveau le matériel qui lui avait été présenté à Commines, le 25 juin 1991, et qui depuis aurait été remis en état de marche, c'est que l'état dans lequel il se trouvait impliquait des réparations majeures telles qu'après remise en état il n'était plus possible de dire qu'il s'agissait là du système proposé à la livraison litigieuse du 21 octobre 1967;

Considérant qu'il est constant et n'est d'ailleurs pas discuté que la société à responsabilité limitée X, représentée par son gérant, Dirk G, a dissimulé à la société Ancitel que le matériel informatique qu'elle lui donnait en crédit-bail venait d'être gravement endommagé lors d'un sinistre par le feu survenu quelques mois auparavant, si gravement même que l'expert commis par la cour, laquelle adopte l'ensemble de ses conclusions, a estimé que ce matériel avait été réduit à l'état d'épave;

Que, pourtant, la bonne foi commandait que la société Ancitel en fut informée; qu'en effet un sinistre de cette ampleur et les conséquences qu'il pouvait avoir eues sur du matériel informatique étaient de nature à dissuader certains intéressés de le prendre en location, même si ce matériel avait été révisé et remis en état de fonctionner, car sa fiabilité pouvait s'en trouver sérieusement affectée; qu'un tel silence est constitutif de la mauvaise foi dont Dirk G a fait preuve en l'espèce, celui-ci, pour se disculper, ne pouvant se contenter d'arguer du fait que la société Ancitel n'ignorait pas qu'elle louait du matériel d'occasion;

Considérant, par ailleurs, que la société X s'était engagée auprès de la société Ancitel à fournir une "Maq letter" par laquelle la société ICL, constructeur du matériel informatique en cause, entretiendrait, ainsi qu'elle l'avait fait dans le passé, ledit matériel, ce qui aurait constitué une garantie de sa fiabilité;

Que Dirk G ne pouvait, cependant, ignorer que la société ICL ne lui avait donné aucune assurance en ce sens, bien au contraire;

Que le tribunal a donc estimé à juste titre que celui-ci avait commis une tromperie sur l'aptitude à l'emploi et les risques inhérents à l'utilisation de ce matériel;

Considérant que, dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Dirk G coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, ainsi que sur l'aptitude à l'emploi de celle-ci et les risques inhérents à son utilisation et l'a condamné à une amande de 50 000 F, cette peine étant équitable;

Sur l'action civile:

Considérant que, devant les premiers juges, la société à responsabilité limitée Ancitel avait demandé la condamnation de Dirk G à lui payer la somme de 201 556,22 F, se décomposant ainsi qu'il suit:

- loyers de septembre 1987 à 1988: 205 000 F

- salaires même période de M. Melot: 101 790 F

- salaires même période de Mme Coulin: 48 584,40 F

- honoraire de M. Struyve, expert: 30 681,82 F

Que le tribunal a fixé à 150 000 F le préjudice découlant directement de l'infraction reprochée au prévenu;

Qu'en cause d'appel, alors qu'elle n'est qu'intimée, la société Ancitel sollicite la condamnation de Dirk G à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts "pour réparer le préjudice direct résultant de la non-livraison du matériel conforme, suivant justifications communiquées à la cour";

Qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 515 du Code de procédure pénale la cour ne peut, toutefois, sur le seul appel du prévenu, aggraver le sort de celui-ci;

Considérant qu'à l'appui de ses demandes la société Ancitel a produit devant la cour, en photocopie:

- des quittances de loyer pour la location de locaux, du 1er octobre 1987 au 31 mars 1988, dans un immeuble sis 6 rue de l'Oratoire, Paris (1er), pour un montant total de 30 500 F;

- les bulletins de paye de deux de ses employés, Philippe Melot et Virginie Coulin, pour la période du 1er septembre 1987 au 31 mars 1988, leurs salaires se montant à une somme totale de 105 374,40 F;

- l'ordonnance du président du Tribunal de commerce de Lille taxant à 30 681,82 F les frais et honoraires dus à M. Lionel Struyve, expert commis par jugement du 9 décembre 1987 dans la procédure ayant oppose devant cette juridiction la société Ancitel à la société X;

Considérant que seul peut être réparé le préjudice résultant directement de l'infraction visée aux poursuites; que tel n'est pas le cas des honoraires versés à l'expert commis par le Tribunal de commerce de Lille;

Considérant que la société Ancitel avait fait valoir dans ses écritures de première instance que le préjudice direct et immédiat qu'elle soutenait avoir subi et dont elle demandait réparation découlait du fait qu'à la suite de l'infraction commise par Dirk G elle s'était trouvée dans l'obligation "de payer ses employés ainsi que son loyer sans pouvoir fonctionner du fait de l'absence de matériel";

Que, cependant, procédant par voie d'affirmation, ladite société, qui a ses bureaux 6 rue de l'Oratoire, Paris (1er), ne justifia nullement avoir dû comme elle le prétend, cesser toute activité du 1er septembre 1987 au 31 mars 1988 en raison du contentieux l'opposant à la société X;

Que, dès lors,, faute pour elle d'avoir justifié de la réalité de son préjudice, il convient d'infirmer le jugement attaqué en ses dispositions civiles et de débouter la société Ancitel de l'ensemble de ses demandes;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt avant dire droit du 21 mars 1991, Confirmant le jugement attaqué sur l'action publique: Déclare Dirk G coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, son aptitude à l'emploi et les risques inhérents à son utilisation. Condamne Dirk G à cinquante mille (50 000) francs d'amende, Infirmant le jugement attaqué en ses dispositions civiles: Déboute la société à responsabilité limitée Ancitel, partie civile, de l'ensemble de ses demandes. Le tout par application de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, 424, 512 du Code de procédure pénale.