CA Paris, 13e ch. A, 27 avril 1993, n° 3616-92
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Moët et Chandon (Sté), Union commerciale des vins de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cerdini
Avocat général :
M. Bouazzouni
Conseillers :
MM. Valantin, Mc Kee
Avocats :
Mes Farthouat, Metzner, Charrière-Bournazel, Jourde.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal a joint les procédures P 90 253 2001-1 et P 91 276 0324-8;
a relaxé Jean-Claude R et Charley D du chef de contrefaçon de marque;
les a déclarés coupables.
- du délit de détention, mis en vente ou vente d'un produit revêtu de la marque Moët et Chandon et Moët et Chandon brut impérial contrefaite et frauduleusement apposée;
- du délit de tromperie sur les qualités substantielles et l'origine du produit vendu sous l'appellation Moët et Chandon brut impérial;
- du délit d'usage de faux en écritures de commerce en l'espèce une facture du 20 juin 1989 faussement attribuée à Moët Hennessy distribution et d'un faux certificat d'origine et de garantie daté du 12 juin 1989 attribué au Comité interprofessionnel des vins de champagne à Epernay;
Et par application des articles 422-1 et 422-3 du Code pénal, 1, 2, 3, 4 de la loi du 1er août 1905, 150 et 151 du Code pénal,
a condamné Jean-Claude R à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende;
Charley D à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende;
Le tribunal a ordonné la publication du jugement, par extraits, à concurrence de 10 000 F maximum par insertion, dans les journaux Le Monde, Le Figaro, Ouest-France;
Sur l'action civile: le tribunal:
- a déclaré la constitution de partie civile de l'institut des appellations d'origine des vins et eaux de vie irrecevable;
- a déclaré la société Union commerciale des vins de France, irrecevable en sa constitution de partie civile pour la procédure P 91 276 0324-8, recevable mais non fondée en sa constitution de partie civile dans la procédure P 90 253 201-1;
- a déclaré la constitution de partie civile de Jean-Luc Le Blé recevable mais mal fondée;
- a déclaré la constitution de partie civile de la SA Moët et Chandon régulière en, la forme et recevable, a condamné solidairement Charley D et Jean-Claude R à lui payer la somme de 5 000 000 F à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Le tribunal a condamné les prévenus, chacun pour moitié, aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de: 62 383, 41 F;
Appels:
Appel a été interjeté par:
D Charley, le 17 octobre 1991 à l'encontre du jugement du li octobre 1991 qui a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi, soulevée par son conseil, "in limine litis",
1° D Charley, le 2 mars 1992, par l'intermédiaire de son conseil, sur les dispositions pénales et civiles,
2° le Procureur de la République prés le Tribunal de grande instance de Paris, à son encontre, le même jour,
3° l'Union commerciale des vins de France, le 2 mars 1992, par l'intermédiaire de son conseil,
4° la société Moët et Chandon, le 3 mars 1992, par l'intermédiaire de son conseil,
5° Le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, à l'encontre de R Jean-Claude, le 5 mars 1992,
6° R Jean-Claude, le 6 mars 1992, par l'intermédiaire de son conseil, sur les dispositions pénales et civiles;
Décision:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
la cour est saisie:
1°) de l'appel interjeté le 17 octobre 1991. par le prévenu D à l'encontre du jugement du 11 octobre 1991 qui a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi soulevée par son conseil "in limine litis",
2°) des appels interjetés par les prévenus, le Ministère public, les deux parties civiles (la SA Moët et Chandon et l'UCVF) à l'encontre du jugement déféré;
S'y référant pour l'exposé de la prévention;
Procédure et faits:
Il est rappelé que les prévenus ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel par ordonnance d'un juge d'instruction du 8 juillet 1991 des chefs:
- d'avoir, à Cuba, et sur le territoire national, courant 1989 et début 1990 et depuis temps non couvert par la prescription, frauduleusement contrefait et apposé la marque Moët et Chandon, sans autorisation, sur des bouteilles de vin mousseux et avoir détenu, mie en vente ou vendu des produits qu'ils savaient revêtus de la marque frauduleusement contrefaite et apposée;
Délit prévu et puni par les articles 422-1 et 422-3 du Code pénal;
Ils ont également fait l'objet d'une procédure de citation directe initiée par la partie civile Moët et Chandon des chefs suivants:
- R: d'usage de faux:
- R et D: de détention, mise en vente et vente de produits revêtus d'une marque contrefaite et d'infraction à la loi du 1er août 1905 sur les fraudes.
Ce sont ces deux procédures dont la jonction a été ordonnée par le tribunal.
Les faits sont exposés dans le jugement déféré auquel la cour se réfère expressément.
Le prévenu D dépose des conclusions tendant à la nullité de l'ordonnance de renvoi au motif qu'elle a été prise alors que n'étaient pas rentrées les pièces d'exécution d'une commission rogatoire adressée aux autorités judiciaires d'Afrique du Sud, ce qui porte "manifestement atteinte à l'égalité des armes et aux garanties attachées à la notion de procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme".
Il sollicite subsidiairement sa relaxe au motif qu'il n'a participé à aucun des faits qui lui sont reprochés et qu'il ignorait la provenance frauduleuse du "champagne" à la commercialisation duquel il a participé.
La SA Moët et Chandon, demande la condamnation des deux prévenus à lui payer 20 millions de francs à titre de dommages-intérêts et 50 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le conseil de la société UCVF a fait connaître par lettre que cette partie civile n'entendait pas poursuivre l'appel interjeté par elle.
Sur l'exception de nullité:
Considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte les premiers jugea ont rejeté l'exception soulevée.
Que par ailleurs, aucune violation des droits de la défense ou de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut résulter de pièces d'exécution qui n'ont pas d'existence matérielle et qui ne pourraient avoir aucune valeur juridique au cas où elles auraient existé.
Que l'exception soulevée ne peut donc qu'être rejetée.
Sur le fond:
Considérant qu'aucun des deux prévenus ne conteste la matérialité de la contrefaçon et de l'apposition de la marque Moët et Chandon sur des bouteilles de vin mousseux.
- Sur l'imputabilité des faits à Jean-Claude R:
Considérant que Jean-Claude R reconnaît devant la cour l'ensemble des faits qui lui sont reprochés à l'exception de la contrefaçon.
Qu'il ne ressort d'aucun des éléments du dossier qu'il y ait participé personnellement même s'il reconnaît avoir été au courant de l'élaboration du projet de contrefaçon par les autorités cubaines, et de son exécution et avoir participé activement à la commercialisation du produit ainsi fabriqué.
Qu'en conséquence le jugement déféré ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a relaxé Jean-Claude R du chef de contrefaçon de marqua en ce qu'il l'a reconnu coupable des autres infractions qui lui étaient reprochées.
- Sur l'imputabilité des faits à Charley D:
Considérant que les premiers juges ont procédé à un exposé minutieux des charges pesant sur ce prévenu.
Que la cour se réfère expressément à l'analyse qui en a été ainsi faite.
Considérant en outre que lors du concours prêté par D dans le choix des appareils constituant la chaîne de fabrication il a donné aux fournisseurs des noms et adresses de sociétés "Strech and sons limited 24 High Street London" - Finapark à Panama - Halmax 160, Boulevard Haussmann à Paris - sur lesquelles il n'a pu donner d'explication sinon qu'il avait agi selon les instructions de Marc Proux-Delruyre.
Que de même lors des négociations du système de marquage laser il a réclamé cet appareil pour Panama, alors qu'il était destiné à Cuba.
Que malgré la technicité de cet appareillage la mise en route n'a pas été effectuée , contrairement à l'usage, par un technicien du vendeur Cryophisics, toutes circonstances qui manifestent une volonté de dissimulation dont la raison apparaît lorsqu'il est précisé (D 1575) qu'il "a vu les lasers Moët et Chandon, veut un système identique".
Considérant par ailleurs qu'au début de l'enquête D a été personnellement mis en cause de manière circonstanciée par R Marc et Demaury.
Que notamment celui-ci, après avoir expliqué que l'idée de contrefaire du champagne Moët et Chandon avait germé dans son esprit ainsi que dans ceux de D et de Vaghi, a déclaré que D avait initié les techniciens du laboratoire de l'usine où sa trouvait installée la chaîne de production à l'élaboration du faux champagne (D 1097), que ce breuvage avait été réalisé par les employés de la rhumerie de Santacruz à la suite des indications de Charley D et que c'est en toute connaissance de cause qu'avec ce dernier il avait commercialisé le Moët et Chandon auprès des sociétés Ixel et Drasco (D 1096).
Qu'après avoir confirmé ces explications devant le juge d'instruction il est revenu sur ses déclarations au cours d'une confrontation.
Que ces rétractations ne peuvent s'apprécier qu'au regard des autres éléments recueillis au cours de l'information et des liens unissant D à R qui a confessé lors de l'enquête (D 1097) "c'est par amitié de M. D et afin de ne pas lui créer d'ennui que j'avais tenu jusqu'à présent à minimiser la part de participation de M. Charley D".
Considérant dès lors que la cour trouve dans le faisceau dense d'indices concordants analysés tant par le tribunal que ci-dessus la preuve de la participation de D à l'élaboration du projet de contrefaçon, à la conception, à l'installation et à la mise au point de la chaîne de production ainsi qu'à la formation des exécutants cubains.
Que ces faits sont constitutifs non pas de délit de contrefaçon de marque qui lui est reproché mais du délit de complicité de cette même contrefaçon par aide et assistance dans les actes qui l'ont préparée ou facilité, contrefaçon dont les auteurs domiciliés vraisemblablement à Cuba n'ont pas été identifiés.
Que ces faits, bien que commis à l'étranger, peuvent faire l'objet de poursuites en France conformément à l'article 693 du Code de procédure pénale, la société Moët et Chandon aux droits de laquelle il a été porté atteinte ayant son siège en France où sa marque est déposée.
Qu'en conséquence, le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a relaxé D du chef de contrefaçon.
Considérant en outre que le jugement déféré devra être réformé en ce qu'il a retenu D coupable d'usage de faux, seul R étant prévenu de ce chef de poursuite selon la citation directe délivrée par la partie civile Moët et Chandon.
Considérant enfin que D ne conteste pas son intervention personnelle dans la commercialisation auprès de Drasco et Ixel du breuvage portant la marque contrefaite Moët et Chandon.
Qu'il prétend seulement qu'il ignorait cette contrefaçon et avait voulu rendre service à R.
Considérant cependant qu'au vu des éléments ci-dessus analysés il ne pouvait ignorer la nature frauduleuse de la boisson considérée compte tenu du rôle qu'il avait joué dans l'installation et la mise au point de la chaîne de production, et de la connaissance qu'il avait des relations entretenues par R avec les responsables cubains de la contrefaçon.
Que ce dernier a confirmé (D 1096) la participation consciente et éclairée de D à ces transactions.
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a reconnu coupable de fraude et de mise en vente et vente de produits qu'il savait revêtus d'une marque contrefaite.
Sur les peines:
Considérant que cas faits justifient pour chacun des prévenus, une peine d'emprisonnement de 18 mois dont 14 assortis du sursis simple ainsi que les peines d'amendes et publications prévues par le jugement déféré.
Considérant d'une part, qu'il y a lieu de donner acte à l'UCVF de son désistement.
Considérant d'autre part, en ce qui concerne la société Moët et Chandon que la production totale litigieuse a été de l'ordre de 70 000 bouteilles.
Que son dommage sera réparé par l'allocation de la somme de 2 500 000 F à titre de dommages-intérêts à laquelle les prévenus seront tenus solidairement.
Qu'il conviant d'allouer à cette partie civile une somme supplémentaire de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard des prévenus, de la SA Moët et Chandon, par application de l'article 420-2 du Code de procédure pénale à l'égard de la société UCVF, Reçoit les appels interjetés, Sur l'action publique: Confirme le jugement déféré en ce qu'il a joint les deux procédures, renvoyé R Jean-Claude des fins de la poursuite du chef de contrefaçon et en ce qu'il l'a reconnu coupable des autres infractions qui lui sont reprochées, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a reconnu D Charley coupable de fraude ainsi que de mise en vente et de vente de produits qu'il savait revêtus d'une marqua contrefaite, L'infirme en ce qu'il a reconnu D Charley coupable d'usage de faux et l'a relaxé de contrefaçon; Constate que D Charley ne fait pas l'objet de poursuites du chef d'usage de faux, Requalifiant les faits reprochés à D Charley du chef de contrefaçon, le déclare coupable d'avoir à Cuba et sur le territoire national, courant 1989 et début 1990, en tout cas depuis temps non prescrit, avec connaissance aidé ou assisté les auteurs de la contrefaçon de la marque Moët et Chandon dans les actes qui l'ont préparée ou facilitée, Faits prévus et punis par les articles 59, 60 422-10 ancien du Code pénal devenu l'article L. 716-9 du Code de la propriété intellectuelle, Confirmant en outre l'amelide et les publications ordonnées par les premiers juges condamne R Jean-Claude et D Charley à 18 mois d'emprisonnement dont 14 mois assortis du sursis simple, Sur les intérêts civils: Donne acte à l'UCVF de son désistement d'appel, Réformant le jugement déféré, condamne solidairement R Jean-CLaude et D Charley à payer à la société Moët et Chandon la somme de 2 500 000 F à titre de dommages-intérêts et 8 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.