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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 11 janvier 1995, n° 94-00009

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

Mme Penichon, M. Guilbaud

Avocat :

Me Daham.

Avocat général :

M. Blanc

TGI Bobigny, 16e ch., du 2 déc. 1993

2 décembre 1993

Rappel de la procédure:

Le jugement:

a relaxé le prévenu des fins de la poursuite.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Le Ministère public, le 3 décembre 1993

Décision:

Rendue publiquement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel relevé par le seul Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé de la prévention.

Par voie de conclusions le prévenu intimé soulève, in limine litis, la nullité de la procédure en soutenant que s'il a bien eu connaissance du rapport d'essai du laboratoire interrégional de la Répression des Fraudes de Paris Massy, il n'a jamais cependant été officiellement avisé de ce qu'il disposait d'un délai de 3 jours francs pour présenter ses observations ce qui constitue une violation des droits de la défense.

Subsidiairement au fond il conclut à la confirmation du jugement déféré et encore plus subsidiairement à l'indulgence par le prononcé d'une simple peine d'amende.

Il reprend l'argumentation par lui développée dans ses écritures de 1re instance en faisant essentiellement valoir que les documents produits par le fabriquant chinois lui permettaient, légitimement, de considérer que les appareils importés étaient conformes aux normes européennes et que, n'étant pas le premier importateur de ce produit sur le marché français, il n'avait pas à faire procéder à une analyse de qualité sur échantillon avant la commercialisation.

II souligne enfin que les presse-fruits litigieux ne paraissent pas à ce jour avoir été à l'origine d'un accident ou d'une plainte d'un consommateur.

Monsieur l'Avocat général requiert de la cour de joindre l'incident au fond et de rejeter l'exception de nullité.

Sur le fond il sollicite de la cour, par infirmation, en se référant aux termes de la requête d'appel de Monsieur le Procureur de la République du TGI de Bobigny en date du 21 décembre 1993, de retenir le prévenu dans les lieux de la prévention, de le condamner à 6 mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à 100 000 F d'amende et d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir.

Après en avoir délibéré, la cour a joint l'incident au fond afin qu'il soit statué par un seul et même arrêt sur l'exception et sur le fond.

Sur l'exception de nullité:

Considérant qu'il résulte de l'article 1er du Décret du 22 janvier 1919, en vigueur au moment des faits, que si les infractions à la loi du 1er août 1905 sont recherchées et constatées conformément aux dispositions du décret précité, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la preuve des dites infractions puisse être établie par toutes voies de droit commun;

Considérant que la cour observe par ailleurs que la notification du délai de 3 jours Francs, prévu à l'article 25 du décret précité a pour seul effet d'interdire à l'auteur présumé de la fraude, la possibilité -après son expiration- de solliciter l'expertise contradictoire mentionnée à l'article 12 de la loi du 1er août 1905; qu'en l'espèce, Yvon S n'a jamais contesté la teneur des conclusions du rapport d'essai du laboratoire interrégional de la Répression des fraudes de Paris Massy qui lui ont été notifiées le 01 octobre 1992, ni demandé d'expertise contradictoire, se formant à affirmer que "le presse-fruits litigieux ne parait pas à ce jour avoir été à l'origine d'un accident ou d'une plainte d'un consommateur"

Considérant, dès lors, qu'il convient de rejeter l'exception de nullité soulevée étant observé qu'aucune atteinte n'a été portée aux intérêts du prévenu au sens de l'article 802 du Code de procédure pénale:

Sur le fond

Considérant qu'il convient de rappeler qu'en mai 1992 la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Metz constatait la mise en vente, dans un magasin de type solderie, de presses-agrumes électriques réf. 1102 A démunis de toute plaque signalétique et portant pour toute inscription la mention "juice extractor";

Que ces articles ayant été achetés selon facture du 07.02.1992 à la société "X", sise <adresse>à Aubervilliers, un contrôle en date du 19 mai 1992 était effectué au siège de la dite société dont le prévenu est le gérant;

Que 3 exemplaires de l'appareil litigieux étaient prélevés aux fins d'examen par le laboratoire central des industries électriques;

Que lors de contrôle Yvon S remettait aux agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes une déclaration du fabriquant chinois rédigé en anglais et datée du 27.01.1992 qui certifiait la conformité du produit à la norme IEC 335 - 2 - 14 et à la directive européenne basse tension du 19.02.1973;

Qu'il apparaissait que les presse-agrumes en cause, fabriqués en Chine, avaient été importés le 20.01.1992 pour 2 400 unités, expédiés de Hong Kong et achetés prix franco frontière 5,50 dollars soit 27,50 F environ puis revendus à la solderie au prix de 45 F pièce hors TVA.

Que le rapport d'essai du laboratoire interrégional de la Répression des fraudes de Paris Massy concluait au caractère dangereux de l'appareil litigieux qui, en ne respectant pas 6 points de la norme NF C73 - 814, faisait courir à l'utilisateur un risque de choc électrique;

Considérant qu'à tort les premiers juges ont relaxé Yvon S des fins de la poursuite;

Considérant qu'il résulte en effet de l'article L. 212-1 du Code de la consommation (ancien article 11-4 de la loi du 01.08.1905) que le responsable de la première mise sur le marché d'un produit est tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur.

Que tel était bien le cas de Yvon S à supposer même que d'autres aient importé avant lui le produit litigieux;

Que cependant le prévenu n'a procédé à aucun autocontrôle alors que le simple examen visuel de l'appareil concerné laissait présumer de sa non-conformité dans la mesure où il était dépourvu des marques et indications obligatoires;

Considérant que la cour observe que ni la déclaration de conformité fournie par le fabriquant chinois ni le certificat d'autorisation de marque émanant d'un laboratoire allemand, d'ailleurs délivré postérieurement aux faits poursuivis, ne pouvaient exonérer Yvon S, en sa qualité d'importateur, de son obligation personnelle de veiller à la conformité du produit étant observé par ailleurs que les documents précités sont dépourvus de tout caractère probant;

Considérant que l'élément intentionnel de la tromperie résulte non seulement de l'absence de vérification mais aussi d'un contrôle insuffisant de la conformité dont l'obligation professionnelle incombe personnellement à l'importateur;

Considérant que la cour estime que Yvon S, en tant que professionnel, a, par son abstention et ses négligences, commis des fautes graves constitutives de l'infraction de tromperie qui lui est imputée;

Qu'il convient par voie de conséquence, infirmant le jugement entrepris, de retenir Yvon S dans les liens de la prévention et de prononcer à son encontre, ainsi que précisé au dispositif, des peines adaptées à la sécurité des agissements commis et à la personnalité du prévenu condamné à plusieurs reprises pour des faits de même nature;

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre du prévenu sur le seul appel du Ministère public; Joint l'incident au fond; Rejette l'exception de nullité soulevée; Infirme la décision déférée en ce qu'elle a relaxé le prévenu des fins de la poursuite; Déclare Yvon S coupable d'avoir à Aubervilliers le 19 mai 1992 trompé, tenté de tromper l'acheteur ou le co-contractant sur les risques inhérents à l'utilisation des produits importés et mis en vente, en l'espèce en commercialisant, en tant qu'importateur, des presses- agrumes non conformes aux normes réglementaires et susceptibles de compromettre la sécurité des personnes; Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-3 du Code de la consommation; Le condamne à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et à 80 000 F d'amende; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.