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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 7 février 1992, n° 7235-91

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Lefrère

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Avocat général :

M. Jeanjean

Conseillers :

Mmes Magne, Barbarin

Avocats :

Mes Tordjman, Tref.

TGI Créteil, 11e ch., du 25 févr. 1991

25 février 1991

Rappel de la procédure:

les jugements des 25 février 1991 et 14 mai 1991

tels qu'ils seront rappelés en tête des motifs du présent arrêt,

étant toutefois précisé que:

- les faits ont été commis le 29 avril 1987

- les dépens de première instance ont été liquidés à 409,05 F.

Appels:

Appel a été interjeté par:

1°) T Pierre, le 25 février 1991 contre le jugement du 25.02.1991, le 22 mai 1991 contre le jugement du 14.05.1991

2°) le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Créteil le 22 mai 1991 contre le jugement du 14.05.1991 ainsi que par la partie civile le 23 mai 1991 contre ce même jugement;

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi;

T Pierre a été poursuivi devant le Tribunal de Créteil (11e chambre) sous la prévention d'avoir, à Villeneuve-le-Roi, le 24 avril 1987, trompé l'acheteur ou le contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles d'une marchandise, étant professionnel de l'automobile, en vendant un véhicule CX dont la coque était changée et dont la plaque du numéro de châssis avait été découpée et ressoudée, faits prévus et réprimés par les articles 1 et 7 de la loi du 1er août 1905;

Par jugement, avant dire droit, en date du 25 février 1991, le tribunal, statuant sur l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le prévenu, a rejeté celle-ci et renvoyé l'affaire à l'audience du 23 avril 1991 pour être statué au fond.

Appel de cette décision a été régulièrement interjeté par le prévenu, le 25 février 1991.

Puis, par jugement en date du 14 mai 1991, le tribunal a déclaré T Pierre coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné à 5 000 F d'amende ainsi qu'à payer à Michel Lefrère, partie civile, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Appel de cette décision a régulièrement été interjeté, le 22 mai 1991, par le prévenu et par le Ministère public et, le 23 mai 1991, par la partie civile.

A l'audience de la cour du 17 janvier 1992, le prévenu, assisté de son conseil, fait valoir que les faits qui lui sont reprochés ont été commis le 24 avril 1987 et que la citation lui a été délivrée en décembre 1990 (en fait le 14 janvier 1991), soit plus de huit mois après l'expiration du délai de trois ans applicable à la prescription des délits; que le procès-verbal de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a été établie le 2 octobre 1990, soit postérieurement à l'acquisition de la prescription, et que si le parquet a bien adressé une réquisition à un officier de police judiciaire, en juillet 1989, afin de l'entendre, l'enquête a été menée par un agent de police judiciaire et non par un officier. En conséquence, il demande à la cour, par voie de conclusions, de constater l'acquisition de la prescription, en conséquence, l'extinction de l'action publique à son égard; en tant que de besoin, il sollicite sa relaxe;

Sur le fond, le prévenu fait valoir oralement qu'il a vendu à Michel Lefrère un véhicule d'occasion en très bon état, sur lequel il avait placé une coque neuve achetée à l'usine Citroën, et qu'il ne pouvait apposer la plaque de châssis que sur le côté de la coque compte tenu de la forme de celle-ci; il affirme, en outre, que le modèle de coque des véhicules Citroën CX est resté le même d e1975 à 1982 et qu'il n'a à aucun moment cherché à tromper Michel Lefrère sur l'origine et l'état du véhicule, puisqu'il a fait procéder à un contrôle, le jour même de la vente, enfin, il observe qu'il ne voit pas pour quelle raison il n'aurait pas remis le rapport de contrôle à l'acheteur, celui-ci n'ignorant pas que son activité professionnelle était de transformer les voitures en modifiant ou en changeant la carrosserie.

La partie civile, assistée de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions:

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Pierre T coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine et la quantité d'une marchandise;

- de l'accueillir en son appel incident et, y faisant droit, de condamner T Pierre à lui payer la somme de 20 000 F en réparation de son préjudice, toutes causes confondues, et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- subsidiairement, de désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission d'examiner le véhicule litigieux et de donner son avis sur tous les préjudices qu'il a subis;

- de condamner T Pierre aux dépens.

I. Sur l'exception de prescription de l'action publique soulevé par le prévenu:

Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure d'enquête que, saisi d'une plainte de Michel Lefrère en date du 28 juin 1989, le Procureur de la République près le Tribunal de Créteil a adressé, le 5 juillet 1989, un soit-transmis au commissaire de police de Villeneuve-le-Roi aux fins d'entendre T Pierre, nommément visé par la plainte; que cet ordre donné à un officier de police judiciaire avait indiscutablement pour objet de faire procéder à une enquête sur l'infraction dénoncée et d'en rechercher l'auteur, et entre donc dans la catégorie des actes d'instruction ou de poursuite interruptifs de la prescription de l'action publique, au sens de l'article 7 du Code de procédure pénale, dès lors que le Procureur de la république a exercé, comme c'est le cas en l'espèce, les pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article 75 du même code pour l'exécution des enquêtes préliminaires; qu'il importe peu, dès lors, que la Direction départementale de la Concurrence et de la Consommation n'ait procédé à l'audition de T Pierre que le 2 octobre 1990; que le prévenu ne saurait se prévaloir du fait que le commissariat de police a délégué un agent de police judiciaire pour l'entendre, celui-ci ayant compétence, en application de l'article 75 du Code de procédure pénale, pour procéder à des enquêtes préliminaires dès lors qu'il agit sous le contrôle d'un officier de police judiciaire, ce qui est le cas en l'espèce; que, pour les motifs ci-dessus énoncés, l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le prévenu sera rejetée comme mal fondée;

II. Sur l'action publique:

Considérant que Michel Lefrère a acheté à T Pierre, constructeur automobile, le 29 avril 1987 (et non le 24 avril 1987 ainsi qu'il a été énoncé dans la prévention), une voiture d'occasion de marque Citroën type "CX GTI"; que, le 28 juin 1989, soit plus de deux ans après, Michel Lefrère déposait plainte contre le vendeur auprès du Procureur de la République près le Tribunal de Créteil pour tromperie sur les qualités substantielles du véhicule, alléguant que le rapport de contrôle ne lui avait pas été remis lors de la vente, qu'il avait été amené à faire de nombreuses réparations, que lors de la réfection du train avant il s'était avéré que les pièces achetées au vu de la date de première mise en circulation de la voiture (soit le 2 mars 1981) n'étaient pas adaptées et que le garage Citroën auquel il s'était adressé avait conclu que la caisse du véhicule était en fait de 1978, outre que le numéro de série du châssis avait été découpé et ressoudé;

Considérant qu'il résulte de l'expertise effectuée par Philippe Congnet, le 29 décembre 1989, à la demande de l'acheteur, que l'emplacement réservé au numéro de série sur le passage de roue était ressoudé et que la coque du véhicule, qui présentait un état de corrosion avancée, avait donc été remplacée; qu'il relevait qu'il était impossible de dire su la coque était de provenance "GTI", puisqu'elle était identique sur toutes les versions";

Considérant que le prévenu affirme de son côté qu'il a placé une coque sur le véhicule et que, bien qu'il n'en ait pas gardé un souvenir très précis, il ne voit pas pourquoi il n'aurait pas remis le rapport de contrôle établi le jour de la vente à Michel Lefrère; qu'il résulte de ce rapport, dont l'acheteur a pu obtenir une copie sans difficulté plus de deux ans après la vente, que la caisse de la CX GTI est équipée d'un moteur diesel et que la plaque de châssis avait été remplacée; que ce rapport montre, par ailleurs, que le véhicule était en bon état et ne nécessitait que quelques réglages que le prévenu affirme avoir effectués aussitôt;

Considérant qu'aucun élément tiré de la procédure et des débats ne permet d'affirmer que la coque est antérieure à 1981, ce modèle de coque étant resté identique de 1975 à 1982; qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le fait pour le prévenu d'avoir changé la coque n'est pas en soi répréhensible, son métier consistant à transformer des véhicules; que, si le numéro de châssis a été replacé en bas de la coque pour des raisons techniques, il n'est pas établi qu'il ait été changé; que les réparations que le plaignant a été amené à faire ne concernent d'ailleurs pas la coque mais le moteur, lequel était en bon état lors de la vente, selon le rapport de contrôle;

Considérant que, compte tenu des éléments ci-dessus rappelés, il ne pourrait être reproché au prévenu que d'avoir trompé son cocontractant sur le contrôle effectué le 29 avril 1987, lequel révèle que la caisse du véhicule avait été remplacée, à condition, toutefois, qu'il soit démontré qu'il se soit volontairement abstenu de remettre à l'acheteur le rapport de contrôle; que, contrairement à ce qu'ont affirmé les premiers juges, il n'est pas indubitablement établi que ce rapport n'ait pas été remis à Michel Lefrère, aucun élément objectif ne venant à l'appui des dires du plaignant;

Que, dès lors, la preuve n'étant pas rapportée que Pierre T ait volontairement trompé Michel Lefrère sur l'origine et les qualités substantielles du véhicule vendu, il convient, en infirmant le jugement attaqué, de le renvoyer des fins de la poursuite exercée à son encontre;

Sur l'action civile:

Considérant que, compte tenu de la relaxe à intervenir, les demandes de Michel Lefrère, partie civile, se trouvent être sans fondement; qu'il échet donc de l'en débouter; qu'au surplus et surabondamment, les dommages dont celui-ci fait état ne sont pas directement liés au changement de coque du véhicule;

Par ces motifs Statuant publiquement et contradictoirement, LA COUR, Reçoit les appels du prévenu, du Ministère public et de la partie civile; Confirme le jugement attaqué du 25 février 1991 en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription de l'action publique soulevée par T Pierre; Infirmant le jugement attaqué du 14 mai 1991; Relaxe T Pierre des fins de la poursuite exercée à son encontre du chef de tromperie du contractant sur l'origine et les qualités substantielles de la marchandise vendue; Déboute Michel Lefrère, partie civile, de l'ensemble de ses demandes; Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge du Trésor, compte tenu de la bonne foi de la partie civile.