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Décisions

Conseil Conc., 8 juillet 2004, n° 04-D-32

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société More group France contre les pratiques du groupe Decaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Sévajols par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Perrot, Mader-Saussaye, M. Bidaud, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-32

8 juillet 2004

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 24 septembre 1998 sous les numéros F 1084 et M 221, par laquelle la société More group France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés du groupe Decaux et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le traité en date du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, modifié ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant ses conditions d'application ; Vu la décision n° 98-MC-12 du 17 novembre 1998 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société More group France ; Vu la décision n° 03-DSA-22 par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence a fait application des dispositions de l'article L. 463-4 du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Clear Channel More France, JC Decaux SA, JC Decaux Holding, JC Decaux Mobilier Urbain, Decaux Publicité Extérieure et le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Clear Channel More France, JC Decaux SA, JC Decaux Holding, JC Decaux Mobilier Urbain, Decaux Publicité Extérieure entendus lors de la séance du 18 mai 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. Présentation des entreprises

1. La société More Group France

1. La société More group a été créée en Angleterre, en 1936, par M. X.... Initialement, elle était spécialisée dans l'affichage grand format. A partir de 1973, elle s'est diversifiée dans le secteur du mobilier urbain avec le rachat d'une petite société nouvellement créée : Adshel. La société s'est implantée en France, dès 1964, et a obtenu son premier marché important de mobilier urbain en 1997, en remportant les appels d'offres organisés par la ville et le district de Rennes. En 1998, le groupe More group a été racheté par le groupe Clear Channel Communication et la société More group France est aujourd'hui dénommée Clear Channel More France.

2. Le groupe Decaux

2. Le groupe Decaux est un groupe international actif dans les secteurs de la publicité extérieure et du mobilier urbain. Il est présent dans 23 pays par le biais de ses filiales, notamment aux Etats-Unis, en Allemagne, en Espagne, en Belgique et au Luxembourg. En 1998, le groupe JC Decaux employait 4 121 salariés dans 1 197 villes à travers le monde. Son chiffre d'affaires consolidé s'élevait à 3,7 milliards de francs. En France, le groupe Decaux employait 2 580 personnes et réalisait un chiffre d'affaires de 2,3 milliards de francs, dont 60 % provenaient de la vente d'espaces publicitaires.

3. Entre 1996 et 1998, plusieurs sociétés du groupe Decaux exerçaient leurs activités sur le territoire français, dans le secteur du mobilier urbain et de la publicité extérieure :

* la société JC Decaux, spécialisée dans le mobilier urbain publicitaire et les opérations de publicité ;

* la société SOPACT, spécialisée dans l'exploitation publicitaire, à Paris, des postes téléphoniques et des abribus ;

* la société RPMU (Régie publicitaire de mobilier urbain), spécialisée dans la commercialisation d'espaces publicitaires ;

* la société JC Decaux services, spécialisée dans la fabrication, le montage, l'entretien, la vente et l'exploitation de mobiliers urbains et de supports publicitaires ;

* la société SFCM, spécialisée dans la pose et conservation des affiches de publicité théâtrale et publicité commerciale ;

* la société SEMUP, spécialisée dans la fabrication, l'installation, l'exploitation de toutes formes de supports électroniques destinés à l'information municipale, administrative, routière, publicitaire ;

* la société DPE (Decaux publicité extérieure), spécialisée dans la location d'emplacements publicitaires ;

* la société SOMUPI, spécialisée dans l'installation de mobiliers urbains et la publicité par affichage.

4. Différentes relations économiques et commerciales, dont certaines sont formalisées par des conventions internes, lient les diverses sociétés du groupe. Ainsi, la société DPE, qui a pour activité la location d'emplacements publicitaires, sous-loue l'ensemble de ses emplacements à la société JC. Decaux, cette dernière confiant la commercialisation des surfaces publicitaires (domaine public ou privé) dont elle dispose à la société RPMU.

5. Le 29 juin 1999, la société Decaux SA a acquis les sociétés du pôle d'activité publicité extérieure de la société Havas SA : Avenir France, spécialisée dans l'affichage publicitaire, Havas média communication, Claude Publicité, active dans la publicité lumineuse, Havas Média Communication Publicité extérieure, spécialisée dans l'affichage dans les aéroports et les transports souterrains, et les sociétés qu'elles contrôlent (voir la lettre du ministre de l'Economie du 13 août 1999 publiée au BOCCRF du 26 septembre 1999).

B. Les activités concernées

6. Le dossier concerne plusieurs activités connexes : la fourniture de mobilier urbain publicitaire, la location d'emplacements publicitaires pour l'affichage grand format et la publicité extérieure.

1. La fourniture de mobilier urbain publicitaire aux collectivités

a) Présentation du secteur

7. Les collectivités publiques souhaitent installer certains équipements pour satisfaire, à titre principal, des besoins d'intérêt général tels que la protection des usagers de transports en commun contre les intempéries ou l'information municipale et locale ; elles font alors appel à des entreprises qui installent et entretiennent ces équipements, le plus souvent gratuitement. En contrepartie, ces entreprises obtiennent l'autorisation d'exploiter à titre exclusif une partie des surfaces offertes par le mobilier à des fins publicitaires. Les principaux mobiliers publicitaires sont les abribus et les panneaux d'information permettant l'affichage de publicités et d'informations non publicitaires (plan de ville, manifestations culturelles etc.).

8. Les mobiliers urbains publicitaires permettent ainsi de satisfaire deux demandes : d'une part, celle des collectivités locales, qui ont besoin de ces équipements pour abriter ou informer les usagers et qui organisent des appels d'offres pour satisfaire à cette demande. D'autre part la demande des annonceurs ou des publicitaires qui disposent, pour leur affichage extérieur, de nouveaux espaces publicitaires implantés sur le domaine public, le plus souvent au cour des villes.

9. En 1998, les principales entreprises spécialisées dans le mobilier urbain publicitaire étaient le groupe Decaux, la société More group France, la société Sirocco, la société Dauphin mobilier urbain, la société Giraudy et la société Avenir France.

b) La position du groupe Decaux sur ce marché

10. Les parts de marché du groupe Decaux sur le marché national de la fourniture de mobilier urbain publicitaire aux collectivités sont élevées. Selon les professionnels du secteur, le groupe Decaux détient près de 80 % du marché, les sociétés Sirrocco, Adshel et Dauphin mobilier urbain se partageant les 20 % environ du marché restant (annexes 7 et 8 du Rapport).

11. Le groupe Decaux bénéficie, en outre, d'une forte implantation sur l'ensemble du territoire national. En 1998, il était présent dans 55 des 57 agglomérations de plus de 100 000 habitants, soit 96 % de ces agglomérations, les deux villes manquantes étant Rennes, qui a choisi de concéder en 1997 son mobilier urbain publicitaire à la société More group France, et Montbéliard. Le groupe Decaux était également fortement implanté dans les agglomérations comprises entre 30 000 et 100 000 habitants puisqu'il était présent dans 130 sur les 163 agglomérations de cette taille. En revanche, le groupe Decaux était peu présent dans les villes de plus petite taille.

12. Les appels d'offres organisés depuis quelques années par les collectivités locales n'ont pas remis en cause l'hégémonie du groupe Decaux. En effet, à l'issue de ces appels d'offres, ce groupe a conservé la plupart des villes dans lesquelles il était déjà concessionnaire. En 1997, la société JC Decaux a perdu le marché de la ville de Rennes et, en 1998, elle n'a pas été retenue pour l'appel d'offres organisé par la ville du Havre (annexe 9).

2. La location d'emplacements publicitaires pour l'affichage extérieur grand format

a) Les différents emplacements publicitaires existants.

13. Les sociétés d'affichage extérieur peuvent installer leurs dispositifs publicitaires extérieurs sur plusieurs catégories d'emplacements : soit sur du mobilier urbain publicitaire implanté sur le domaine public des collectivités locales, soit en louant des emplacements publicitaires sur le domaine privé ou public des collectivités locales ainsi que sur des propriétés privées.

14. Pour le mobilier urbain publicitaire, des appels d'offres pour l'installation et l'exploitation du mobilier urbain publicitaire sont organisés par les collectivités locales.

15. En cas de location d'emplacements publicitaires auprès des mêmes collectivités, la concession d'affichage peut prendre deux formes juridiques différentes selon que le dispositif publicitaire est installé sur le domaine public de la collectivité ou sur son domaine privé. Les concessions qui portent sur l'occupation du domaine privé des collectivités locales sont des contrats de droit commun. Il s'agit essentiellement de concessions d'affichage sur les palissades privées situées en bordure des voies publiques. Les concessions qui portent sur la location d'espaces publicitaires sur le domaine public des collectivités locales sont considérées comme des contrats d'occupation du domaine public. La publicité peut être apposée sur les murs des immeubles communaux susceptibles d'affichage, sur les clôtures et dépendances des chantiers publics ouverts sur la voie publique pour l'exécution de tous travaux, sur les palissades et murs clôturant les terrains communaux, sur des portiques installés sur le domaine public.

16. En cas de location d'emplacements publicitaires auprès de personnes privées, les sociétés d'affichage extérieur concluent des baux avec des particuliers, des syndics de copropriété ou des entreprises. Les dispositifs publicitaires sont installés dans les jardins, les terrains, les parkings, ou sur les murs des maisons ou des immeubles. La location d'emplacements publicitaires sur les propriétés privées est réglementée par la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et aux pré-enseignes. L'article 39 de cette loi soumet le contrat de location d'emplacements publicitaires à un certain nombre de règles formelles qui ont pour objet de protéger le propriétaire privé : "Le contrat de louage d'emplacement privé aux fins d'apposer de la publicité ou d'installer une pré enseigne se fait par écrit. Il est conclu pour une période qui ne peut excéder six ans à compter de sa signature. Il peut être renouvelé par tacite reconduction par périodes d'une durée maximale d'un an, sauf dénonciation par l'une des parties trois mois au moins avant son expiration". A ce texte s'ajoutait le Code de pratiques loyales en matière d'exploitation d'emplacements publicitaires élaboré par la Chambre syndicale française de l'affichage (CSFA). Ce Code contenait un contrat type de louage d'emplacement publicitaire qui a été modifié à la suite de la décision du Conseil de la concurrence n° 95-D-30 condamnant les "clauses de préférence" du contrat type en vigueur à l'époque. Le Code et le contrat type ne seraient plus diffusés depuis plusieurs années par le syndicat professionnel.

17. L'offre d'emplacements privés pour l'affichage extérieur est extrêmement morcelée et, de ce fait, il est difficile d'évaluer le nombre d'emplacements publicitaires proposés. En théorie, tout particulier peut décider de louer un emplacement à une société d'affichage et toute collectivité peut concéder l'occupation de son domaine privé ou de son domaine public en vue d'y installer des panneaux d'affichage. En réalité, l'offre est limitée par les législations et les réglementations qui encadrent ces implantations publicitaires pour des considérations de sécurité et d'esthétisme.

18. Il existe également d'autres marchés amont pour les afficheurs : notamment le mobilier urbain dans les aéroports, dans les centres commerciaux ou les emplacements dans les stations de métro ou dans les gares SNCF.

b) La demande et les parts de marchés des afficheurs

19. Pour la location d'emplacements publicitaires pour l'affichage extérieur, les demandeurs sont les sociétés spécialisées dans cet affichage. Il s'agit principalement, pour les emplacements privés, des sociétés Avenir France, Giraudy, Dauphin OTA, More O'Ferrall et DPE (Decaux) et, pour les emplacements publics, du groupe Decaux. La demande est donc relativement concentrée. Ces sociétés d'affichage démarchent les offreurs généralement par le biais de leurs succursales implantées au niveau local.

20. Le marché et les parts de marché des afficheurs pour la location d'emplacements peuvent être évalués à partir des loyers versés par les principales sociétés d'affichage. Les données sont reportées ci-après (annexe 10) :

EMPLACEMENT TABLEAU

3. Le secteur de la publicité extérieure

a) L'environnement juridique

21. L'affichage publicitaire est encadré par les dispositions de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979, reprise aux articles L. 581-1 et suivants du Code de l'environnement. Les publicités, enseignes et pré-enseignes visibles de la voie publique sont interdites dans les lieux protégés et classés (sur les monuments historiques, dans les sites classés et les parcs nationaux notamment). Sur d'autres emplacements, les publicités font l'objet de réglementations particulières (publicités sur l'eau, dans les airs, sur les véhicules terrestres...). Hors agglomération, toute publicité est interdite, à l'exception de l'implantation dans des " zones de publicité autorisées " instituées par arrêtés municipal, préfectoral ou ministériel. Dans les agglomérations, les publicités non lumineuses ne sont pas soumises à autorisation mais doivent respecter les dispositions du décret du 21 novembre 1980 en matière d'emplacement, de surface, de hauteur. De nombreux emplacements sont interdits : monuments naturels, plantations, murs des bâtiments qui comportent des ouvertures.... Les dispositifs publicitaires non lumineux scellés au sol sont interdits dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants qui ne font pas partie d'un ensemble multicommunal de plus de 100 000 habitants. Ils sont également interdits à proximité des autoroutes et voies express hors agglomération. Enfin, le maire ou le préfet peut instituer des zones de publicité restreinte ou élargie dans tout ou partie d'une agglomération.

22. La publicité sur le mobilier urbain est réglementée par le décret n° 80-923 du 21 novembre 1980 qui précise les conditions d'utilisation du mobilier urbain comme support publicitaire. Aux termes de ce décret, les abribus peuvent supporter des affiches publicitaires d'une surface unitaire maximale de 2 m2 ; les kiosques édifiés sur le domaine public peuvent supporter des publicités d'une surface unitaire maximale de 2 m2, sans que la surface totale de la publicité puisse excéder 6 m2 ; les colonnes porte-affiches ne peuvent supporter que l'annonce de spectacles ou de manifestations culturelles et les mâts porte-affiches ne peuvent comporter plus de deux panneaux présentant une surface maximale unitaire de 2 m2 utilisable exclusivement pour l'annonce de manifestations économiques, sociales, culturelles ou sportives.

b) Les différentes formes d'affichage

Les différents formats

23. L'affichage grand format traditionnel utilise, le plus souvent, des panneaux de format 12 m2 (4 x 3). Il existe également des panneaux de 8 m2 (3,2 x 2,4), essentiellement commercialisés par le groupe Decaux, et des panneaux de forme allongée aux dimensions de 12 m2 (5,53 x 2,17), qui sont une spécialité de la société More O'Ferrall. L'affichage grand format traditionnel de 12 m2 est principalement situé sur des emplacements loués, publics ou privés.

24. L'affichage sur mobilier urbain publicitaire, abribus et panneaux d'information, s'effectue le plus souvent sur des panneaux de 2 m2 installés sur ces matériels.

25. Dans le secteur de l'affichage traditionnel, les affiches sont généralement collées et non éclairées. Toutefois, le groupe Decaux a apporté à l'affichage grand format, par l'intermédiaire de ses panneaux " Senior " de 8 m2, les atouts techniques qui ont fait le succès des abribus : éclairage par transparence, protection sous verre, style des mobiliers, entretien et maintenance des panneaux.

26. Chaque support publicitaire peut supporter usuellement une, deux ou trois faces publicitaires différentes. Pour les supports à deux faces, les affiches sont généralement découpées et posées sur des lamelles métalliques. Sur les supports tri-visions, les trois affiches se déroulent en permanence. Il existe aujourd'hui des panneaux comportant cinq faces tournantes. Les annonceurs ont cependant des réticences à être affichés sur des panneaux comportant trop de faces.

27. Selon une étude du groupe Decaux (annexe 11), le nombre de panneaux grand format serait en baisse depuis le début des années 1990. Le nombre de faces publicitaires grand format dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants hors banlieue parisienne serait passé de 102 028 faces en 1994 à 79 324 faces en 2001.

Affichage temporaire et affichage longue conservation

28. L'affichage temporaire est distinct de l'affichage de "longue conservation". L'affichage temporaire consiste en la mise à disposition de panneaux pour les campagnes des annonceurs sur des périodes le plus souvent de sept jours. Pour l'affichage de longue conservation, les panneaux sont généralement peints et loués pour des périodes d'un an et plus par des professionnels locaux afin de guider le public vers un commerce (grande surface, garage automobile...). Les prix et les modes de commercialisation de ces deux types d'affichage sont différents

Publicités nationales et publicités locales

29. Les panneaux dédiés aux campagnes publicitaires peuvent être commercialisés soit de façon locale, soit sous forme de réseaux nationaux. Les afficheurs peuvent très facilement modifier l'affectation d'un panneau, de la publicité locale à une campagne nationale et réciproquement.

30. Les trois afficheurs nationaux, Avenir, Dauphin et Giraudy commercialisent une part significative de leurs emplacements au niveau national. En effet, la société Avenir réalise plus de 60 % de son chiffre d'affaires en publicités nationales, la société Giraudy environ 50 % et la société Dauphin environ 45 %. Cette caractéristique est encore plus marquée pour la société RPMU du groupe Decaux, 90 % de ses campagnes étant de dimension nationale.

Substituabilité entre l'affichage traditionnel et l'affichage sur mobilier urbain

31. La plupart des annonceurs considèrent qu'il existe des différences entre les supports implantés sur du mobilier urbain et ceux implantés sur des emplacements loués. L'affichage sur mobilier urbain publicitaire est généralement considéré comme plus prestigieux que l'affichage implanté sur des emplacements loués. Le mobilier urbain est situé sur le domaine public, généralement en centre ville, c'est à dire là où toute autre forme d'affichage est très restreinte, voir interdite ; il bénéficie d'une très bonne visibilité, les affiches sont isolées, protégées et éclairées. En revanche, les panneaux publicitaires situés sur des emplacements loués sont généralement implantés à la périphérie des villes, il s'agit le plus souvent d'affiches de grand format, collées, non protégées et non éclairées.

32. Les deux formes d'affichage ne s'adressent pas tout à fait à la même clientèle : les produits de marque ou de luxe vont être affichés presque exclusivement sur du mobilier urbain alors que les publicités pour la grande distribution ou les produits de grande consommation vont être affichées en périphérie, sur des panneaux traditionnels situés sur des emplacements loués. Ainsi, le directeur général de la société Carat France, a déclaré qu'au sein de l'affichage extérieur de grand format, l'emplacement était moins prestigieux sur le domaine privé que sur le domaine public (annexe 13). La présidente de la société Génération Media a déclaré que les différents formats et supports étaient relativement interchangeables mais que les panneaux en centre ville devaient être distingués de ceux situés en périphérie (annexe 14). De même, la coordinatrice média au sein du groupe L'Oréal, a précisé que l'affichage sur mobilier urbain et l'affichage traditionnel ne concernaient pas les mêmes produits (annexe 15) : "Le mobilier urbain est de l'affichage de luxe. Il s'agit de produits qui ont besoin de renforcer leur image, leur notoriété, les maintenir en tout cas. Ce type d'affichage est propre, toujours bien éclairé. Les panneaux sont bien isolés, et l'affiche n'est pas mélangée avec l'affiche d'autres annonceurs. L'autre type d'affichage est le 4 par 3. Le groupe L'Oréal utilise ce type d'affichage pour des produits de grande distribution. Par exemple, L'Oréal l'utilise pour des campagnes de promotion en hypermarchés (exemple pour la marque Dop). En revanche, une marque comme Lancôme ne se retrouvera pas sur un format 4 par 3".

c) La demande.

33. La demande d'espaces publicitaires provient des annonceurs qui achètent des espaces publicitaires pour leur compte, des centrales d'achat d'espaces publicitaires, dont les conditions d'exercice ont été modifiées en 1993 par la loi Sapin, des agences de publicité et des régies publicitaires. Depuis la création des centrales d'achat d'espaces publicitaires à la fin des années soixante, la demande n'a cessé de se concentrer. Aujourd'hui, les achats des annonceurs sont centralisés, ce qui leur permet de bénéficier d'un effet volume et donc de négocier de meilleurs taux de ristournes sur les tarifs de vente des supports proposés par les afficheurs.

d) Evaluation du marché et des parts de marché au niveau national

34. Selon les données recueillies par l'IREP (Institut de Recherche et d'Études Publicitaires), les recettes publicitaires par types de médias se répartissent comme suit (annexe 16) :

EMPLACEMENT TABLEAU

35. Au sein de la publicité extérieure, l'affichage sous toute ses formes, dont le mobilier urbain, l'affichage transport et la publicité lumineuse ont évolué comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

36. A partir de 1999, les données relatives au mobilier urbain ont été distinguées de celles de l'affichage. Les recettes publicitaires, en euros, ont évolué comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

37. Au niveau national, entre 1996 et 1998, les principaux intervenants dans le secteur de l'affichage sont, d'une part, les trois afficheurs spécialisés dans l'affichage traditionnel grand format (4x3), les sociétés Giraudy, Dauphin et Avenir France et, d'autre part, le groupe Decaux, qui a, initialement, développé son activité presque exclusivement dans le secteur du mobilier urbain.

38. Au niveau régional, quelques PME sont encore présentes. Il s'agit, dans l'Ouest, des sociétés Affi ouest (groupe Ouest France), Sicor, Lescot et Somogy, dans le Sud, des sociétés Publirama et ses filiales, Impact publicités, Dececco, Affichage du Languedoc et Publimidi et, dans le Centre, des sociétés Lecomte, New Color, Daniel, BS communication et Affipub.

39. Les parts de marché, dans le secteur de la publicité extérieure (affichage, transport et publicité lumineuse), évaluées à partir des recettes publicitaires totales (grand format et mobilier urbain), sont les suivantes (annexe 17) :

EMPLACEMENT TABLEAU

40. Les parts de marché, évaluées sur le seul marché de l'affichage (traditionnel et mobilier urbain) sont les suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

41. Le secteur de la publicité extérieure et, plus particulièrement celui de l'affichage, est oligopolistique. Sur les années 1996, 1997 et 1998, les quatre entreprises les plus importantes (Decaux, Giraudy, Avenir et Dauphin) détenaient plus de 65 % du marché global de la publicité extérieure et près de 90 % du marché de l'affichage. Le groupe Decaux était leader avec 21 % du marché de la publicité extérieure et 28 % de celui de l'affichage extérieur (traditionnel et mobilier urbain).

42. En ce qui concerne l'affichage sur mobilier urbain, les données recueillies sont insuffisantes pour évaluer avec précision les recettes publicitaires sur le mobilier urbain des principaux opérateurs. Toutefois, la part de marché du groupe Decaux en affichage sur mobilier urbain ne peut être que proportionnée à sa part de marché en mobilier urbain évaluée par les professionnels du secteur à près de 80 %.

C. Les pratiques relevées

43. La société More group France soutient qu'après avoir obtenu, en juillet 1997, le marché de fourniture de mobilier urbain publicitaire de la ville de Rennes et du district de l'agglomération rennaise, précédemment exploité par la société JC Decaux, le groupe Decaux a abusé de sa position dominante pour l'évincer du secteur du mobilier urbain publicitaire par des pratiques concernant le marché du mobilier urbain publicitaire, le marché de la location d'emplacements publicitaires et celui de la publicité extérieure.

1. Le maintien et l'exploitation du mobilier urbain publicitaire au-delà de la date d'échéance du contrat

a) La procédure d'appel d'offres

44. La ville de Rennes a signé une première convention, le 25 juillet 1965, avec la société Decaux-Paris, confiant à cette dernière l'implantation sur le domaine public d'arrêts d'autobus. Une nouvelle convention d'une durée de 15 ans a été signée, le 31 janvier 1973, avec la société Decaux pour l'installation de mobilier urbain avec, en contrepartie, un droit exclusif de faire de la publicité lumineuse sur ces équipements. Une autre convention a été signée, le 7 mai 1976, pour la mise à disposition d'abris complémentaires et de mobiliers d'information. Par la suite, trois avenants ont été conclus. Le premier, signé en novembre 1982, concernait le remplacement du mobilier existant, ainsi que la mise en place d'une dotation complémentaire d'abribus et de mobiliers d'information. Le deuxième avenant, signé en mai 1990, concernait l'implantation d'une nouvelle dotation de mobilier d'information municipale. Enfin, un troisième avenant, signé en avril 1995, concernait une procédure comptable relative au versement de la participation financière du titulaire aux frais de conception des affiches municipales. En application de ces contrats et avenants, les sociétés du groupe Decaux avaient installé à Rennes 337 abribus, 227 panneaux d'information municipale de 2 m2 et 55 panneaux de 8 m2.

45. En 1994, la chambre régionale des comptes de Bretagne a examiné le contrat rennais relatif au mobilier urbain et a formulé des observations : durée de 15 ans jugée trop longue compte tenu des caractéristiques des équipements qui s'amortissent sur 4 ans ; exemption de la redevance pour occupation du domaine public ; prise en charge par la ville du coût des branchements électriques, des raccordements aux réseaux, des mises à la terre, des consommations d'électricité et d'eau ; monopole de fait de l'afficheur puisque tout nouvel emplacement devait lui être proposé avant qu'un concurrent puisse en bénéficier.

46. Dès le 23 octobre 1995, la ville de Rennes a notifié à la société Decaux sa décision de dénoncer l'avenant du 9 novembre 1982, afin d'éviter toute reconduction tacite après l'échéance du 31 octobre 1997, et de ne pas prolonger l'exécution de l'avenant du 16 mai 1990 au-delà de sa durée de 15 ans.

47. Par délibération des 11 et 12 juillet 1996, le conseil municipal de Rennes, compétent en matière d'information municipale et de gestion de la voirie communale, et le district urbain de l'agglomération rennaise, compétent pour l'organisation des transports urbains, ont approuvé la mise en œuvre d'une procédure de consultation collective pour la passation de marchés publics portant sur la mise à disposition de mobiliers urbains, attribués depuis 1973 à la société JC Decaux.

48. Dans une correspondance du 23 décembre 1996, la société Decaux a contesté la date d'échéance du 31 octobre 1997 de l'avenant n° 1 en date du 9 novembre 1982 relatif aux conventions des 31 janvier 1973 et 7 mai 1973, conclu pour une durée de 15 ans à compter du 1er novembre 1982.

49. Un appel d'offres sur performance concernant la mise à disposition de mobiliers urbains d'information et d'abris voyageurs sur la ville de Rennes pour une durée de 10 ans a été organisé (annexe 19) et a débuté par un avis d'appel public à la concurrence adressé au JOCE, au BOAMP, au Moniteur des travaux publics et à Ouest France le 7 janvier 1997. Neuf entreprises ont déposé un dossier de candidatures : les sociétés Dauphin, Lacroix, MDO France mobilier, JC Decaux, More group France, Girod, Publi Essor, Avenir France et Mobi Ouest. Le 5 mars 1997, la Commission d'appel d'offres a décidé de retenir 5 entreprises parmi les neuf candidates : la société JC Decaux, la société Dauphin, le groupement Avenir France - Sirocco, la société Mobi Ouest et la société More group France SA et les a invitées à déposer leurs offres avant le 5 mai 1997. Ce marché portait sur la mise à disposition de 227 planimètres, 55 panneaux de 8 m2, 40 flèches universelles et, au minimum, de 420 abribus.

50. Le 17 juillet 1997, le bureau du groupement d'achat public constitué entre la commune de Rennes et le district de l'agglomération rennaise a retenu l'offre de la société More group France.

51. Par lettres du 18 juillet 1997, la ville de Rennes et le groupement d'achat public ont informé la société JC Decaux de la décision de la Commission de ne pas retenir son offre et lui ont précisé que le contrat arrivait à échéance le 31 octobre 1997.

52. Dans un courrier du 23 juillet 1997, la société JC Decaux Mobilier Urbain a contesté cette date d'échéance (annexe 21). Elle estimait que les dates d'échéances s'échelonnaient entre le 18 février 1998 et le 29 février 2011, selon la date d'installation des différents mobiliers constatée par procès-verbal.

53. Le 15 septembre 1997, le conseil municipal de Rennes a donné acte du choix de la société More group France et a autorisé le maire à signer le marché.

54. Le 26 septembre 1997, le conseil du district de l'agglomération rennaise a donné acte du choix de More group France et a autorisé le président à signer le marché.

55. Les pièces des marchés ont été reçues au bureau du contrôle de légalité de la préfecture le 23 septembre 1997.

b) La dépose du mobilier urbain publicitaire et l'exploitation publicitaire des panneaux

Les déclarations

56. Selon le directeur des rues de la ville de Rennes, la société JC Decaux a volontairement tardé à démonter son mobilier, a compliqué la coordination entre le démontage de ses mobiliers et le remontage de celui de son concurrent en refusant tout contact avec ce dernier et a continué à commercialiser les espaces publicitaires bien au-delà de l'échéance du contrat (annexe 20) :

"Decaux acceptait de démonter les abribus, mais pas les panneaux publicitaires. Nous avons fait un appel d'offres pour la dépose du mobilier Decaux. Début décembre, nous avons appris que la société Decaux était d'accord pour tout démonter, ceci à la suite de la publicité lancée pour l'appel d'offres. Mais elle n'acceptait pas de coordination avec la société Adshel. Par ailleurs, il y avait un problème, c'est que la société Decaux souhaitait opérer toute la dépose en 15 jours. Donc, tout le mois de décembre, nous avons tenté de trouver une coordination. La négociation a été très dure. Elle s'est conclue le 24 décembre 1997, par un accord : le démontage de tous les abris sur huit semaines (janvier, février), démontage des planimètres (2 m2) dans les trois semaines qui suivaient. Nous avons imposé ce calendrier à Decaux. Dans la négociation, nous avons dû cependant transiger sur un point : les panneaux 8 m2. Decaux voulait déposer les mobiliers 8 m2 dans la deuxième quinzaine de mai. Son argument était de dire qu'il avait des contrats avec des annonceurs pour des campagnes publicitaires, et qu'il se devait d'honorer ces contrats. Au départ, nous avions demandé que les panneaux 8 m2 soient démontés dans le même temps que les autres mobiliers, c'est-à-dire en janvier, février 1998. Nous avons demandé à Decaux de commencer la dépose de ses mobiliers le 5 janvier 1998, date à laquelle les mobiliers de la société More group seraient prêts à être installés. Le plus important pour nous était la dépose des abribus : nous ne souhaitions pas qu'en période hivernale, les usagers se retrouvent sans abri. Les dates prévues pour la dépose des panneaux 8 m2 ne convenaient pas à la société Adshel, qui souhaitait pouvoir installer ses mobiliers le plus rapidement possible. La société Adshel nous a expliqué le préjudice qu'elle subissait du fait du démontage tardif des mobiliers par la société Decaux, mais elle a malgré tout accepté ces dates, pour ne pas nous gêner. En ce qui concerne la remise en état des sols, lors de la négociation, nous avions demandé à la société Decaux de laisser les sols en l'état après la dépose des planimètres et panneaux 8 m2, car nous estimions que les socles dans le sol pourraient être réutilisés par la société Adshel. En ce qui concerne les abribus, nous avions demandé à la société Decaux de remettre en état les sols après la dépose. Decaux n'a pas accepté d'opérer de réfection des sols : il n'a donc pas remis les sols en état sur aucun site, mais n'a parallèlement rien laissé qui soit dangereux pour la population.... Les démontages des mobiliers Decaux ne commencent effectivement que le 7 janvier 1998 et la société Decaux refuse tout contact avec la société Adshel. Aux alentours du 20 février 1998, tous les abris et planimètres sont démontés selon un planning qui nous a été fourni par Decaux. Il est un peu différent de celui que nous avions proposé. Decaux démonte les seniors (8 m2) à partir du 4 mai 1998 jusqu'au 31 mai 1998, comme le prévoyait l'accord.... La stratégie de Decaux nous apparaît à ce moment claire : il ne souhaitait pas en réalité honorer ses contrats avec les annonceurs, mais se créer un parc de panneaux de substitution sur le domaine privé".

Les autres pièces du dossier

57. Le 3 octobre 1997, la ville de Rennes a demandé à la société JC Decaux Mobilier Urbain d'entreprendre le 31 octobre 1997 le démontage de l'ensemble des mobiliers urbains qui faisaient l'objet de contrats avec la ville de Rennes (annexe 22).

58. Le 16 octobre 1997, le conseil de la société JC Decaux a répondu que, selon les dispositions contractuelles, aucun mobilier n'avait vocation à être démonté le 31 octobre 1997, mais seulement à des dates qui s'échelonnaient entre le 18 janvier 1998 et le 28 février 2011. Il a ajouté que la société Decaux respecterait les dates convenues contractuellement et que, si elle devait démonter ses mobiliers le 31 octobre 1997, il en résulterait pour l'entreprise un préjudice financier imputable à un manquement contractuel de la ville dont le montant s'élevait à 20,87 millions de francs (annexe 23).

59. Le 31 octobre 1997, la ville de Rennes a précisé à la société JC Decaux que : "passé le délai d'un mois à compter du 31 octobre 1997, la Ville serait dans l'obligation de recourir à toute voie de droit" (annexe 24).

60. Le 12 novembre 1997, la société JC Decaux Mobilier Urbain, sans reconnaître la date d'échéance des contrats retenue par la ville, a accepté de démonter l'ensemble des mobiliers "dans les plus brefs délais" mais a réclamé à nouveau une indemnité de 20,87 millions de francs et des frais de dépose du mobilier (annexe 25).

61. Le compte rendu de la réunion qui s'est tenue le 26 novembre 1997, en présence notamment de la ville de Rennes et de représentants de la société More group France, précise (annexe 26) :

"La société Decaux a fait part de son projet de plan de démontage, qui prévoit le montage par Adshel des abris de la liste complémentaire, puis l'enlèvement des abribus de la périphérie, puis du centre, pour finir par la suppression des planimètres et des mobiliers de format 3,20 x 2,40. Insatisfaits par cette offre, la ville, la SEMTCAR, la STUR et Adshel proposent une opération de démontage-montage en étoile...".

62. Le 27 novembre 1997, la société JC Decaux Services a demandé à la ville l'autorisation de démonter les mobiliers visés par les conventions du 9 novembre 1982 et 16 mai 1990, à compter du 1er décembre (annexe 27). Selon la société JC Decaux, cette proposition aurait été refusée par la ville.

63. Le 9 décembre 1997, la ville de Rennes a proposé à la société JC Decaux Services un calendrier de dépose des abris de voyageurs étalé entre le 5 janvier et le 3 mars 1998 (annexe 28).

64. Le compte rendu de la réunion qui s'est tenue le 10 décembre 1997, en présence notamment de la ville de Rennes et de représentants de la société Adshel précise (annexe cote 29) : " La société Decaux refuse la programmation fournie par la ville de Rennes et menace de démonter immédiatement ".

65. Le 18 décembre 1997, la société JC Decaux Services a indiqué qu'elle était disposée à procéder au démontage progressif des abris à compter du mois de janvier jusqu'à la fin février, à la condition que soit établi un plan de démontage continu à raison de 60 abris par semaine. Par ailleurs, en contrepartie, elle a demandé la possibilité de démonter les MUPI 2 m2 et les Senior dans la deuxième quinzaine de mars (annexe 30).

66. Le 9 janvier 1998, la société JC Decaux Services a indiqué que, conformément à l'accord convenu au cours d'une conversation téléphonique, les MUPI 2 m2 seraient démontés au cours des mois de janvier et février, en raison de 20 par semaine, et que le démontage des Senior s'effectuerait fin mai 1998 (annexe 31).

67. Une lettre du PDG de la société More group France, du 20 janvier 1998, précise (annexe 32) :

"... la dépose du mobilier de notre confrère devait intervenir de manière ordonnée, secteur par secteur, à compter du 5 janvier 1998, au rythme de 12 abris par jour et de 30 planimètres par semaine. Il apparaît que les interventions de dépose n'ont réellement débuté que le 7 janvier 1998, les sites libérés ne nous étant désignés que le 8 janvier. Dans la pratique, comme, d'une part nous ne pouvions intervenir sur les sites libérés qu'après retour des plans validés par la ville et le district, et que, de notre côté, une étape intermédiaire d'implantation par marquage au sol est nécessaire, le travail de scellement ne peut être accompli qu'au mieux 48 heures plus tard. Le délai incompressible entre la dépose d'un abri et la finition d'un scellement est donc de 4 jours au mieux. Par ailleurs, la concertation entre les services des collectivités et notre entreprise a décalé à fin octobre la mise au point définitive de l'abri standard et débouché, par ailleurs, sur un nombre inhabituel de modèles différents (31) dans le but d'apporter le meilleur service aux usagers des transports en commun. Certains de ces modèles attendent encore l'accord de vos services. Le lancement de la production industrielle des abris s'en est naturellement ressenti".

68. Une lettre du directeur général de la division Adshel, du 10 février 1998, précise (annexe 33) :

"Vous noterez certainement que la totalité des scellements seront effectués à l'intérieur de la période des vacances scolaires et que certains dépassements de cette période concernant le montage nous sont nécessaires du fait d'une part des dates de déposes JC Decaux (17/02) et d'autre part par la mise au point tardive de certains modèles spécifiques".

69. Dans une lettre du 24 février 1998, la société JC Decaux Services a annoncé que le dernier MUPI devait être démonté le 27 février 1998 (annexe 34). 70. Dans un courrier du 3 mars 1998, la société JC Decaux Services a évoqué l'accord intervenu début janvier avec la ville, aux termes duquel le démontage des abris et des MUPI 2 m2 se ferait en janvier et février et celui des Senior fin mai 1998 (annexe 35).

71. Dans un courrier du 19 mars 1998, adressé au président de la société More group France, l'adjoint au maire de Rennes, délégué à la communication, a précisé (annexe 36) : "Il convient de préciser que si la société JC Decaux a pu bénéficier, pour des raisons purement techniques, d'un délai supplémentaire pour déposer ses MUPI Seniors (mobiliers 8 m2), afin d'organiser matériellement le démontage progressif de l'ensemble de ses mobiliers, elle ne peut, de quelque manière que ce soit, se prévaloir auprès des annonceurs d'un quelconque accord ou d'une quelconque autorisation ou tolérance de la part de la collectivité, quant à la poursuite de l'exploitation publicitaire desdits mobiliers. La société More group France bénéficie en conséquence de l'exclusivité de l'exploitation publicitaire des mobiliers urbains précités, notamment des panneaux 8 m2".

72. Dans un courrier du 6 avril 1998, la société JC Decaux Mobilier Urbain a pris acte que la ville de Rennes se référait à la date convenue du 31 mai 1998 pour le démontage des Senior mais s'est étonnée que la municipalité demande la suspension de l'exploitation publicitaire de ces mobiliers jusqu'à leur date de dépose (annexe 37). Elle a ajouté : "ce n'est pas l'exploitation par JC Decaux de 55 MUPI 8 m2 sur deux mois - mobilier que votre concessionnaire jugeait accessoires dans son offre - qui mettent en péril l'économie du marché dont il est titulaire pour dix années...".

73. Ce même jour, la société JC Decaux a demandé au Tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision en date du 12 février par laquelle le maire de la ville de Rennes a rejeté la réclamation qu'elle avait formulée, le 16 octobre 1997 en vue du versement d'une indemnité de 20,87 millions de francs à titre de réparation du préjudice lié au retrait, ordonné par la même municipalité, de 576 mobiliers urbains, en méconnaissance des stipulations de l'avenant n°1 du 9 novembre 1982 et de l'avenant n° 2 du 16 mai 1990 évoqués au point 44 ci-dessus. Elle demandait également au tribunal de condamner la ville de Rennes à lui verser une indemnité de 22 millions de francs, augmentée des intérêts de droit à compter de la réclamation. Le 29 juillet 2002, le tribunal a rejeté la requête de la société Decaux, considérant qu'en l'absence de mesure de publicité et de mise en concurrence préalable, ces avenants étaient entachés de nullité absolue.

74. Dans un courrier du 28 avril 1998, la société JC Decaux Mobilier Urbain a indiqué que le démontage de ses panneaux Senior commencerait le 4 mai pour se terminer le 31 mai 1998 (annexe cote 38).

75. Selon les tableaux de synthèse sur les modalités des remplacements des abribus, des mobiliers 2 m2 et des mobiliers 8 m2 (annexe 39), les abribus et les mobiliers de 2 m2 ont effectivement été démontés en janvier et février 1998 alors que les mobiliers de 8 m2 n'ont été démontés qu'au cours du mois de mai 1998, à l'exception d'un panneau de la rue de Fougères qui a été démonté le 22 avril 1998. Il sera question plus loin du démontage précoce de ce panneau.

76. A la lecture du tableau de remplacement des mobiliers 8 m2 (annexe 39), sur 54 panneaux posés par la société More Group France, 35 ont été installés à la place d'anciens panneaux Decaux et seulement 19 sur des emplacements nouveaux

77. Une note de la société RPMU précise que les ventes nationales se réalisent 6 à 8 mois avant la période d'affichage (annexe 40) : " Les ventes nationales d'espaces publicitaires se réalisent très en amont de la période d'affichage, soit environ 6 à 8 mois à l'avance et représentent près de 90 % du chiffre d'affaires. Au 1er janvier 1998, 73,52 % du parc abris province étaient vendus, parc comprenant le réseau abris de "Rennes" pour 194 faces par client national. Lorsqu'il a été effectif que la société RPMU venait de perdre les abris de Rennes au profit de More Group France, la société RPMU était donc engagée vis-à-vis de ses clients nationaux ayant réservé les abribus de Rennes "

78. Dès le 23 octobre 1995, la ville de Rennes avait notifié à la société Decaux sa décision de mettre fin à la reconduction tacite des accords qui les liaient l'une à l'autre concernant le matériel publicitaire urbain, et la décision de mettre en œuvre une procédure de consultation collective pour décider du renouvellement de ces accords résulte d'une délibération du conseil municipal des 11 et 12 juillet 1996. Après avoir été informée, le 18 juillet 1997, que son offre n'était pas retenue et que son contrat arrivait à échéance le 31 octobre 1997, la société RPMU a continué à signer des contrats publicitaires pour des abribus à Rennes portant sur des affichages en 1998. Par exemple, un contrat Hermès, signé le 5 novembre 1997, prévoyait 194 abribus à Rennes pour la période comprise entre le 25 novembre et le 1er décembre 1998 (annexe 94 cote 1229). Un contrat Guerlain, signé le 5 septembre 1997 prévoyait des abribus à Rennes pour la semaine du 18 au 24 novembre 1998 (annexe 94 cote 1261). Un contrat Roquefort Société, signé le 19 novembre 1997, proposait 194 abribus à Rennes pour la semaine du 23 au 29 décembre 1998 (annexe 94 cote 1335).

D. L'implantation de panneaux gênant la société More Group France

79. Le masquage d'un panneau publicitaire, c'est-à-dire le fait de réduire ou supprimer l'impact visuel d'un panneau concurrent préalablement installé, même si l'on dispose de l'antériorité de la location, est considéré comme un acte de concurrence déloyale. Ainsi, dès lors qu'un afficheur a installé un dispositif publicitaire, il n'est plus possible d'en installer un autre qui cache le premier, même si le contrat de location est antérieur.

80. Or, au 177 et 198 rue de Fougères à Rennes, la société DPE (Decaux) a installé deux mobiliers publicitaires sur des terrains privés, juste derrière des emplacements qui étaient occupés par la société JC Decaux sur le domaine public (photos annexe 45). Ainsi, la société More group France n'a pas pu reprendre ces deux emplacements précédemment occupés par la société JC Decaux, son mobilier sur le domaine public risquant alors de masquer les panneaux de la société DPE préalablement installés à ces adresses.

E. Le comportement de la société DPE dans le secteur de la location d'emplacements publicitaires

81. La société Decaux publicité extérieure (DPE), filiale du groupe Decaux, a été crée le 2 septembre 1996 pour développer un parc d'emplacements publicitaires sur des terrains privés, domaine sur lequel le groupe Decaux n'était pas présent. Son activité a démarré au début de l'année 1997 au niveau national, après une première expérience locale sur la commune de Dijon en juin 1996. Dès janvier 1997, elle a recherché des emplacements sur des terrains privés à Rennes, avant même que le groupe Decaux ne perde le marché de Rennes au profit de la société More group France (lettres de dénonciation de certains bailleurs de la société Giraudy en janvier 1997 et en avril 1997 en annexe 51). Ultérieurement, son activité s'est étendue à l'ensemble des grandes villes françaises.

82. La société DPE a développé son parc d'emplacements publicitaires sur des terrains privés tant en prospectant de nouveaux emplacements qu'en prenant des emplacements exploités par les autres afficheurs. Pour inciter les bailleurs à signer un contrat avec elle, la société DPE a aidé les bailleurs à résilier les contrats qui les liaient aux afficheurs, elle a signé des baux pour des emplacements qui allaient continuer à être exploités pendant plusieurs années par un concurrent, elle a versé des acomptes avant l'exploitation de certains emplacements, a pris en charge gratuitement certaines prestations au profit des bailleurs et, surtout, elle a proposé des loyers très élevés, sans commune mesure avec ceux pratiqués par les autres afficheurs.

1. Les loyers moyens de DPE et ceux des autres afficheurs

83. En prenant en compte le fait que les mobiliers DPE disposent de trois faces publicitaires, c'est-à-dire en comparant les loyers par face, et non les loyers totaux, les loyers pratiqués par la société DPE restent bien supérieurs à ceux pratiqués par les autres afficheurs. En outre, les écarts se sont creusés en 1998, comme l'attestent les tableaux suivants :

EMPLACEMENT TABLEAU

2. Les comptes d'exploitation des emplacements publicitaires pour les afficheurs et pour la société DPE

a) Les déclarations

84. Les responsables des sociétés Avenir France, Giraudy et DPE ont déclaré que les loyers versés ne devraient pas dépasser 30 à 35 % du chiffre d'affaires escompté pour l'emplacement considéré. Le directeur du patrimoine de la société Avenir France a précisé que ce montant de 30 % pouvait être dépassé pour certains emplacements qui paraissaient indispensables et que, dans certains cas, la société Avenir versait des loyers correspondant à 150 % du chiffre d'affaires escompté (annexe 70). Le directeur du patrimoine de la société Giraudy a déclaré que le plafond maximal du loyer pour chaque emplacement correspondait à 35 % du chiffre d'affaires présumé de l'emplacement, selon le prix de vente du réseau dans lequel l'emplacement est intégré (annexe 7). De même, le responsable administratif du groupe Decaux communication extérieure, a déclaré (annexe 54) : " Globalement, nous pensons que verser 30 % du chiffre d'affaires escompté pour un emplacement est un plafond correct. Nous avons souvent signé à moins. Nous nous sommes interrogés lorsqu'il fallait verser plus ".

b) La comparaison des coûts et des recettes par emplacement

85. Le coût de revient d'un panneau publicitaire, qu'il soit implanté sur le domaine privé ou sur le domaine public, varie en fonction des éléments suivants : loyer ou redevance, coût du mobilier ou du support, frais de pose, frais de consommation électrique, frais d'entretien et de maintenance et frais de gestion et de commercialisation des panneaux.

86. Le groupe Decaux a communiqué des comptes d'exploitation pour les contrats d'un panneau 8 m2 déroulant situé sur le domaine privé (annexes 72). Les charges d'exploitation des emplacements publicitaires se décomposent en coûts fixes et en coûts variables. Selon le directeur général, les coûts fixes correspondent aux frais de structure nationale et régionale, aux frais de commercialisation (régie publicitaire), aux frais logistiques et aux taxes sur mobilier. Les frais variables, liés à l'exploitation d'un emplacement supplémentaire, correspondent aux loyers, au coût de préparation des affiches, à la main d'œuvre d'exploitation du dispositif (affichage, entretien, maintenance), aux pièces détachées de maintenance, aux consommations électriques et télécommunication du dispositif, aux frais de transport du dispositif, aux charges financières (coût de financement de l'investissement entre l'installation du mobilier et l'atteinte du point mort).

87. Les comptes d'exploitation pour la province et pour Rennes sont reportés ci-après :

EMPLACEMENT TABLEAU

88. Les loyers moyens pratiqués en province, notamment à Rennes, permettent de dégager un bénéfice d'exploitation. En revanche, sur la base de ces comptes d'exploitation, les loyers supérieurs à 6 215 euros en province (6 184 euros à Rennes) ne permettent pas au groupe Decaux de couvrir ses coûts totaux par son chiffre d'affaires. Parmi l'ensemble des baux de la société DPE qui ont été étudiés, soit 250, les loyers sont supérieurs à 40 000 francs pour 3 faces pour 2 baux à Tours, 2 baux à Montpellier et 15 baux à Rennes. Si l'on ne prend pas en compte les coûts fixes (5 945 euros), un seul loyer ne permet pas au groupe Decaux de couvrir ses coûts variables, celui fixé à 80 000 francs pour la Brasserie Kronembourg.

F. Les tarifs et conditions de vente des espaces publicitaires sur la ville de Rennes

1. Les tarifs et conditions de vente des espaces publicitaires

89. Les panneaux d'affichage temporaire sont commercialisés par les afficheurs en réseaux. Il peut s'agir de réseaux nationaux, régionaux ou locaux. Seuls les panneaux longue conservation sont commercialisés à l'unité.

90. La société RPMU propose deux types de formats : des panneaux de petit format (2m2, MUPI et abribus) et des panneaux de grand format (panneaux Senior de 3,20 m x 2,40 m). Pour chaque catégorie de panneaux, 3 tarifs unitaires distincts sont prévus au niveau national : Paris, banlieue et province, auxquels s'ajoute un tarif MUPI pour les centres commerciaux. Les clients n'ont pas la possibilité d'acheter des panneaux à l'unité. Ils doivent choisir entre les sept réseaux nationaux, quatre en petit format et trois en grand format, et des réseaux régionaux. La société RPMU propose également des tarifs pour les campagnes locales, dont le dispositif comprend moins de 6500 faces en abribus pour la province. Selon le PDG de la société Génération Média (annexe 14), le groupe Decaux peut facturer le tarif complet du réseau même si l'annonceur ne souhaite pas être affiché dans tous les lieux du réseau.

91. Les tarifs proposés pour une campagne nationale de 7 jours pour l'année 1998 étaient les suivants (annexe 78) :

EMPLACEMENT TABLEAU

92. Les tarifs des réseaux sont calculés sur la base de prix unitaires " à la face " qui ont évolué comme suit depuis 1996 (annexe 77 à 80) :

EMPLACEMENT TABLEAU

93. La société RPMU pratique les prix unitaires indiqués dans ses tarifs, les seules remises accordées étant celles, limitées, prévues dans ses conditions générales de vente. Les prix sont réduits de - 25 % ou - 50 % pour les campagnes publicitaires de certaines semaines du mois de juillet et du mois d'août. Un abattement de - 20 ou - 25 % est consenti pour l'achat de semaines contiguës et des remises de 6 ou 10 % sont accordées pour des campagnes répétitives (de 5 à 7 campagnes ou plus de 7 campagnes). Enfin, la société RPMU accorde également toute l'année une remise pour " réservation anticipée " de 0,5 %, une remise de volume " annonceur " de 1,5 % à 3,5 % selon un barème de chiffre d'affaires de l'annonceur, une remise de volume mandataire de 1,5 à 2 % selon un barème de chiffres d'affaires du tiers mandataire " dégressif de volume annonceur ", une remise " dégressif de volume mandataire ".

94. Le directeur administratif de la société JC Decaux a déclaré qu'il n'y avait pas de rabais ou ristournes par rapport au prix catalogue, à l'exception d'un abattement prévu dans les conditions générales de vente pour la période creuse d'été (annexe 12).

95. La comparaison des prix pratiqués par les autres afficheurs est complexe car ces derniers ne disposent pas d'un prix unitaire unique à la face pour évaluer le prix de vente de leurs différents réseaux, qui ne sont pas comparables entre eux. Par exemple, sur Rennes, pour la société Avenir, le prix d'un panneau format 4 x 3, avant remises, peut varier de 815 francs à 1 800 francs selon les réseaux. Pour la société Giraudy à Rennes, le prix par panneau de format 4 x 3, avant remises, varie selon les réseaux de 666 francs à 1 704 francs (annexe 81).

96. Par ailleurs, alors que la société RPMU applique strictement ses tarifs et ses conditions de vente, lesquelles ne prévoient que peu de remises, les sociétés Avenir, Dauphin et Giraudy prévoient des remises plus importantes dans leurs conditions de vente et consentiraient des abattements qui seraient importants. Selon certains professionnels, les afficheurs traditionnels consentiraient des abattements de l'ordre de 50 % par rapport aux tarifs. Le directeur du patrimoine de la société Avenir a déclaré qu'il y aurait une différence de 40 à 60 % entre le prix brut et le prix net facturé (annexe 70).

97. En ce qui concerne le prix des abribus en province, les tarifs " annoncés " à la face des mobiliers Adshel sont supérieurs à ceux pratiqués par Decaux :

EMPLACEMENT TABLEAU

98. Dans le " Maxibook Affichage 98 " de la société Carat affichage (annexe 18), les prix par face à la journée des différents afficheurs ont été évalués comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

* pour l'affichage traditionnel, les prix bruts, avant remises, varient selon les afficheurs et selon les réseaux de chaque afficheur :

* pour l'affichage sur mobilier urbain, le prix à la face par jour en 1998 était de 37,67 FHT pour l'abribus Decaux, de 42,86 FHT (prix brut) pour l'abribus Sirroco et de 44,29 FHT (prix brut) pour le mobilier urbain Dauphin mobilier urbain.

2. La gratuité de campagnes publicitaires en 8 m2 et la prise en charge de frais techniques sur la ville de Rennes

99. Le 7 avril 2000, le directeur administratif de la société JC Decaux a transmis à l'enquêtrice de la DGCCRF une note de la société RPMU ainsi libellée (annexe 40) : " Les ventes nationales d'espaces publicitaires se réalisent très en amont de la période d'affichage, soit environ 6 à 8 mois à l'avance et représentent près de 90 % du chiffre d'affaires. Au 1er janvier 1998, 73,52 % du parc abris province étaient vendus, parc comprenant le réseau abris de " Rennes " pour 194 faces par client national. Lorsqu'il a été effectif que la société RPMU venait de perdre les abris de Rennes au profit de More group France, la société RPMU était donc engagée vis-à-vis de ses clients nationaux ayant réservé les abribus de Rennes. Par ailleurs, il faut rappeler qu'à cette même époque, les implantations More group France sur Rennes en étaient à leur balbutiement (peu de montages ; éclairage inexistant) ; More group France n'était donc pas en mesure de proposer un affichage sur Rennes susceptible de répondre à l'exigence de qualité auxquels nos clients sont habitués. C'est pourquoi notre société, soucieuse de satisfaire ses annonceurs, a décidé de " compenser " cette carence en leur proposant un affichage gracieux sur Rennes en 8 m2 en prenant parfois les frais techniques à sa charge "

100. Le 5 mai 2000, la responsable planning réservation d'espaces de la société RPMU a déclaré (annexe 84) : " Nous n'avons pas affiché gratuitement en 8 m2 sur Rennes l'ensemble de nos clients réalisant une campagne nationale en 2 m2, en raison d'un manque d'espaces sur les panneaux. Les faces 8 m2 n'étaient pas toujours disponibles, car il y avait déjà des campagnes Senior nationales au même moment. Nous avons donc sélectionné certains annonceurs. Certains clients ont accepté cette proposition, d'autres non, j'imagine. Différents cas de figure se sont présentés. En 1998, nous avons donc affiché gracieusement en 8 m2 sur Rennes, une vingtaine de campagnes. En 1999, en revanche, nous n'avons affiché qu'une seule campagne gracieusement en 8 m2 : campagne Hom du 24/2/ au 2/3/99. Ca s'inscrit certainement dans une négociation commerciale globale ".

101. Ce même jour, le directeur administratif de la société JC Decaux, a remis à l'enquêtrice une liste de clients abribus affichés sur Rennes en Senior dont certains n'ont pas été facturés (vingt clients) ou ont bénéficié de la prise en charge des frais de fabrication des affiches (quatorze clients) (annexe 82).

102. Le 30 juin 2000, la société RPMU a communiqué à l'enquêtrice une nouvelle liste de vingt-six clients abribus affichés sur Rennes en Senior dont vingt-trois n'ont pas été facturés pour les Senior et dix-huit ont bénéficié de la prise en charge des frais techniques (annexe 85). Selon ce dernier document, les clients qui ont bénéficié d'un affichage gratuit sur les panneaux Senior de la ville de Rennes et d'une prise en charge de fabrication des affiches 8 m2 sont les suivants :

EMPLACEMENT TABLEAU

103. Les factures de la société RPMU annexées au rapport d'enquête (annexe 94) établissent que la plupart de ces campagnes " gratuites " n'ont pas été facturées et que d'autres ont été facturées, mais ont fait ultérieurement l'objet d'un avoir. Toutefois, pour 5 campagnes (en grisé dans le tableau ci-dessus), Salakis du 12 au 18 août 1998, Lactel du 14 au 20 octobre, Cafétéria Casino du 4 au 11 novembre, Guerlain du 18 au 24 novembre et Roquefort du 23 au 29 décembre, des factures sont annexées au rapport, en ce qui concerne les frais d'affichage, mais aucun avoir ultérieur ne figure au dossier. Déduction faite de ces cinq campagnes, le total des frais d'affichage pris en charge gratuitement en 1998 et 1999 s'est élevé à 796 218 francs.

104. A ce montant s'ajoutent les frais techniques de fabrication des affiches non facturés sur les campagnes 1998/1999, soit 614 410 francs.

105. Des déclarations d'annonceurs confirment l'offre de gratuité et de prise en charge des frais techniques. Ainsi, Mme Y..., coordinatrice média de l'Oréal service média, a déclaré (annexe 15) : " Decaux a fait une proposition commerciale à Fluocaril, en lui proposant de l'afficher gratuitement sur la ville de Rennes en 8 m2 ; dans l'optique que Fluocaril prenne un réseau 8 m2 l'année suivante, en 1999. L'affichage sur les panneaux Senior de Decaux à Rennes a été gratuit : nous avons obtenu un avoir ". Mme Laurence Z..., directeur commercial de la société Initiative Media, a déclaré (annexe 83) : " Decaux nous a proposé de nous afficher en 8 m2 sur la ville de Rennes, ce qui nous a bien arrangé. Nous n'avons aucune trace écrite de cette proposition que nous a faite la société Decaux. Nous avons dû avoir un appel ou une personne est passée directement. Pour toutes les campagnes Dior..., Decaux nous a affiché à Rennes en 8 m2, alors que le reste des villes de France était affiché en 2 m2 (abribus). La société Decaux nous a affiché gratuitement sur Rennes en 8 m2, sur des emplacements privés".

106. Selon les contrats joints (annexe 94), les offres commerciales correspondant aux campagnes précitées sont postérieures au 1er septembre 1997. A cette date, la société JC Decaux savait qu'elle n'était pas retenue pour le marché de mobilier urbain de Rennes. Toutes ces offres concernaient des campagnes publicitaires postérieures au 18 février 1998, donc postérieures au démontage des abribus de la société JC Decaux.

3. Les dispositions spécifiques pour la ville de Rennes dans les tarifs 1999 et 2000

107. Dans ses tarifs 1999 et 2000, la société JC Decaux précise, en bas de page pour les tarifs abribus et Mupi province (annexe 79 et 80) : 1999 : " JC Decaux n'étant plus concessionnaire des mobiliers urbains de la ville de Rennes, est cependant en mesure de proposer aux annonceurs qui le souhaitent un réseau Senior 3,20 m x 2,40 m aux prix et conditions indiqués page 35 du tarif". 2000 : " JC Decaux n'étant plus concessionnaire des mobiliers urbains de la ville de Rennes, est cependant en mesure de proposer aux annonceurs qui le souhaitent un réseau senior 3,20 m x 2,40 m aux prix et conditions indiqués page 33 du tarif. Frais techniques à notre charge ".

108. Ainsi, alors que la société JC Decaux distingue dans ses tarifs des réseaux nationaux " abribus et Mupi " et des réseaux " Senior ", sans prévoir de possibilité de panachage entre les différents réseaux, elle offre aux annonceurs la possibilité de compléter leur campagne nationale de format 2 m2 par des panneaux 8 m2 à Rennes. De plus, à partir du tarif 2000, la société JC Decaux a pris à sa charge les frais techniques liés au changement de format pour les seules affiches de Rennes quand le reste de la campagne était affiché en 2m2.

109. Par courrier en date du 7 mai 2003, la société JC Decaux a communiqué la liste des clients qui ont complété un réseau abribus et MUPI avec des panneaux Senior sur Rennes et la liste des clients qui ont bénéficié de la prise en charge des frais techniques en 2000 (annexe 86). Les annonceurs qui ont complété leur campagne abribus par des panneaux Senior à Rennes, sans acheter de réseau Senior en province sont les suivants : Andros France, Bouygues Télécom Forfait, Bouygues Télécom Nomad, Clinique, Distribal, Casino, Estée Lauder, Europe 1, France Télématique diffusion, Kindy, L'Oréal Parfums, Motorola, ODA, Petit Véhicule et Swatch. La plupart de ces clients, ainsi que la société Havas Education Référence, ont bénéficié de la prise en charge des frais techniques liés au changement de format pour les affiches de Rennes. La société JC Decaux estime que le coût de cette prestation offerte s'est élevé, pour l'année 2000, à 95 816 euros.

110. Dans son courrier du 7 mai 2003, la société JC Decaux précise : " La prise en charge des frais techniques concerne, comme cela est indiqué dans le tarif 2000, la ville de Rennes. En effet, les annonceurs désireux de bénéficier de la qualité du réseau Decaux, y compris sur Rennes, ont souhaité que nous trouvions une solution pour palier le surcoût engendré par la différence de format entre le 2 m2 et le 8 m2 ".

G. Les griefs notifiés

111. Sur la base de ces constatations, il a été notifié, aux sociétés du groupe Decaux, le grief d'avoir abusé de leurs positions dominantes sur le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire et sur celui de l'affichage sur mobilier urbain et d'avoir enfreint les dispositions de l'article 82 du traité CE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre les comportements suivants :

* avoir, en 1997 et 1998, maintenu et exploité le mobilier urbain publicitaire de la commune de Rennes et du district urbain de l'agglomération rennaise au-delà de l'échéance du contrat ;

* avoir, en 1997 et 1998, volontairement masqué deux emplacements publicitaires qui auraient dû être exploités par la société More group France ;

* avoir, à partir de 1997, adopté le comportement suivant à l'égard des bailleurs : avoir aidé les bailleurs à dénoncer leurs contrats avec les concurrents, avoir signé des baux pour des emplacements qui allaient continuer à être exploités pendant plusieurs années par des concurrents, avoir versé des acomptes avant le début d'exploitation des emplacements, avoir pris en charge gratuitement certaines prestations au profit des bailleurs et avoir pratiqué des loyers beaucoup plus élevés que ceux pratiqués par ses concurrents, certains loyers ne permettant pas au groupe Decaux de couvrir ses coûts totaux ou ses coûts variables ;

* avoir offert, en 1998 et en 1999, pour plusieurs campagnes publicitaires sur la ville de Rennes, la gratuité de l'affichage sur des panneaux de 8 m2 et la prise en charge des coûts techniques liés à la transformation d'une affiche de 2 m2 en une affiche de 8 m2 ;

* avoir, à partir des tarifs 1999 et 2000, permis aux annonceurs de compléter l'achat d'un réseau 2 m2 en province par des panneaux Senior à Rennes et d'avoir pris en charge, à partir du tarif 2000, les frais techniques liés au changement de format pour les affiches de 8 m2 à Rennes.

112. Ces griefs ont été notifiés aux sociétés JC Decaux Holding, JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain et Decaux Publicité Extérieure (DPE).

II. Discussion

A. Sur la procédure

1. Sur l'étendue de la saisine et la recevabilité de certains griefs

113. La société JC Decaux SA soutient, d'une part, que les prestations annexes accordées aux bailleurs, la conclusion de contrats à prise d'effet différée, le versement d'acomptes, la gratuité de certaines campagnes publicitaires et la possibilité de compléter le réseau 2 m2 par un affichage 8 m2 à Rennes ne sont pas dénoncés dans la saisine et que, d'autre part, l'affichage gratuit de 10 campagnes publicitaires à Rennes ainsi que les dispositions introduites dans les tarifs 1999 et 2000 sont des pratiques postérieures à cette saisine. Elle en déduit que le Conseil ne peut se prononcer sur les griefs notifiés à ce titre sans excéder les limites de sa saisine.

114. Il est de jurisprudence constante que le Conseil de la concurrence est saisi in rem de l'ensemble des faits et des pratiques affectant le fonctionnement d'un marché, sans être lié par les demandes et les qualifications des parties saisissantes. Il peut examiner, sans avoir à se saisir d'office, l'ensemble des conditions de fonctionnement du marché, révélées par les investigations auxquelles il a été procédé à la suite de la saisine, sans qu'il soit besoin que ces faits et qualifications aient été énoncés dans l'acte de saisine. Ainsi, dans un arrêté du 3 février 1995, la Cour d'appel de Paris a jugé : " Considérant que le conseil a été saisi le 30 novembre 1988 de pratiques susceptibles d'affecter la concurrence sur le marché de l'automobile ; qu'il pouvait donc, sans avoir à se saisir d'office, examiner, au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, toute pratique révélée par les investigations auxquelles il a été procédé à la suite de sa saisine, alors surtout que les sociétés plaignantes, dans la saisine initiale ou ultérieurement, en mai 1989, ont dénoncé les obstacles auxquels elles s'étaient heurtées, constitués notamment par les pressions qui auraient été exercées sur les organisateurs de salons de véhicules automobiles pour exclure la participation des importateurs non accrédités de marques japonaises ".

115. En l'espèce, la saisine concernait le comportement du groupe Decaux sur les marchés de fourniture de mobilier urbain publicitaire, de location d'emplacements publicitaires et de l'affichage extérieur, à la suite de la perte par le groupe Decaux du marché de Rennes au profit de la société More group France. Le saisissant soutenait que le groupe Decaux l'empêchait d'exploiter, dans des conditions normales, son nouveau marché de mobilier urbain à Rennes. Tous les griefs notifiés concernent le comportement du groupe Decaux, sur ces mêmes marchés, se rattachent directement aux comportements dénoncés et concernent des pratiques qui ont eu le même objet ou le même effet que les faits et comportements dénoncés dans la saisine.

116. En ce qui concerne les faits postérieurs à la saisine, le Conseil a considéré, à plusieurs reprises, notamment dans ses décisions 01-D-30 et 02-D-63, qu'il était compétent pour se prononcer sur des pratiques qui se sont poursuivies postérieurement à la saisine.

117. En l'espèce, certaines campagnes publicitaires offertes gracieusement ont été affichées antérieurement à la saisine alors que d'autres ont été affichées postérieurement à cette saisine. En conséquence, ces différentes pratiques peuvent être considérées comme des pratiques continues qui ont débuté avant la saisine. De même, les dispositions introduites dans les tarifs 1999 et 2000 concernent les mêmes marchés, ont le même objet et le même effet que d'autres pratiques qui ont été mises en œuvre antérieurement à la saisine, notamment l'affichage gracieux sur des panneaux Senior de Rennes et la prise en charge des frais de transformation d'affiches. L'introduction de ces dispositions dans les tarifs 1999 et 2000 s'analyse comme la poursuite ou la continuité d'un comportement qui a été dénoncé dans la saisine.

118. Le Conseil peut donc valablement se prononcer sur l'ensemble des griefs qui ont été notifiés.

B. Sur les marchés concernés et la position dominante du groupe Decaux

1. Sur le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire

119. Les sociétés du groupe Decaux soutiennent qu'il n'y a pas lieu de distinguer le secteur du mobilier urbain publicitaire de celui du mobilier urbain non publicitaire. Elles font valoir que la demande des collectivités locales porte sur des matériels divers remplissant une fonction d'intérêt général et le fait que le mobilier puisse accueillir de la publicité ne modifie en rien les caractéristiques et la fonction de ce mobilier à l'égard de la collectivité locale et de ses administrés. Elle précise que le modèle économique des contrats de fourniture aux collectivités locales de mobilier urbain ne permet pas non plus de distinguer deux catégories de mobilier urbain car la collectivité locale ne serait jamais demandeur, à titre principal, de supports publicitaires. Elles ajoutent que l'objet des marchés de fourniture de mobilier urbain lancés par les collectivités locales ne distingue pas entre le mobilier urbain publicitaire et le mobilier urbain non publicitaire. Dans ces conditions, le marché pertinent serait celui du mobilier urbain, publicitaire ou non. Or, sur le marché ainsi défini, ni la société More group France ni la rapporteure ne seraient en mesure de démontrer une position dominante des sociétés du groupe Decaux.

120. Toutefois, les éléments pris en compte par le Conseil dans sa décision 98-D-52 du 7 juillet 1998 pour considérer que le mobilier urbain publicitaire doit être distingué du mobilier urbain non publicitaire restent pertinents. Il s'agit notamment des différences dans les modalités de financement.Alors que les premiers sont le plus souvent mis gratuitement à la disposition des collectivités locales en contrepartie de l'autorisation donnée à l'entreprise cocontractante d'exploiter à des fins commerciales les supports qu'ils constituent, l'installation des mobiliers non publicitaires implique pour les collectivités l'acceptation d'en supporter le coût de location ou d'acquisition. Par suite, notamment en raison des règles budgétaires et comptables applicables aux collectivités locales, un mobilier urbain équipé pour recevoir de la publicité n'est pas substituable à un autre mobilier remplissant la même fonction d'intérêt général mais non aménagé pour servir de support publicitaire. En outre, alors que le mobilier urbain publicitaire répond à deux demandes, celle des collectivités locales et celles des annonceurs, le mobilier urbain non publicitaire est, par définition, complètement inutile pour ces derniers.

121. En 1998, le groupe Decaux était prestataire exclusif dans 55 des 57 agglomérations de plus de 100 000 habitants (les deux villes manquantes étant Rennes et Montbéliard). Il était également présent dans 130 des 163 agglomérations comprises entre 30 000 et 100 000 habitants. Compte tenu de son implantation dans la plupart des villes de plus de 30 000 habitants et de ses parts de marchés proches de 80 %, le groupe Decaux occupe une position dominante sur le marché national de la fourniture du mobilier urbain publicitaire aux collectivités locales.

2. Sur le marché de la publicité extérieure

122. Le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de distinguer un marché global de la publicité extérieure, distinct d'autres supports tels que la presse ou la télévision. Dans sa décision n° 96-D-44, le Conseil a ainsi soutenu qu'il existait, du point de vue des annonceurs, un marché publicitaire propre à chaque média et que les supports appartenant à un même média étaient généralement en situation de concurrence entre eux. Dans sa décision du 7 juillet 1998, le Conseil de la concurrence a également considéré qu'il existait un marché de la publicité extérieure englobant l'affichage traditionnel et la publicité sur mobilier urbain.

123. Les spécificités de l'affichage sur mobilier urbain permettent de soutenir que pour certains annonceurs, l'affichage sur mobilier urbain n'est pas substituable à l'affichage traditionnel. Tout d'abord, les caractéristiques des prestations sont différentes. En effet, l'affichage sur mobilier urbain concerne le plus souvent des affiches de 2 m2, protégées par du verre, éclairées, localisées en centre ville sur le domaine public alors que l'affichage traditionnel concerne des affiches de grand format, collées, non éclairées et situées en général sur des terrains privés à la périphérie des agglomérations. Ensuite, au niveau de l'offre, les conditions d'exploitation sont différentes. Pour le mobilier urbain, l'afficheur doit obtenir des marchés de fourniture de mobilier urbain publicitaire à la suite d'appels d'offres organisés par les collectivités locales. Il bénéficie généralement d'une exclusivité pour le mobilier urbain pendant toute la durée du contrat. En revanche, les afficheurs traditionnels signent des contrats de locations avec des bailleurs privés ou publics, l'offre est extrêmement morcelée et les afficheurs sont en concurrence dans une même zone géographique. Les structures et le niveau des coûts de production sont également différents entre le mobilier urbain et l'affichage traditionnel : coûts plus élevés pour le mobilier et l'entretien pour le mobilier urbain, coûts plus élevé du loyer pour l'affichage traditionnel. Enfin, au niveau de la demande, pour certains annonceurs, l'affichage sur mobilier urbain n'est pas substituable à l'affichage traditionnel grand format. Par exemple, les produits de luxe sont affichés presque exclusivement sur du mobilier urbain alors que la grande distribution et les produits de consommation courante sont généralement affichés en grand format traditionnel. Ainsi, certaines caractéristiques de l'affichage sur mobilier urbain pourraient conduire à considérer que cette prestation forme un segment si particulier du marché de la publicité extérieure qu' il constitue un marché pertinent.

124. Toutefois, compte tenu du fait que les pratiques dénoncées ont été mises en œuvre à la suite de la perte du marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire de Rennes et des liens de connexité existants entre le marché de la fourniture de mobilier urbain, où le groupe Decaux est dominant, et celui de la publicité extérieure, le second se situant en aval du premier, il n'y a pas lieu, dans la présente affaire, de rechercher si le marché limité au seul affichage sur mobilier urbain constitue un marché pertinent.

125. En 1998, le groupe Decaux détenait 21 % du marché national de la publicité extérieure. Sur ce marché, il n'était pas en position dominante.

3. Sur le marché de la location d'emplacements publicitaires pour l'affichage extérieur grand format

126. Dans sa saisine, la société More group France soutient qu'il existe un marché de la location d'emplacements privés pour l'affichage publicitaire sur lequel se rencontrent les afficheurs et les bailleurs privés qui signent des contrats réglementés par la loi du 29 décembre 1979.

127. La société JC Decaux SA considère que ce marché de la location d'emplacement publicitaire pour l'affichage extérieur grand format est plus large puisqu'il regroupe à la fois les propriétaires privés et publics.

128. Dans sa décision n° 95-D-39 du 25 août 1995 sur le secteur de la location d'emplacements publicitaire, le Conseil de la concurrence a considéré qu'il y avait un marché de la location d'emplacements pour l'affichage publicitaire de grand format, marché amont de l'affichage grand format. Il n'est pas précisé si ce marché concerne exclusivement les propriétaires privés ou s'il s'étend aux collectivités locales qui peuvent installer des dispositifs publicitaires soit sur leur domaine privé, soit sur leur domaine public.

129. En tout état de cause, s'il convient de distinguer, parmi les marchés amont de la publicité extérieure, celui de la fourniture de mobilier urbain publicitaire de celui de la location d'emplacements publicitaires pour l'affichage grand format, il n'est pas nécessaire, dans le présent dossier, de déterminer le degré de substituabilité entre la location d'emplacements auprès des collectivités locales et auprès des propriétaires privés, dès lors que les pratiques relevées concernent les bailleurs privés et que sur le marché ou segment de marché de la location d'emplacements publicitaires privés, le groupe Decaux n'était pas, à la date des faits, en position dominante.

C. Sur le grief relatif au maintien et à l'exploitation commerciale des mobiliers au-delà de l'échéance du contrat

130. La société JC Decaux savait depuis le 23 octobre 1995 que la ville de Rennes n'accepterait plus le renouvellement par tacite reconduction du contrat qui les liait. Les délibérations du conseil municipal et du district urbain décidant le lancement d'un appel d'offre sont datées des 11 et 12 juillet 1996 et la société JC Decaux a répondu à l'appel public à la concurrence publié le 7 janvier 1997. Elle a été informée, le 18 juillet 1997, qu'elle avait perdu les marchés des mobiliers urbains d'information et d'abribus à Rennes, objet de cet appel d'offres, et que l'échéance des contrats était fixée au 31 octobre 1997. Elle n'a, cependant, démonté ses mobiliers de 2 m2 qu'en janvier et février 1998 et ses mobiliers de 8 m2 qu'en mai 1998. Le dernier mobilier a été démonté le 26 mai 1998, soit près de 7 mois après la date d'échéance du contrat. Par ailleurs, la société JC Decaux a poursuivi l'exploitation publicitaire de ses panneaux jusqu'au moment où elle a procédé à leur dépose effective, alors même que la ville lui avait demandé à plusieurs reprises de cesser toute exploitation publicitaire des panneaux.

131. La société JC Decaux SA soutient que le groupe Decaux a suivi scrupuleusement le calendrier de démontage qui lui a été imposé par la ville de Rennes, les accords intervenus en décembre 1997 entre la ville et le groupe Decaux traduisant la volonté légitime de la ville de programmer un démontage progressif des abribus afin de ne pas pénaliser, en période hivernale, ses administrés, et le montage des abribus de Adshel n'étant pas tout à fait au point. Elle indique que le démontage des mobiliers 8 m2 n'était pas au centre des préoccupations de la ville et que cette dernière avait manifesté son accord pour laisser au groupe Decaux un délai de dépose plus important en contrepartie d'un planning de démontage imposé pour les abribus. Ce plan de démontage des mobiliers Senior permettait au groupe Decaux, d'une manière qu'il considère parfaitement légitime, de mener à bien les engagements contractuels pris auprès d'annonceurs, le délai de réservation de certaines campagnes étant de 10 à 12 mois. Elle fait valoir que le maintien de mobiliers Decaux sur le domaine public de la ville de Rennes n'a pu empêcher la société More group France de poser son propre mobilier et de l'exploiter, puisque cette dernière n'a pas été en mesure d'installer ses mobiliers dans les délais prévus par le cahier des charges. Elle précise que pour les panneaux Senior, la société More group France n'aurait repris finalement, place pour place, que 35 emplacements sur les 55 occupés par le groupe Decaux. Ainsi, les autres mobiliers pouvaient être mis en place sans attendre le démontage des mobiliers Decaux. Elle ajoute qu'elle n'a pas pu détourner la clientèle des annonceurs puisque la société More group France ne disposait pas d'une offre alternative valable, indépendamment de tout comportement imputable au groupe Decaux. Elle conclut que, dans la mesure où le démontage des mobiliers Decaux a respecté le calendrier de la ville et où l'exploitation des mobiliers 8 m2 jusqu'en mai 1998 n'a nullement empêché la société More group France d'exploiter ses propres panneaux, le grief devra être abandonné.

132. Il ressort, cependant, des éléments repris aux paragraphes 56 à 78 ci-dessus, qu'après avoir perdu le marché de fourniture de mobilier urbain de la ville de Rennes, le groupe Decaux s'est efforcé par plusieurs moyens de différer la date de prise d'effet de la fin de son contrat. Il a, dans un premier temps, contesté la date d'échéance de ce contrat et réclamé une indemnité de 20,87 millions de francs. Il a ensuite, en utilisant la menace d'un démontage rapide et total des abribus et des panneaux Senior, dès la première quinzaine de décembre, obtenu l'accord de la Ville pour ne pas démonter ses panneaux Senior avant le mois de mai 1998, en échange du démontage des abribus sur une période de temps plus étalée, couvrant notamment les vacances scolaires de février 1998, dates compatibles avec les contraintes de la ville de Rennes. Le groupe Decaux a également refusé toute coopération avec le nouveau titulaire du contrat de fourniture du mobilier urbain dans les opérations de démontage et a refusé de remettre les sols en état après la dépose de ses mobiliers.

133. Il ressort, par ailleurs, des éléments décrits au paragraphe 78 ci-dessus que la société RPMU, a continué, en septembre et octobre 1997, à commercialiser les espaces publicitaires des mobiliers urbains de la ville de Rennes pour des périodes largement postérieures à cette échéance.

134. En contestant les dates d'échéance des contrats de mobilier urbain conclus avec la ville de Rennes, en demandant des indemnités importantes justifiées par des clauses que le tribunal administratif devait écarter, en 2002, au titre de leur " nullité absolue ", en n'acceptant le démontage des abribus que le jour où il lui est apparu que la ville s'apprêtait à le faire exécuter par un tiers, en se refusant à coopérer pour faciliter la coordination du remplacement des abribus, en agitant la menace d'un démontage total immédiat de ses 577 abribus, solution la plus défavorable au bien être des administrés de la ville, pour obtenir le démontage tardif de ses autres matériels, en refusant de faire place nette au matériel de son concurrent, la société JC Decaux a artificiellement accru, pour la collectivité locale, le coût du changement de prestataire. Compte tenu de son quasi monopole dans les villes comparables, c'est-à-dire de plus de 100 000 habitants, et de son implantation dominante dans la plupart des villes de plus de 30 000 habitants, ces pratiques avaient un caractère exemplaire et étaient de nature à dissuader les autres collectivités locales de changer à leur tour de fournisseur, en les menaçant d'avoir à traverser, à cette occasion, une période difficile. Mises en œuvre par une entreprise en position dominante, elles ont eu pour objet et pour effet de faire obstacle au jeu de la concurrence sur le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire.

135. Le groupe Decaux ne peut mettre en avant le fait que la ville de Rennes a fini par accepter les dates de démontage qu'il proposait pour exonérer sa responsabilité dans le retard pris dans le changement effectif de prestataire. Tout au plus est-il ainsi démontré que les menaces et pressions qu'il a exercé sur la ville ont été suivies d'effet. De même, il n'existe pas au dossier d'éléments montrant que la décision de la ville a été principalement motivée par les incertitudes concernant la capacité de la société Adshel à remplacer les abribus Decaux avant le mois de février 1998, les déclarations et courriers citées aux paragraphes 56 à 78 ci-dessus montrant en revanche que les pressions du groupe Decaux et son refus de coordonner ses opérations avec celles de la société Adshel sont à l'origine du retard pris par le démontage des mobiliers.

136. La seconde conséquence des pratiques d'obstruction mises en œuvre par le groupe Decaux a été de lui permettre de percevoir les recettes publicitaires tirées du mobilier urbain au-delà de la date d'échéance du contrat. Ainsi, la société JC Decaux a retardé de plusieurs mois l'exploitation commerciale par la société More group France de son mobilier urbain. L'entreprise Decaux argue avoir agi de la sorte parce qu'elle s'était engagée vis-à-vis des annonceurs pour des périodes postérieures à l'échéance de son contrat avec la ville de Rennes, et pour suppléer aux " insuffisances " de son concurrent. Mais il incombait à l'entreprise Decaux, qui savait de longue date les risques encourus à Rennes, de ne pas s'engager à des affichages qu'elle n'était pas certaine de pouvoir exécuter ; et il ne lui appartenait pas de régler a priori à son profit les éventuels conflits qui auraient pu apparaître entre les annonceurs et son concurrent si ce dernier s'était révélé insuffisant. Elle a ainsi privé la société More group France des recettes publicitaires correspondantes et modifié l'équilibre du marché de fourniture du mobilier urbain obtenu par cette société dans le cadre de l'appel d'offres lancé par la ville de Rennes. C'est grâce à la position dominante de l'entreprise Decaux sur le marché du mobilier urbain publicitaire et aux avantages que cette position lui confère auprès des annonceurs concernés qu'elle a pu commettre cet abus sur le marché connexe de l'affichage Ainsi, alors que sa propre offre n'avait pas été jugée la mieux-disante par la collectivité locale, la société Decaux a signalé à la société More group France et aux autres concurrents potentiels intéressés par le marché de fourniture du mobilier urbain, qu'elle n'hésiterait pas à mettre en œuvre des moyens ne relevant pas d'une concurrence par les mérites pour gêner leur entrée sur ce marché. En signifiant à ses concurrents qu'il ne leur suffisait pas de gagner un appel d'offre pour entrer sur le marché, l'entreprise Decaux a développé un comportement de nature à dissuader ses concurrents de soumissionner aux appels d'offres de mobilier urbain publicitaire.

137. Même si les panneaux, dont le groupe Decaux a maintenu l'exploitation au-delà de la date d'échéance de son contrat, ne représentaient qu'une partie des espaces publicitaires susceptibles d'être exploités par la société More group France et si la commercialisation de ces espaces ne pouvait qu'être plus difficile pour le nouvel entrant que pour le groupe Decaux parce que cet entrant, n'ayant encore gagné que le marché de la ville de Rennes, ne disposait pas d'un réseau national d'espaces publicitaires sur mobilier urbain, ces pratiques ont eu directement pour effet de priver la société More group France de recettes publicitaires.

138. Il résulte de ce qui précède que l'obstruction mise par le groupe Decaux au remplacement de ses mobiliers urbains dans l'agglomération de Rennes et le maintien de son exploitation au delà de la date d'échéance de son contrat auquel la ville de Rennes a mis fin après avoir choisi un autre prestataire dans le cadre d'un appel d'offres, constitue un abus de la position dominante qu'il occupe sur le marché national de fourniture du mobilier urbain, qui a faussé le jeu de la concurrence sur ce marché et celui, connexe, de l'affichage. Cette pratique est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-2.

139. Il est de jurisprudence constante que lorsqu'une entreprise occupe une position dominante qui couvre l'ensemble d'un Etat membre, c'est-à-dire une partie substantielle du territoire communautaire, et abuse de cette position en faisant obstacle à l'entrée sur ce marché, ces effets anticoncurrentiels s'étendent aux concurrents des autres Etats membres et peuvent porter atteinte aux échanges intracommunautaires (voir notamment l'arrêt Michelin de la CJCE), constituent également des atteintes à l'article 82 du traité CE. En l'espèce, la pratique décrite au paragraphe précédent est de nature à dissuader les opérateurs des autres Etats membres d'entrer sur le marché de la fourniture du mobilier urbain et contrevient donc aux dispositions de l'article 82 du Traité CE.

D. Sur le grief relatif à la gratuité de certaines campagnes publicitaires

1. Sur la réalité des pratiques

140. Il résulte des éléments relevés dans les paragraphes 99 à 110 qu'en 1998 et en 1999, la société RPMU a offert à certains annonceurs, qui achetaient une prestation d'affichage sur les réseaux nationaux de panneaux de 2 m2, la gratuité de l'affichage de leurs campagnes publicitaires sur les panneaux Senior de 8 m2 à Rennes et a pris en charge les coûts techniques liés à la transformation d'une affiche de 2 m2 en une affiche de 8 m2.

141. La société JC Decaux relève que sur les factures de 5 campagnes présentées comme étant offertes, les panneaux Senior de Rennes ont été facturés aux tarifs habituels (Salakis, Lactel, Casino, Guerlain, Roquefort) et que pour trois autres campagnes présentées comme offertes, la facturation a été faite sur la base du tarif habituel, et qu'il en est résulté un avoir (Fluocaril, Mont-Blanc, Hermès). Elle ajoute que pour les autres campagnes, on peut supposer que les huit qui ont bénéficié de la gratuité des frais de transformation ont été affichées mais que, pour les sept restantes, aucune information précise ne permettrait d'affirmer qu'elles ont été affichées.

142. La liste des clients ayant bénéficié d'une prestation gratuite pour compléter, par un panneau Senior à Rennes, leur campagne d'affichage nationale sur abribus, et figurant au paragraphe 103 ci-dessus a été communiquée et présentée comme telle par la société RPMU elle-même, le 30 juin 2000. Toutefois, compte tenu de la présence au dossier de factures pour cinq des campagnes concernées (Salakis, Lactel, Cafétéria Casino, Guerlain et Roquefort), mais non des avoirs correspondants, il n'est pas établi de manière certaine que ces campagnes n'ont pas été payées par les annonceurs. En revanche, celles qui n'ont pas été facturées ou ont fait l'objet d'un avoir, doivent être considérées comme " offertes ", dans les conditions décrites dans les déclarations citées aux paragraphes 99, 100 et 105 ci-dessus. La société RPMU ne fournit aucun élément de nature à indiquer que ces campagnes n'auraient, de fait, pas été affichées, contrairement à ce qu'elle avait affirmé dans un premier temps.

143. Ainsi, il est établi qu'en 1998 et 1999, la société RPMU a offert à 18 annonceurs qui achetaient des réseaux 2 m2, la gratuité de l'affichage sur des panneaux Senior de Rennes et à 16 annonceurs la prise en charge des coûts techniques liés à la transformation d'une affiche de 2 m2 en une affiche de 8 m2. Les prestations ainsi assurées gratuitement s'élèvent à 796 218 francs pour l'affichage et à 614 410 francs pour les frais techniques de transformation des affiches 2 m2 en 8 m2, comme il est exposé au paragraphe 103 ci-dessus.

2. Sur l'objet et l'effet anticoncurrentiel de ces pratiques

144. La société JC Decaux SA fait valoir que la plupart des contrats concernés par la gratuité ont été signés alors que le groupe Decaux était encore titulaire du marché de mobilier urbain de Rennes, qu'il était difficile, compte tenu de la date de réservation, de ne pas proposer aux clients une offre de substitution pour pallier la perte de l'agglomération rennaise. Elle ajoute que cette gratuité ne représenterait qu'une remise très faible sur le prix d'une campagne nationale (de 1 à 1,5 % selon les campagnes) et que les annonceurs n'ont pas été contraints de compléter leur réseau abribus province par des mobiliers Senior à Rennes. En ce qui concerne la prise en charge des frais techniques, la société JC Decaux SA soutient que cette pratique est courante dans le secteur de l'affichage, que cet effort financier représente un rabais commercial d'une ampleur très faible comparé au coût d'une campagne nationale et sans commune mesure avec les rabais traditionnels accordés par les afficheurs.

145. Toutefois, il ressort des éléments du dossier que les campagnes publicitaires, pour lesquelles la gratuité des panneaux à Rennes est dénoncée, ont toutes été réservées après le 1er septembre 1997, soit après que la société JC Decaux a été informée que son offre n'était pas retenue. C'est donc sciemment que le groupe Decaux s'est mis dans la situation d'être contraint de proposer des espaces publicitaires de substitution, dans le cadre de campagnes déjà négociées. Le fait qu'il ait contesté les dates d'échéance de son contrat avec la ville de Rennes, dans un premier temps auprès de la ville elle-même, puis, le 6 avril 1998, auprès du Tribunal administratif de Rennes, ne justifie pas qu'il ait unilatéralement décidé de continuer l'exploitation des emplacements relevant de ce contrat.

146. Pour apprécier l'objet et l'effet anticoncurrentiels de ces campagnes gratuites et de la prise en charge des frais de fabrication d'affiches, il convient de prendre en compte leur caractère dérogatoire et discriminatoire. En effet, cette offre dérogeait aux conditions de vente habituelles sur plusieurs plans : elle permettait, de manière tout à fait exceptionnelle, de compléter un réseau 2 m2 par des panneaux 8 m2 et elle a conduit le groupe Decaux à accorder aux annonceurs une réduction de prix, alors même que ce groupe se distingue des autres afficheurs par une application stricte de ses tarifs et conditions de vente, sans possibilité de négocier les prix pratiqués. En outre, cette gratuité et cette prise en charge des frais de fabrication d'affiches sont manifestement discriminatoires car elles ne concernent que la ville de Rennes. Cette discrimination avait pour objet de dissuader les annonceurs désireux d'afficher sur toutes les villes de plus de 100 000 habitants de contracter, pour Rennes, avec la société More group France, privant cette dernière des effets commerciaux de sa victoire à l'appel d'offres. Le quasi monopole de l'entreprise Decaux sur le mobilier publicitaire urbain pour les villes de cette taille lui permettait d'offrir aux annonceurs une prestation d'affichage en réseau, rendant à priori difficile l'entrée progressive de concurrents, puisqu'elle était la seule à offrir cette prestation. En ajoutant, de façon discriminatoire, la gratuité pour la ville de Rennes sur ses panneaux de substitution, l'entreprise Decaux a ajouté de manière illicite à cette difficulté.

147. Pour apprécier l'effet de cette pratique, il importe peu que les annonceurs n'aient pas été obligés d'afficher sur les panneaux Senior de Rennes. Le caractère gratuit des prestations offertes rendait cette offre attractive par rapport à n'importe quelle autre alternative, et notamment par rapport à celle qui aurait consisté à négocier séparément les espaces sur le mobilier urbain de Rennes auprès de la société More group France qui en commençait la commercialisation. Les avantages consentis sont loin d'être négligeables puisqu'ils s'élèvent à plus de 1,4 millions de francs. Ils ont effectivement fermé l'accès de la société More group France aux recettes publicitaires correspondantes.

148. Comme le maintien de l'exploitation du mobilier urbain de la ville de Rennes au-delà de la date d'échéance du contrat, cette pratique était de nature à dissuader la société More group France, ou d'autres concurrents potentiels, de soumissionner aux appels d'offre lancés par d'autres collectivités locales pour la fourniture de mobilier urbain, en leur signalant que le groupe Decaux était prêt à mettre en œuvre des moyens ne relevant pas d'une concurrence par les mérites pour maintenir sa position dominante sur le marché national de fourniture du mobilier urbain. Les pratiques, consistant en l'offre gratuite d'emplacements publicitaires sur des panneaux grand format et en la prise en charge des frais de transformation des affiches, ont été commises sur le marché aval de la publicité extérieure. L'intérêt de ces offres pour les annonceurs découle directement de la position dominante du groupe Decaux sur le marché de la fourniture de mobilier urbain qui mettait ce dernier en mesure de proposer aux annonceurs une couverture nationale pour leur campagne publicitaire, que l'affichage grand format à Rennes venait compléter. Ces pratiques étaient de nature à dissuader les autres concurrents d'entrer sur le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire.

149. Il résulte de ce qui précède qu'en offrant, en 1998 et 1999, à certains annonceurs la gratuité de l'affichage sur des panneaux Senior à Rennes et la prise en charge des coûts techniques liés à la transformation du format des affiches, le groupe Decaux a abusé de la position dominante qu'il détient sur le marché de la fourniture de mobilier urbain en altérant la concurrence sur le marché de l'affichage et a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 82 du traité CE.

E. Sur le grief relatif aux tarifs 1999 et 2000

150. Il résulte des éléments relevés aux paragraphes 89 à 98, que le groupe Decaux commercialise ses espaces publicitaires en réseaux nationaux ou locaux regroupant, soit des abribus et MUPI (2 m2), soit des panneaux Senior (8 m2). Les tarifs 1999 et 2000 permettent, de manière dérogatoire, aux annonceurs de compléter leur campagne publicitaire sur le réseau abribus ou Mupi de province par des panneaux Senior situés sur des terrains privés à Rennes. Cette possibilité de panachage, qui est offerte pour la seule ville de Rennes, permet de compenser la perte de la concession du mobilier urbain à Rennes. De plus, à partir du tarif 2000, les frais techniques liés au changement de format, pour les affiches de 8 m2 à Rennes, ont été pris en charge par la société RPMU.

151. En 2000, la possibilité de compléter l'achat d'un réseau 2 m2 par des panneaux Senior sur Rennes a concerné 25 contrats et le coût de la prise en charge des frais techniques liés au changement de format, qui a bénéficié à la plupart de ces annonceurs, s'est élevé à 95 816 euros, comme précisé au paragraphe 109 ci-dessus.

152. La société JC Decaux SA soutient qu'il ne s'agit pas, pour le groupe Decaux, d'organiser un panachage de ses réseaux sur la ville de Rennes alors qu'elle l'exclurait pour les autres villes. La société JC Decaux souhaite indiquer aux clients de ses réseaux nationaux d'abribus que, ne disposant plus de la concession de mobilier urbain à Rennes, il ne peut leur proposer sur cette agglomération que du réseau Senior. Cette transparence répondait à une demande du ministre chargé de l'Economie, dans le cadre de l'acquisition de la société Avenir. En outre, il ne s'agit que d'une option et non d'une obligation pour les annonceurs. Quant à la prise en charge des frais techniques, elle a pour objet d'éviter toute pratique discriminatoire entre annonceurs et cette pratique est courante pour les campagnes multisupports.

153. Contrairement à ce que soutient la société JC Decaux SA, les dispositions en cause n'ont pas pu être introduites dans les tarifs 1999 et 2000 pour répondre à la demande du ministre dans le cadre de l'acquisition de la société Avenir. En effet, le ministre a autorisé, le 13 août 1999 le rachat de la société Avenir France par la société Decaux. Dans sa lettre d'autorisation, le ministre relevait que l'opération faisait de la société Decaux un opérateur important, étant le seul à offrir conjointement des supports de mobilier urbain et des supports traditionnels. Il relevait que le mobilier urbain était difficilement contournable et que le couplage des offres Decaux et Avenir pourrait conduire à évincer les concurrents. Il prenait acte de l'engagement de Decaux de ne pas accorder de remise de couplage et de " s'engager à pratiquer une transparence tarifaire complète, afin de faire apparaître les villes où elle n'est pas exploitant du mobilier urbain, mais propose des dispositifs publicitaires sur le domaine privé ". Toutefois, le tarif 1999 a été édité avant la notification de cette opération de concentration en juillet 1999 et ces dispositions ont donc été introduites avant les engagements évoqués. Surtout, elles vont au-delà de la transparence tarifaire évoquée dans la lettre du ministre en proposant aux annonceurs un panachage qui n'est autorisé que sur la seule ville de Rennes et en les informant que les frais techniques liés au changement de format sont offerts par le groupe Decaux.

154. Ces offres, discriminatoires, car valables pour la seule ville de Rennes, pérennisent la discrimination par la gratuité examinée plus haut et visent au même but : dissuader certains annonceurs de contracter avec la société More group France pour l'affichage sur mobilier urbain de la ville de Rennes. Comme le maintien de l'exploitation du mobilier urbain de la ville de Rennes au delà de la date d'échéance du contrat, et l'offre d'emplacements gratuits en 1998, cette pratique était de nature à dissuader la société More group France, ou d'autres concurrents potentiels, de soumissionner aux appels d'offre lancés par d'autres collectivités locales pour la fourniture de mobilier urbain, en leur signalant que le groupe Decaux était prêt à mettre en œuvre des moyens ne relevant pas d'une concurrence par les mérites pour maintenir sa position dominante sur le marché national de fourniture du mobilier urbain. La pratique, consistant en l'offre d'un tarif discriminatoire d'affichage sur grands panneaux, uniquement sur la ville de Rennes et en la prise en charge gratuite des frais techniques y afférents, a été commise sur le marché aval de la publicité extérieure. L'intérêt de ces offres pour les annonceurs découle directement de la position dominante du groupe Decaux sur le marché de la fourniture de mobilier urbain qui mettait ce groupe en mesure de proposer aux annonceurs une couverture nationale pour leur campagne publicitaire, que l'affichage grand format à Rennes venait compléter.

155. Il résulte de ce qui précède qu'en permettant aux annonceurs, à partir des tarifs 1999 et 2000, de compléter l'achat d'un réseau 2 m2 en province par des panneaux Senior à Rennes et, à partir des tarifs 2000, en prenant en charge les frais techniques liés au changement de format pour les affiches de 8 m2 à Rennes, le groupe Decaux a abusé de sa position dominante sur le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire en altérant la concurrence sur le marché de l'affichage et enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.

F. Sur le grief relatif à l'installation de panneaux publicitaires empêchant l'installation de mobiliers More Group sur le domaine public

156. Il résulte des éléments relevés aux paragraphes 79 à 80 ci-dessus que la société DPE a implanté deux panneaux publicitaires sur des emplacements privés, au 177 et au 198 rue de Fougères à Rennes, de telle sorte que la société More group France n'a pas pu reprendre deux emplacements de mobilier urbain occupés précédemment par le groupe Decaux.

157. La société JC Decaux SA fait valoir que More group France n'a repris que 35 des 55 emplacements qu'elle détenait, et précise qu'on ne peut admettre un raisonnement qui aboutit à considérer que la recherche, par le groupe Decaux, de nouvelles implantations sur le domaine privé, n'aurait dû démarrer qu'à l'issue de l'implantation définitive de l'ensemble des mobiliers Adshel. Enfin, elle relève que la rapporteure conteste l'installation de deux panneaux sur la ville de Rennes, sur les soixante-cinq installés par la société DPE à cette époque, soit 3 % des installations. Ces panneaux représenteraient par ailleurs, par rapport aux 1054 panneaux More group France et 34 faces sur le réseau One, 0,18 % des espaces publicitaires de la société More group France. Elle en déduit qu'il n'a été porté aucune atteinte tangible et significative à la concurrence.

158. L'incertitude sur la reprise des emplacements occupés par l'entreprise Decaux et l'absence de causalité plausible entre la position dominante de l'entreprise Decaux sur le marché du mobilier urbain publicitaire et la pratique en cause ne permettent pas d'établir son objet anticoncurrentiel. En outre, cette pratique n'a concerné que deux mobiliers alors que le marché permettait l'installation de 55 mobiliers 8 m2, 227 mobiliers d'information 2 m2 et 600 abribus. De plus, les deux mobiliers concernés ont pu être installés sans difficulté à d'autres emplacements. Dès lors, il n'est pas établi que cette pratique a eu un objet ou un effet anticoncurrentiel et qu'elle soit prohibée par les dispositions de l'article 82 du traité CE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

G. Sur le grief relatif au comportement de la société DPE sur le marché de la location d'emplacements publicitaires

159. Il résulte des éléments relevés aux paragraphes 81 à 88 ci-dessus qu'à partir de 1997, la société DPE a développé un parc d'emplacements sur des terrains privés pour y installer des panneaux Senior. Pour inciter les bailleurs à lui louer leurs emplacements, la société DPE a aidé les bailleurs à dénoncer leurs contrats, elle a signé des baux pour des emplacements qui allaient continuer à être exploités pendant plusieurs années par des concurrents, elle a versé des acomptes sur les loyers à venir avant le début d'exploitation des emplacements et elle a pris en charge gratuitement certaines prestations au profit du bailleur. Surtout, la société DPE a accordé aux bailleurs des loyers beaucoup plus élevés que ceux consentis par ses concurrents. Les niveaux élevés de 19 loyers, dont 15 concernent la ville de Rennes, ne permettent pas au groupe Decaux de couvrir ses coûts totaux par les recettes escomptées. Pour l'un de ces contrats, le loyer ne permet pas au groupe Decaux de couvrir ses coûts variables. Cette politique commerciale a permis à la société DPE de développer très rapidement un parc d'emplacements privés puisque, dès la fin de l'année 2002, elle disposait d'un parc de 2 633 mobiliers.

160. La société JC Decaux SA se défend d'avoir décidé d'investir le domaine privé de la location d'emplacements publicitaires de Rennes, à titre de mesure de rétorsion à la suite de la perte du marché de Rennes. Elle rappelle que la société DPE a été créée le 2 septembre 1996 et que son activité a démarré au début de l'année 1997 au niveau national, après une première expérience locale sur la commune de Dijon, en juin 1996. Cette création répondait à une volonté de diversification et de développement du groupe. La perte de la convention de mobilier urbain de Rennes n'aurait fait que rendre particulièrement nécessaire la recherche d'emplacements de substitution à Rennes.

161. La société JC Decaux SA expose que la pratique consistant à aider les bailleurs dans leurs démarches de résiliation des contrats existants est largement répandue dans la profession de même que la réalisation de travaux d'embellissements des espaces. Elle ajoute que ses acquisitions n'ont pas asséché l'offre alternative d'emplacements privés sur la ville de Rennes, la moitié des baux portant sur des emplacements auparavant non utilisés et les afficheurs traditionnels ayant réagi en consolidant leurs baux et en acquérant, eux aussi, de nouveaux emplacements à Rennes.

162. Elle soutient que le niveau des loyers pratiqués à Rennes par la société DPE est parfaitement justifié au regard des revenus attendus de l'exploitation de ces emplacements, compte tenu, notamment, du fait qu'il s'agit de panneaux tri-faces, susceptibles de générer un chiffre d'affaires supérieur aux panneaux mono-faces. Elle assure que l'analyse de l'équilibre des comptes d'exploitation panneau par panneau ne correspond à aucune réalité économique, le groupe Decaux ne commercialisant jamais un seul emplacement à la fois pour une ville donnée. La société JC Decaux SA estime que l'on ne peut raisonner qu'en terme de loyer moyen et de chiffre d'affaires moyen par année, le cas échéant par ville. S'agissant de la conclusion de contrats plusieurs mois, voire plusieurs années, avant la libération des lieux par l'afficheur en place, accompagnée, le cas échéant, du versement d'acomptes, ces pratiques ne remettraient pas en cause l'équilibre financier de l'exploitation des réseaux de panneaux.

163. Aucun élément ne permet en effet d'établir que les conditions dans lesquelles le groupe Decaux a acquis un parc d'emplacements d'affichage traditionnel constitueraient des abus de la position dominante qu'il détient en amont sur le marché de la fourniture de mobilier urbain. D'une part, la société DPE, spécialisée dans la location d'emplacements publicitaires privés, a été créée le 2 septembre 1996 et son activité a démarré en juin 1996, par une première expérience locale sur la ville de Dijon, avant de s'étendre au niveau national au début de l'année 1997. Cette diversification du groupe est donc antérieure à la perte du marché du mobilier urbain de Rennes et ne peut être analysée, en l'espèce, comme une mesure de rétorsion. D'autre part, les conditions dans lesquelles la location de ces emplacements a été effectuée ne peuvent être qualifiées de prédatrices. En effet, les comptes d'exploitation des emplacements par ville, y compris pour la ville de Rennes, sont bénéficiaires. Seuls les coûts totaux de 19 emplacements sur 250 sont supérieurs au chiffre d'affaires correspondant et pour un seul emplacement, les coûts variables sont supérieurs au chiffre d'affaires. Enfin, la pratique ne présente pas de lien de causalité plausible avec la position dominante détenue par l'entreprise Decaux sur le marché du mobilier urbain publicitaire : rien n'interdisait aux concurrents, financièrement puissants ou liés à des groupes puissants, de se montrer plus actifs dans leur propre recherche d'emplacement publicitaire à louer, ce que, au demeurant, ils ont fait.

164. Ainsi, il n'est pas établi que le comportement du groupe Decaux à l'égard des bailleurs a été contraire aux dispositions de l'article 82 du traité CE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

H. Sur l'imputabilité des pratiques

165. Dans la notification de griefs, il est indiqué que les pratiques relevées ont été mises en œuvre par les sociétés JC Decaux, RPMU et DPE, sociétés qui ne sont pas autonomes et forment, avec leur maison mère, la société Decaux SA, une unité économique, donc une entreprise au sens du droit de la concurrence. Compte tenu des modifications dans la structure du groupe Decaux intervenues depuis 1996, les griefs ont été notifiés aux sociétés JC Decaux Holding (319 267 134 RCS Nanterre), JC Decaux SA (307 570 747 RCS Nanterre), JC Decaux Mobilier Urbain (622 044 501 RCS Nanterre) et Decaux Publicité Extérieure (DPE) (409 249 851 RCS Nanterre).

166. Les sociétés JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain, DPE et JC Decaux Holding soutiennent que la notification de griefs ne précise pas la responsabilité individuelle de chacune des sociétés du groupe Decaux dans les griefs notifiés et, qu'en conséquence, la question de l'imputabilité des pratiques n'est résolue pour aucune des sociétés mises en cause. Elles précisent que cette manière de procéder méconnaît le principe de la personnalité des peines en imputant à chaque société l'ensemble des pratiques et porte une atteinte manifeste au droit de la défense. Les sociétés du groupe Decaux ajoutent que si la théorie de l'unité économique doit s'appliquer en l'espèce, les griefs doivent être retenus à l'encontre de la société JC Decaux SA, à l'exclusion de ses filiales, JC Decaux Mobilier Urbain et DPE. Toute implication de la société JC Decaux Holding devra également être écartée, dans la mesure où il s'agit d'une société de participation financière qui n'intervient à aucun moment dans les sociétés opérationnelles du groupe sur aucun des marchés concernés.

167. Les sociétés du groupe Decaux n'indiquent pas en quoi les imputations retenues dans la notification de griefs et le rapport auraient porté atteinte aux droits de la défense. Mais il ressort de la jurisprudence, tant communautaire que nationale, qu'à l'intérieur d'un groupe de sociétés, les pratiques, lorsqu'elles sont mises en œuvre par une société filiale, ne sont imputables à cette filiale, que pour autant qu'elle dispose d'une autonomie de décision par rapport à la société mère. Au cas contraire, les pratiques doivent être imputées à la maison mère.

168. Ainsi, dans un arrêt du 21 février 1973 Europemballage Corporation, Continental Can, la CJCE a énoncé que " (...) la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas pour écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère ; que tel peut être le cas lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère (...) ". Ces principes ont été appliqués par le Conseil dans plusieurs décisions (voir notamment les décisions 00-D-50 et 00-D-67).

169. En l'espèce, les pratiques relevées dans le présent dossier ont été mises en œuvre principalement par les sociétés JC Decaux, RPMU et DPE. Il s'agit de sociétés qui ne sont pas autonomes entre elles et qui forment, avec leur maison mère la société Decaux SA, une unité économique, donc une entreprise au sens du droit de la concurrence. L'absence d'autonomie des sociétés du groupe résulte, notamment, des liens financiers qu'elles ont entre elles, de la présence d'administrateurs et de dirigeants communs au sein de chacune d'elles, le plus souvent des membres de la famille Decaux, ainsi que des liens économiques et structurels qui les unissent. En effet, ces sociétés ont toutes leur siège social à la même adresse, 17 rue Soyer à Neuilly-sur-Seine, et ont toutes des activités complémentaires indissociables. Ainsi, la société DPE loue des emplacements publicitaires sur des terrains privés, la société JC Decaux est spécialisée dans le mobilier urbain et répond aux appels d'offres des collectivités locales et la société RPMU commercialise les espaces publicitaires de la société JC Decaux et de la société DPE. Cette complémentarité économique et commerciale se traduit par des conventions " horizontales " et " verticales " entre les différentes filiales ainsi qu'entre la maison mère et ses filiales. En l'espèce, les pratiques mises en œuvre par le groupe Decaux suite à la perte du marché de Rennes nécessitaient l'action de toutes les filiales dans un mouvement coordonné par la maison mère.

170. En l'absence d'autonomie des filiales par rapport à la maison mère, les pratiques mises en œuvre par les filiales, les sociétés DPE, JC Decaux et RPMU, doivent être imputées à la maison mère, la société Decaux SA, dénommée aujourd'hui JC Decaux SA. Les sociétés DPE, JC Decaux Mobilier Urbain et JC Decaux Holding seront, en conséquence, mises hors de cause.

I. Sur les sanctions

171. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-4 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par conséquent, les dispositions introduites par cette loi dans l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles prévoient des sanctions plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.

172. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut (...).infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. ".

1. Sur les griefs retenus

173. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en démontant et exploitant son mobilier au-delà de l'échéance du contrat, en offrant à certains annonceurs la gratuité des campagnes publicitaires en 8 m2 et la prise en charge de frais de fabrication des affiches 8 m2 à Rennes, ainsi qu'en introduisant dans ses tarifs 1999 et 2000, des dispositions spécifiques pour la ville de Rennes, la société JC Decaux SA a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché national de la fourniture du mobilier urbain publicitaire en augmentant artificiellement le coût du changement supporté par la collectivité de Rennes, sur ce marché, et a gêné artificiellement l'exploitation commerciale, par son concurrent, du marché connexe de l'affichage dans cette ville. Au-delà de la seule ville de Rennes, ces pratiques ont eu pour objet et peuvent avoir eu pour effet de dissuader les collectivités de remettre en concurrence la société JC Decaux, ou les concurrents de répondre aux appels de ces collectivités, portant ainsi atteinte à la concurrence sur le marché national de la fourniture de mobilier urbain et sur le marché national de l'affichage.

2. Sur la gravité des pratiques

174. Les pratiques relevées dans le présent dossier sont graves par leur objet. Le groupe Decaux a créé le marché national du matériel urbain publicitaire ; il y a fait preuve d'un très fort dynamisme ; il y occupe encore aujourd'hui une position largement dominante ; sur cette base nationale, il a su conquérir par le monde des marchés de très grandes villes, ce qui est un exemple de réussite par le mérite. Mais le groupe Decaux n'a pas accepté qu'à l'issue de l'appel d'offre de Rennes, une autre entreprise soit jugée plus méritante que lui. Il a réagi par une action commerciale intense, néanmoins licite, sur le segment de marché de l'affichage sur emplacements loués, où il était encore peu développé, pour maintenir sa capacité d'offre sur le territoire perdu. Mais il a aussi réagi en développant des manouvres illicites d'obstruction, de retardement et de discrimination qui ont eu pour effet d'entraver la concurrence sur l'affichage à Rennes mais ne pouvaient en rien remédier, au fond, à la perte de ce marché. Ceci montre que ces manouvres avaient un objet plus large : signaler aux municipalités tentées de chercher ailleurs que ce n'est pas sans risque qu'on rompt avec le groupe Decaux et signaler aux concurrents qu'il ne suffit pas de se montrer, à l'appel d'offres, plus méritant que le groupe Decaux pour, effectivement, pouvoir exploiter commercialement le marché conquis. C'est dans la menace anticoncurrentielle véhiculée par la pratique que réside sa gravité.

175. L'effet des pratiques est grave aussi. En premier lieu, la concurrence sur le marché de l'affichage a été perturbée à Rennes. Mais le comportement du groupe Decaux a contribué aussi à ce que celui-ci maintienne sa position quasi monopolistique sur le marché national du mobilier urbain publicitaire.En 1998, le groupe Decaux disposait de mobilier urbain publicitaire dans le cadre de contrats conclus avec des collectivités locales dans 498 villes (liste complète en annexe 95). Outre le marché de Rennes, perdu en 1997, les appels d'offres auxquels la société JC Decaux a répondu et qui n'ont pas été attribués au groupe Decaux depuis 1998 sont peu nombreux (annexe 9).

3. Sur le dommage à l'économie

176. Le dommage à l'économie n'est pas, en l'espèce, directement mesurable. Mais on peut l'apprécier en examinant la dimension des marchés ayant fait l'objet de ces pratiques et en ayant supporté les effets, ainsi que le chiffre d'affaire illicite réalisé par le groupe Decaux à Rennes du fait de la prolongation de ses campagnes d'affichage au delà de la date de terminaison de son contrat exclusif.

177. Le marché de la publicité extérieure était évalué par l'IREP à 6,7 milliards de francs en 1998, soit 1 milliard d'euros, dont environ 20 % pour le seul affichage sur mobilier urbain.

178. En 1998, le chiffre d'affaires du groupe Decaux en France s'est élevé à 2,3 milliards de francs, dont 1,39 milliards pour les seules recettes publicitaires. La presque totalité de ces recettes publicitaires correspondaient à des espaces publicitaires sur du mobilier urbain publicitaire. Ce chiffre mesure l'ordre de grandeur du marché objet de la menace anticoncurrentielle résultant des comportements analysés.

179. Début 1997, la société JC Decaux disposait à Rennes de 377 abribus (avec 2 faces publicitaires), de 227 mobiliers d'information de 2 m2 (avec 1 face publicitaire) et de 55 mobiliers de 8 m2 (avec 1 ou 2 faces publicitaires). Sur la base des tarifs pratiqués en 1997, qui étaient de 875 francs la face sur Senior et 252 francs la face 2 m2 en province, et compte tenu d'un taux de remplissage de 78 % ainsi que des remises et ristournes, les recettes annuelles peuvent être évaluées à plus de 10 millions de francs par an. Ce chiffre mesure l'ordre de grandeur du marché directement affecté par les pratiques développées à Rennes.

180. Le marché signé par la société More group France prévoyait l'installation de 227 panneaux d'information 2 m2, 55 panneaux 8 m2, 40 flèches universelles et 550 abribus avec publicité. Le nombre de faces publicitaires sur abribus était donc plus élevé. Devant la Cour d'appel de Paris, lors de son recours contre la décision 98-MC-12, la société More group France a indiqué que la valeur théorique de son marché était de l'ordre de 11,6 millions de francs alors qu'il n'a dégagé en réalité que 8,9 millions de francs.

181. Le seul maintien de l'exploitation du mobilier après la date de l'échéance du contrat a permis au groupe Decaux de commercialiser les espaces publicitaires correspondant pendant plus de 6 mois supplémentaires. La société JC Decaux disposait de 55 panneaux Senior, soit, au minimum, s'il s'agissait de mobiliers à une face publicitaire, 55 faces publicitaires. Sur la base d'un prix de vente hebdomadaire de 875 francs en 1997 et 786 francs en 1998, le chiffre d'affaires de ces espaces publicitaires, hors remises et ristournes, et compte tenu d'un taux de remplissage de 78 %, peut être évalué à 37 500 francs en 1997 et 33 719 francs en 1998. Dans son offre de base, la société More group France avait évalué son chiffre d'affaires sur les panneaux 8 m2 à 1 115 000 francs soit plus de 21 000 francs par semaine.

182. Pour l'exercice 2003, le chiffre d'affaires France de la société JC Decaux SA s'est élevé à 492 661 421 euros. Compte tenu de l'ensemble des éléments relevés ci-dessus, il lui est infligé une sanction de sept cents mille euros (700 000 euros).

Décision

Article 1 : Il n'est pas établi que le groupe Decaux a enfreint les dispositions de l'article 82 du traité CE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en implantant des mobiliers sur des emplacements privés au 177 et au 198 rue de Fougères à Rennes.

Article 2 : Il n'est pas établi que le comportement du groupe Decaux à l'égard des bailleurs privés a enfreint les dispositions de l'article 82 du traité CE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 3 : Il est établi que le groupe Decaux a enfreint les dispositions de l'article 82 du traité CE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce :

* en ayant, en 1997 et 1998, maintenu et exploité le mobilier urbain publicitaire de Rennes au- delà de l'échéance du contrat ;

* en ayant offert, en 1998 et 1999 sur la ville de Rennes, la gratuité de l'affichage sur des panneaux Senior, pour 18 campagnes publicitaires, et la prise en charge des frais techniques liés à la transformation du format des affiches, pour 14 campagnes ;

* en ayant, à partir des tarifs 1999 et 2000, permis aux annonceurs de compléter l'achat d'un réseau 2 m2 en province par des panneaux Senior à Rennes et d'avoir pris en charge, à partir du tarif 2000, les frais techniques liés au changement de format des affiches à Rennes.

Article 4 : Une sanction pécuniaire de 700 000 euros est infligée à la société JC Decaux SA.