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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 24 septembre 1992, n° 2481-92

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Verdin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Avocat général :

M. Jeanjean

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocats :

Mes Verrier, Ginestet, Revest.

TGI Auxerre, du 17 déc. 1991

17 décembre 1991

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal a déclaré C Christian et D Jean-Hervé coupables de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce des engrais, délit commis courant août 1988 à Noyers sur Serein (89),

et par application des articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905,

les a condamnés chacun à la peine de: 30 000 F d'amende, et a ordonné, aux frais des condamnés, la publication par extraits, dudit jugement dans les journaux "France Agricole" et "Yonne Républicaine" ainsi que son affichage, durant quinze jours, aux portes des établissements dont ils sont responsables;

Le tribunal les a condamnés, chacun pour leur part, aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de: 887,81 F;

Sur l'action civile:

Le tribunal a reçu Verdin Jean-Louis en sa constitution de partie civile, et a condamné solidairement C Christian et D Jean-Hervé à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Appels:

Appel a été interjeté par:

1°) C Christian, le 19 décembre 1991, par l'intermédiaire de son conseil, sur les dispositions pénales et civiles,

2°) D Jean-Hervé, le 19 décembre 1991, par l'intermédiaire de son conseil, sur les dispositions pénales et civiles,

3°) Le Procureur de la République prés la Tribunal de grande instance d'Auxerre le même jour, à l'encontre des deux prévenus,

4°) Verdin Jean-Louis, partie civile, le décembre 1991, par l'intermédiaire de son conseil;

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

Statuant sur les appela régulièrement interjetés par les prévenue, la partie civile et le Ministère public à l'encontre d'un jugement du Tribunal de grande instance d'Auxerre en date du 17 décembre 1991 dont le dispositif est rappelé ci-dessus.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de prévention la cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

A l'audience du 25 juin 1992, Christian C, assisté de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions:

- "de constater que M. Verdin a reçu une confirmation de commande d'un produit libellé différemment de sa commande sans réagir;

- "de constater qu'il a reçu les avis d'expédition de la marchandise concernant un produit conforme à la confirmation de commande, avis d'expédition signé par le destinataire;

- "de constater que M. Verdin a signé un bon d'attachement en date du 31 août 1988 concernant la confirmation de commande ci-dessus mentionnée 414790346 concernant une formule Scoractif 12-6-5, que l'épandage a été réalisé chez lui en conformité avec les instructions indiquées sur la confirmation de commande Cedest et qu'il n'a formulé qu'une remarque concernant le manque de 220 kg sur la citerne n° 15;

- "de constater que M. Verdin, par sa décision de faire pratiquer des analysas, est un cOnsommateur particulièrement diligent concernant la protection de ses droits;

- "de dire et juger en conséquence que le concluant n'a pas trompé par quelque moyen ou procédé que ce soit sur la quantité des choses livrées ou leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat.

- "de constater, en outre, que M. Verdin n'a pas effectué les prélèvements destinés à l'analyse en sa présence ou en présence d'un huissier et qu'il ne peut en conséquence pas rapporter la preuve de l'authenticité des échantillons;

- "d'écarter en conséquence les analyses sur lesquelles se fonds M. Verdin comme moyen de preuve de nature à rapporter la justification qu'il y aurait dans l'engrais livré un déficit en magnésie.

- "de le relaxer des fins de la poursuite, sans peine ni dépens."

Jean-Hervé D assisté de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions:

- "d'infirmer en toutes ses dispositions civiles et pénales le jugement dont appel;

- "de constater que la commande d'engrais passée par M. C et l'entreprise dont (il) est directeur portait sur le produit dénommé "Scoractif" et fabriqué par ladite entreprise;

- "de constater que (son) entreprise a bien livré un produit dénommé "Scoractif 12.6 +5";

- "en conséquence, de dire irrecevables les poursuites dirigées contre lui et portant sur les soit- disant défauts d'un produit dénommé "Sco Pot";

- "de constater et en tous cas de dire et juger que d'une part, il n'est pas établi que les produits analysés à l'initiative de M. Verdin étaient bien les engrais livrés par la société Y, et que, d'autre part, leurs conditions de prélèvements non contradictoires aient permis de dégager un résultat probant;

- "de dire subsidiairement (qu'il) n'a accompli aucun acte de mauvaise foi;

- "de le relaxer de toutes poursuites;

- "infiniment subsidiairement, de débouter M. Verdin de toutes ses fins, moyens et conclusions";

Jean-Louis Verdin, partie civile, représenté par son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions:

- "de confirmer sur la culpabilité de jugement rendu par le Tribunal correctionnel d'Auxerre en date du 17 décembre 199l;

- "de constater que l'élément intentionnel et l'élément matériel de la tromperie sont parfaitement démontrés, tant par l'aveu des prévenus que par l'analysas de la Station Agronomique de l'Yonne;

- "de dire et juger que les prévenus, fabricant et négociant d'engrais et à ce titre professionnel, n'évoquent ni la force majeure ni l'erreur invincible.

- "de dire et juger que les prévenus ont trompé (le concluant) en toute connaissance de cause en livrant un produit moins cher et comportant un manque important de magnésie, condition déterminante de l'achat.

- "de déclarer MM. C et D coupables de l'infraction de tromperie.

- "de débouter les prévenus de leur appel lequel est mal fondé.

- "de recevoir (son) appel incident

- "de condamner solidairement les deux prévenus à lui verser la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts.

- "d'ordonner la publication du jugement dans deux journaux dont la France Agricole et l'Yonne Républicain, pour un montant qui ne devra pas dépasser la somme de 10 000 F;

- "de condamner en outre les prévenus à (lui) verser une somme de 10 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale."

I. Sur l'action publique:

1°) Sur la déficience en magnésie des engrais produits et livrés par la société "Y";

Considérant que la société anonyme "Y" dont Jean-Hervé D est le directeur régional, a livré à Jean-Louis Verdin des engrais vendus sous la dénomination "Scoractifs 12.6 + 5" se composant de:

- 12% d'acide phosphorique, dont 6% de scories Thomas

et 6% de Phosphal

- 6% de potasse;

- 5% de magnésie;

Que les livraisons étaient effectuées les 22, 23 et 29 août 1988, en cinq fois, pour un poids total de 116 tonnes 250; que Jean-Louis Verdin, qui prétend avoir prélevé les échantillons d'engrais au moment où ceux-ci étaient déversés des camions dans les champs, faisait procéder à des analyses de ces produits par un laboratoire dénommé Station Agronomique de l'Yonne, sis à Auxerre, les deux premières analyses portant, selon la partie civile, sur des scories contenues dans les deux premiers camions et la troisième sur des scories contenues dans les trois autres camions; que le laboratoire, auquel les échantillons avaient été remis le 25 août, les 8 et le 19 septembre 1988, constatait que le taux d'oxydé de magnésium (ou magnésie) était de 1,3% (et non de 5%) pour chacun des prélèvements;

Considérant que les deux prévenus contestent las conditions dans lesquelles ces analyses, qui n'ont eu aucun caractère contradictoire, ont été faites et font observer, notamment, que les prélèvements ont été effectués hors leur présence et celle des employés de la société "Y" , que cette dernière avait engagé une société de services pour procéder à l'épandage des engrais dès leur sortie des camions, et que la teneur en humidité du dernier échantillon laisse à penser que les produits analysé, à supposer qu'ils proviennent bien des livraisons faites par "Y", avaient été ramassés après épandage, alors que l'oxyde de magnésium est soluble dans la terre humide;

Considérant, ainsi que l'ont rappelé les premiers juges, que si la victime, en matière de fraude, n'est pas tenue de respecter la procédure prévue par la loi du 1er août 1905 et le décret du 22 janvier 1919, lorsqu'elle effectue des prélèvements, il appartient à la juridiction saisie de s'assurer de l'authenticité des échantillons et de la fiabilité des analysas effectuées; qu'en l'espèce, faute par Jean-Louis Verdin d'avoir procédé à ces prélèvements en présence d'un représentant de la société "Y" ou de les avoir fait effectuer par un huissier, il n'est nullement établi que les échantillons analysés aient été prélevés sur les engrais livrés par "Y" ou, l'eussent-ils été, qu'ils aient été prélevés dans les camions et non après épandage; que la partie civile ne saurait donc soutenir valablement que les engrais livrés par la société "Y" comportaient un déficit en magnésie;

2° Sur la livraison de scoractifs au lieu des scories potassiques qui auraient été commandées par Jean-Louis Verdin:

Considérant que, le 20 août 1988, Jean-Louis Verdin commandait à la SARL "X", dont Christian C est le gérant, 1 300 quintaux de scories potassique, ainsi qu'en attesta le bon de commande qui porte la mention "Sco Pot", et qu'il n'est pas contesté que lui ont été livrées, non pas des scories potassiques composées de 12% d'acide phosphorique provenant de scories Thomas, 4,6% de potasses et de 5% de magnésie, mais un produit dénommé Scoractif, à savoir des scories phosphal-potassiques comportant 12% d'acide phosphorique, dont 6% de scories Thomas et 6% de phosphal, 6% de potasse, et 5% de magnésie;

Considérant que Christian C qui, compte tenu de l'urgence de la livraison, passait lui-même commande, pour le compte de Jean-Louis Verdin, à la société "Y" par téléphone, sans que celle-ci ait jamais reçu le bon de commande établi par la société X dans le cadre du contrat qu'elle avait passé avec l'agriculteur, a admis qu' il avait demandé à "Y" de livrer le produit qu'elle fabrique habituellement, à savoir des "Scoractifs", croyant de bonne foi que cela correspondait à la demande du client;

Que Jean-Hervé D, qui était alors directeur de la production à la société anonyme "Y", observe qu'il a livré le produit qui lui avait été commandé par Christian C, qu'il ne produisait d'ailleurs pas à l'époque de scories potassique,, que les agriculteurs confondent les deux produits et les dénomment indifféremment "Sco Pot" et que Christian C s'était rendu, en compagnie d'un représentant de "Y", M. Renaud, avant la commande, à la ferme de Jean- Louis Verdin où les deux hommes avaient expliqué au père de ce dernier la nature et les avantages du produit qu'ils pouvaient livrer, à savoir le "Scoractif"; que les deux prévenus soulignent que la partie civile a signé sens faire de réserves les bons de livraison et le bon d'attachement portant sur ledit produit;

Considérant qu'il résulte, par ailleurs, des déclarations de Daniel Vincens, chef de région d'une société commercialisant des engrais, que Jean-Louis Verdin lui avait demandé quelques mois auparavant, de lui fournir des engrais potassiques et qua, s'étant lui-même informé auprès de son fournisseur, la société "Y", il avait rapporté à Jean-Louis Verdin que cette société n'en produisait pas;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que Jean-Hervé D, en faisant livrer à Jean-Louis Verdin les engrais Scoractifs que Christian C lui avait commandés par téléphone, ne peut être en aucun cas tenu pour responsable de la non-conformité, alléguée par la partie civile, du produit livré avec celui qui aurait été commandé et, encore moins, être l'auteur d'une tromperie volontaire sur les qualités substantielles de ce produit; qu'il échet, en conséquence, de le renvoyer des fins de la poursuite exercée à son égard de ce chef;

Considérant que le bon de commande de Jean-Louis Verdin à la société "X", établi le 20 août 1988, porte la mention "Sco Pot", abréviation qui serait employée indifféremment pour désigner les scories potassiques et les scories, phosphal-potassiques; qu'il convient de relever que Jean-Louis Verdin, qui n'a porté plainte que le 19 mars 1990, soit plus de dix huit mois après les livraisons et après que Christian C ait été assigné en paiement devant la juridiction civile, savait par Daniel Vincens et par le représentant de la société "Y" que celle-ci ne produisait plus de scories potassiques et qu'il a d'ailleurs signé sans faire de réserves les bons de livraison et le bon d'attachement; que, dès lors, il n'est pas indubitablement établi que Christian C, qui a comme fournisseur habituel la société "Y", ait eu l'intention de tromper Jean-Louis Verdin sur les qualités substantielles de la marchandise vendue; qu'il échet, en conséquence, de le renvoyer des fins de la poursuite exercée à son encontre;

II. Sur l'action civile:

Considérant que, compte tenu des relaxes à intervenir, il y a lieu, en infirmant le jugement attaqué de débouter Jean-Louis Verdin de l'ensemble de ses demandes, celles-ci se trouvant être sans fondement;

Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels de Jean-Hervé D, de Christian C, du Ministère public et de la partie civile, Jean-Louis Verdin, Infirmant le jugement attaqué, Relaxe Jean-Hervé D et Christian C du chef de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, Déboute Jean-Louis Verdin, partie civile, de l'ensemble de ses demandes, Condamne Jean-Louis Verdin aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant liquidés à le somme de: 547,82 F.