CA Nancy, ch. soc., 7 décembre 1988, n° 2333-88
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Woltrager
Défendeur :
Sofinarex (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ollier
Conseillers :
MM. Bresciani, Puechmaille
Avocats :
Mes Schaf-Codognet, Kroell.
Madame Woltrager était au service d'une société d'expertise comptable, la SECN, depuis le 23 octobre 1978, en qualité de comptable, laquelle société cédait une partie de ses actions à la société Sofinarex à compter du 18 octobre 1985.
Antérieurement la société Sofinarex avait fait signer à Madame Woltrager un contrat le 24 avril 1985 aux termes duquel cette dernière était engagée à compter du 1er avril 1985 à des conditions différentes de celles qui la liaient précédemment à la SECN; il était joint à ce contrat une annexe avec clause de non-concurrence.
Par lettre du 12 juillet 1986, Madame Woltrager a démissionné à compter du 31 août 1986 prétendant avoir été contrainte d'agir de la sorte au motif que son employeur aurait entrepris de se priver de ses services et aurait systématiquement refusé de lui régler les sommes dues, en particulier des heures supplémentaires.
Estimant dans ces conditions que la rupture du contrat de travail était imputable à son employeur, elle a saisi le Conseil de prud'hommes de Nancy lequel par jugement du 22 avril 1988, après avoir écarté l'essentiel des demandes de Madame Woltrager dont celle de 30 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive, a condamné la société Sofinarex à lui payer les sommes de:
- 5 226,82 F pour solde de congés payés,
- 973,90 F pour rappel de salaires,
- 1 146,15 F pour quote-part du treizième mois (prime de bilan).
Accueillant d'autre part la demande reconventionnelle de la société Sofinarex, le conseil a condamné Madame Woltrager à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour non-respect du contrai de collaboration et détournement à son profit et à celui d'un tiers, de la clientèle de Sofinarex à Nancy, en l'occurrence celle des mariniers la compensation entre les condamnations étant par ailleurs ordonnée.
Madame Woltrager a régulièrement interjeté appel de ce jugement dont elle demande l'infirmation, sollicitant de la cour la condamnation de la société Sofinarex à lui payer les sommes suivantes:
- 5 226,82 F (congés payés),
- 2 204,14 F (heures supplémentaires),
- 7 114,79 F (prime de bilan),
- 8 746,60 F (frais de déplacements et fiches de déplacements),
- 30 000 F (dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail)
le tout avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, la société Sofinarex étant également condamnée à lui faire parvenir sous astreinte définitive de 100 F par jour, ses relevés de points de retraite.
Madame Woltraver entend d'autre part voir écarter toute indemnisation allouée à la société Sofinarex, en l'occurrence les 200 000 F de dommages-intérêts, dans la mesure où le contrat de travail la liant à cette société serait entaché de nullité, que Madame Woltrager n'aurait jamais été au service de la société Sofinarex qui n'aurait pas été propriétaire de la clientèle des mariniers traitée par Madame Woltrager, aucune clause de non-concurrence n'ayant dans ces conditions pu être violée.
La société Sofinarex conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré imputable à Madame Woltrager la rupture du contrat de travail, en ce qu'il a écarté l'essentiel des réclamations de cette dernière et a fixé le principe d'une indemnisation pour acte de concurrence déloyale.
La société Sofinarex sollicite en conséquence le rejet de l'ensemble des demandes présentées par Madame Woltrager et formant appel incident du chef de sa demande reconventionnelle, entend voir cette dernière condamnée à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts; la compensation n'étant ordonnée qu'à titre subsidiaire pour le cas où il serait alloué des indemnités à Madame Woltrager.
Enfin la société Sofinarex réclame une somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Discussion:
Sur l'imputabilité de la rupture:
Attendu qu'il est constant que Madame Woltrager a démissionné par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juillet 1986, qu'elle a confirmé par lettre du 13 août 1986 adressée à Monsieur Eludut, Directeur de Sofinarex à Nancy, précisant qu'elle cessera de faire partie du personnel au 31 août 1986;
Que cette lettre du 12 juillet se réfère à une autre du 30 juin 1986 où Madame Woltrager demande le paiement de la prime sur nouveaux clients réclamation abandonnée en cause d'appel, et fait mention de 383 heures supplémentaires effectuées du 1er janvier au 17 mai 1986, mais que cette réclamation est également abandonnée au cause d'appel;
Qu'il n'est plus demandé que le paiement d'une somme de 2 204,14 F représentant 40 heures supplémentaires effectuées en juillet et août 1986;
Que les premiers juges ont à bon droit décidé que les heures réclamées pour le relevé du courrier, deux heures par jour, pendant les trois semaines de congés payés de Madame Woltrager ne pouvaient être prises en considération car d'une part le travail rétribué pendant les congés annuels est prohibé, d'autre part Madame Woltrager n'établit pas avoir eu l'autorisation de son employeur, qui les conteste, et de plus il ressort du dossier qu'elle avait refusé de remettre les clés à son employeur avant son départ en vacances;
Que pour le surplus concernant les heures d'août, Madame Woltrager ne pouvait pas prévoir en donnant sa démission le 13 août que des heures supplémentaires seraient réalisées postérieurement et ne lui seraient pas payées;
Qu'il n'était donc pas dû d'heures supplémentaires y compris pour la faible fraction retenue par le conseil de prud'hommes, le grief ne pouvant dès lors être invoqué comme cause de la rupture du contrat de travail
Mais attendu surtout que les conditions dans lesquelles Madame Woltrager a donné sa démission démontrent que celle-ci a bien agi de son plein gré;
Qu'alors qu'elle travaillait depuis des mois pour le compte de la société Sofinarex, Madame Woltrager prit en effet la surprenante initiative de changer les serrures de la porte d'entrée de son lieu de travail, interdisant ainsi à l'employeur de pénétrer dans ses propres locaux, d'en jouir, mais aussi et surtout de contrôler et suivre ses dossiers;
Que dès l'expiration de son contrat de travail, le 31 août 1986, elle est entrée au service d'une association dite "Chambre nationale des mariniers", dont le siège s'est révélé être situé dans le même immeuble, 34 rue Saint-Jean à Nancy, que celui où Madame Woltrager travaillait auparavant pour le compte de la société Sofinarex;
Que lorsqu'elle a donné sa démission elle était d'ailleurs quasiment assurée d'un autre emploi auprès de cette association, ainsi que cela lui a été confirmé par lettre du 6 août 1986;
Que dans le cadre de cette nouvelle activité elle a continué de réaliser ce qu'elle avait toujours fait pour le compte de la SECN puis de la société Sofinarex, à savoir la gestion des dossier des mariniers;
Que la société a d'ailleurs été contrainte d'engager une procédure en référé devant le Tribunal de grande instance de Nancy, qui a abouti notamment à la récupération de ces dossiers;
Qu'il apparaît en définitive qu'en démissionnant Madame Woltrager avait pour dessein de se réinstaller;
Que dans ces conditions la demande tendant à voir imputer la rupture à la société Sofinarex doit être écartée comme l'ont fait les premiers juges; que leur décision sera confirmée;
Sur les réclamations de Madame Woltrager:
* congés payés: 5 226,82 F
Attendu que ni le principe ni le montant n'étant contestés par la société Sofinarex, c'est à bon droit que cette somme a été allouée en première instance à Madame Woltrager;
* heures supplémentaires juillet-août 1986: 2 204,14 F pour 40 heures
Attendu que pour les motifs déjà indiqués, il n'est rien dû de ce chef;
* prime de bilan du 1er mars 1984 au 31 mars 1985: 5 968,64 F et celle de juillet-août 1986: 1 146,15 F, total: 7 114,79 F.
attendu que pour la première, le conseil de prud'hommes a décidé à bon droit que la demande n'était pas fondée, Madame Woltrager, dont le contrat avec la société Sofinarex ne prévoyait pas cette prime, ne justifiant pas des droits qu'elle revendiquait;
Attendu qu'en revanche pour la seconde, qui n'était pas contestée par la société Sofinarex, il a estimé fondée la réclamation;
Que sa décision doit être confirmée:
* frais de déplacements juillet-août 1986: 8 000 F et rappel sur frais de déplacements: 746,60 F, total: 8 746,60 F
Attendu que pour écarter cette demande, le conseil de prud'hommes a relevé à juste titre que trois notes d'indemnités kilométriques ont été acquitées pour juin, juillet et août;
Qu'il ne saurait donc être fait droit à une réclamation complémentaire alors en outre qu'une partie de cette période a été affectée à des congés payés;
* dommages-intérêts pour rupture abusive:
Attendu que Madame Woltrager ayant démissionné de son plein gré dans les conditions sus-analysées, il n'existe dès lors aucun préjudice justifiant l'allocation de dommages-intérêts;
* relevés des points de retraite:
Attendu que ceux-ci étant établis par les caisses de retraite, la société Sofinarex ne peut qu'être tenue de les faire parvenir à Madame Woltrager par lettre recommandée avec accusé de réception dès qu'ils lui auront été transmis;
Que la société Sofinarex ne saurait se voir infliger une astreinte tant que ces documents ne seront pas en sa possession;
* intérêts de retard:
Attendu qu'eu égard aux particularités du dossier, il ne sont pas dus, sauf lorsqu'ils sont de droit;
Attendu qu'en définitive il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions afférentes aux demandes à caractère pécuniaire présentées par Madame Woltrager, sauf en ce qu'il a accueilli celle, non justifiée, relative aux heures supplémentaires
Sur la demande en indemnisation de la société Sofinarex:
Attendu que contrairement aux allégations de Madame Woltrager ainsi qu'il résulte de la production aux débats des conventions passées entre les deux sociétés, la société SECN a été intégralement reprise par la société Sofinarex à compter du 1er avril 1985;
Que la convention passée entre les parties prévoyait transmission des actions avec cession de l'ensemble des éléments d'activité, et avec présentation et reprise de la clientèle;
Que l'opération était mise en œuvre, ainsi que cela résulte encore des documents contractuels, au 1er avril 1985;
Qu'à cette date, l'employeur de Madame Woltrager devenait par l'effet de la loi (article L. 122-12 du Code du travail), la société Sofinarex;
Que d'ailleurs Madame Woltrager ne conteste pas sérieusement avoir été dès ce moment rémunérée par la société Sofinarex, alors surtout qu'elle vient prétendre aujourd'hui que cette société ne l'aurait pas remplie de ses droits de salariée;
Qu'elle ne démontre pas d'autre part en quoi le contrat de travail qu'elle a signé le 24 avril 1985 serait nul;
Qu'il est parfaitement licite même dans le cas d'une reprise d'activité de signer des contrats de travail précisant les nouvelles conditions de travail du salarié, dès lors comme c'est le cas présentement, qu'il n'en est résulté aucune diminution d'avantages pour celui-ci;
Qu'en toute hypothèse Madame Woltrager a librement consenti à la signature du contrat et n'a émis aucune protestation par la suite ainsi qu'il vient d'être rappelé;
Attendu qu'elle ne peut pas non plus sérieusement soutenir que la clientèle des mariniers n'a jamais été la propriété de la société Sofinarex;
Que des accords réguliers ont été pris entre la société SECN et la société Sofinarex, qu'ils ont été appliqués;
Que la clientèle est devenue celle de la société Sofinarex et que Madame Woltrager, entre le 1er avril 1985 et la date de sa démission, a traité des dossiers exclusivement pour le compte de son employeur la société Sofinarex;
Que certes l'ensemble des mariniers ont toujours eu un contact personnel exclusivement avec Madame Woltrager représentant son employeur, tant dans le cadre de ses fonctions à la société SECN que dans le cadre de son emploi à la société Sofinarex, mais qu'elle ne peut cependant pas contester qu'après avoir donné sa démission elle a appréhendé les locaux et les dossiers de la société Sofinarex et les a conservés pour son compte personnel et celui de l'organisme dit "Chambre nationale des mariniers";
Que le Tribunal de grande instance de Nancy statuant en référé l'a d'ailleurs sanctionnée de ce chef par une décision qui est définitive, puisqu'il a été ordonné à Madame Woltrager de rendre les dossiers;
Que cette ordonnance a été rendue le 5 novembre 1986 et que Madame Woltrager avait été assignée sur premier appel pour le 30 septembre 1986;
Or attendu qu'il est produit un ensemble de lettres de clients mariniers adressées à la société Sofinarex dénonçant massivement leur contrat au moyen desdites lettres systématiquement datées du 30 octobre 1986 et rédigées dans les mêmes termes;
Qu'en outre selon un exemplaire photocopié, daté du 30 octobre 1986, adressé à un marinier client de la société Sofinarex, Monsieur Gilles Feneuille, signé de Madame Woltrager, à en-tête de la Chambre nationale des mariniers, Bureau Régional de Nancy 34 rue Saint-Jean, il ressort que l'ensemble de cette clientèle a été sollicitée pour retirer à la société Sofinarex la tenue de leur comptabilité et la confier à la Chambre nationale des mariniers, Madame Woltrager y apposant de plus une mention manuscrite afin d'inciter les destinataires à suivre les instructions données, ladite mention étant en effet rédigée en ces termes: "si vous n'envoyez pas cette lettre, je ne pourrai plus travailler sur votre dossier";
Attendu qu'il est dès lors non seulement établi que Madame Woltrager a quitté la société Sofinarex pour travailler pour le compte d'une tierce entreprise dont elle était la responsable régionale mais encore qu'elle a détourné ou tenté de détourner tout ou partie de la clientèle avec laquelle elle travaillait pour le compte de la société Sofinarex, enfreignant ainsi les articles 8 et 9 des conditions générales de collaboration annexées à son contrat de travail, sur le respect de la clientèle et la clause de non-concurrence;
Que la décision entreprise qui a fixé le principe d'indemnisation pour acte de concurrence déloyale, doit donc être confirmée;
Que le préjudice qui en est résulté pour la société Sofinarex a par ailleurs été correctement arbitré à la somme de 200 000 F, cette disposition du jugement devant dès lors être maintenue;
Sur les demandes accessoires et les dépens:
Attendu que les sommes allouées à Madame Woltrager ayant toutes le caractère de salaire ou accessoires de salaire, c'est à bon droit que la compensation n'a été ordonnée par les premiers juges que dans la limite de la quotité saisissable;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire bénéficier la société Sofinarex des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Qu'il ne lui sera rien alloué de ce chef;
Attendu qu'en revanche, Madame Woltrager, qui succombe, supportera les dépens d'appel;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la rupture du contrat de travail imputable à Madame Woltrager, écarté l'essentiel de ses réclamations, et a fixé le principe d'indemnisation pour acte de concurrence déloyale en allouant à la société Sofinarex une somme de deux cent mille francs (200 000 F) à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'en toute ses autres dispositions non contrains au présent arrêt; L'infirmant sur le surplus; Dit n'y avoir lieu à rappel d'heures supplémentaires au profit de Madame Woltrager; Rejette la demande de la société Sofinarex fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Madame Woltrager aux dépens d'appel.