CA Riom, ch. civ. et com., 8 février 1995, n° 99-95
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Garage Joubert (EURL)
Défendeur :
Goigoux, Porte (SA), Pac (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bardel
Conseillers :
MM. Despierres, Legras
Avoués :
Mes Tixier, Gutton, Goutet
Avocats :
Mes Sahuc, Thiollier, SCP Bonnet Eymard Navarro
Expose du litige
Les transports Goigoux sont propriétaires d'un tracteur de marque Scania. En avril 1992 ils le confient au garage Porte chargé de procéder à diverses réparations. Le garage Porte s'adresse à la société Pac pour obtenir un moteur d'occasion ;
La société Pac achète un moteur rénové au garage Joubert au prix de 48 000 F HT. La société Porte procède à son montage sur le véhicule ;
Le 9 avril 1993 le véhicule est immobilisé en raison d'une fuite d'huile ;
Une expertise confiée à M. Cajat est ordonnée le 30 avril 1993 ;
Après dépôt du rapport les transports Goigoux et la société Porte font assigner la société Pac devant le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand ;
Par jugement du 9 juin 1994 le tribunal :
Donne acte à la société Porte de son désistement ;
- condamne in solidum la SARL Pac et la SARL Joubert à payer à M. Goigoux les sommes de 70 000 F (coût de la remise en état- 5 229,79 F coût de la dépose d'accessoires- 72 000 F pour trouble de jouissance et 4 000F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- condamne la SARL Garage Joubert à garantie à hauteur de 50 % de la société Pac ;
Le 23 juin 1994 l'EURL Garage Joubert relève appel de ce jugement ;
Elle soulève l'irrecevabilité de la demande au motif qu'il n'est pas prouvé que la fissure du bloc moteur existait avant la livraison ;
Elle conteste les énonciations du rapport et prétend que sa responsabilité n'est pas engagée. Elle reproche au garage Porte et à la société Pac de ne pas avoir vérifié l'état du moteur avant montage et d'être responsables d'une méconnaissance de leurs obligations ;
L'appelante estime enfin que les sommes allouées ne sont pas justifiées ;
La SARL Pac forme un appel incident. Elle dépose trois jeux de conclusions:
- les premières demandant à la cour de dire qu'elle n'a commis aucune faute, à titre subsidiaire de constater la responsabilité du garage Joubert et de le condamner à garantie de toutes condamnations pouvant être mises à se charge, de constater que le garage Porte a commis une faute, à titre infiniment subsidiaire dire que les sommes réclamées sont injustifiées. Ces conclusions tendent en outre à l'obtention de la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- les deuxièmes tendant au débouté sur le fondement du contrat conclu entre elle-même et la société Porte et Goigoux, à titre subsidiaire au rejet de la demande qui ne serait ni une action rédhibitoire, ni une action estimatoire et enfin à la garantie par le garage Joubert. Ces écritures portent à 10 000 F la demande fondée sur l'article 700.
- les troisièmes fondées sur la clause insérée dans le contrat de vente mettant selon elle en place un système autonome de garantie.
Ses moyens sont les suivants :
1°) Une garantie contractuelle de six mois avait été prévue. Or aucune réclamation n'a été formulée dans ce délai. La clause mettait en place un régime de garantie autonome parfaitement valable dès lors qu'il s'appliquait entre professionnels. La responsabilité ne peut être engagée en dehors de ce cadre, notamment après expiration du délai, étant observé que les parties pouvaient déroger conventionnellement aux dispositions relatives à la garantie légale.
2°) La demande ne tend ni à la résolution ni à la restitution d'une partie du prix. Elle excède les prévisions de l'article 1644 du Code civil. Aucune condamnation in solidum ne peut être prononcée entre les vendeurs successifs, la restitution de la chose n'étant pas sollicitée.
3°) Le prétendu vice est imputable au Garage Joubert. Aucune faute ne peut être reprochée à la société Pac. Ledit garage est l'unique responsable et doit dès lors garantie des sommes allouées lesquelles ne sont du reste pas justifiées.
Les sociétés Goigoux et Porte concluent à la confirmation du jugement sauf à porter à 100 000 F le montant des dommages et intérêts.
La société Goigoux demande la condamnation de l'EURL Joubert à lui payer 25 000 F de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Porte réclame 5 000 F sur le fondement de cette disposition
La société Transports Goigoux répond :
- que le vice, son imputabilité et sa préexistence au contrat sont parfaitement établis par le rapport d'expertise.
- qu'elle dispose d'une action contractuelle sur le fondement de vices cachés dont les conditions de mise en œuvre sont réunies.
- que les professionnels ont manqué à leur obligation de résultat; qu'ils ont par ailleurs commis des fautes : montage d'un moteur défectueux, absence de vérification.
- que la responsabilité de la société Pac n'est pas recherchée en application d'une clause de garantie conventionnelle ; que la garantie conventionnelle ne fait pas obstacle à l'application de la garantie légal.
Elle estime être en droit de demander réparation des préjudices découlant des vices cachés, notamment de la privation de jouissance sous-évaluée par les premiers juges.
Motifs et décision
Attendu que l'action diligentée contre les sociétés Pac et Joubert est fondée sur le vice caché de la chose vendue ; qu'il est admis par les parties qu'elle a un caractère contractuel, la société Goigoux invoquant d'une part la vente consentie par l'EURL Joubert à la société Pac, d'autre part la vente consentie à la société Porte par la société Pac ; que la société Porte n'est pas recherchée au titre de l'obligation de résultat incombant au garagiste réparateur, aucune demande en garantie n'étant de surcroît formée contre elle.
Attendu qu'il importe en conséquence, l'existence du vice n'étant pas discutée, d'examiner les points suivants:
1) le caractère caché du vice et son antériorité ou se concomitance par rapport aux ventes successives.
2) les effets de la clause contractuelle de garantie.
3) la conformité de la demande aux dispositions de l'article 1644 du Code civil;
4) l'évaluation de la créance
5) le bien-fondé de l'action en garantie de la société Pac
I. Le caractère caché du vice, son antériorité ou sa concomitance
Attendu que l'expert Cajat expose que le moteur en place sur le véhicule présente une fissure ; que son examen après dépose a révélé une fissure importante de la partie arrière, longue d'une vingtaine de centimètres, le support arrière du palier de vilebrequin étant lui aussi fendu ; que le bloc moteur est hors service et irrécupérable; que le vilebrequin n'était pas en bon état ;
Attendu qu'après avoir effectué une série d'investigations minutieuses, notamment une analyse de l'huile moteur, des examens de pièces par des spécialistes, l'expert conclut que la fissure (ou son amorce) existait lorsque le moteur a été livré à Porte, qu'au départ elle devait être interne, donc non visible et non décelable ;
Attendu que le technicien commis ajoute que l'EURL Joubert aurait pu détecter cette anomalie par un examen sérieux ; que la société Porte a monté le moteur livré sans faire aucune intervention ; qu'enfin Joubert n'a pas procédé à la rénovation dans les règles de l'art ;
Attendu que de ces constatations et énonciations que la cour fait siennes, il résulte manifestement que le moteur livré, impropre à l'usage auquel il est destiné, était dès avant la première vente, affecté d'un vice caché que la société Goigoux n'a pu obtenir le potentiel espéré (de l'ordre de 800 000 km) alors que l'utilisation n'a pas excédé 100 000 km) ;
Il. Sur les effets de la garantie contractuelle
Attendu que sur se facture la société Pac a porté la mention "garanti 6 mois pièces sous réserve de bon montage et vérification";
Attendu que cette mention n'exclut pas la garantie légale ; qu'elle ne fixe aucun délai à l'exercice de cette garantie, la mention sus-énoncée ne précisant nullement qu'après l'expiration du délai de six mois aucune réclamation ne serait admise au titre des vices cachés ;
Attendu qu'en vertu de cette stipulation la société Pac était simplement tenue de procéder à toutes réparations quelle que soit l'origine du désordre constaté durant le délai, à condition qu'il ne fut pas imputable à l'acquéreur ;
Attendu par ailleurs que ni la société Porte, ni la société Goigoux ne pouvaient déceler le vice caché ; que se découverte a nécessité un démontage°des investigations qui ne sont pas d'usage ; qu'il s'ensuit que l'acquéreur ne pouvait accepter une exonération du vendeur en toute connaissance de cause ;
Attendu que le moyen ainsi opposé par la société Pac ne peut qu'être écarté ;
III. Sur la nature de la demande
Attendu que le droit de demander, au cas de vices cachés de la chose, soit la résolution de la vente, soit une réduction de prix, n'exclut pas, alors que le vendeur professionnel a dû avoir connaissance du vice au moment de la vente, la faculté pour l'acheteur d'en demander réparation en conservant la chose, ou par voie d'équivalence en sollicitant des dommages et intérêts ; que cette faculté résulte du principe même duquel s'est inspiré l'article 1645 du Code civil ;
Attendu en effet que le vendeur professionnel, réputé connaître les vices de la chose, est tenu de tous dommages et intérêts envers l'acheteur ;
Attendu en l'occurrence que les travaux de réparation ne sont pas hors de proportion avec la valeur du véhicule (estimé à 125 000 F par l'expert) et avec la valeur du moteur initialement fourni (facturé 73 532 F par la société Porte); qu'aucun moyen n'est du reste soulevé de ce chef ;
Attendu que la demande entre donc bien dans les prévisions de la garantie légale ;
IV. L'évaluation de la créance de réparation
Attendu que l'expert a évalué à 70 000 F le coût de la remise en état, opération économiquement rentable qu'il est indiscutable que depuis début avril 1993, date de l'immobilisation du véhicule (et non pas 1992) la société Goigoux a subi une perte de jouissance ; que l'expert note qu'elle a dû louer un tracteur du 1er avril au 30 avril et ensuite du 5 mai au 31 mai pour la somme de 13 046 F ; que cette privation de jouissance l'a conduite à acquérir un nouveau tracteur pour assurer la survie de l'entreprise ;
Attendu que les transports Goigoux ne précisent pas à quelle date le véhicule de remplacement a été acquis ;
Attendu cependant que le rapport ayant été clôturé le 19 août 1993,(dernière réunion 27 juillet 1993) l'acquisition est nécessairement antérieure à cette date ;
Attendu que la fixation au 9 avril 1992 du point de départ de l'immobilisation telle qu'effectuée par les premiers juges ne peut manifestement pas être retenue puisque le véhicule a été immobilisé début avril 1993 ;
Attendu du reste que l'attestation de l'expert comptable de la société Goigoux fait bien état d'un préjudice subi au cours de l'année 1993 ;
Attendu que cette attestation ne s'explique pas sur le mode de calcul de la perte qu'elle énonce ; qu'elle se rapporte à l'année 1993 dans se globalité ; qu'elle ne fournit aucun renseignement sur l'incidence de l'acquisition d'un nouveau tracteur et sur les charges financières qu'elle a pu entraîner ;
Attendu qu'au vu des éléments d'appréciation dont elle dispose, notamment des indications de l'expert quant au coût d'une location d'un tracteur équivalent, la cour estime que la somme de 72 000 F est à même de réparer le préjudice consécutif à l'immobilisation imputable aux vices affectant la chose ;
Attendu en outre que la société Goigoux justifie avoir dû débourser la somme de 5 229,79 F pour permettre à l'expert de procéder à ses investigations (dépose du moteur et des accessoires) ; que cette somme a été justement allouée ;
Attendu que les vendeurs professionnels successifs, tenus chacun à réparation intégrale des conséquences dommageables du vice ont été à juste titre condamnés in solidum
V. Sur la garantie
Attendu que le vice est imputable à la société Joubert qui a méconnu les règles de l'art et omis de déceler un vice qui n'aurait normalement pas dû lui échapper lorsqu'elle a procédé à la rénovation du moteur ;
Mais attendu que la société Pac, elle-même professionnelle, a vendu le moteur sans effectuer le moindre contrôle et sans avoir vérifié la parfaite qualité du matériel avant de le mettre en vente alors qu'elle consentait une garantie de six mois ;
Attendu qu'elle ne saurait s'abriter derrière un rôle prétendu de simple intermédiaire ; que la responsabilité des dommages consécutifs au vice caché a été justement imputée à la société Pac et à l'EURL garage Joubert ; que l'appréciation des premiers juges selon laquelle la faute de Joubert doit être retenue à hauteur de 50 % dans la répartition de la charge finale de l'indemnisation mérite d'être entérinée ;
Attendu que l'abus imputé à l'EURL garage Joubert qui a usé d'une voie de recours sans excéder les droits que la loi attribue à tout justiciable, n'est pas caractérisé ; que son appel n'est pas fautif et ne saurait par suite justifier l'octroi de dommages et intérêts ;
Attendu qu'il sera alloué à la société Transports Didier Goigoux et à la société Porte respectivement les sommes de 3 000 F et 2 000 F au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel, la somme allouée en première instance étant parfaitement justifiée ; que l'équité impose de ne pas condamner l'EURL garage Joubert à payer à la société Pac une quelconque somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris y ajoutant : Condamne l'EURL Garage Joubert à payer et porter en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 3 000 F (trois mille francs) à la société transports Goigoux et la somme de 2 000 F (deux mille francs) à la société Porte ; Rejette toutes demandes plus amples ou contraires. Condamne in solidum l'EURL Garage Joubert et la société Pac aux dépens d'appel, l'EURL Joubert garantissant pour moitié la société Pac et autorise les avoués des parties gagnantes à recouvrer ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.