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Décisions

CA Douai, 2e ch. civ., 5 avril 1990, n° 2934-89

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société d'Equipement Technique du Bâtiment (SA)

Défendeur :

Conception Frigorifique Climatique et Thermique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vandewyhaeghe

Conseillers :

MM. Besse, Lévy

Avoués :

SCP Le Marc'Hadour-Pouille Groulez, Me Cochème

Avocats :

Mes Mathot, Vairon.

T. com. Arras, du 31 mars 1989

31 mars 1989

Attendu que par jugement en date du 31 mars 1989 le Tribunal de commerce d'Arras a débouté la société Seteb de son action tendant à obtenir:

- que soient ordonnées la cessation immédiate de l'activité industrielle et commerciale exercée par la société CFCT dont le siège est 1, rue de la Mairie à Vitry-en-Artois et la fermeture du fonds sous astreinte de 1 000 F par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir,

- que soit ordonnée la publication de la décision à intervenir par insertion dans deux journaux qu'il plaira fixer et à concurrence d'une somme totale de 5 000 F, dont le paiement sera supporté par la société CFCT,

- que la société CFCT soit condamnée à lui payer à titre de dommages et intérêts à la société Seteb la somme de 700 000 F avec intérêts de droit à compter de la décision à intervenir.

Attendu que le 11 mai 1989, la Société d'Equipement Technique du Bâtiment (Seteb) a interjeté appel de ce jugement et que par des conclusions déposées le 27 septembre 1989 elle demande à la cour d'infirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Arras en date du 31 mars 1989, de faire droit à ses demandes initiales et en outre de condamner la société Conception Frigorifique Climatique et Thermique au paiement d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Qu'elle expose à l'appui de son recours:

- qu'elle est une entreprise de génie frigorifique, climatique et thermique implantée à Auby près de Douai, employant une vingtaine de salariés parmi lesquels figurait Patrick Blanchard embauché comme commercial en 1986,

- qu'en début d'année 1988, elle apprenait que Patrick Blanchard créait sa propre entreprise, concurrente de celle de son employeur, et qu'il cherchait, pour ce faire, à débaucher certains de ses collègues de travail ; qu'il menait une véritable campagne de dénigrement auprès des employés dans le but de les inciter à quitter l'entreprise pour aller travailler à ses côtés, se déclarant prêt à "faire crouler" son employeur que ces agissements devaient conduire à son licenciement le 7 mars 1988,

- qu'à peine avait-il quitté la Seteb que les statuts d'une société anonyme, la CFCT (Conception Frigorifique Climatique et Thermique) étaient établis et déposés, ayant pour objet "l'étude, la conception d'installations frigorifiques, climatiques et thermiques" et siège social à Vitry-en-Artois, à proximité immédiate de Douai;

- qu'avant même que la société ne soit immatriculée au Registre du commerce, deux salariés de la Seteb donnaient leur démission pour rejoindre ainsi qu'ils l'ont avoué la CFCT à savoir : un frigoriste, Pascal Roch et un chauffagiste, Alain Druelle que quelques temps plus tard, deux autres salariés partaient à leur tour pour rejoindre la CFCT, deux frigoristes Michel Sede et Walter Steiger; que deux autres salariés devaient encore les suivre...

- que la CFCT a adressé à ses clients des lettres circulaires avec une carte portant le nom de Patrick Blanchard et que ces démarches en vue de capter sa clientèle ont porté ses fruits, puisque certains de ses clients l'ont quittée (ex : La société Saint Gobain Vitrages, la société EMP de Villeneuve d'Ascq, etc...);

Qu'elle reproche à la juridiction du premier degré de l'avoir déboutée alors qu'un de ses salariés qui avait des responsabilités s'est établi à proximité immédiate du lieu d'activité de son employeur, exerce la même activité, a entraîné avec lui une partie de ses collègues, a détourné la clientèle en utilisant la connaissance qu'il en avait, après avoir ouvertement déclaré qu'il ferait "crouler" son ancien employeur;

Qu'elle fait valoir qu'il y a eu incontestablement des faits de concurrence déloyale, qui lui causent gravement préjudice ; qu'en particulier Blanchard avait prémédité son départ:

- Blanchard avait avant son départ formé le projet de constituer une société ayant exactement le même objet et la même activité que celle de son employeur et débauché à cette fin une partie du personnel, s'étant constitué une équipe de travail complète de six employés groupant à la fois des frigoristes, des chauffagistes, et des employés administratifs,

- Blanchard avait déjà réservé un site d'installations proche du lieu où il travaillait et a pu constituer une société dans le mois de son licenciement,

- Blanchard qui travaillait comme représentant à la Seteb et assurait la quasi-totalité des relations avec la clientèle a joint sa carte dès avril 1988 aux lettres d'offre de services de la société CFTC et mis à profit les renseignements obtenus et les contrats passés alors qu'il était employé par la Seteb.

Attendu que le 19 octobre 1989 Patrick Blanchard a déposé des conclusions pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter la société Seteb de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts pour trouble commercial et une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Qu'il fait valoir:

- qu'il était entré au service de la Seteb en janvier 1986 comme VRP chargé de promouvoir auprès de la clientèle tout ce qui se rapporte à la climatisation et que son contrat de travail ne comportait aucune clause de non-concurrence ;

- qu'il n'y a pas lieu de s'étonner de la création relativement hâtive de sa société, tout praticien du droit des sociétés étant en mesure d'en créer une dans un délai relativement court ; qu'il n'a pris cette initiative qu'après avoir été inopinément et abusivement licencié par la Seteb;

- qu'il y avait une instabilité anormale du personnel de la Seteb qui explique le départ de certains de ses employés.

Attendu qu'en cause d'appel les positions des parties demeurent les mêmes qu'en première instance ; qu'en particulier la société Seteb persiste à se plaindre d'une concurrence déloyale de la société CFCT créée par son ancien directeur commercial, Patrick Blanchard;

Attendu qu'il n'a été produit à l'occasion de l'appel aucun élément nouveau qui n'ait été connu de la juridiction du premier degré ; que celle-ci par des motifs pertinents que la cour adopte a procédé à une saine appréciation des faits et circonstances de la cause notamment en relevant:

1°) que le contrat de travail de Patrick Blanchard ne comportait aucune clause de non-concurrence ; qu'il suffit d'ajouter qu'il était donc libre de s'installer à son compte personnel ou de créer sa propre société et d'entrer en concurrence avec son ancien employeur, sous la seule réserve que cette concurrence ne s'accompagne pas d'actes constitutifs de faute par dénigrement, création de confusion, désorganisation de l'entreprise adverse, etc...;

2°) que les attestations relatives à des propos de dénigrement attribués à Blanchard, au nombre de deux, émanent de salariés recrutés très récemment dans l'entreprise, l'un d'eux depuis quinze jours seulement ; qu'elles sont datées du jour même de la convocation de Blanchard à un entretien préalable à son licenciement ; qu'il est pour le moins singulier que la société Seteb ait dû faire appel à des témoignages d'employés présents depuis peu dans l'entreprise et n'ayant guère eu le temps matériel de connaître Blanchard ; qu'il suffit d'ajouter que ces appréciations n'ont pas été connues de la clientèle et ne l'ont pas affectuée;

3°) que la réservation d'un terrain dont la preuve n'est pas établie également avec évidence, n'est pas non plus en soi constitutif d'acte de concurrence déloyale dès lors que le service de Patrick Blanchard n'a pas eu à en souffrir puisque jusqu'à son licenciement des marchés ou contrats, certains importants, ont été conclus grâce à ses initiatives qu'il suffit d'ajouter que la perspective de s'installer à son compte n'est pas interdite à un salarié non tenu par une clause de non-concurrence;

4°) que la rapidité avec laquelle Blanchard a constitué une société n'est pas en soi significative et à fortiori répréhensible s'agissant d'une entreprise à caractère exclusivement familial par laquelle les formalités de création peuvent s'accomplir en de courts délais;

5°) que si certains des salariés de la Seteb ont rejoint la société CFCT, il n'est pas établi que ces démissions sont consécutives à des manœuvres de Patrick Blanchard ; que certains (Monsieur Cavale) n'ont pas été embauchés par la société CFCT ; que des annonces ont été publiées dans la presse ; que s'il peut paraître curieux que certains ont démissionné la veille de la parution de ces avis, il est de fait qu'ils n'ignoraient pas la création d'une entreprise nouvelle par Blanchard ; que les conditions de salaires offertes n'étaient pas meilleures, voire pour un employé (Monsieur Swirog) moins intéressantes ;

6°) qu'en ce qui concerne la perte de clientèle, un certain nombre de clients ont été emporté au terme d'une procédure d'appels d'offres et d'autres ont quitté la société Seteb soit parce qu'ils en étaient mécontents, soit parce qu'ils ont trouvé des conditions plus avantageuses, ce qui est le propre de la concurrence;

7) qu'aucun des faits allégués, ni même leur réunion ne caractérise une concurrence déloyale de la société CFCT créée par Patrick Blanchard, libre de tout engagement à son départ de la société Seteb;

Attendu qu'il s'ensuit qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Attendu que l'appel se révèle non fondé ; qu'il y a lieu de condamner son auteur à payer à la société CFCT une indemnité de 4 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les circonstances de la cause faisant apparaître qu'il serait inéquitable de laisser à la partie intimée la charge intégrale des frais qu'elle a exposés à l'occasion de la présente procédure et qui ne seraient pas compris dans les dépens, le surplus de ces demandes en dommages et intérêts étant rejeté faute de justifications.

Par ces motifs, Reçoit la Société d'Equipement Technique du Bâtiment "Seteb" en son appel. Le dit non fondé. Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions. Condamne la Société d'Equipement Technique du Bâtiment à payer à la société Conception Frigorifique Climatique et Thermique "CFCT" une indemnité de 4 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux dépens de l'appel, et autorise Maître Cochème, avoué à la cour, à les recouvrer directement dans la mesure prévue par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.