Livv
Décisions

CA Douai, 1re ch. civ., 20 avril 1988, n° 262-86

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sodifac (SA), Supersac (SA), Codifac (SA)

Défendeur :

Housses Auto DBS (Sté), Devilder (Consorts), Breuvart (Consorts), Sobocki, Thiriez, Dubois, Thonin, Kahoul, Guartieri, Degrenier, Feron (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chaudon

Conseillers :

MM. Maitreau, Bussière

Avoués :

Me Cochème, SCP Masurel-Thery

Avocats :

Mes Hanicotte, Sellier, Perreau

TGI Lille, du 11 déc. 1985

11 décembre 1985

La société Sodifac est propriétaire des actions des sociétés Supersac et Codifac. L'objet de ces sociétés est la fabrication de housses pour sièges automobiles.

Henri Devilder adjoint de direction en 1976, directeur général des trois sociétés précitées depuis 1978 et président directeur général de la société Codifac depuis le 30 juin 1982 a donné sa démission le 25 octobre 1982 avec effet au 25 janvier 1983 à l'issue d'une période de préavis de trois mois.

Jean-Claude Breuvart directeur commercial donnait sa démission deux jours plus tard par lettre des 27 octobre 1982 avec effet au 27 janvier 1983 à l'issue d'une période de préavis de trois mois.

Jean-Guy Sobocki, directeur technique, donnait sa démission le lendemain par lettre du 28 octobre 1982 avec effet au 28 janvier 1983 à l'issue d'une période de préavis de trois mois.

Gilbert Thonin, cadre commercial, responsable des ventes et visitant la clientèle dans le secteur Sud Est donnait également sa démission le 16 novembre 1982 avec effet au 16 février 1983.

Le 25 janvier 1983 ont été signés les statuts de la société Housses Auto DBS dont l'objet est notamment la fabrication et la distribution des housses pour sièges de voitures.

Les démissionnaires des sociétés Sodifac, Supersac et Codifac se trouvent actionnaires avec des membres de leur famille de la société Housses Auto DBS et salariés de celle-ci.

Au début de l'année 1983 cinq autres employés des sociétés Sodifac, Supersac et Codifac ont donné leur démission et sont allés occuper des postes similaires à ceux quittés dans la société Housses Auto DBS.

Estimant être victimes d'une concurrence déloyale les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac ont fait assigner en réparation du préjudice occasionné la société Housses Auto DBS, chacun de ses actionnaires ainsi que les cinq salariés démissionnaires réembauchés par celle-ci.

Par jugement du 11 décembre 1985, le Tribunal de grande instance de Lille a débouté les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac de leurs demandes et les a condamnées à payer aux défendeurs une somme globale de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac ont interjeté appel de ce jugement.

Elles soutiennent que Henri Devilder bien avant la date de son départ effectif a tout mis en œuvre pour créer une société directement calquée sur celle qui l'employait précédemment de manière à provoquer la perte de la société Sodifac, qu'il s'est ainsi assuré le concours du directeur commercial, du directeur technique ainsi que du principal représentant, éléments moteur de ces sociétés puisque responsables de la fabrication et de la vente, entraînant de ce fait la désorganisation des sociétés délaissées et assurant non seulement l'organisation technique de la nouvelle société créée mais également le débouché naturel de ses produits, qu'il s'est emparé de l'intégralité de la technologie des sociétés qu'il quittait en faisant appel aux mêmes fournisseurs de matériel et de matières premières, et en débauchant différents ouvriers, qu'il a établi une gamme de produits strictement identique à celle de son précédent employeur, qu'il a ainsi que MM. Breuvart, Sobocki et Thonin démarché systématiquement la clientèle de son ancien employeur en utilisant les connaissances acquises dans les fonctions précédentes, que ces faits à l'inverse de ce qu'ont estimé les premiers juges sont constitutifs de concurrence déloyale et entraînent la responsabilité de leurs auteurs.

En conséquence les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac qui se désistent de leur appel à l'encontre des autres intimés demandent de juger que la société DBS, MM. Devilder, Breuvart, Sobocki et Thonin se sont rendus coupables de faits de concurrence déloyale à leur préjudice, de les condamner à leur payer une somme de deux millions de francs à titre provisionnel, pour le surplus de désigner expert pour déterminer exactement l'ensemble des chefs de préjudice, d'autoriser la publication de l'arrêt à intervenir et de condamner les mêmes in solidum à leur payer la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société DBS, MM. Devilder, Breuvart, Sobocki et Thonin concluent à la confirmation du jugement et sollicitent le paiement de 50 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les autres intimés demandent de constater le désistement de l'appel formé à leur encontre et sollicitent paiement des sommes globales de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt

En l'absence d'obligation contractuelle de non-concurrence à la charge des intimés, il appartient aux sociétés appelantes d'établir la preuve d'un comportement fautif de ses anciens salariés qui aurait eu pour conséquence en faussant le jeu normal de la concurrence de leur occasionner un préjudice.

La création par les intimés non tenus d'une obligation de non-concurrence d'une société similaire à celles de leur ancien employeur ne peut leur être reprochée pas plus que l'accomplissement des formalités constitutives, y compris les premières acquisitions de matériel et de matières premières nécessaires au démarrage de la nouvelle société, alors qu'ils étaient encore au service de leur ancien employeur du moment que l'activité nouvelle n'a commencé qu'après l'expiration de leurs préavis,le 7 février 1983, les préavis de MM, Devilder, Breuvart et Sobocki étant achevés respectivement depuis les 25, 27 et 28 janvier précédents et celui de M. Thonin ayant pris fin le 2 février 1983, date à laquelle la société Sodifac lui a signifié son congé immédiat.

Les sociétés appelantes ne démontrent pas plus que devant le tribunal que les préparatifs de la nouvelle société aient été réalisés au détriment de l'activité des salariés chez leurs employeurs à l'époque où ils se trouvaient encore dans les lieux de leur contrat de travail étant précisé en ce qui concerne M. Thonin auquel il est reproché de ne plus avoir passé d'ordre après le 14 décembre 1982 que ce grief d'ailleurs non appuyé sur un élément de preuve précis ne saurait être en toute hypothèse retenu, d'abord parce que même à le supposer établi, il constituerait un manquement à son obligation de travail envers son employeur mais non nécessairement à défaut de prouver l'intérêt qu'en aurait retiré la société DBS un acte de concurrence déloyale, ensuite parce que la preuve contraire de la réalité de ce grief est administrée par la production de la décision du Conseil des prud'hommes d'Oyonnax dont le société Sodifac ne prétend pas avoir interjeté appel qui a jugé cette dernière responsable de la rupture des relations de travail pendant la durée du préavis et l'a condamnée à payer à M. Thonin la totalité de son préavis.

Le départ simultané des quatre cadres des sociétés appelantes a à l'évidence créé des perturbations dans l'activité de celles-ci. Cependant il doit être rappelé qu'en application du principe de la liberté du commerce et du travail, les employés d'une entreprise peuvent créer une entreprise similaire à celle de leur ancien employeur et que dans une telle hypothèse les départ ont nécessairement lieu dans un même laps de temps de façon à permettre à la nouvelle société de démarrer son activité. Ces départs ne peuvent être regardés comme fautifs que s'ils ont pou but révélé par des manœuvres et pour effet de désorganiser l'entreprise délaissée et de la rendre plus vulnérable à la concurrence.

Or en l'espèce les manœuvres qui sont prêtées à M. Devilder ne sont nullement établies et rien, pas même le voyage fait à Bellegarde pour rencontrer M. Thonin dans les jours qui ont précédé sa démission, ne permet de retenir les reproches formulés à cet égard. Tout au contraire les démissionnaires ont effectué leur préavis dans des conditions comme il a été dit qui n'apparaissent pas critiquables et ils ont pu être remplacés aux fonctions qu'ils quittaient pendant cette période. Au surplus la désorganisation invoquée par les sociétés appelantes n'a pas revêtu l'importance qu'elles prétendent puisqu'après un ralentissement de leur progression dans une proportion qui n'est pas exactement établie, elles ont dès 1984 repris leur expansion qui s'est depuis constamment poursuivie.

L'approvisionnement de la société DBS auprès des fournisseurs des sociétés appelantes n'est pas en lui-même caractéristique d'un acte de concurrence déloyale. Il le serait s'il était accompagné de circonstances particulières qui en l'espèce font également défaut. A cet égard les pièces versées par les intimés démontrent que la société Supertessile auprès de laquelle s'approvisionne la société DBS n'a jamais fourni les société appelantes et qu'à l'inverse de ce que celles-ci prétendent la société DBS n'a nullement acquis des matériels spécialement conçus ou fabriqués pour elles.

La production aux débats de la publicité de gamme des produits de la société Customagic qui fabrique aussi des housses pour sièges de voitures montre qu'il existe des similitudes entre les articles proposés par les diverses sociétés de ce secteur du marché qui tiennent comme l'a exactement indiqué le tribunal au fait qu'ils sont tributaires de la même forme à laquelle ils doivent tous s'adapter ainsi que des matériaux et coloris déterminés par la mode en général. Au-delà de ces similitudes imposées par des contraintes communes les produits de la gamme de la société DBS présentent néanmoins suffisamment d'éléments distinctifs pour écarter le grief d'imitation servile formulé par les sociétés appelantes.

La prospection par la société DBS des "hypermarchés" qui en 1983 et jusqu'en 1985 réalisaient plus de la moitié des ventes des housses de sièges automobiles était pratiquement imposée par la structure particulière de ce marché. Elle ne peut être davantage imputée à faute, au seul motif que les sociétés appelantes étaient implantées auparavant dans ce secteur de distribution et dès lors qu'il n'est pas établi que ce démarchage a été accompagné de dénigrement, d'information inexacte, d'allégation mensongère ou injurieuse ou encore de manœuvres destinées à introduire une confusion préjudiciable.

Pour les motifs précédents ajoutés à ceux des premiers juges, aucune faute propre à caractériser des actes de concurrence déloyale n'étant retenue, le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions.

Les sociétés appelantes ont usé de la voie d'appel sans abus. En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés la totalité des frais irrépétibles par eux exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Donne acte aux sociétés Sodifac, Supersac et Codifac du désistement de leur appel à l'encontre de Leila Kahoul, Ornella Guartieri, Marie-Madeleine Decottignies, Viviane Delplanque, Serge Feron, Didier Thiriez, Bernard Dubois et Pierre Devilder, Condamne les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac à payer aux susnommés la somme globale de 2 500 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Condamne les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac à payer à la société Housses Auto DBS, à Henri Devilder, Jean-François Breuvart, Jean Guy Sobocki et Gilbert Thonin la somme globale de 2 500 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne les sociétés Sodifac, Supersac et Codifac aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Masurel-Thery, avoués dans les conditions prévues à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.