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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 20 juin 2000, n° 99-0004961

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hermeline (ès qual.), Samson (ès qual.), Pompes funèbres Catalanes (ERUL)

Défendeur :

Pompes funèbres conseillers du Roussillon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

MM. Derdeyn, Minini

Avoués :

Mes Auche-Hedou, Rouquette

Avocats :

Me Neve, SCP Portaill Bernard.

T. com. Perpignan, du 27 sept. 1999

27 septembre 1999

Faits et procédure:

La société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon invoquant le contrat de concession du service extérieur des pompes funèbres de la commune de Perpignan du 15 décembre 1989, prenant effet pour trois ans le 1er janvier 1990 et renouvelé le 1er janvier 1993, dont elle est titulaire, a engagé une action en concurrence déloyale à l'encontre de la SARL Pompes funèbres Catalanes devenue EURL Pompes funèbres Catalanes.

Par jugement en date du 17 février 1992, le Tribunal de commerce de Perpignan a précisé que la société Pompes funèbres régionales (sic) a commis des actes de concurrence déloyale et, avant dire droit au fond, a ordonné une expertise confiée à M. Fourcade, lequel n'était pas saisi, la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon ne versant pas la consignation mise à sa charge.

Par jugement du 17 novembre 1998, le Tribunal de commerce de Perpignan ordonnait la radiation de l'affaire, laquelle était réinscrite par la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon.

Par jugement en date du 27 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Perpignan a:

- condamné la SARL Pompes funèbres Catalanes à payer à la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon la somme de 1 343 567,20 F avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 1991,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- alloué à la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 12 octobre 1999, l'EURL Pompes funèbres Catalanes a relevé appel de cette décision.

Par jugement du 27 octobre 1999, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'EURL Pompes funèbres Catalanes et a désigné Me Hermeline en qualité de représentant des créanciers, et Me Samson en qualité d'administrateur. Les représentants de la procédure collective sont intervenues à l'instance. La société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon a déclaré sa créance.

L'ordonnance de clôture a été initialement fixée au 11 mars 2000, mais elle a été révoquée et la clôture a été fixée au 16 mai avant l'ouverture des débats. Les parties ont expressément demandé à plaider sur l'ensemble des écritures et pièces déposées.

Prétentions et moyens des parties:

Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 12 mai 2000 par l'EURL Pompes funèbres Catalanes et le 15 mai 2000 par la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon.

L'EURL Pompes funèbres Catalanes demande à la cour, à titre principal, de poser au Tribunal administratif de Montpellier la question préjudicielle de la légalité du contrat de concession du 7 décembre 1989 et de sa reconduction du 9 février 1993 et, en conséquence, de surseoir à statuer.

A titre subsidiaire, l'EURL Pompes funèbres Catalanes demande à la cour de débouter la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon de ses demandes et, plus subsidiairement encore, d'évaluer le préjudice de cette dernière société entre 250 000 F et 454 187,49 F, et de dire que les intérêts ne peuvent courir qu'à compter de l'arrêt à intervenir.

Au soutien de ses prétentions, l'EURL Pompes funèbres Catalanes, sur ses demandes subsidiaires, fait valoir que le jugement du 17 février 1992 n'a pas autorité de la chose jugée, que suite à l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Montpellier le 11 mars 1996, le procès-verbal de la SCP Douzon, huissier de justice, ne peut être admis comme preuve de la violation d'un monopole de la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon et que de surcroît, ce procès-verbal ne démontre strictement rien.

Enfin, l'EURL Pompes funèbres Catalanes fait valoir que les premiers juges ont commis des erreurs dans l'évaluation du préjudice qu'ils ont faite, la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon demande à la cour de confirmer le jugement déféré mais, eu égard au redressement judiciaire de l'EURL Pompes funèbres Catalanes, de voir fixer sa créance à la somme de 1 343 567,20 F avec intérêts au taux légal du 8 février 1991 au 27 octobre 1999, date du redressement judiciaire, et de condamner l'EURL Pompes funèbres Catalanes à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes, la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon soutient que les exceptions de procédure soulevées par la société appelante, doivent être déclarées irrecevables puisque présentées après des défenses au fond, et qu'il n'y a pas lieu à statuer en attente d'une décision administrative sur l'action introduite par une société Pompes funèbres Azur contestant la légalité du contrat de concession puisque le jugement du 17 février 1992 a autorisé de la chose jugée.

La société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon soutient également que le constat de la SCP Douzon ne peut être déclaré nul, qu'il établit la preuve de son préjudice qui a justement été évalué.

Discussion:

L'exception tirée de la question préjudicielle qui tend à suspendre le cours de la procédure jusqu'à la décision de la juridiction administrative doit être soulevée avant toute défense au fond, à peine d'irrecevabilité.

En l'espèce, l'EURL Pompes funèbres Catalanes avait, par conclusions déposées et notifiées le 14 février 2000 et le 4 avril 2000, présenté ses moyens de fond sans soulever l'exception tirée de la question préjudicielle. Il s'ensuit que cette exception, soulevée pour la première fois par conclusions du 12 mai 2000, doit être déclarée irrecevable.

Il est certain que la décision, concernant la légalité du contrat de concession du 15 décembre 1989, que les juridictions administratives seront amenées à prendre sur l'action introduite par la société Pompes funèbres Azur, aura une valeur erga omnes et qu'il y aurait lieu de surseoir à statuer dans l'attente de cette décision définitive, sauf, si le jugement du 17 février 1992 a autorité de la chose jugée dans les rapports entre l'EURL Pompes funèbres Catalanes et la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon.

Le jugement du 17 février 1992 note dans son dispositif: "précise que la société Pompes funèbres régionales a commis des actes de concurrence déloyale....".

Il y a lieu de corriger immédiatement l'erreur matérielle et de considérer que ce jugement entendait noter la société Pompes funèbres Catalanes, ce qui est d'ailleurs non contesté.

Ce dispositif, certes rédigé de façon différente de ce qui est traditionnel, doit être éclairé par les motifs de la décision pour en apprécier sa portée. Il s'évince nécessairement des attendus portés page 4 du jugement: "Attendu que la SARL Pompes funèbres Catalanes a, suivant différents constats d'huissiers, procédé à des transports de corps avec mise en bière; qu'elle a ainsi violé le monopole qui appartenait exclusivement à la SA Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon. Attendu que, dès lors, il échet de condamner la SARL Pompes funèbres Catalanes pour concurrence déloyale et ce uniquement sur une partie de son service (cf. L. 362 du Code du commerce)"; que la décision tranchait une partie du litige soumis au juge et condamnait la société Pompes funèbres Catalanes, pour des actes de concurrence déloyale, en mentionnant la formule "précise que la société Pompes funèbres Catalanes a commis des actes de concurrence déloyale".

Par ailleurs, cette décision commettait un expert pour évaluer le montant du préjudice subi et le nombre des violations commises, ce qui a été mentionné sous la terminologie "les parties sont contraires en fait".

Ce jugement du 17 février 1992 a été signifié le 7 mai 1992, il est définitif et a autorité de la chose jugée; en conséquence, il n'y a pas lieu à surseoir à statuer.

La preuve est libre en matière commerciale, mais cette liberté ne saurait entraîner que les éléments de preuve puissent être recueillis de façon illicite ou illégale.

L'ordonnance de référé du 15 décembre 1994 commettant la SCP Douzon et Vidal, huissiers de justice à Perpignan a été infirmée par arrêt du 11 mars 1996 de la Cour d'appel de Montpellier, et il s'ensuit que le procès-verbal dressé par l'huissier n'a plus aucun fondement légal et ne peut, de ce fait, être retenu comme élément de preuve.

Par ailleurs, force est d'observer que le jugement du 17 février 1992 commettait un expert mais que l'expertise n'a pu avoir lieu du fait de la carence de la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon, laquelle n'a pas cru devoir verser, dans le délai imparti, la consignation fixée.

La société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon ne justifie donc pas du nombre de violations faites à son monopole, ni du montant de son préjudice, et, de ce fait, elle doit être déboutée de ses demandes en paiement de dommages et intérêts ou plus exactement de fixation de sa créance de dommages et intérêts.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, -En la forme, reçoit l'appel; -Au fond, Dit irrecevable l'exception tirée de la question préjudicielle; Dit que le jugement du 17 février 1992 a autorité de la chose jugée en ce qui concerne l'existence, à charge de la société Pompes funèbres Catalanes, d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon; -Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer; - Déboute la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon de sa demande de fixation d'une créance de dommages et intérêts; -Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - Condamne la société Pompes funèbres conseillers du Roussillon aux entiers dépens de première instance et d'appel; dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.