CA Amiens, 2e ch. civ., 6 février 1996, n° 74
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lipskind Olivier (EURL)
Défendeur :
Lebesque, Frey
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bussière
Conseillers :
Mmes Merfeld, Kapella
Avoués :
SCP Le Roy, SCP Million, Plateau, Me Caussain
Avocats :
Mes Degrainvilliers, Caboche.
Attendu que par déclaration du 14 septembre 1995, l'EURL Lipskind Olivier a relevé appel d'un jugement rendu le 14 août 1995 par le Tribunal d'instance de Beauvais qui l'a débouté de son action en résolution de la vente d'une jument et en dommages et intérêts dirigée contre M. Lebesgue ;
Attendu qu'autorisé à assigner à jour fixe, l'appelant demande à la cour de réformer cette décision en prononçant la résolution de la vente de la jument Whada et en condamnant M. Lebesgue à lui payer des sommes de 23 000 F au titre du prix de la vente, 37 062,50 F et 29 250 F pour frais de pension de l'animal arrêtés au 31 décembre 1995, 5 052,36 F pour frais de maréchalerie, 10 000 F à titre de dommages et intérêts avec intérêts légaux capitalisables à compter du 10 février 1994, outre 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'il expose que la jument achetée à M. Lebesgue est atteinte d'une uvéite isolée ancienne et antérieure à la vente justifiant à elle seule en vertu de l'article 285 du Code rural la résolution demandée ; qu'il précise que lors de l'achat de la bête, la maladie était en phase de rémission de telle sorte que le vice n'était pas apparent ; qu'il ajoute qu'en toute hypothèse l'uvéite rend la jument aveugle et donc impropre à l'usage de cheval de sport de telle sorte qu'il existe une erreur justifiant l'annulation de la vente ; qu'il indique que doivent lui être remboursés non seulement le prix de vente mais aussi les frais engendrés par la jument depuis son achat, et qui ne constituent pas des demandes nouvelles en appel mais la suite logique de la demande initiale ; qu'il rappelle avoir payé la jument 23 000 F et non 8 000 F comme le prétend son adversaire ;
Attendu que par écritures du 2 janvier 1996, M. Didier Lebesgue a conclu à la confirmation du jugement entrepris ou sollicite à titre subsidiaire que le prix de vente à restituer soit fixé à 8 000 F, que les autres prétentions de l'appelante soient rejetées et que M. Frey le relève de toutes condamnations ; qu'il sollicite enfin une indemnité procédurale de 5 000 F ;
Qu'il fait valoir que l'EURL Lipskind en sa qualité de professionnel du négoce de chevaux ne pouvait que remarquer, lors de l'achat la maladie atteignant la jument Whada de telle sorte qu'en l'absence de vice caché il ne peut y avoir de résolution de la vente ; qu'il ajoute que l'animal a été vendu 8 000 F et que l'appelant ne peut obtenir que la restitution de cette somme à l'exclusion de toutes autres ; qu'il indique enfin que M. Frey, propriétaire initial de la jument lui doit pour le moins sa garantie ;
Attendu que M. Frey a conclu à la confirmation du jugement ou à défaut au rejet de la demande de garantie dirigée contre lui ; qu'il demande enfin une indemnité procédurale de 2 500 F.
Sur ce
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats :
- que M. Frey a donné en pension à M. Lebesgue, agriculteur à Muidorge une jument nommée Whada,
- que M. Frey n ayant pas réglé les frais de pension de cet animal, a demandé à M. Lebesgue de vendre ce dernier, de récupérer ses frais et de lui reverser le solde,
- que le 10 février 1994, M. Lebesgue a vendu 2 chevaux à l'EURL Lipskind pour un prix total de 30 000 F TTC,
- que cette somme a été réglée par 3 chèques de 3 000, 7 000 et 20 000 F émis les 10 et 11 février 1994,
- que dans un rapport du 25 mars 1994, le Dr Dufosset a indiqué que la jument était atteinte d'une uvéite isolée, ancienne et datant de plusieurs semaines avant février 1994,
- que dans un rapport complémentaire ce vétérinaire a précisé que cette maladie pouvait ne pas être décelée au jour de l'achat par un négociant en chevaux, y compris lors d'un examen attentif de l'animal ou d'une promenade effectuée avec lui,
- que ce spécialiste a indiqué que l'uvéite était une maladie évolutive entraînant une variation importante des symptômes.
Attendu au vu de ces énonciations que l'EURL Lipskind est bien fondée à solliciter la résolution de la vente de la jument Whada, dans la mesure où les conditions d'application des articles 285 du Code rural et 1641 et suivants du Code civil, qui régissent cumulativement son action, sont réunies ;
Attendu en effet qu'il est justifié et d'ailleurs non contesté que l'action a été introduite à bref délai ;
Qu'en outre il est démontré que la jument Whada a été atteinte avant même la transaction de février 1994 d'une uvéite isolée constitutive au sens de l'article 285 précité d'un vice rédhibitoire
Qu'il est enfin établi que ce vice était caché lors de la vente y compris pour un professionnel puisque comme l'a précisé le Dr Dufosset à la page 3 de son second rapport, l'uvéite est une maladie évolutive comportant des phases de rémission au cours desquelles ses symptômes ne peuvent être décelés que par un vétérinaire à l'aide d'un ophtalmoscope et au contraire des phases aigues au cours desquelles ses signes ne peuvent passer inaperçus même aux yeux d'un néophyte ; qu'ainsi en l'espèce, l'uvéite de la jument Whada se trouvait manifestement en rémission en février 1994 puisque avant l'achat de cet animal il a été procédé à un examen attentif de celui-ci et à une promenade avec lui de telle sorte que si la maladie s' était trouvée en phase aigue ses symptômes apparents n'auraient pu échapper à un professionnel du négoce des chevaux ;
Attendu dans ces conditions que l'existence de ce vice rédhibitoire caché au moment de la vente rend bien fondée l'action en résolution intentée par l'EURL Lipskind ;
Qu'en conséquence de cette résolution, la jument doit être restituée par l'EURL tandis que doivent être remboursés non seulement le prix de la vente mais aussi les frais occasionnés suite à celle-ci et ce conformément à l'article 1646 du Code civil ; que les demandes présentées en appel au titre de ces frais ne sont pas nouvelles puisque conformément à l'article 566 du nouveau Code de procédure civile elles ne sont que le complément ou la conséquence de celles formulées en première instance au titre d'une action en résolution de vente ;
Attendu qu'en ce qui concerne le prix de la vente de la jument Whada la facture globale concernant 2 chevaux et les pièces contradictoires versées aux débats par les parties ne permettent pas à la cour de le déterminer ; qu'il s'avère en conséquence nécessaire d'ordonner sur ce point une expertise selon les modalités précisées au dispositif ci-dessous, et aux frais avancés de l'appelant, demandeur à l'action ;
Attendu qu'en ce qui concerne les frais occasionnés par la vente, l'appelant justifie par des factures avoir du supporter pour la jument à la fois des frais de pension atteignant une somme de 61 865 F pour la période comprise entre mars 1994 et le 31 décembre 1995 et des frais pour 12 ferrures soit 5 052,36 F TTC que M. Lebesgue sera donc condamné à payer ces sommes avec intérêts légaux à compter du 1er avril 1994 date de l'assignation valant mise en demeure ; que conformément à l'article 1154 du Code civil les intérêts dus pour une année seront capitalisés à compter de la demande formée le 4 janvier 1996 ;
Attendu en revanche que l'EURL Lipskind ne saurait prospérer en sa demande de dommages et intérêts complémentaires puisqu'il ne prouve pas l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par les sommes ci- dessus visées et puisqu'il n'établit pas, contrairement aux dispositions de l'article 1645 du Code civil que M. Lebesgue ait lui-même connu l'existence du vice ;
Attendu par ailleurs que M. Lebesgue sollicite à bon droit la garantie de M. Frey qui était le propriétaire initial du cheval et qui après l'avoir donné en pension à M. Lebesgue l'a vendu à ce dernier au moment même de la vente à l'EURL Lipskind et donc à une époque où le cheval était déjà atteint de l'uvéite ci-dessus décrite ; qu'au titre de cette garantie M. Frey doit assumer dès à présent les frais occasionnés par la vente tels que ci-dessus chiffrés ; qu'en revanche il sera ultérieurement statué sur l'étendue de cette garantie au titre du prix de vente de l'animal étant observé que M. Frey ne saurait restituer de ce chef davantage que ce qu'il a lui même reçu ;
Attendu qu'il sera statué après expertise sur les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que sur la charge des dépens et l'éventuelle garantie de M. Frey à ce titre.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Réforme le jugement entrepris, Ordonne avec toutes conséquences de droit la résolution de la vente de la jument Whada intervenue le 10 février 1994 entre M. Lebesque et l'EURL Lipskind, avant dire droit sur le prix de vente de la jument, Ordonne une expertise, désigne pour y procéder : Monsieur Langlois Patrick avec pour mission d'examiner la jument Whada, d'en déterminer la valeur au 10 février 1994, abstraction faite de l'uvéite alors an phase de rémission, et de dire en particulier si cette valeur était plus proche d'une somme de 8 000 F ou de celle de 23 000 F, Dit que l'EURL Lipskind versera à la régie d'avances et de recettes de la Cour d'appel d'Amiens au plus tard le 10 mars 1996 une somme de 3 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert, Dit qu'à défaut de versement de cette somme dans le délai prévu l'expert ne sera pas saisi de sa mission, Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la 2e chambre civile de la Cour d'appel d'Amiens au plus tard le 1er mai 1996, Désigne C Bussière pour suivre les opérations d'expertise, Sursoit à statuer sur les demandes relatives à la restitution du prix de vente de la jument Whada et à la garantie de M. Frey à ce titre, Condamne dès à présent M. Lebesgue à payer à l'EURL Lipskind des sommes de 61 865 F et 5 052,36 F TTC avec intérêts légaux à compter du 1er avril 1994, lesdits intérêts étant capitalisables à compter du 4 janvier 1996 lorsqu'ils sont dus pour une année entière, Dit que M. Pierre Frey garantira dès maintenant M. Lebesgue du paiement de ces 2 sommes, Déboute l'EURL Lipskind de sa demande de dommages et intérêts complémentaires, Sursoit à statuer sur les demandes présentées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Réserve les dépens.