CA Caen, 1re ch. civ., 28 mai 1996, n° 9403462
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Paul Dischamp (SA), Compagnie française des entrepôts frigorifiques (SA)
Défendeur :
Etablissements Simon Frères (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calle
Conseillers :
Mmes Beuve, Castoldi
Avoués :
SCP Duhaze-Mosquet-Mialon, SCP Parrot-Lechevallier
Avocats :
Mes Vignancour, Apery
Les consorts Dischamp, exploitant le fonds de commerce "Les fromageries Dischamp", ont commandé le 5 janvier 1987 à la SA des Etablissements Simon Frères une installation de remalaxage avec divers accessoires pour un prix d'environ 2 600 000 F sur lequel reste dû 912 701,26 F.
Le matériel a été cédé à la société CFEF, filiale de la SA Paul Dischamp, société à laquelle les consorts Dischamp ont apporté leur fonds de commerce.
La SA des Etablissements Simon Frères a fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire le 29 décembre 1988.
Autorisés par ordonnance sur requête du 28 juin 1991, la SA Dischamp et la société CFEF ont fait pratiquer, par acte du 1er juillet 1991, une saisie-arrêt entre les mains de Madame Paulette Dischamp pour avoir paiement de leur créance sur la SA Simon Frères évaluée à 950 000 F, représentée notamment par le coût de la remise en état du matériel vendu et la perte du bénéfice de subventions.
Ils ont, par exploit du 8 juillet 1991, assigné la SA Simon Frères et Maître Laiguede, administrateur, en validité de ladite saisie arrêt devant le Tribunal de grande instance de Cherbourg.
Par jugement rendu le 21 juin 1993, cette juridiction a sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, saisi par les sociétés Dischamp et CFEF d'une demande de condamnation de la SA Simon Frères au paiement d'une somme de 300 500 F HT à titre de réduction de prix et de 2 948 500 F HT à titre de réparations des pertes de production consécutives à une avarie survenue le 17 décembre 1989 à la chaîne de malaxage, ait statué.
Par jugement rendu le 27 mai 1993, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Cherbourg.
Cette juridiction, par jugement rendu le 16 août 1994, a :
- déclaré "irrecevables" et " non fondées " les demandes des sociétés Dischamp et CFEF,
- dit n'y avoir lieu à validation de la saisie-arrêt et ordonné le versement des fonds consignés à la SA Etablissements Simon Frères ainsi que les intérêts,
- débouté les parties de leurs demandes de dommages-intérêts et fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Ayant relevé appel de cette décision, les sociétés Dischamp et CFEF demandent à la cour
- à titre principal :
* de dire que le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand demeurera compétent pour statuer au fond sur le mérite des demandes afférentes à l'avarie du 17 décembre 1989,
* d'ordonner le sursis à statuer sur la demande en validité de la saisie-arrêt jusqu'à la décision du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand.
- subsidiairement sur le fond :
* déclarer recevable leur action en réparation des dommages causés par l'avarie du 17 décembre 1989,
* condamner la société Simon Frères à leur verser les sommes suivantes :
* 300 500 F HT à titre de réduction de prix sur la surfacturation effectuée abusivement,
* 2 948 500 F HT à titre de réparation des pertes de production engendrées par l'arrêt total de l'installation qui a résulté du vice de construction, lesdites sommes produisant intérêt au taux légal à compter du 17 décembre 1989,
* 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de leur recours, elles font essentiellement valoir que :
- le Tribunal de grande instance de Cherbourg s'est estimé à tort compétent pour statuer sur leur créance indemnitaire susceptible de priver la SA Simon Frères de la créance de solde du prix pour défaut de conformité,
- l'instance en validité était circonscrite au litige relatif à l'avarie du 17 décembre 1989 par suite de l'arrêt du 12 février 1992,
- la cause du sursis à statuer n'a pas disparu,
- il existe une connexité entre les demandes sur lesquelles le tribunal de commerce reste compétent pour statuer et celles afférentes à l'avarie du 17 décembre 1989,
- leurs demandes étaient recevables dès lors qu'elles trouvaient leur cause dans un événement postérieur à la date d'ouverture du redressement judiciaire,
- toute production était devenue impossible,
- le dommage trouve également son origine dans la facturation abusive de la réparation effectuée pendant la période d'observation,
- l'expertise judiciaire de Monsieur Clercy établit le bien fondé de leurs demandes.
La société des Etablissements Simon Frères conclut pour sa part à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation des appelants au paiement d'une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle rétorque essentiellement que :
- le tribunal n'a pas tranché au fond une partie du litige dont il n'était pas saisi,
- la décision du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand s'impose aux parties et au juge de renvoi,
- c'est à tort que les appelants sollicitent l'application de l'article 104 du nouveau Code de procédure civile,
- l'avarie du 17 décembre 1989 trouve sa cause dans un défaut d'entretien de l'installation et non dans un défaut de conception comme l'a retenu à tort l'expert judiciaire,
- les appelants devaient en tout état de cause déclarer leur créance, l'action trouvant son origine dans le contrat de vente conclu avant l'ouverture de la procédure collective,
- le prix de la réparation a été accepté et payé par les appelants.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 1996.
Motifs
La cour entend pour un plus ample exposé des faits et le rappel des procédures antérieures et parallèles se référer à la décision déférée qui en fait une exacte relation.
Il suffit de rappeler que, le 17 décembre 1989, quelques minutes avant la mise en route pour lavage de l'installation acquise la SA des Etablissements Simon Frères, le carter du train du pignons entraînant l'installation automatique de malaxage a éclaté, provoquant l'arrêt total de l'installation.
Suite à la décision de la Cour d'appel de Riom rendue le 12 février 1992 infirmant partiellement l'ordonnance de référé rétractant l'ordonnance sur requête du 28 juin 1991, la saisie-arrêt n'est autorisée que pour garantir la créance de dommages-intérêts résultant de l'avarie du 17 décembre 1989.
Par ailleurs, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, saisi par assignation du 26 août 1992 de demandes en paiement des sommes de 300 500 F HT au titre de la réduction du prix de la réparation effectuée suite à l'avarie du 17 décembre 1989 et de celle de 2 948 500 F HT au titre des pertes de production, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Cherbourg. Cette décision qui n a pas été frappée de contredit s'imposait, aux termes de l'alinéa 2 de l'article 96 du nouveau Code de procédure civile, aux parties et au juge du renvoi.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont statué sur les demandes consécutives à cette avarie.
Il convient en effet, de relever que le juge a la faculté de révoquer, suivant les circonstances, le sursis à statuer précédemment ordonné et qu'en l'espèce, la mesure ainsi ordonnée le 21 juin 1993 était devenue sans objet dès lors que le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand s'était déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Cherbourg.
Il est par ailleurs, certain que, suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 juillet 1993 et au désistement d'appel de la SA Simon Frères devant la Cour d'appel de Bourges, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand reste saisi de la demande en paiement du solde du prix de l'installation de remalaxage et de la demande reconventionnelle pour défaut de conformité et défectuosités de l'installation, initiées par acte du 7 septembre 1989.
C'est à tort que les appelants soutiennent que la décision déférée a statué sur cette dernière demande.
Si, en effet, une rédaction maladroite des motifs permet de s'interroger sur ce point, tant l'exposé des prétentions des parties que, surtout, la teneur du dispositif de la décision établissent que les premiers juges n'ont pas statué sur cette demande dont ils n'étaient pas saisis.
C'est par ailleurs également à tort que les appelants présentent en cause d'appel une demande de renvoi pour connexité dès lors que l'exception de connexité ne peut, par application de l'article 102 du nouveau Code de procédure civile, être soulevée que devant la juridiction du degré inférieur lorsque les juridictions saisies ne sont pas, ainsi qu'en l'espèce, du même degré.
Il n'apparaît pas par ailleurs d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer jusqu'à la décision du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand sur l'existence d'un défaut de conformité de l'installation.
Il est certain que l'avarie est survenue au cours de la poursuite d'activité de la SA Simon Frères, pendant la période d'observation.
Toutefois, les appelants fondent leur demande d'indemnisation sur les articles 1610 et 1611 du Code civil relatifs à l'obligation de délivrance du vendeur et, subsidiairement, sur les articles 1646 et suivants du Code civil en faisant valoir qu'il résulte de l'expertise judiciaire que le sinistre a pour origine une légèreté de conception et de fabrication.
La créance alléguée de dommages-intérêts ayant dès lors son origine au jour de la conclusion du contrat de vente pure et simple conclu courant janvier 1987, et donc antérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la SA Simon Frères, les sociétés Dischamp et CFEF avaient l'obligation, par application de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985, de déclarer leur créance.
L'avarie étant survenue dans l'année suivant la décision d'ouverture, les sociétés susvisées auraient pu utilement exercer l'action en relevé de forclusion visée par l'article 53 de la loi susvisée.
Il importe peu que la mesure d'expertise destinée à déterminer les causes de l'avarie se soit déroulée après l'expiration du délai dans lequel doit être exercée l'action en relevé de forclusion.
Quant à la demande de "réduction de prix" de la facturation de la réparation faite par la SA Simon Frères suite à l'avarie, elle vise en fait à obtenir la restitution intégrale du prix payé et donc à faire supporter par le vendeur la responsabilité et le coût des réparations consécutives à cette avarie.
Cette créance a donc également son origine antérieurement au jugement d'ouverture.
A défaut de déclaration par les sociétés Dischamp et CFEF, les créances de dommages-intérêts consécutives à l'avarie du 17 décembre 1989 sont éteintes et c'est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré irrecevables les demandes des sociétés Dischamp et CFEF et dit en conséquence n'y avoir lieu à validation de la saisie-arrêt.
Il convient de relever au surplus que les sociétés appelantes sont en tout état de cause sans droit à obtenir la révision du prix d'une intervention qu'elles ont acceptée et payée en toute connaissance de cause.
La procédure engagée par les sociétés Dischamp et CFEF si elle est mal fondée n'en est pas pour autant abusive.
La SA Simon Frères n'alléguant par ailleurs aucun préjudice particulier, c'est à juste titre qu'elle a été déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts.
La décision déférée doit donc être confirmée en toutes ses dispositions. L'appel n'étant pas fondé, les sociétés Dischamp et CFEF doivent supporter les dépens et régler à l'intimée une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à 8 000 F.
Par ces motifs - Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, - Y ajoutant, - Condamne in solidum les sociétés Dischamp et CFEF à régler à la SA Simon Frères une indemnité de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Déboute les parties du surplus de leurs demandes, - Condamne in solidum les sociétés Dischamp et CFEF aux dépens et accorde à la SCP Parrot-Lechevallier, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.