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Décisions

CA Poitiers, ch. corr., 22 septembre 1995, n° 592-95

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Siraud, Bonmort, Cantarelli, Martineau, Clerjeau, Saboureau, Felusiak, Deblois, Calvo, Rivel, Association FO Concommateurs des Deux-Sèvres, UFC de Niort et des Deux-Sèvres

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

Mme Albert, M. Hovaère

Avocats :

Mes Menegaire, Reynard, Besnard, Grandon, Lacoste.

TGI Niort, ch. corr., du 19 janv. 1995

19 janvier 1995

Décision dont appel:

Le tribunal a :

Sur l'action publique :

- déclaré le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés ;

- condamné ce dernier à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis ;

Sur l'action civile :

- reçu Dominique Siraud, Philippe Bonmort, Patrick Cantarelli, Maryline Martineau, Pascal Clerjeau, Philippe Saboureau, Casimir Felusiak, Frédéric Deblois, Christine Calvo, Guy Rivel, l'Association FO consommateurs des Deux-Sèvres et l'Union fédérale des consommateurs de Niort et des Deux-Sèvres en leur constitution de partie civile ;

- condamné Georges A à leur payer:

- M. Siraud : 8 000 F à titre de dommages-intérêts et 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

- M. Bonmort : 8 000 F à titre de dommages-intérêts;

- M. Cantarelli : 10 000 F à titre de dommages-intérêts;

- Mme Martineau : 9 800 F à titre de dommages-intérêts et 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- M. Clerjeau : 6 000 F à titre de dommages-intérêts;

- M. Saboureau : 3 000 F à titre de dommages-intérêts;

- M. Felusiak : 12 000 F à titre de dommages-intérêts;

- M. Deblois : 8 000 F à titre de dommages-intérêts;

- Mme Calvo : 7 000 F à titre de dommages-intérêts;

- M. Rivel : 22 000 F à titre de dommages-intérêts et 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

- l'Association FO consommateurs des Deux-Sèvres : 1 F à titre de dommages-intérêts et 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

- l'Union fédérale des consommateurs de Niort et des Deux-Sèvres: 1 F à titre de dommages-intérêts et 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Appel a été interjeté par :

- Monsieur A Georges, le 27 janvier 1995

- M. le Procureur de la République, le 27 janvier 1995 contre Monsieur A Georges

- Monsieur Siraud Dominique, le 1 février 1995

- le Ministère public a été entendu en ses réquisitions

- Maître Reynard a déposé et développé en plaidant des conclusions en faveur de M. Siraud, partie civile

- Maître Besnard a déposé et développé en plaidant des conclusions en faveur de Mme Martineau, l'Association FO consommateurs des Deux-Sèvres et l'Union fédérale des consommateurs de Niort et des Deux-Sèvres, parties civiles

- Maître Lacoste a déposé et développé en plaidant des conclusions en faveur de M. Rivel, partie civile

- M. Bonmort, M. Cantarelli, M. Clerjeau, M. Deblois et Mme Calvo ont présenté leurs demandes

- le prévenu a eu la parole en dernier.

La cour a mis l'affaire en délibéré au 22 septembre 1995 à 9 heures, les parties étant informées de ce renvoi par le président.

Décision:

La cour, après en avoir délibéré,

Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus,

Vu les appels susvisés, réguliers en la forme,

Attendu que Georges A est prévenu d'avoir, dans le département des Deux-Sèvres, courant 1991 et 1992, trompé S. Doret, G. Rivel, R. Marette, C. Calvo, C. Felusiak, F. Deblois, D. Siraud, M. Suire, Ph. Bonmort, P. Cantarelli, M. Martineau, P. Clerjeau, Ph. Saboureau, contractant, sur les qualités substantielles d'un véhicule automobile, en l'espèce en minorant le compteur kilométrique, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation ;

Attendu qu'à la suite d'une information selon laquelle M. A, exploitant un commerce d'achat, vente et réparation de véhicules automobiles à Niort, se livrait à la falsification du kilométrage des véhicules d'occasion par lui vendus, une enquête a été diligentée en 1992 par la brigade de contrôle et de recherches de la Direction des Services Fiscaux des Deux-Sèvres;

Que l'examen sur place, par sondage, des factures d'achat et de vente de véhicules d'occasion pour les années 1991 et 1992, a permis aux enquêteurs de constater, en 1991, 6 cas de minoration allant de 29 491 à 99 964 kms (minoration totale 319 158 kms) et, pour 1992, 15 cas de minoration allant de 18 090 à 175 180 kms (minoration totale de 798 390 kms);

Attendu que M. A, interrogé dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte par le Procureur de la République, n'a pas contesté l'exactitude du tableau (D 4 - D 5) établi par les services fiscaux et récapitulant les minorations indues ; qu'il a expliqué qu'il lui arrivait de changer le compteur kilométrique des véhicules, auquel cas il mentionnait le kilométrage affiché par le nouveau compteur, mais que d'autres fois il pratiquait l'opération de diminution du kilométrage directement sur le compteur ;

Que, selon M. A, soulignant son mauvais état de santé, il s'agissait d'actes non intentionnels, n'ayant causé aucun préjudice à ses clients, qui auraient pu obtenir de lui le kilométrage figurant sur sa facture d'achat s'ils le lui avaient demandé, auxquels le kilométrage n'était pas présenté comme garanti et qui lui sont restés fidèles ;

Attendu que les acquéreurs de véhicules d'occasion vendus par M. A figurant sur le tableau récapitulatif, entendus par les enquêteurs, ont déclaré ignorer que le kilométrage mentionné sur la facture d'achat fût inexact; qu'ils ont estimé avoir dans ces conditions payé un prix excessif;

Attendu qu'ont relevé appel du jugement de condamnation rappelé en tête du présent arrêt le prévenu A (dispositions pénales et civiles), le Ministère Public et M. Dominique Siraud, partie civile ;

Attendu que, devant la cour, le prévenu conteste avoir reconnu les faits devant les enquêteurs puis devant le tribunal ; qu'il fait plaider que, si la matérialité des faits est difficilement contestable, il n'y a pas eu de sa part de véritable intention de tromper ; qu'il sollicite en conséquence sa relaxe ;

Qu'il prie la cour, en toute hypothèse, de rejeter les demandes de Mme Martineau et de M. Rivel qui, en achetant des véhicules âgés de 10 ans, ne pouvaient sérieusement croire que ceux-ci n'avaient parcouru respectivement que 1 836 kms et 20 019 kms et ne peuvent dès lors justifier d'aucun préjudice ; que, s'agissant des autres parties civiles, M. A sollicite la réduction des indemnités qui leur ont été allouées par le tribunal ;

Attendu que le Ministère public requiert la confirmation du jugement, sauf à ajouter la publication de la décision ainsi qu'une interdiction professionnelle frappant M. A;

Attendu que M. Siraud, partie civile, demande à la cour de porter à 20 000 F le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués et à 6 000 F celui de la somme accordée sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Que M. Rivel conclut à la confirmation du jugement et sollicite en outre 3 000 F en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Que Mme Martineau, partie civile, conclut à la confirmation du jugement en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués; qu'elle sollicite, bien que non appelante, qu'il lui soit accordé, en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, 2 500 F pour la première instance ainsi qu'une somme supplémentaire de 2 500 F pour l'instance d'appel ;

Attendu que les constatations non contestées des agents de l'Administration des Impôts établissent que, dans 6 cas en 1991 et 15 cas en 1992, M. A a revendu des véhicules d'occasion en mentionnant sur la facture de vente un kilométrage très inférieur - la minoration pouvant aller jusqu'à 175 180 kms - à celui qui était mentionné sur sa propre facture d'achat ;

Que cette minoration était consciente puisque, lorsqu'il a lui-même acheté les véhicules en cause en vue de leur revente, il a nécessairement eu connaissance du kilométrage mentionné sur la facture établie par le vendeur ;

Qu'au demeurant M. A a clairement reconnu avoir agi en connaissance de cause puisque, lors de son audition par les services de Police, il a précisé que, tantôt il changeait le compteur du véhicule et faisait figurer sur la facture le chiffre inscrit sur le nouveau compteur, tantôt il manipulait directement le compteur d'origine du véhicule afin de diminuer le kilométrage enregistré et affiché ;

Attendu que cette minoration délibérée, de nature à tromper l'acheteur sur un élément essentiel s'agissant de voitures d'occasion, constitue bien le délit de tromperie prévu et réprimé par l'article 1er de la loi du 1er août 1905, devenu l'article L. 213-1 du Code de la consommation;

Qu'il n'importe que M. A n'ait pas expressément garanti le kilométrage qu'il annonçait - ce kilométrage est cependant présente comme ''réel'' sur plusieurs factures - dès lors qu'il s'agit d'un élément d'information décisif pour l'acheteur fondé à attendre de son vendeur une attitude loyale ; que la clause de non garantie peut exonérer le vendeur de sa responsabilité dans le cas où l'inexactitude du chiffre affiché au compteur et annoncé à l'acheteur n'était pas connue de lui et ne pouvait pas l'être au moment de la vente ; mais que le vendeur ne peut être admis à invoquer une telle clause - au demeurant systématique puisque la mention "non garanti' est pré-imprimée sur les factures - pour démontrer l'absence d'intention de tromper alors que l'inexactitude qui lui est reprochée provient de son propre fait, ce qui est ici le cas

Qu'il va de soi que les minorations indues pratiquées par M. A n'avaient de sens et d'intérêt pour celui-ci que dans la mesure où elles étaient de nature à présenter le véhicule offert à la vente sous un jour plus attractif et à favoriser la transaction, le compteur kilométrique d'une voiture étant censé refléter le kilométrage réellement parcouru par celle-ci;

Attendu qu'il convient de relever au surplus que M. A est un professionnel et que le nombre et l'ampleur des minorations constatées à la suite d'un examen par sondage des factures d'achat et de vente des années 1991 et 1992 font apparaître que cette pratique n'était pas accidentelle ou occasionnelle mais fréquente et délibérée ; qu'aucun des acheteurs en cause n'a été informé par M. A de ce que le compteur du véhicule objet de la vente aurait été changé par ses soins et ne pouvait donc fournir une indication utile sur le kilométrage réel du véhicule ;

Attendu qu'il convient en conséquence - la peine prononcée par le tribunal étant juste et adaptée - de confirmer le jugement attaqué quant à l'action publique ;

Sur l'action civile

Attendu que les acheteurs de véhicules d'occasion visés dans la prévention comme victimes du délit de tromperie sont recevables en leur constitution de partie civile et fondée à demander réparation du préjudice que leur a causé l'infraction dont M. A est reconnu coupable ;

Qu'il en va de même des associations de consommateurs Union fédérale des consommateurs de Niort et des Deux-Sèvres et Association FO consommateurs des Deux-Sèvres, dont la recevabilité de la constitution de partie civile n'est pas discutée ;

Attendu que le tribunal a fait une exacte appréciation des préjudices subis par Philippe Bonmort, Christine Calvo, Patrick Cantarelli, Pascal Clerjeau, Frédéric Delbois, Philippe Saboureau et Dominique Siraud;

Attendu que les associations FO et UFC, qui n'ont pas relevé appel, ne peuvent, sur l'appel du prévenu, obtenir condamnation de celui-ci à leur payer, à titre de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, des sommes supérieures à celles que leur a allouées le tribunal ; que le jugement sera confirmé en ce qui les concerne ; qu'il convient de leur allouer en outre, pour les frais non payés par l'Etat qu'a entraîné l'appel, la somme de 2 000 F chacune ;

Qu'il y a lieu d'allouer, sur le même fondement, 3 000 F à M. Siraud pour les frais d'appel ;

Attendu que s'agissant de Mme Martineau et de M. Rivel, M. A n'est pas fondé à soutenir qu'ils ne subiraient aucun préjudice en ce qu'ils ne pouvaient raisonnablement penser qu'un véhicule ayant dix ans d'âge n'ait parcouru que 1 836 kms dans le cas de Mme Martineau, 20 019 kms dans le cas de M. Rivel ;

Qu'en effet Mme Martineau pouvait penser que le moteur avait été changé, ainsi que cela lui aurait été indiqué, selon elle, par M. A, ce qui n'empêchait pas le véhicule d'accuser son âge en ce qui concerne sa structure et ses autres organes ; que vient conforter l'affirmation de Mme Martineau la constatation que M. A a revendu 18 800 F ce véhicule acheté par lui deux mois et demi plutôt au prix de 10 000 F et présenté alors comme ayant au compteur un kilométrage de 101 800 kms ; qu'en outre le chiffre de 1 836 kms était mentionné sur la facture de vente comme kilométrage "réel" et non "compteur" ;

Que le bénéfice plus important encore réalisé sur la revente à M. Rivel, au prix de 19 800 F, d'un véhicule acquis avec 3 autres de mêmes caractéristiques pour un prix global de 30 000 F, démontre également que M. Rivel a réellement cru acquérir un véhicule certes ancien mais dont le faible kilométrage justifiait un prix largement supérieur à la valeur normale d'une voiture de ce modèle et de cet âge ;

Attendu que M. Rivel n'est cependant pas fondé à demander à titre de dommages-intérêts le remboursement des frais de réparation exposés pour le véhicule qu'il a acheté à M. A ; qu'il n'existe en effet pas de lien direct de causalité entre le délit de tromperie commis par M. A, la tromperie incriminée portant exclusivement sur le kilométrage du véhicule, et la nécessité de changer au fil du temps certaines pièces pour un montant total de 3 936,94 F ; que M. Rivel connaissait l'âge du véhicule ; que le propriétaire d'un véhicule vieux de 10 ans peut raisonnablement s'attendre à devoir changer certaines pièces, alors même qu'il pense que le moteur lui-même n'a tourné que pendant 20 000 kms environ;

Attendu que, compte tenu notamment de la différence entre le prix payé par les acheteurs et la valeur réelle des véhicules au regard du kilométrage mentionné sur les factures d'achat et eu égard au préjudice moral causé par la tromperie, le dommage souffert par chacune des parties civiles pour lesquelles le jugement n'est pas confirmé sera entièrement réparé par l'allocation des sommes suivantes :

- 1 000 F à M. Felusiak,

- 8 000 F à Mme Martineau,

- 12 000 F à M. Rivel;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de ces parties civiles les frais non payés par l'Etat qu'elles ont exposé devant les juridictions des deux degrés ; qu'il leur sera alloué, par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale :

- 3 000 F à M. Felusiak,

- 4 000 F à Mme Martineau,

- 4 500 F à M. Rivel;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par défaut à l'égard de Philippe Saboureau, contradictoirement à l'égard des autres parties, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort, Reçoit les appels, réguliers en la forme, Confirme le jugement entrepris quant à l'action publique Sur les intérêts civils Réforme le jugement critiqué en ses dispositions ayant statué sur les demandes de M. Felusiak, Mme Martineau et M. Rivel, Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne Georges A à payer - M. Felusiak 1 000 F à titre de dommages-intérêts, 3 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, - à Mme Martineau 8 000 F à titre de dommages-intérêts, 4 500 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, - à M. Rivel 12 000 F à titre de dommages-intérêts, 4 500 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Confirme les dispositions ayant statué sur les demandes des autres parties civiles, Condamne Georges A à payer, par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, pour les frais exposés en cause d'appel - à l'association FO consommateurs des Deux-Sèvres 2000 F, - à l'Union fédérale des consommateurs de Niort et des Deux-Sèvres 2 000 F, - à M. Dominique Siraud 3 000 F; Le tout en application des articles susvisés.