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Décisions

CA Rennes, ch. de police corr., 15 décembre 1986, n° 2092-86

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Aubry

Substitut général :

M. Mengin-Lecreulx

Conseillers :

M. Palatin, Mme Arin

Avocat :

Me Menad

TGI Nantes, ch. corr., du 13 févr. 1986

13 février 1986

Statuant sur les appels interjetés par André P et Jean-Claude L, prévenus et le Ministère public d'un jugement du Tribunal correctionnel de Nantes en date du 13 février 1986 qui :

Sur l'action publique,

A condamné chacun des deux prévenus à la peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende pour le délit de fraude commerciale et en outre à la publication dans trois journaux et à l'affichage à la porte des entreprises ;

Considérant que les appels des prévenus sont limités aux condamnations pénales ;

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Considérant au fond, que pour l'exposé détailler des faits, la cour se réfère expressément aux motifs de la décision déférée qui en constituent une analyse exacte ;

Considérant que par ordonnance du 11 juin 1985, le juge d'instruction de Nantes a renvoyé devant le Tribunal correctionnel de cette ville sous diverses préventions ;

A Nantes et Saint-Germain-d'Acre (72) courant 1984 :

- trompé leurs cocontractants par quelque moyen ou procédé que ce soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de 14 950 colis de pommes, soit 267 658 kg, de catégorie II vendues comme étant de catégorie I,

- frauduleusement supprimé, masqué, altéré, ou modifié de façon quelconque les noms, signatures, monogrammes, lettres, chiffres, numéros de série, emblèmes, signes de toute nature apposés sur les marchandises et servant à les identifier, en l'espèce d'avoir modifié la désignation de la catégorie des fruits sur 14 950 colis,

-sciemment mis en vente les marchandises ainsi altérées,

- fait usage de documents délivrés par les administrations publiques en vue de constater une qualité ou d'accorder une autorisation qui étaient devenus inexacts, en l'espèce les certificats de conformité concernant ces colis délivrés par l'administration des fraudes ;

Faits prévus et punis par les articles 1 de la loi du 1er août 1905, 1 et 2 de la loi du 24 juin 1928, 153 alinéa 4 du Code pénal ;

Exposé des faits

Le 26 novembre 1984, vers 15 heures 30, dans le cadre d'un contrôle à l'exportation, un fonctionnaire du service Départemental de la Direction de la Consommation et de la Répression des Fraudes délivrait à la société X à Saint-Germain-d'Acre (72) un certificat de conformité pour un lot de pommes "golden delicious" de 1 152 colis, soit 20 736 kg de catégorie II, à destination de la Finlande par l'intermédiaire d'un courtier exportateur, la société Y de Nantes,

Le même jour vers 17 heures ce fonctionnaire vérifiait de nouveau le lot considéré, juste avant le départ du camion. Il s'apercevait alors que la totalité du chargement était passée de la catégorie II à la catégorie I. Joël R, cariste aux X expliquait qu'après le départ des inspecteurs du service des fraudes, Jean-Claude L lui avait ordonné d'enlever les étiquettes jaunes de catégorie II qu il était entrain d'apposer sur les colis.

Jean-Claude L admettait la mutation de la catégorie II à la catégorie I. Il déclarait qu'il s'agissait de satisfaire la clientèle étrangère, à cause de la concurrence et que ces modifications étaient faites sur instructions d'André P, co-gérant de Y. De fait un télex adresse aux X par Y laissait supposer que cette société n'était pas étrangère à cette fraude.

Aussi le 27 novembre 1984 un contrôle était-il effectué à Nantes dans les locaux de Y par les inspecteurs du service des fraudes. A titre d'exemple un dossier archivé relatif à une exportation réalisée par les X en mai 1984 était examiné. Il était ainsi constaté qu'un lot de 1 053 colis de Golden Busbels de catégorie II avaient été expédiés en Grande-Bretagne par l'intermédiaire de Y comme étant de catégorie I.

Les investigations de la police judiciaire ont démontré que ces deux sociétés entretenaient des relations commerciales suivies. André P s'occupait de la recherche des commandes, et s'adressait à Jean-Claude L qui les exécutait. De janvier 1984 à novembre 1984, 14 950 colis, ou 267 658 kg de pommes ont ainsi été expédiés en Finlande, Grande-Bretagne, Irlande, Suède, Hollande comme étant de catégorie I, alors qu il s'agissait de fruits de catégorie II. Ces faits sont en contradiction formelle avec les normes communautaires devant être appliquées aux fruits et légumes commercialises à l'intérieur de la Communauté Economique européenne ou expédiés vers les pays tiers.

Jean-Claude L déclarait qu'il recevait de Y des commandes précisant la quantité, le prix, le calibre et la catégorie des produits à livrer, et qu'il agissait de la sorte non dans un but de fraude commerciale, "mais uniquement pour satisfaire la clientèle et la concurrence, c'est-à-dire pour tenir compte de la concurrence française et internationale". Devant le magistrat instructeur il précisait sa pensée, en expliquant que de nombreux pays de l'Europe du Nord et de l'Est expédiaient couramment des produits de catégorie II, voire de catégorie III comme étant de catégorie I. Selon lui, ses clients étaient d'accord sur cette pratique, correspondant à un usage de la profession, imposée par la rigidité des règlements.

De son côté, André P ne contestait pas les faits mais soutenait que la catégorie des fruits n'était pas un argument de vente essentiel; selon lui, si sa clientèle n'avait pas été satisfaite des produits vendus, elle n'aurait pas manqué de se tourner vers la concurrence. Il soulignait le caractère habituel de cette pratique dans la profession. Selon lui le prix des fruits était indépendant de la catégorie visée. Il produisait plusieurs attestations de clients exprimant leur satisfaction.

Si la définition de la catégorie des fruits n'avait effectivement aucune incidence commerciale, les pratiques commerciales douteuses des deux inculpés n'auraient aucun intérêt et donc n'auraient pas existé

Les époux D, dirigeants des X ignorant tout de cette pratique, n'ont pas été mis en cause considérant que les prévenus ne contestent pas avoir participé à l'expédition de 14 950 colis de pommes Golden de catégorie II sous la désignation catégorie I ; Qu'ils prétendent tous deux n'avoir eu aucune intention de frauder, et que cette substitution d'étiquetage avait pour but de satisfaire leur clientèle ; Qu'ils versent aux débats plusieurs attestations justifiant de la satisfaction de leurs différents clients ;

Considérant que de tels arguments apparaissent pour le moins surprenant ; Qu'en effet, il est permis de s'interroger sur les raisons qui poussaient les prévenus à changer l'intégralité des étiquettes affectant chaque colis, dès lors qu'il est soutenu que les acquéreurs comptaient de la marchandise de catégorie II ; Que l'on s'étonne également de voir figurer sur les documents commerciaux, factures notamment, de la marchandise classée catégorie I, alors que le client selon les prévenus accepte d'acheter de la catégorie II ;

Considérant qu'en droit il est constant que le seul mensonge suffit à caractériser l'élément matériel de l'infraction ; Qu'à fortiori, lorsque celui-ci est renforcé par des manœuvres comme cm l'espèce, constituées par un changement complet de l'étiquetage de tout un chargement auquel s'ajoute la rédaction de documents commerciaux comportant une description fausse de la marchandise, cet élément est amplement caractérisé ; Que l'élément moral consiste dans la conscience chez le prévenu de ce que la chose, objet du contrat ne possède pas les qualités que celui-ci affirme ou laisse entendre ;

Que tel est le cas lorsque les prévenus expédient à leurs clients étrangers des pommes classées en catégorie II sous la désignation catégorie I ; Que l'acceptation de cet état de fait par le client, à supposer qu'il soit démontré, est sans influence sur la qualification des faits ; Qu'il convient dès lors d'entrer en voie de condamnation ;

Considérant que la fraude ainsi découverte a porté sur des quantités très importantes de marchandises ; Qu'elles ont permis aux prévenus de réaliser des profits très substantiels, qu'il convient de réprimer de tels agissements avec une grande fermeté ;

Considérant que les faits de la cause ont été exactement et sainement appréciés par le tribunal qui a déclaré les prévenus coupables des infractions visées par la prévention

Considérant que pour l'application de la peine, il v a lieu de tenir compte de ce que Jean-Claude L et André P font l'objet de bons renseignements et n'ont jamais été condamnés ;

Qu'il résulte de ce qui précède que les sanctions infligées par le tribunal en réparation de fautes dont la gravité est certaine ne sont nullement excessives mais suffisantes et doivent être confirmées ;

Considérant que les prévenus reconnus coupables doivent supporter les dépens ;

Par ces motifs, et ceux non contraires du tribunal que LA COUR adopte, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, Reçoit André P et Jean-Claude L et le Ministère public en leurs appels Au fond, Confirme cm toutes ses dispositions la décision déférée étant précisé que ce sont les extraits du présent arrêt qui seront publiés et affichés ; Constate que l'avertissement prévu par l'article 737 du Code de procédure pénale n'a pu être donné aux prévenus absents lors du prononcé de l'arrêt. Condamne P André et L Jean-Claude aux dépens de première instance et d'appel liquidés à la somme globale de mille trois cent cinquante-six francs neuf (1 356,09F) chacun étant tenu pour la moitié, En ce compris le droit fixe du présent arrêt, le droit de poste, et non compris les frais postérieurs éventuels. Prononce la contrainte par corps. Le tout en application des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 1 et 2 de la loi du 24 juin 1928, 153 alinéa 4 du Code pénal, 473, 749 et 750 du Code de procédure pénale.