CA Caen, ch. corr., 20 mars 1989, n° 790
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Syndicat de défense de l'andouille de Vire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Passenaud (faisant fonctions)
Conseillers :
M. Leseigneur, Mme Varin
Avocats :
Mes Fourgoux, Potel.
Faits
Le Tribunal correctionnel de Caen, par jugement date du 20 septembre 1988, a condamné le prévenu à 20 000 F d'amende, pour tromperie sur la nature, la qualité, l'origine de la marchandise vendue commis courant 1986 a dit n'y avoir lieu à publication du présent jugement dans la presse, a reçu le Syndicat de défense de l'andouille de Vire pris en la personne de son président en sa constitution partie civile et a condamné le prévenu à lui verser 1 franc à titre de dommages-intérêts, ainsi que 250 F en application des dispositions de l'art 475-1 du Code de procédure pénale ;
Le tout par application des articles 1 loi du 1er août 1905, 69, 463 du Code pénale ;
Appel de ce jugement a été interjeté par le prévenu et le Ministère public le 27 septembre 1988 ;
Attendu que L fait conclure principalement à sa relaxe, aux motifs suivants :
Si le Code de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viande (réglementation et usages) 3e édition - janvier 1986 "se contente de donner quelques indications et de faire référence à l'embossage, qui est une opération nécessaire, consistant à remplir le boyau, et au fumage (...) Les usages ne précisent pas qu'il soit interdit de procéder à l'embossage au poussoir (et) la forme elliptique, difficile à comprendre, n'ajoute rien à la qualité; le centre technique de la salaison (de la charcuterie et des conserves de viande), qui est le responsable de l'établissement et de la publication du Code a dit et répété (...) que la fabrication des andouilles dites de vire au poussoir n'était pas interdite par le Code (ce centre notamment lui ayant écrit ce que suit le 10 juillet 1987 je vous confirme que la réunion sur la fabrication de l'andouille de Vire s'est tenue le 1er juillet à la fédération de la salaison; l'ensemble des membres de la commission des normes et les fabricants d'andouilles de Vire présents ont estimé que le poussage à la main ne se justifiait pas pour ce produit parce qu'il n'était en aucun cas un facteur de qualité); il n'est pas possible, dans ces conditions, de retenir l'existence d'usages locaux et constants, qui interdiraient d'une part l'embossage au poussoir, d'autre part le fumage par aromatisation, usages dont la preuve est à la charge du Ministère public et qui sont contredits par l'ensemble du dossier";
Que L fait conclure subsidiairement que " si elle ne s'estimait pas suffisamment éclairée, la cour pourrait ordonner une mesure d'instruction, afin de rechercher qu'elle est la technique pratiquée par l'ensemble de la profession, conformément aux spécifications retenues par le centre technique de la salaison";
Que L fait, plus subsidiairement conclure que soit posée, à la Cour de justice de la Communauté économique européenne, la question préjudicielle suivante :
"un Etat membre peut-il interdire, pour un type de produit de charcuterie de consommation courante sur le territoire de la CEE, tel que l'andouille, de recourir à des méthodes de fabrication admises dans l'industrie agro-alimentaire des divers Etats membres, sans créer une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l'article 30 du traité ;
Que L fait encore conclure que le syndicat de défense de l'andouille de Vire, "même s'il justifiait de sa qualité à agir et de son intérêt, ne pourrait intervenir que pour la défense de l'andouille de Vire traditionnelle, et non de l'andouille de Vire tout court";
Que, sur avis technique du représentant de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Calvados, le Ministère public demande la confirmation du jugement entrepris, en ce qui concerne donc l'action publique ;
Que le syndicat susvisé, prétendant justifier de sa qualité à agir et de son intérêt, fait conclure à la confirmation du jugement entrepris, et à la condamnation complémentaire L à lui payer 4 000 F en remboursement de frais irrépétibles, ce en cause d'appel; que ce syndicat insiste dans ses conclusions, sur les 2 points suivants :
- l'alignement en forme elliptique (soit 'les unes à côté des autres") des lanières de boyaux, ne peut être obtenu par l'usage du poussoir;
- le fumage de l'andouille de Vire doit être lent; Que, ceci étant, la cour décide comme suit :
Sur l'action publique
- le Code de la charcuterie susvisé prévoyant, en son chapitre 6, que " l'andouille commercialisée sous l'appellation andouille de Vire est une andouille cuite répondant aux caractéristiques suivantes (...) les boyaux (...) sont (...) assemblée en forme elliptique (...) fumés lentement " ; résultant du procès-verbal d'infraction dressé le 4 septembre 1986, par Gérard Davesne, contrôleur à la direction susvisée, que l'andouille fabriquée par le prévenu était constituée de boyaux qui " n'étaient pas assemblés en forme elliptique " (assemblés et liés par le bout, avant qu'on " les chausse dans un des plus grands boyaux " : selon technique exposé à la page 222 de l'essai sur l'histoire de l'industrie du bocage en général et de la ville de Vire, sa capital, en particulier, ouvrage de Richard Seguin, édité en 1810), puisque " l'utilisation de l'appareil mécanique appelé poussoir (que reconnaît avoir utilisé le prévenu : selon ce que visé dans le procès-verbal dont s'agit) ne permet pas (...) l'assemblage des boyaux en forme elliptique " (ce que ne conteste pas ce prévenu) ; le dit prévenu ayant déclaré devant les premiers juges qu'il utilisait des " arômes pré-fumés " et céans reconnu que " la fumure par arômes ne correspond pas à ce que le consommateur est en droit d'attendre d'une andouille de Vire " ; sans que le prévenu puisse valablement prétendre qu'il devrait être renvoyé des fins de la poursuite au motif que la fabrication industrielle de l'andouille de Vire ne change rien à sa qualité (ce qui d'ailleurs est rien moins que sûr, nonobstant la lettre susvisée du centre technique de la salaison etc...), puisque cette fabrication ne permet pas que ladite andouille ait ses qualités substantielles quant à notamment l'assemblage des boyaux et la fumure la tromperie sur ces qualités suffisant en effet pour qualifier l'infraction de fraude ainsi poursuivie; sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'instruction, considérant ce qu'exposé immédiatement au-dessus, et parce qu'en l'espèce peu importerait que la fabrication fût dans l'ensemble déviante; et sans qu'il soit nécessaire de poser, à la Cour de justice de la Communauté économique européenne, une question préjudicielle, comme prévu à l'article 177 du traité de Rome en date du 25 mars 1957, puisque cette cour d'appel n'est pas tenue de renvoyer une question d'interprétation du droit communautaire, soulevé devant elle, si la question n'est pas pertinente, c'est-à-dire dans la mesure où la réponse à cette question, quelle qu'elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige n'étant bien sûr pas pertinent de savoir si l'andouille de Vire pourrait ne pas être fabriquée selon ce que prévu par le Code susvisé, et sa fabrication comme le prévoit ce Code n'empêchant évidemment pas la libre circulation de l'andouille "de consommation courante"; et enfin parce qu'il est établi, ne serait-ce que par la déclaration faite céans par le prévenu et rapportée supra, que celui-ci a trompé le consommateur;
Il y a lieu, pour ces raisons, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu L dans les liens de la prévention;
- il convient aussi de confirmer ce jugement sur la peine, les premiers juges ayant appliqué la loi pénale comme il convenait en pareil cas soit avec une modération seulement relative, puisque, si de bons renseignements ont été fournis sur L, l'infraction est cependant économiquement grave;
Sur l'action civile
- il y a lieu de confirmer encore le jugement entrepris en ce qu'il a dit recevable en la forme la constitution de partie civile du syndicat de défense de l'andouille de Vire et dit recevable au fond cette constitution puisqu'il résulte des statuts de ce syndicat qu'il a notamment pour objet, en ce qui concerne donc cette andouille, "la recherche de tous moyens susceptibles (...) d'en intensifier sa vente", et qu'il est bien évident que ce que fabriquait de la sorte L a diminué les ventes des adhérents dudit syndicat, portant ainsi un préjudice direct à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente; étant remarqué que ce syndicat, s'il a intérêt à défendre l'andouille de Vire, aurait un intérêt plus grand encore à défendre l'andouille de Vire "traditionnelle";
- il convient de confirmer enfin le jugement entrepris en ce qu'il a alloué 1 franc de dommages-intérêts à ce syndicat puis 2 500 F en remboursement de frais irrépétibles et qu'il n'y avait pas lieu à publication dans 2 journaux comme demandé initialement alors que ledit syndicat n'est pas appelant incident dudit jugement, et que semblable mesure ne s'impose pas sur le plan de l'action publique à cause de technicité de ce que jugé de la sorte;
- il y a lieu d'additer au jugement entrepris en condamnant aussi L à payer 1 500 F à la partie civile, pour plus demandés exagérément en remboursement des sommes exposées par elle en cause d'appel, non comprises dans les frais et dépens, sommes qu'il serait effectivement inéquitable de laisser à sa charge;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Vu l'article 1er de la loi du 1er août 1905 sur les fraude et falsification en matière de produits ou de services; Confirme le jugement entrepris; y additant, condamne L à payer aussi 1 500 F au syndicat de défense de l'andouille de Vire, en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en cause d'appel; Condamne Gilbert L aux frais envers l'Etat, lesquels s'élèvent à la somme de 794,73 F, et aux dépens de l'action civile.