CA Reims, ch. corr., 28 mai 1993, n° 490
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
INAO
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gellé (faisant fonctions)
Substitut général :
Mme Sonrel
Conseillers :
Mme Olivier, M. Mericq
Avocats :
Mes Honnet, Lechesne
Statuant sur les appels, régulièrement interjetés en la forme par le prévenu Bernard T et par le Ministère public, d'un jugement du Tribunal correctionnel de Troyes en date du 23 mai 1989 qui,
Sur l'action publique
- a déclaré Bernard T coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à une peine d'amende de 50 000 F,
- a ordonné la publication par extraits de la décision dans les journaux L'Est-Eclair et Libération Champagne, en limitant le coût à 5 000 F.
Sur l'action civile
- a reçu l'Institut national des appellations d'origine en sa constitution de partie civile,
- a jugé Bernard T entièrement responsable du préjudice directement causé par l'infraction en cause,
- l'a condamné à payer à l'INAO les sommes de :
- 2 934 F à titre de dommages et intérêts,
- 2 500 F en indemnité de procédure.
Suivant citation directe du Ministère public, Bernard T a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Troyes, sous la prévention d'avoir à Celles Sur Ource (10), le 6 octobre 1987 :
- effectué un pressurage au-delà des limites permises, infraction prévue et réprimée par les articles 17 et 22 de la loi du 6 mai 1919,
- fait une fausse déclaration de récolte, infraction prévue et réprimée par les articles 11, 17 et 22 de la loi du 6 mai 1919,
- fait une tentative de tromperie sur les qualités substantielles d'un produit avec circonstance aggravante d'usage d'indication frauduleuse, infraction prévue et réprimée par les articles 1, 2-2°, 6 et 7 de la loi du 1 or août 1905.
Appel de cette décision a été relevé dans les formes et délais légaux par le prévenu et par le Ministère public.
Par arrêt avant dire droit du 30 mars 1990, la cour d'appel de céans a ordonné un supplément d'information.
Une mesure d'expertise a été ordonnée le 15 mai 1990 et confiée à M. Mollier ; celui-ci a déposé son rapport le 6 juin 1990.
Après réouverture des débats et aux termes d'un arrêt rendu le 20 décembre 1990, la Cour d'appel de Reims a confirmé le jugement correctionnel du 23 mai 1989, l'INAO se voyant octroyer une indemnité supplémentaire de 1 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Cet arrêt a été cassé le 9 janvier 1992 par la Cour de cassation - chambre criminelle - (outre arrêt rectificatif du 10 novembre 1990).
Après réouverture des débats devant la cour d'appel de céans (autrement composée) désignée comme juridiction de renvoi, le Ministère public a requis l'application de la loi.
L'INAO, partie civile, conclut à la confirmation du jugement dont appel ; il réclame en outre paiement d'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Bernard T, pour sa part, conteste le rapport d'expertise (tant quant à la méthode de travail adoptée par l'expert qu'a ses conclusions), met en doute les mesures pratiquées le 6 octobre 1987 par les services de la Répression des Fraudes et fait valoir qu'il n'a pas mis en vente les marchandises litigieuses il plaide en conséquence la relaxe.
Discussion
Sur l'action publique
Sur l'élément matériel
Bernard T conteste l'excédent de moûts qui lui est reproché sur la récolte 1987 - soit une quantité de 14,67 hl.
1°) Il relève d'une part qu'il existe, à propos de la cuve 47, une discordance entre le certificat d'épalage (ou de jaugeage) établi le 27 avril 1979 et celui en date du 10 août 1982 (en vigueur à l'époque du contrôle) ;
Cependant, l'examen comparé de ces deux documents révèle que la différence, qui certes existe au niveau 0 de la jauge manomètre, se réduit au fur et à mesure de la graduation et devient négligeable (voir par exemple volumes 1973 et 1982 au niveau 3 cm 1502 - 1470 ; au niveau 4 cm 1670 - 1664 ; au niveau 5 cm 1977 -1978) ;
Il n'y a donc, de ce point de vue, aucune erreur de mesure ;
2°) Bernard T fait valoir d'autre part que les moûts contrôlés subissaient, le 6 octobre 1987, un début de fermentation (attesté par les procès-verbaux) et que ce phénomène, en ce qu'il modifiait la pression à l'intérieur des cuves contrôlées, a rendu incertaines les mesures relevées par les services de la Répression des Fraudes ;
Sur ce point, cependant, les observations précises et pertinentes de l'expert M. Mollier démontrent qu'il n'a pu y avoir erreur de jauge, la fermentation des moûts dans les cuves fermées (mais non hermétiques) n'ayant pu avoir d'incidence - sauf à être négligeable - sur la lecture des manomètres de mesure.
L'expert ajoute que les constatations pratiquées le 6 octobre 1987 ont été faites en conformité avec les usages de la profession de la viticulture en champagne. Il résulte des considérations ci-dessus développées que les mesures pratiquées le 6 octobre 1987 sont exactes il s'en déduit que l'excédent de moûts sur la récolte 1987 (14 hl 67) est caractérisé.
Sur l'élément légal
L'existence d'un excédent de moûts dissimulé au moyen des mentions inexactes contenues au carnet de pressoir démontrent que Bernard T s'est rendu coupable :
- de l'excès de pressurage,
- de la tenue irrégulière du carnet de pressoir.
Par ailleurs, l'intégralité des moûts possédés par l'intéressé (soit une quantité globale de 233 hl 91 y compris les volumes déjà livrés à des tiers) a été déclarée aux services fiscaux en "AOC Champagne", ce qui implique que Bernard T avait, dès octobre 1987, l'intention de vendre l'intégralité de sa récolte 1987 sous l'appellation "Champagne" - alors pourtant qu'il n'était pas fondé à revendiquer cette origine dans la mesure où il avait dépassé la quantité admissible de production de moûts.
Dans ces conditions, était suffisamment et directement engagé, quant à cette marchandise pourtant altérée par le pressage excessif, un processus de fabrication et de commercialisation de vin abusivement dénommé "Champagne", en sorte que le délit de tentative de tromperie est également caractérisé.
Sur l'élément moral
Bernard T, qui ne pouvait ignorer l'excédent de moûts dans ses cuves et a porté sur son cahier de pressoir des indications inexactes, a délibérément tourné la législation applicable.
Au vu de l'ensemble des considérations ci-dessus développées, il y a lieu de retenir Bernard T dans les liens de la prévention.
Sur l'action civile
Vu l'article 2 du Code de procédure pénale,
C'est par des motifs que la cour prend à son compte que le premier juge a exactement évalué le préjudice subi par la partie civile du fait des infractions en cause.
Il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions tant pénales que civiles le jugement du 23 mai 1989, sans qu'il soit besoin de recourir à la comparution de l'expert.
Vu l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Il serait inéquitable, en l'espèce de laisser à la charge de la partie civile les frais de procédure, non inclus dans les dépens, qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits en appel et s'élèvent à 3 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement rendu le 23 mai 1989 par le Tribunal correctionnel de Troyes, Et y ajoutant, Condamne Bernard T à payer à l'Institut national des appellations d'origine la somme de 3 000 F (trois mille francs) pour frais irrépétibles d'appel. Dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F (huit cent francs) dont est redevable Bernard T.