Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 12 février 1992, n° 7133-91

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Leveque

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Avocat général :

M. Jeanjean

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocats :

Mes Bazin, Benayoun-Orliange.

TGI Auxerre, ch., corr., du 4 juill. 199…

4 juillet 1991

Rappel de la procédure

Le jugement

Le tribunal, après avoir relaxé N Alain du chef de tromperie sur les qualités substantielles d'un véhicule, délit prévu et réprimé par les articles 1er, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905, a débouté la partie civile, Leveque Dominique de ses demandes ;

Appels

Appel a été interjeté par :

1°) Le Procureur de la République prés le Tribunal de grande instance d'Auxerre, le 8 juillet 1991,

2°) Leveque Dominique, partie civile, le 15 juillet 1991,

Décision

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur les appels régulièrement interjetés par le Ministère public et la partie civile d'un jugement du Tribunal de grande instance d'Auxerre en date du 4 juillet 1991 dont le dispositif est rappelé ci-dessus.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de la prévention et les faits de la cause, la cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

Représenté par son conseil, Dominique Leveque demande à la cour par voie de conclusions, de le dire recevable et bien fondé en son appel et en as constitution de partie civile, de déclarer :

Alain N coupable de l'infraction à lui reprochée, de faire application de la loi pénale, et de condamner Alain N, d'une part, à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, et, d'autre part, aux entiers dépens.

Assisté de son conseil, Alain N demande à la cour, par voie de conclusions, de déclarer le Ministère public et Dominique Leveque mal fondés en leur appel et de confirmer purement et simplement le jugement dont appel, en toutes ses dispositions, faisant valoir que, compte tenu de la réglementation en vigueur en France et le véhicule litigieux ayant été immatriculé après le 1er juillet 1967, il pouvait bénéficier du millésime 1988.

Sur l'action publique

Considérant qu'il est constant que, le 19 février 1987, James Sisternas commandait à la SARL X, dont le gérant était Alain N, un véhicule neuf SAAB 900 16 soupapes, année modèle 1987, pour le prix de 176 700 F ;

Que cette automobile était livrée au garage X, <adresse>, Auxerre (89) le 12 mai 1987, mais qu'à la demande expresse de Sisternas et, selon ses propres dires, afin de le faire bénéficier du millésime 1988, elle ne lui était personnellement remise que le 2 juillet 1987, date à laquelle ce véhicule était facturé pour un millésime 1988, la carte grise indiquant la date du 10 juillet 1987 comme date de première mise en circulation ;

Que, le 4 mars 1988, James Sisternas revendait ce véhicule pour la somme de 147 000 F au garage d'Alain N qui le cédait, le jour même, pour 150 000 F, à Dominique Leveque, en indiquant sur le bon de commande " année modèle 1988 " ;

Que c'était en voulant revendre cette voiture fin 1989 que Dominique Leveque apprenait qu'il s'agissait d'un modèle de l'année 1987, ainsi qu'il lui était confirmé par un courrier en date du 18 décembre 1989 de SAAB France ;

Que Dominique Leveque portait plainte auprès de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Yonne qui dressait " procès-verbal de délit " contre Alain N le 7 juillet 1990 ;

Considérant que le tribunal pour relaxer Alan N s'est fondé sur une interprétation extensive des dispositions de l'arrêté du 2 mai 1979, estimant qu'en revendant le véhicule comme ayant le millésime 1988, le prévenu n'avait commis aucune tromperie envers Dominique Leveque ;

Considérant que l'article 5 de l'arrêté du 2 mai 1979 qui dispose que "seuls peuvent porter le millésime d'une année modèle déterminée, les véhicules vendus à l'utilisateur à partir du 1er juillet de l'année civile précédente" est d'interprétation stricte en matière pénale ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1 583 du Code civil "la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé."

Que la vente initiale était donc parfaite dès le 19 février 1987 ;

Que, dès lors, c'est bien le millésime 1987 qu'aurait du porter la voiture vendue par Alain N à James Sisternas ;

Considérant que l'article 2 du décret n° 78-993 du 4 octobre 1978 réserve le bénéfice du millésime aux véhicules automobiles conformes au modèle dont le fabricant a fixé les caractéristiques pour une année déterminée appelée " année modèle ;

Que le numéro de série de type d'automobile, déclaré au ministère des Transports, est là pour en attester, ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 2 mai 1979 ;

Que c'est ce qui a permis à M. Haas, directeur commercial de SAAB France, de dire que, d'après son numéro de chassie, l'automobile vendue par Alain N ne pouvait bénéficier du millésime 1988 ;

Qu'il résulte de la combinaison des articles 2 du décret du 4 octobre 1978 et 2 et 5 de l'arrêté du 2 mai 1979 qu'un véhicule fabriqué entre le 1er juillet 1986 et le 30 juin 1987 aurait pu recevoir le millésime 1988 s'il avait été vendu et non pas livré, après le 1er juillet 1987, mais seulement si le modèle n'avait pas évolué d'une année à l'autre ;

Qu'il ressort de le procédure que de nombreuses modifications avaient été apportées au type de véhicule vendu entre l'année modèle 1987 et l'année modèle 1988 ; qu'elles portaient notamment sur le carter de palier du turbo refroidi par eau, sur 16 système de freinage et sur le changement du type de chassie ;

Qu'en acquérant une automobile vendue comme étant d'une année modèle 1988, Dominique Leveque était en droit de penser bénéficier de ces perfectionnements et qu'il a bien été trompé sur les qualités substantielles du véhicule par Alain N qui, en professionnel de l'automobile et, qui plus est, concessionnaire SAAB, n'ignorait rien de ces modifications ;

Considérant que le prévenu a tiré bénéfice de ce changement de millésime sollicité et obtenu par James Sisternas car, lorsqu'il lui a repris le même véhicule, huit mois plus tard, il l'a revendu le jour même à Dominique Leveque pour un prix supérieur à celui qu'il avait payé auprès de SAAB France, dix mois plus tôt ;

Que, même en retenant le délai de vingt jours d'immatriculation provisoire, le véhicule arrivé au garage le 15 mai 1987 aurait du être livré à James Sisternas avant le 30 juin 1987 et porter le millésime 1987, alors qu'il ne l'a été que le 2 juillet 1987 et ce dans une intention frauduleuse évidente ;

Considérant qu'il convient, dans ces conditions, d'infirmer le jugement attaqué et de déclarer Alain N coupable des faits qui lui sont reprochés ; que, compte tenu de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il y lieu de faire à Alain N une application modérée de la loi pénale ;

Sur l'action civile

Considérant que la cour puise dans les circonstances de l'espèce les éléments suffisants pour fixer à 20 000 F le montant total du préjudice résultant directement pour Dominique Leveque, partie civile, des agissements délictueux retenus à la charge du prévenu ;

Considérant que la demande d'une somme de 5 000 F formulée par Dominique Leveque, au titre des frais irrépétibles, est justifiée en son principe niais doit être limitée à 2 500 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du Ministère public et de la partie civile, Infirmant le jugement attaqué, Déclare Alain N coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'un véhicule vendu (faits commis le 4 mars 1988 et non le 2 juillet 1987 ainsi qu'il a été énoncé dans la prévention ) ; Le condamne à quinze mille francs (15 000) d'amende avec sursis, Le condamne à payer à Dominique Leveque, partie civile, la somme de vingt mille francs (20 000) à titre de dommages-intérêts et celle de deux mille cinq cents francs (2 500) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Condamne Alain N aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant liquidés à la Borne de 616,04 F ; Le tout par application des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 473, 512, 734-1 du Code de procédure pénale.