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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 25 mai 2004, n° 04-00064

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nissan France (SA)

Défendeur :

Autostyl (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

MM. Dragne, Chapelle

Avoués :

SCP Debray-Chemin, SCP Jupin-Algrin

Avocats :

Mes Bricogne, Bertin, SCP Vogel & Vogel.

CA Versailles n° 04-00064

25 mai 2004

La société Autostyl était le concessionnaire exclusif de la société Nissan dans le Sud du département de l'Isère depuis 1972.

En dernier lieu, les parties étaient liées par un contrat à durée indéterminée en date du 1er décembre 1995.

Le 9 septembre 2002, la société Nissan a résilié le contrat avec un préavis de deux ans, au motif que les performances de la société Autostyl étaient insuffisantes.

Prétextant que durant le préavis, la société Autostyl se serait désintéressée de l'exécution de son contrat et que la qualité du service et la relation avec sa clientèle se seraient dégradées, la société Nissan lui a notifié le 24 juillet 2003 la fin du préavis pour le 30 septembre 2003.

C'est dans ces conditions que la société Autostyl, qui voyait dans cette décision une stratégie de la part de la société Nissan destinée à la priver de l'application du nouveau règlement d'exemption automobile n° 1400-2002 du 31 juillet 2002 devant entrer en vigueur le 1er octobre 2003, a saisi le 18 août 2003 le Tribunal de commerce de Versailles pour faire juger que la résiliation du contrat était abusive.

Par jugement en date du 14 novembre 2003, le tribunal a validé la résiliation dite ordinaire, notifiée le 9 septembre 2002, mais a, au contraire, jugé abusive la résiliation dite extraordinaire, notifiée le 24 juillet 2003.

Il a, en conséquence, condamné la société Nissan à payer à la société Autostyl la somme de 208 912 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du NCPC.

Pour statuer ainsi, les premiers juges se sont interdits de contrôler les motifs de la résiliation, tout en paraissant admettre qu'ils étaient justifiés, mais ils ont en revanche sanctionné la société Nissan pour avoir réduit le préavis d'un an sans faute nouvelle de la société Autostyl et sans autre motif apparent que la volonté d'échapper à la nouvelle réglementation CEE 1400-2002.

Pour évaluer le préjudice de la société Autostyl, les premiers juges se sont basés sur la moyenne des trois derniers exercices dont ils ont déduit les remises au produit net ainsi obtenu, ils ont appliqué un taux de 12 % correspondant à la remise consentie par la société Nissan à son réseau de concessionnaires et ils en ont encore déduit la valeur des éléments incorporels du fonds de commerce de la société Autostyl.

La société Nissan a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 4 décembre 2003 et a réitéré son appel le 16 décembre 2003.

La société Autostyl a obtenu, par ordonnance du premier président en date du 30 décembre 2003, la fixation de l'affaire à jour fixe.

Assignation pour l'audience du 1er avril 2004 a été délivrée le 5 janvier 2004 à la société Nissan.

Celle-ci en a soulevé la nullité, de même que de l'appel incident au motif que le siège social figurant sur l'assignation et les conclusions d'appel de la société Autostyl mentionnaient une adresse de siège social inexact.

Subsidiairement, si la cour n'annulait pas l'assignation à jour fixe, elle a demandé que les conclusions de l'intimée fussent déclarées irrecevables en application des dispositions des articles 960 et 961 du NCPC.

Elle a encore conclu à l'irrecevabilité, comme étant nouvelle en cause d'appel, de la demande de dommages et intérêts au titre de prétendues perturbations d'activité qui auraient entouré la résiliation ordinaire du contrat le 9 septembre 2002.

Subsidiairement, sur le fond, elle s'est attachée à justifier sa décision de résilier le contrat.

S'agissant de la résiliation ordinaire, après avoir rappelé qu'elle n'avait pas l'obligation de motiver sa décision, elle s'est expliquée sur l'insuffisance des résultats commerciaux de la société Autostyl qui avait justifié la résiliation du contrat.

Elle a ensuite rejeté comme fallacieux les griefs que formulait à son encontre la société Autostyl quant aux circonstances qui avaient entouré la résiliation.

S'agissant de la résiliation extraordinaire, elle s'est inscrite en faux contre l'allégation selon laquelle sa décision aurait été liée à l'entrée en vigueur du nouveau règlement, et elle l'a expliquée par la persistance des mauvaises performances commerciales de la société Autostyl auxquelles s'était ajoutée la multiplication récente de lettres de récrimination de clients, de même que par un refus de tout partenariat postérieurement à la résiliation ordinaire.

Plus subsidiairement encore, elle a contesté le préjudice allégué, faisant en particulier observer que celui-ci ne pouvait s'analyser en terme de marge brute ou même de marge nette, mais en terme de résultat, sachant que sur les trois dernières années celui de la société Autostyl avait été en moyenne de 64 587 euros par an.

Elle a conclu en définitive au débouté de la société Autostyl de toutes ses demandes et elle a sollicité une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Autostyl a contesté la nullité de son assignation à jour fixe et l'irrecevabilité de ses conclusions en précisant l'adresse de son siège social, de même que l'irrecevabilité de sa demande concernant les circonstances ayant entouré la résiliation du 9 septembre 2002, dès lors qu'elle l'aurait déjà formulée dans son assignation de première instance et aurait articulé les mêmes griefs dans les motifs de cette assignation.

Sans contester la régularité de la résiliation du 9 septembre 2002, elle a fait reproche aux premiers juges de ne pas avoir tiré toutes les conséquences des circonstances de fait qui avaient précédé ou suivi la résiliation et qui étaient révélatrices d'un manquement de la société Nissan à son obligation de bonne foi et de loyauté, et elle s'est alors attachée à articuler ses griefs à l'encontre de son concédant.

Elle a sollicité une somme de 261 982 euros au titre des perturbations d'activité que cela lui avait occasionné.

Elle a en revanche approuvé le tribunal d'avoir jugé abusive la réduction du préavis, décidée par la société Nissan sans motif sérieux mais dans le seul but d'échapper à l'application du nouveau règlement communautaire.

Elle a toutefois formé appel incident pour voir porter son indemnisation à la somme de 1 065 775 euros correspondant à une année de marge brute.

Subsidiairement, elle a sollicité une somme de 763 580,92 euros correspondant à une année de marge brute sur les activités de vente de véhicules neufs, de vente de pièces de rechange et service après-vente, ainsi qu'à 50 % de la marge dégagée au titre de l'activité de ventes de véhicules d'occasion.

Elle a enfin demandé paiement d'une somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du NCPC.

La société Nissan a demandé le rejet des débats des dernières écritures de la société Autostyl déposées l'avant-veille de l'audience, ainsi que des pièces communiquées à la même date.

Sur ce,

Sur le respect du principe de la contradiction:

Considérant que la société Nissan a répliqué la veille de l'audience aux conclusions et pièces nouvelles de la société Autostyl, au terme de soixante dix pages de conclusions dont une dizaine de nouvelles par rapport à ses écritures précédentes;

Qu'ainsi, il n'y a pas lieu d'écarter des débats les conclusions et pièces de la société Autostyl.

Sur la régularité de l'assignation à jour fixe et des conclusions de l'intimée:

Considérant qu'il est reproché à la société Autostyl d'y avoir indiqué une adresse de siège social, Rocade Sud - 38400 Saint-Martin d'Hères, qui n'est pas la sienne;

Mais considérant qu'il s'agit d'un vice de forme qui peut toujours donner lieu à régularisation;

Qu'en l'espèce, la société Autostyl justifie par une délibération de son conseil d'administration du 18 février 2004, publié aux Affiches de Grenoble et du Dauphiné le 19 mars 2004, que l'adresse de son siège social est désormais 24, rue Paul Helbonner - 38100 Grenoble;

Que cette régularisation ne peut laisser subsister aucun grief, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'annuler l'assignation à jour fixe, ni de déclarer irrecevables les conclusions de la société Autostyl.

Sur la résiliation du 9 septembre 2002 et les circonstances qui l'ont entourées:

Considérant que devant le tribunal, la société Autostyl contestait non seulement la réduction du délai de préavis que lui avait notifié la société Nissan le 24 juillet 2003, mais encore la résiliation du contrat elle-même, lorsqu'elle demandait aux premiers juges de " dire et juger que la société Nissan France a(vait) engagé sa responsabilité en résiliant une première fois le 9 septembre 2002 le contrat moyennant certes le respect d'un préavis de deux ans mais pour des motifs fallacieux et injustifiés plaçant son concessionnaire dans une situation discriminante par rapport aux autres distributeurs du réseau ";

Qu'elle sollicitait alors, en réparation du préjudice que lui causait la résiliation abusive du contrat de concession, la somme de 1 065 775 euros qu'elle réclame encore devant la cour;

Qu'aujourd'hui, elle ne conteste plus la résiliation en tant que telle, en admettant même qu'elle n'était pas constitutive d'un abus de droit, mais elle entend désormais obtenir réparation d'un préjudice spécifique lié aux "circonstances qui ont entouré la résiliation";

Que la société Autostyl entend en fait par-là reprocher à la société Nissan l'inexécution de ses obligations contractuelles dans les derniers temps de leurs relations;

Que certes, les mêmes fautes étaient invoquées en première instance mais que le but recherché était différent, puisqu'il s'agissait alors de démontrer le caractère abusif de la résiliation du contrat et qu'il s'agit aujourd'hui de prouver que le concédant n'exécutait pas ses obligations contractuelles;

Que cette demande ne tend donc pas aux mêmes fins que la précédente, qu'elle n'était pas virtuellement comprise dans la demande soumise au premier juge et qu'elle n'en est ni l'accessoire, ni la conséquence et ni le complément;

Qu'en conséquence, il s'agit d'une demande nouvelle irrecevable pour la première fois devant la cour, en application des dispositions de l'article 564 du NCPC.

Sur la réduction du préavis:

Considérant qu'alors que la société Autostyl exécutait son préavis jusqu'au 9 septembre 2004 en suite de la résiliation du contrat dont la société Nissan avait pris l'initiative le 9 septembre 2002, celle-ci l'a informée le 24 juillet 2003 qu'elle mettait fin au contrat de concession à effet du 30 septembre 2003, "conformément aux stipulations de l'article 8 du contrat", c'est-à-dire pour faute grave;

Qu'à l'appui de sa décision, la société Nissan invoquait:

- la persistance de résultats commerciaux insuffisants;

- la multiplication récente de lettres de réclamation de clients;

- le refus de participer à un programme d'enquête et de qualité du service;

Considérant que la société Nissan n'était autorisée à réduire la durée du préavis qu'en cas de faute grave du concessionnaire commise depuis qu'elle lui avait notifié la résiliation du contrat, ou portée à sa connaissance depuis cette notification;

Considérant que quoique la société Autostyl n'ait jamais accepté les objectifs de vente qui lui avaient été fixés, un expert judiciaire désigné à la requête de la société Autostyl en a confirmé la cohérence;

Qu'il est de fait que la société Autostyl n'a jamais atteint ces objectifset que la société Nissan était certes fondée à lui reprocher, dans sa lettre de résiliation du contrat du 9 septembre 2002, l'insuffisance de ses résultats, maisque, pour autant, l'on n'a pas assisté à une aggravation anormale de cette faiblesse des performances commerciales de la société Autostyl pendant la période de préavis;

Qu'au contraire, ses ventes de véhicules neufs ont légèrement progressé au premier semestre 2003, sans doute insuffisamment, sans doute moins que la moyenne des autres concessionnaires, mais de telle façon que ceci interdit à la société Nissan d'alléguer la "démotivation" de la société Autostyl et encore moins sa faute grave;

Considérant que, de même, il n'est pas sérieux, à partir de six plaintes sur des centaines voire des milliers de clients, dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'elles soient plus nombreuses qu'avant le 9 septembre 2002 ou que chez les autres concessionnaires, d'arguer d'une dégradation inadmissible de la qualité du service, alors que, dans le même temps, la société Nissan adressait à la société Autostyl des satisfecit (Mix d'Or, prime marketing) ou la classait dans son "baromètre qualité" au dixième rang sur vingt-et-un concessionnaires;

Considérant qu'enfin, c'est tout aussi vainement que la société Nissan fait grief à la société Autostyl de sa non-participation à des opérations commerciales, auxquelles, ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, ses concessionnaires sont libres de ne pas participer;

Qu'il n'y a pas eu au demeurant de refus systématique de la part de la société Autostyl, puisqu'elle a, par exemple, participé à l'opération "Portes ouvertes" du 15 juin 2003

Considérant qu'en définitive, la société Nissan n'avait aucun motif sérieux de réduire le délai de préavis préalablement consenti;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu le caractère abusif de la résiliation dite extraordinaire du 24 juillet 2003.

Sur le préjudice:

Considérant que la société Autostyl a vendu son fonds de commerce le 1er octobre 2003, alors que, si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme, la vente serait intervenue en septembre 2004;

Que cette vente n'a généré pour la société Autostyl aucune charge particulière dont il soit justifié, et en particulier de personnel puisqu'il est avéré que ses salariés ont été repris par l'acquéreur du fonds sans interruption de leur contrat de travail;

Que cette vente du fonds, élément dont les premiers juges n'avaient pas connaissance, exclut toute indemnisation en fonction d'une perte de marge brute;

Que les seuls préjudices que la société Autostyl peut avoir subis sont, d'une part, la perte d'un an de bénéfices, et, d'autre part, la perte sur la vente du fonds de commerce réalisée dans l'urgence;

Que, sur ce dernier point, non seulement la société Autostyl ne réclame rien, mais elle refuse catégoriquement de lier son préjudice au prix de vente du fonds de commerce, ce qui rend crédible l'affirmation de la société Nissan selon laquelle elle avait vendu son fonds "pour un prix très intéressant";

Qu'il reste que l'activité de la société Autostyl aurait généré d'octobre 2003 à septembre 2004 un bénéfice qui, sur la base de la moyenne des résultats des trois dernières années connues, 2000 à 2002, est fixé par la cour à 64 587 euros;

Sur l'article 700 du NCPC et les dépens:

Considérant que sans doute est-il fait droit partiellement à l'appel de la société Nissan, mais que le présent litige trouvant sa source dans son comportement fautif, elle paiera à la société Autostyl, en sus de la somme allouée par les premiers juges, une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi que les dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement: ordonne la jonction des dossiers n° 04-64 et 04-148. Dit n'y avoir lieu de rejeter des débats les conclusions déposées et les pièces communiquées le 30 mars 2004 par la société Autostyl. Déclare irrecevable comme nouvelle la demande en paiement d'une somme de 261 982 euros au titre "des perturbations d'activité occasionnées à la société Autostyl à l'occasion des circonstances ayant entouré la première résiliation du 9 septembre 2002". Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Nissan France à payer une somme de 208 912 euros à titre de dommages et intérêts. Le réforme de ce chef, statuant à nouveau, condamne la société Nissan France à payer à la société Autostyl une somme de 64 587 euros (soixante-quatre mille cinq cent quatre vingt-sept euros) à titre de dommages et intérêts. Y ajoutant, la condamne à lui payer une somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du NCPC. La condamne aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Jupin-Algrin, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.