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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 18 février 2004, n° 2002-14425

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Colorado (SARL), Parking (SA), Critère (SARL), Derrick Blagnac (SARL)

Défendeur :

Overland France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Picque, Roche

Avoués :

Me Huyghe, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Mes Abitan, Belbekri

T. com. Paris, du 13 juin 2002

13 juin 2002

Les sociétés Colorado, Parking, Critère et Derrick Blagnac exploitaient dans plusieurs villes de France sous la même enseigne Derrick des magasins de "sport's wear" pour lesquels elles achetaient depuis 1991 des chaussures et autres articles de la marque Caterpillar auprès de la société Overland France, anciennement dénommée All American France, elle-même distributeur exclusif pour la France des produits portant ladite marque. Alors que les commandes annuelles de ceux-ci effectuées par les sociétés appelantes représentaient en 1996 et 1997 respectivement 509 889 et 1 526 890 F les relations entre les parties devaient se détériorer à partir du début de 1998 et conduire la société Overland France à cesser toute livraison aux dites sociétés en juin 1998.

Reprochant alors à la société Overland France une rupture brutale des relations commerciales entretenues jusqu'à cette date avec elles, les sociétés Colorado, Parking, Critère, Derrick Blagnac ont assigné l'intéressée par acte du 23 octobre 1998 devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice financier qu'une telle attitude leur avait causé.

La société Overland France sollicitait, pour sa part, le débouté des sociétés demanderesses et leur condamnation in solidum à lui verser la somme de 608 976,01 F correspondant à une créance de marchandises impayées ainsi que diverses sommes à titre de dommages-intérêts. C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement présentement déféré par lequel le Tribunal de commerce de Paris a:

- débouté les sociétés Colorado, Parking, Critère, Derrick Blagnac de toutes leurs demandes,

- condamné la société Critère à payer la somme de 53 153,38 euros, la société Parking à payer la somme de 17 016,17 euros, la société Derrick Blagnac à payer la somme de 5 945,03 euros, la société Colorado à payer la somme de 6 488,27 euros, à la société Overland France au titre des factures impayées avec intérêts de retard au taux légal A compter du 22 juin 1998,capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné chacune des sociétés demanderesses à payer la somme de 2 500 euros à la société Overland France au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné chacune des sociétés demanderesses solidairement aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 106,17 euros TTC dont 17,08 euros.

Les sociétés Colorado, Parking, Critère et Derrick Blagnac ont interjeté appel de cette décision et par conclusions enregistrées le 6 janvier 2004 ont sollicité de la cour

- d'infirmer le jugement rendu le 13 juin 2002,

- de recevoir les sociétés demanderesses en leur appel et leurs conclusions,

et y faisant droit

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de constater la dégradation des relations commerciales entre les parties du fait de la société Overland exerçant sous l'enseigne All American,

- de constater que la société Overland exerçant sous l'enseigne All American a modifié brusquement et unilatéralement les relations commerciales et a mis fin à celles-ci,

- de constater que ce comportement fautif a entraîné un préjudice financier important aux sociétés demanderesses dont il est dû réparation,

en conséquence,

- de condamner la société Overland exerçant sous l'enseigne All American à régler:

à la SARL Colorado la somme de 53 357,16 euros,

à la SARL Parking, la somme de 6 1979,61 euros,

à la SA Critère, la somme de 365 877,64 euros,

à la SARL Derrick Blagnac, la somme de 351 12,25 euros,

- de nommer tel expert qu'il plaira à la cour, avec pour mission de faire les comptes entre les parties en procédant à la vérification des bordereaux de livraisons, des factures correspondantes, des retours, des avoirs, d'effectuer un rapprochement entre les retours des marchandises et les avoirs, se faire communiquer tous documents utiles et effectuer une balance permettant de chiffrer les sommes pouvant être dues au titre des marchandises livrées, de vérifier les pratiques commerciales entre la société Overland et les sociétés du groupe Derrick qui permettront de démontrer la bonne ou mauvaise foi de ces dernières et la responsabilité de la rupture des relations commerciales, l'importance des produits Caterpillar commercialisés par la société Overland dans l'activité des sociétés du groupe Derrick et du préjudice en découlant, ainsi que la captation de clientèle effectuée par la société Overland au profit d'autres sociétés,

- de débouter la société Overland exerçant sous l'enseigne All American de ses demandes reconventionnelles,

- de condamner la société Overland exerçant sous l'enseigne All American à verser 1 524,49 euros à chacune des sociétés demanderesses par application de l'article 700 du NCPC,

- de condamner la société Overland exerçant sous l'enseigne All American aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Huyghe, avoués, sur les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

La société Overland France, par conclusions enregistrées le 13 janvier 2004 demande:

- la confirmation du jugement en ce qu'il s

- débouté les sociétés du groupe Derrick de l'ensemble de leurs demandes,

- admis le principe d'une créance au profit de la société Overland au titre des

factures impayées par les sociétés du groupe Derrick,

- son infirmation

- en ce qu'il n'a admis le montant de cette créance qu'à hauteur de la somme de 82 602,85 euros,

et le réformant sur ce point,

- la condamnation in solidum des sociétés Colorado, Parking, Critère SA et Derrick Blagnac au paiement d'une somme de 93 056,50 euros TTC au titre des livraisons impayées avec intérêts au taux légal majoré de 1,5 % à compter du 22 juin 1998,

- de dire et juger que les intérêts emporteront eux-mêmes intérêt en application de l'article 1154 du Code civil.

A défaut

- condamner

* la société Colorado au paiement d'une somme de 8 324,02 euros,

* la société Derrick Parking au paiement d'une somme de 23 012,44 euros,

* la société Critère SA au paiement de la somme de 55 775 euros,

*la société Derrick Blagnac au paiement de la somme de 5 945,03 euros,

- de dire et juger que les sociétés du groupe Derrick se sont rendues responsables de manquements graves à leurs obligations contractuelles,

- de dire et juger en conséquence que la société Overland France était bien fondée à rompre les relations commerciales avec les sociétés du groupe Derrick, la rupture de ces relations commerciales étant exclusivement imputables à ces dernières,

- de constater que la société Overland France a respecté un préavis conforme aux usages,

- de dire et juger que les sociétés du groupe Derrick, notamment les sociétés Derrick Parking et Critère SA se sont rendues responsables de pratiques commerciales illicites et d'actes de concurrence déloyale préjudiciables à la société Overland France,

- d'infirmer en conséquence le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Overland France de l'ensemble de ses demandes visant à voir réparer divers préjudices résultant des agissements abusifs des sociétés du groupe Derrick.

Réformant le jugement sur ces points,

- de condamner les sociétés du groupe Derrick in solidum à payer à la société Overland à titre de dommages-intérêts

* pour atteinte à l'image de marque et trouble commercial: 152 449 euros,

*pour autres préjudices (préfinancement, perte de temps, gestion des retours injustifié, paiement du transport des marchandises refusées..): 76 225 euros;

À défaut d'une condamnation in solidum de ce chef, condamner chacune des sociétés Colorado, Parking, Critère SA et Derrick Blagnac au paiement chacune du quart de ces sommes, soit 38 112 euros pour l'atteinte à l'image de marque et le trouble commercial et, 19 057 euros pour les pertes de temps et frais annexes;

Condamner in solidum des sociétés Colorado, Parking, Critère SA et Derrick Blagnac au paiement de la somme de 344 723,11 euros au titre du manque à gagner subi par la société Overland France suite à la rupture des relations commerciales imputable aux sociétés appelantes;

À défaut d'une condamnation in solidum, condamner chacune des sociétés Colorado, Parking, Critère SA et Derrick Blagnac au paiement de dommages-intérêts dans les termes suivants:

* Colorado: 23 337,75 euros

* Parking: 41 814,91 euros

* Critère SA: 251 958,12 euros

* Derrick Blagnac: 27 612,32 euros;

Condamner in solidum les sociétés Colorado, Parking, Critère SA et Derrick Blagnac au paiement d'une somme de 12 195,22 euros HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à défaut, chacune des sociétés au paiement d'une somme de 3 048,98 euros HT en application du même article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dire et juger que les dépens seront recouvrés par la SCP Narrat et Peytavi, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Sur la résiliation du contrat liant les parties

Considérant qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil: "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi";

Considérant par ailleurs que dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n'a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3 de l'article précité, offerte aux deux parties; qu'ainsi, ne peut être recherchée la responsabilité de l'auteur de la résiliation d'un contrat à durée indéterminée en l'absence de caractérisation de la brusquerie de la rupture ou de l'existence d'un abus du droit de rompre le contrat;

Considérant que s'il ressort de l'examen des pièces versées aux débats que la société Overland France avait accepté jusqu'en 1997 la pratique des refus de livraison et des retours de marchandises, pratique régularisée par l'émission de notes de débit ou d'avoirs,et s'il est établi qu'il ne s'agissait nullement ainsi que le prétend l'intimée d'"accords ponctuels" ou de "tolérance" mais d'un aménagement organisé et spécifique des commandes et livraisons, il est, néanmoins, constant que ces pratiques structurées ont connu à compter de 1997 une dérive quantitative substantielle, le montant des commandes pour l'année considérée ne donnant lieu à livraison et facturation qu'à hauteur de 42 % et le taux des avoirs émis par la société All American atteignant 24 % du chiffre d'affaires alors qu'il n'était que de 6,76 % l'année précédente selon les propres chiffres des appelantes;qu'au regard de l'importance de cette dérive, dont la réalité n'est pas contestée en tant que telle même si les parties critiquent leur chiffrage réciproque de celle-ci, au sein d'une pratique acceptée par les sociétés intéressées mais à laquelle celles-ci pouvaient en tout état de cause mettre fin en revenant à des usages commerciaux ordinaires, le préavis donné à cet effet par la société Overland France doit être estimé suffisant dans les circonstances de l'espèce, l'intimée signifiant son refus de retour de marchandises commandées et livrées le 19 janvier 1998 et attendant juin 1998 pour cesser effectivement ses livraisons aux appelantes dès lors que ces dernières manifestaient, par le courrier du 28 avril 1998, leur volonté de s'en tenir aux anciennes pratiques et, notamment, à celle des notes de débit;qu'ainsi aucune modification unilatérale fautive du contrat ne pouvant être imputée à la société Overland France, les sociétés Colorado, Parking, Critère et Derrick Blagnac ne sauraient utilement exciper des dispositions de l'article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce afférentes à la rupture brutale d'une relation commerciale établie et ne peuvent qu'être déboutées de leur demande en réparation à ce titre du préjudice financier que leur aurait occasionné la cessation des liens avec l'intimée et qu'elles calculent par référence à la marge brute réalisée avec cette dernière au cours de l'exercice 1997;

Que si les appelantes reprochent, également, à la société Overland France l'imposition d'une marge minimum ainsi que des livraisons tardives l'obligeant à solder sa marchandise, elles se bornent à de simples affirmations non corroborées; qu'ainsi les intéressées ne justifient d'aucune marge obligée et les exemples mêmes de livraisons tardives visés dans le courrier de M. Hassan en date du 22 mars 1998 rendent leur caractère exceptionnel et ponctuel au regard du chiffre d'affaires réalisé;

Qu'enfin, si les sociétés Colorado, Parking, Critère, Derrick Blagnac soutiennent que l'intimée aurait vendu de manière habituelle ses produits en grande surface et qu'en ne les informant pas de ces pratiques elle aurait manqué à la bonne foi qui doit présider à des relations commerciales loyales, la seule référence à une publicité concernant le magasin Auchan en date du 3 novembre 1999 ne saurait constituer la preuve de l'existence d'un marché parallèle alors qu'il s'agissait d'une opération promotionnelle exceptionnelle et que n'est pas démontrée l'effectivité d'aucune autre fourniture par la société Overland France de produits de la marque Caterpillar à une enseigne de grande distribution;

Que, par suite, et indépendamment du reproche, ci-dessus écarté, de rupture abusive des relations commerciales les liant, les appelantes ne justifient d'aucune faute imputable à l'intimée et susceptible de fonder de ce chef une quelconque demande indemnitaire de leur part;

Sur les demandes reconventionnelles formées par la société All American France

* en ce qui concerne les sommes dues au titre des factures impayées

Considérant que si l'intimée sollicite le versement de la somme de 93 056,50 euros au titre des livraisons et factures impayées, les sociétés appelantes ont communiqué dans le cadre de la procédure de première instance un tableau estimatif des sommes dues par chacune d'entre elles selon la répartition suivante:

société Critère: 53 153,38 euros

société Parking: 17 016,17 euros

société Derrick Blagnac: 5 945,03 euros

société Colorado: 6 488,27 euros;

Que, par un autre courrier du 30 juin 1998, M. Hassan représentant ces dernières sociétés a, fût-ce en des termes prudents, reconnu le bien-fondé du principe de la créance de la société Overland France en écrivant: "nous ne réfutons pas l'éventualité de devoir certaines factures car la grande majorité des factures dues concerne 1998 mais nous ne pouvons donner suite à votre demande sans obtenir l'assurance du respect des relations commerciales entretenues jusqu'à présent."; que la société Overland France ne justifie, pour sa part, en rien du bien-fondé du surplus de sa demande et ne précise pas la cause de celle-ci et, notamment, s'il s'agit de marchandises livrées et non payées ou de marchandises refusées à la livraison et s'il s'agit de refus postérieurs à l'expiration du préavis sus rappelé;

Que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la demande formée par l'intimée à hauteur de la seule somme, non utilement contestée, de 82 602,85 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 1998, date de la mise en demeure adressée aux appelantes, et rejeté le surplus de la réclamation;

Que, par ailleurs, s'agissant de sociétés distinctes dont les comptes ne peuvent être confondus, aucune condamnation solidaire ne saurait être prononcée à leur encontre; qu'enfin, en l'absence de toute preuve de l'imputabilité à. l'intimée du retard apporté à procéder au règlement des sommes dues, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

* en ce qui concerne le préjudice EU à l'atteinte à l'image de marque et le trouble commercial

Considérant que l'intimée ne démontre ni la réalité des "procédés illégaux" reprochés aux appelantes ni celle de la "politique de discount illégal" des prix que celles-ci auraient pratiquée; qu'au surplus elle ne caractérise en aucune façon l'effectivité du préjudice dont elle réclame réparation à ce titre; que sa demande de ce chef ne peut, dès lors, qu'être rejetée;

* en ce qui concerne les "autres préjudices" invoqués et estimés à 76 225 euros

Considérant que si la société Overland France excipe, également, des préjudices divers liés à la gestion de commandes ultérieurement annulées ou retours injustifiés, il sera, tout d'abord, observé qu'elle ne justifie nullement du mode de calcul de la somme sollicitée; que, par ailleurs, et en tout état de cause, lesdits préjudices ne sont que la conséquence de la détérioration des relations entre les parties et ne sauraient être indemnisés en tant que tels;

* en ce qui concerne le manque à gagner

Considérant, enfin, que si l'intimée sollicite l'octroi de dommages-intérêts pour le manque à gagner entraîné par la rupture des relations commerciales nouées avec les sociétés appelantes, il échet de relever que, fût-elle imputable à ces seules dernières, cette rupture ne constitue qu'un aléa normal de la vie des affaires et n'est pas constitutive d'un dommage indemnisable alors, surtout, que les intéressées n'étaient que des clients parmi d'autres et nullement des partenaires commerciaux privilégiés;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter les parties du surplus de leurs conclusions respectives;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Overland France la charge des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel; que chacune des appelantes lui versera donc la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article susvisé;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, les rejetant, Confirme le jugement entrepris, Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, Condamne les sociétés appelantes aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Narrat et Peytavi, avoué, Condamne également chacune d'elles à verser à l'intimée la somme de 1 000 euros au titre des frais hors dépens.