CA Bordeaux, 2e ch., 3 mai 2004, n° 03-03289
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Aquitaine Océan (SARL)
Défendeur :
Couteau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
Mlle Courbin, M. Ors
Avoués :
SCP Rivel-Combeau, Me Fournier
Avocats :
Mes Quintard, Labat-Carrere, Roquain.
Par acte sous-seing privé du 26.12.95 la SARL Aquitaine Océan (La SAO), gérant d'immeubles a confié à Madame Couteau un "mandat d'agent commercial immobilier" afin de vendre, acheter ou louer des biens immobiliers pour le compte de son mandant.
Madame Couteau était par ailleurs à titre personnel membre de l'association syndicale libre du lotissement Le Bidaou à Lacanau dont la SAO était le syndic depuis 1984.
Par LR avec AR du 12.10.99 la SAO a notifié à Madame Couteau la rupture du contrat les liant sans indemnité, pour les motifs suivants: "Nous considérons, que vous avez manqué à cette obligation de loyauté et de bonne foi, en usant de votre qualité de propriétaire du lotissement Le Bidaou à Lacanau dont la SARL Aquitaine Océan est le syndic depuis 1984, pour tenir auprès des autres copropriétaires de ce lotissement des propos de dénigrement à son encontre, mettant gravement en cause le travail réalisé par elle en sa qualité de syndic et tendant de ce fait à contester notamment l'augmentation de ses honoraires, les comptes de l'année 1998, l'indication dans le contrat de syndic d'un pourcentage sur travaux exceptionnels à hauteur de 25 %, ces questions devant être abordées lors de l'assemblée générale du lundi 9 août 1999".
Sur assignation de Madame Couteau du 29.11.99, par jugement du 27.05.03 le tribunal de commerce a condamné la SAO à payer à Madame Couteau la somme de 40 943,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.
Vu les dernières conclusions des:
13.08.03 de la SAO, appelante principale,
15.12.03 de Madame Couteau, appelante incidente.
Discussion
Par application des articles L. 134-12 et 13 du Code de commerce:
"en cas de cessation des relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" qui n'est pas due si "la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent";
cette indemnité de rupture, calculée en l'espèce sur la base de 2 ans de commissions, improprement qualifiée d'indemnité de préavis par les premiers juges est distincte de cette dernière indemnité fixée à 3 mois de commission par le contrat au-delà de la 3e année d'activité conformément à l'art L. 134-11 du Code du commerce,
En cause d'appel la SAO poursuit l'infirmation du jugement, le débouté de Madame Couteau de toutes ses demandes pour les motifs exprimés dans sa lettre de rupture du 12.10.99 la SAO a ajouté que Madame Couteau avait commis des faits de concurrence déloyale en violation de l'art 9 de son contrat, caractérisant la faute grave.
Il incombe à la SAO qui a pris l'initiative de la rupture de rapporter la preuve de la faute grave qu'elle allègue.
Madame Couteau poursuit de son côté la confirmation du jugement en son principe faisant valoir que le SAO ne rapporte pas la preuve qui lui incombe
de la faute grave alléguée,
- d'agissements fautifs contraires au caractère commun du mandat,
- de la matérialité même des faits allégués
Il convient donc de vérifier les griefs formulés par la SAO à qui incombe la charge de la preuve.
Monsieur Lhomme, membre de l'association syndicale du lotissement du Bidaou, propriétaire depuis peu de ce lotissement et ne connaissant pas personnellement les parties a déclaré:
"la veille ou l'avant-veille de l'assemblée générale... j'ai reçu, à leur demande Madame Couteau, Monsieur Normand, Monsieur et Madame Dalay..., comme ils l'avaient fait auprès d'un certain nombre de propriétaires du Bidaou, ils venaient me voir pour m'informer de nombreuses défaillances du syndic dans la gestion de la résidence du Bidaou... peu de présence... gestion suspecte des provisions... lourdeur injustifiée des charges... c'est Madame Couteau qui a été la plus virulente dans la série de critiques qu'elle a continué de formuler lors de réunions du conseil syndical élu dans le cadre de cette assemblée générale. Devant le refus de la majorité du conseil syndical de changer de syndic et de faire de la gestion directe, ce que la majorité du conseil a dénoncé"
Si Monsieur Normand (présenté comme le concubin de Madame Couteau) et Monsieur et Madame Dallay ont contesté formellement de façon concordante cette rencontre et ces affirmations, si de graves dissensions ont opposé les membres de l'association selon les publications de cette dernière,
Il résulte en tout cas des attestations concordantes non contredites de Madame Gilberton et de Monsieur Mocaer que Madame Couteau a contacté personnellement les membres de l'association syndicale pour contester la gestion de la SAO,
reprochant en particulier à cette dernière:
- de ne pas effectuer son travail,
- de ne pas permettre la vérification des comptes,
- d'exiger 2,5 % d'honoraires particuliers sur les travaux alors que ces derniers n' étaient jamais suivis,
tous éléments conformes aux griefs notifiés dans la lettre du 12.10.99,
cette attitude d'opposition est confirmée par le procès-verbal de l'assemblée générale du 9.08.99 où Madame Couteau titulaire de nombreux mandats d'autres associés
- a reproché à la SAO des factures de 1 157,76 F payées au jardinier pour des fournitures injustifiées, de 1 447,20 F pour des travaux de recherche d'amiante,
a proposé la limitation du mandat de la SAO à une année,
- s'est élevée sur la proposition d'une rémunération de 2,5 % sur travaux exceptionnels,
- s'est opposée à toute élévation des honoraires du syndic.
Il résulte aussi du procès-verbal que la SAO:
- a fourni des justifications sur les factures minimes contestées,
- a justifié avoir proposé de limiter à un an la durée de son mandat,
- a indiqué n'avoir jamais perçu les honoraires pour travaux exceptionnels de 2,5 % contestés.
Il est exact que Madame Couteau en sa qualité d'associée de l'association syndicale libre du lotissement le Bidaou demeurait libre de contester la gestion et les propositions du syndic, même si ce dernier dans un cadre professionnel était par ailleurs son mandant;
reste que cette contestation mettait en cause non seulement les qualités de gestionnaire de la SAO mais encore sa probité, notamment relativement à certaines factures et à la perception exceptionnelle d'honoraires sur des travaux qui n'étaient pas suivis, tous reproches qui n'ont pas été vérifiés.
L'essentiel des ventes réalisées par l'intermédiaire de Madame Couteau concernait des biens gérés par la SAO.
Dans ces circonstances la SAO a pu considérer que constituait une faute grave privative d'indemnités le fait objectif que sa probité était injustement publiquement mise en cause par Madame Couteau dans le cadre de son activité de gestion immobilière qui est connexe de celle d'agent immobilier à Lacanau même.
Le jugement doit donc être infirmé et Madame Couteau débouté de toutes ses demandes.
Sur les dépenses de publicité
La SAO sollicite condamnation de Madame Couteau à lui payer la somme de 21 763,44 euros en remboursement de dépenses de publicité en application de l'art 1 du contrat qui précise:
"D'une manière générale, l'agent commercial supporte personnellement et exclusivement tous les frais occasionnés par l'exercice de son activité et par l'accomplissement du présent contrat et notamment ses frais de secrétariat et de publicité" et conformément à l'article I de la loi de 1991;
toutefois les publicités en question ont été effectuées au nom et pour le compte de la SAO de façon générale, sur sa seule initiative, de ce chef il n'est rien dû par Madame Couteau.
Sur le préjudice moral
Les allégations mensongères de Madame Couteau sont constitutives d'un préjudice moral certain qui sera réparé par la somme de 1 euro.
Sur les frais irrépétibles
Il est équitable de faire application de l'art 700 du nouveau Code de procédure civile au bénéfice de la SAO dans les conditions qui suivent.
Décision
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement, déboute Madame Couteau de toutes ses demandes, la condamne à payer à la société Aquitaine Océan les sommes de: - 1 euro à titre de dommages-intérêts, - 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, déboute la société Aquitaine Océan de ses autres demandes, Condamne Madame Couteau aux dépens de première instance et d'appel, application étant faite pour ces derniers de l'art 699 du nouveau Code de procédure civile.