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Décisions

Conseil Conc., 19 juillet 2004, n° 04-D-33

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre sur les marchés de certains produits d'électronique grand public en 1998 et 1999: téléviseurs, magnétoscopes, caméscopes, Hi-Fi, audio, appareils numériques et DVD

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Madame Joly, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Perrot ainsi que MM. Flichy, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-33

19 juillet 2004

Le Conseil de la concurrence (section IV)

Vu la lettre enregistrée le 24 mars 1999, sous le numéro F 1140, par laquelle la SA Concurrence a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur les marchés de certains produits d'électronique grand public en 1998 et 1999: téléviseurs, magnétoscopes, caméscopes, Hi-Fi, audio, appareils numériques et DVD; - Vu les articles 81 et 82 du traité; - Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; - Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement; - Vu les autres pièces du dossier; - La rapporteure, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 15 juin 2004, la société Concurrence ayant été régulièrement convoquée; - Adopte la décision suivante:

I. Constatations

1. La SA Concurrence dénonce dans sa saisine des ententes entre fabricants et distributeurs portant sur les prix au détail pratiqués pour divers produits (téléviseurs, magnétoscopes, caméscopes, Hi-Fi, audio, appareils numériques et DVD) au cours des années 1998 et 1999.

Elle soutient également que ses concurrents pratiquent des prix abusivement bas et/ou prédateurs.

A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNEES

1. LA PARTIE SAISISSANTE

2. La SA Concurrence distribue, à partir principalement d'un magasin situé place de la Madeleine à Paris, des produits d'électronique grand public dans des conditions de commercialisation proches du discount: les produits ne sont pas exposés à la vente; il y a peu de stock; l'entreprise n'assure pas de service de livraison à domicile ni de service après-vente.

2. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE

3. La saisine met en cause un très grand nombre de distributeurs parmi lesquels: Fnac, Darty, Carrefour, Auchan, Digital, Phoci, BHV, Conforama, Boulanger, Interdiscount, Cora, But, Expert, Connexion etc. De même, la liste des fabricants dénoncés par le plaignant comprend les sociétés suivantes: Thomson, Toshiba , Sony, Philips, JVC, Panasonic, Akaï, Canon, Grundig, Sharp, Samsung, Denon, Pioneer, Yamaha, Jamo, Technics, Aïwa etc.

B. LES FAITS DENONCES

1. L'ENTENTE SUR LES PRIX

4. La SA Concurrence produit à l'appui de sa saisine:

- deux relevés de prix réalisés par l'institut IFR début 1999,

- des relevés de prix effectués par ses soins,

- des relevés de prix effectués par la société TVHA, distributeur indépendant situé à Grenoble,

- un certain nombre de catalogues promotionnels publiés fin 1998 par différentes enseignes: Carrefour, Auchan, Digital, Phoci, BHV, Boulanger et Conforama.

5. Elle soutient que le fort alignement des prix entre les distributeurs, révélé par ces documents, atteste de l'existence de concertations entre distributeurs et fabricants et entre distributeurs, portant sur l'uniformisation du niveau de prix au détail pratiqués pour un grand nombre de produits "bruns": téléviseurs, magnétoscopes, caméscopes, Hi-Fi, audio, appareils numériques et DVD.

6. Dans le cadre de l'enquête administrative, les données de la société IFR ont été recueillies, pour la quasi-totalité des produits mentionnés dans la saisine. Les relevés de prix IFR ont été effectués mensuellement sur la période de septembre 1998 à mars 1999 et ce, dans une cinquantaine de points de vente des régions de Paris, Lyon, Marseille et Grenoble. Ils présentent un prix moyen constaté et le pourcentage de magasins appliquant ce prix.

7. Ces relevés confirment l'alignement des prix décrit dans la saisine:

- Sur 13 références de téléviseurs faisant l'objet du relevé, 5 voient leur prix moyen constaté appliqué dans 100% des points de vente sur au moins une partie de la période considérée, 10 dépassent 90%, 12 dépassent 80%.

- Sur 10 références de chaînes HIFI faisant l'objet du relevé, 3 voient leur prix moyen constaté appliqué dans 100% des points de vente sur au moins une partie de la période considérée, toutes dépassent 90%.

- Sur 8 références de lecteurs DVD faisant l'objet du relevé, 4 voient leur prix moyen constaté appliqué dans 100% des points de vente sur au moins une partie de la période considérée, 7 dépassent 90% , toutes dépassent 80%.

- Sur 11 références de magnétoscopes faisant l'objet du relevé, 4 voient leur prix moyen constaté appliqué dans 100% des points de vente sur au moins une partie de la période considérée, 10 dépassent 90%, toutes dépassent 80%.

- Sur 10 références de caméscopes faisant l'objet du relevé, 3 voient leur prix moyen constaté appliqué dans 100% des points de vente sur au moins une partie de la période considérée, 7 dépassent 90%.

- Sur 10 références de baladeurs faisant l'objet du relevé, 2 voient leur prix moyen constaté appliqué dans 100% des points de vente sur au moins une partie de la période considérée, 6 dépassent 90%, toutes dépassent 80%.

8. Ces relevés ont été complétés par des panels IFR pour la région parisienne en date du mois de novembre 2002 et, pour les régions de Paris et Marseille, en date de décembre 2002.

Des taux de suivi supérieurs à 80%, ont été constatés pour la majeure partie des points de vente, pour toutes les marques et toutes les familles de produits. Ils sont toutefois moins forts pour les téléviseurs Thomson et les lecteurs de DVD.

2. LES PRIX ABUSIVEMENT BAS

9. Dans sa saisine, la SA Concurrence se dit également victime de "prix prédateurs et/ou abusivement bas" de la part des ses concurrents. Elle produit des relevés de prix effectués par ses soins, montrant que les magasins Fnac St Lazare et Darty de la Madeleine, situés dans la zone de chalandise du magasin Concurrence, ont baissé leurs prix de façon sélective, les autres magasins de la même enseigne ne modifiant pas leurs tarifs et les baisses de prix touchant principalement les produits de la marque Sony, fournisseur partenaire de Concurrence (80% des volumes vendus).

10. Des relevés ont été effectués directement par la Direction Nationale des enquêtes de concurrence, dans des points de vente proches du magasin Concurrence de la place de la Madeleine, et dans des points de vente de Paris et de la région parisienne, soit treize points de vente au total, entre octobre et décembre 2002. Pour les téléviseurs, ces relevés font apparaître globalement un fort taux de suivi de prix identiques. Hors Serap, qui présente des prix généralement inférieurs de 10% aux prix relevés dans l'ensemble des autres magasins, le magasin Darty de la place de la Madeleine est celui qui présente le plus de divergences de prix par rapport aux autres surfaces de vente, à des niveaux le plus souvent légèrement inférieurs. Ces prix plus bas ne concernent cependant pas des produits commercialisés par la société Concurrence. Sur les quelques références communes à Darty Madeleine et au magasin Concurrence, ce dernier présente les prix les plus bas. Concernant les chaînes Hi-Fi, un comportement atypique des distributeurs Darty Madeleine et FNAC Saint-Lazare n'est constaté que pour une seule référence. Pour les autres produits bruns contrôlés, les prix sont également identiques ou quasi-identiques pour toutes les marques et tous les distributeurs, y compris Darty Madeleine et FNAC St Lazare, les prix du magasin Concurrence s'avérant, en revanche, moins élevés.

II. Discussion

A. SUR LA DEMANDE DE LA SOCIÉTE CONCURRENCE TENDANT À CE QUE CERTAINES PIÈCES DU DOSSIER F 1050 SOIENT VERSÉES AU PRÉSENT DOSSIER

11. Dans sa lettre de saisine du 24 mars 1999, la société Concurrence demandait que: "sa saisine soit traitée indépendamment de celle de TVHA, notamment en raison du problème des écoutes téléphoniques qui pourrait conduire à l'annulation de la saisine". Aux termes d'un courrier du 4 septembre 2002, elle sollicite au contraire le versement au dossier F 1140, ouvert sur sa saisine, de certaines pièces du dossier F 1050, qui a été ouvert sur la saisine de la société Avantage/TVHA: "(...) les faits visés sont pour grande partie les mêmes que ceux de la société TVHA dont l'actuel et nouvel actionnaire (M. X) a déclaré au Canard Enchaîné avoir enregistré les pressions des fournisseurs qui effectivement sont sans ambiguïté. Toutefois, ayant questionné Monsieur X sur l'avancée de sa saisine, il m'a indiqué que le rapporteur ne serait pas en possession des bandes, des transcriptions manuscrites, très explicites, ni même de certaines listes de prix imposés remises par les représentants aux revendeurs et dont les relevés et prospectus démontrent qu'ils ont été respectés. Cela serait d'autant plus regrettable que la Cour de cassation a validé la production des bandes dans cette affaire, et que cette fois il y a des preuves éclatantes contre les plus grands fabricants. Je demande donc que ces enregistrements et autres documents soient versés dans ma saisine (...)".

12. L'article 31 du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce énonce: "le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint peut, à son initiative ou à la demande des parties ou du commissaire du Gouvernement, procéder à la jonction de l'instruction de plusieurs affaires (...)".

13. Le rapporteur général n'a pas fait usage, en l'espèce, de la faculté qui lui est offerte par la disposition précitée. Le Conseil considère que les éléments invoqués par la société Concurrence ne révèlent pas l'existence d'un lien tel, entre les deux procédures F 1140 et F 1050, qu'il y ait lieu d'en prononcer la jonction. La demande de la partie saisissante ne peut donc être accueillie.

B. SUR LES PRATIQUES DENONCEES.

14. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce: "Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure".

15. S'agissant de la pratique d'entente sur les prix, les éléments présents au dossier font essentiellement état d'un alignement des prix des produits bruns entre plusieurs distributeurs. Sur ce point, il est de jurisprudence constante que, si la constatation d'un alignement des prix peut constituer l'un des indices d'une concertation portant sur la fixation de prix de vente minimum, elle ne peut suffire, en elle-même, à caractériser une entente anticoncurrentielle. La Cour d'appel de Paris a ainsi jugé, dans un arrêt du 18 mars 2003 (SA L'AMY) que "la constatation faite par la cour d'un parallélisme de comportement et d'autres éléments tels que, notamment, l'envoi de courriers à six fournisseurs, même s'ils ne reprennent pas à l'identique les formules arrêtées lors des réunions, constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants dès lors que l'existence d'une entente peut être établie par des éléments, autres que la constatation du seul parallélisme de comportement, qui s'ajoutent à celui-ci".

16. Un alignement des prix peut en effet, logiquement, être expliqué de trois façons:

- par une entente horizontale directe sur les prix entre distributeurs,

- ou encore par une série d'ententes verticales entre chaque fournisseur et chacun de ses distributeurs autour d'un prix de revente déterminé par ce fournisseur,

- ou, enfin, par un parallélisme de comportement qui viendrait d'une réaction identique des distributeurs à la diffusion de "prix conseillés" ou de "martingales" par le fournisseur, parallélisme de comportement uniquement guidé par la concurrence qui régnerait dans ce secteur et qui ferait converger les prix vers des montants identiques.

17. En théorie, plusieurs éléments peuvent conduire à constater que ce parallélisme résulte d'une entente: en premier lieu, des indices permettant de penser que des prix de vente au détail ont été évoqués au cours de négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs; en second lieu, le fait que les prix ainsi déterminés auraient été effectivement pratiqués par ces distributeurs, ce qui traduirait l'existence d'un accord de volontés, et donc d'une entente; en troisième lieu, des éléments montrant qu'un système de contrôle des prix aurait été mis en place, un tel système étant, en général, nécessaire au fonctionnement durable d'une entente sur les prix.

18. En l'espèce, ne figure au dossier aucun élément de nature à établir que les prix de détail ont été évoqués au cours de négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, ou qu'un système de contrôle de ces prix aurait été mis en place. En conséquence, le parallélisme constaté ne peut suffire à établir l'existence d'une entente entre distributeurs, ou entre distributeurs et fabricants.

19. La société Concurrence reproche, par ailleurs, aux sociétés FNAC et Darty de pratiquer, de manière sélective, la première dans son magasin de Saint-Lazare, la seconde dans son magasin de la Madeleine, situés tous deux dans la zone de chalandise du magasin Concurrence, des prix abusivement bas, en infraction aux dispositions de l'article L. 420-5 du Code de commerce.

20. Aux termes de ce texte: "Sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits. Les coûts de commercialisation comportent également et impérativement tous les frais résultant des obligations légales et réglementaires liées à la sécurité des produits. Ces dispositions ne sont pas applicables en cas de revente en l'état, à l'exception des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels".

21. Or, les concurrents mis en cause par le plaignant sont des distributeurs. Ils exercent, pour les produits concernés par la plainte, une activité de distribution, c'est-à-dire de revente en l'état. Il s'ensuit que les prix pratiqués ne tombent pas sous le coup de la prohibition édictée par les dispositions de l'article L. 420-5 précité.

22. En tout état de cause, il s'avère que la pratique manque en fait, puisqu'il ressort des éléments du dossier que les baisses sélectives de prix du magasin Darty Madeleine ne portent pas sur des produits dont le magasin Concurrence assure la commercialisation, et que pour les références disponibles simultanément dans ces deux points de vente, ainsi que dans d'autres magasins de la zone de chalandise, les prix de la société Concurrence sont toujours les plus bas.

23. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il doit être fait application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

DÉCISION

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.