Conseil Conc., 22 juillet 2004, n° 04-D-34
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Exécution de l'article 1er 1er tiret de la décision n° 03-MC-04 du 22 décembre 2003
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme de Mallmann, par Mme Hagelsteen, présidente, Mmes Behar-Touchais, Renard-Payen, ainsi que MM. Bidaud, Flichy, Gauron, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III A),
Vu la décision n° 03-MC-04 du 22 décembre 2003 relative à la saisine (n° 03-0051 F) et à la demande de mesures conservatoires (n° 03-0052 M) présentées par la société les Messageries Lyonnaises de Presse ; Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris (1ère chambre, section H) du 12 février 2004 ; Vu la lettre du 23 avril 2004 de la société Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne par laquelle elle rend compte de l'exécution de l'article 1er, 1er tiret de la décision n° 03- MC-04 du 22 décembre 2003 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés les Messageries Lyonnaise de Presse (MLP) et les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP), entendus lors de la séance du 23 juin 2004 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. Le contexte
1. Saisi par lettre enregistrée le 8 août 2003, d'une demande de mesures conservatoires par les MLP à l'encontre des NMPP, le Conseil de la concurrence a enjoint à ces dernières à l'article 1er, 1er tiret, de sa décision n° 03-MC-04 du 22 décembre 2003 susvisée :
"d'accorder aux MLP dans un délai de quatre mois un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, dans des conditions économiques équitables, en mettant en place - pour chaque dépôt qui le souhaiterait et selon des modalités qui devront faire l'objet d'un accord entre les parties concernées - un transfert automatique de fichiers entre le système informatique des MLP, TID ou équivalent, et Presse 2000. Dans un délai de quatre mois au plus tard à compter de la notification de la présente décision, il sera rendu compte au Conseil par les parties des dispositions prises par la société NMPP pour se conformer à cette injonction ".
2. La Cour d'appel de Paris, dans l'arrêt du 12 février 2004 susvisé, a confirmé la décision du Conseil en précisant notamment "que le détenteur d'une facilité essentielle est tenu d'offrir à ses concurrents un accès à l'infrastructure qu'il détient ou qu'il contrôle à des conditions équitables et non discriminatoires".
3. Le 23 avril 2004, les NMPP ont adressé au Conseil un compte rendu de l'exécution de cette injonction. Elles demandent au Conseil qu'il leur donne acte des dispositions prises pour se conformer à l'injonction. Pour le cas où ces dispositions ne seraient pas considérées comme conformes aux prescriptions de l'injonction, les NMPP demandent au Conseil de leur fournir les éléments d'interprétation et de clarification de l'injonction, afin de leur permettre d'en respecter les termes, et un délai supplémentaire pour l'exécuter.
B. Le compte rendu des dispositions prises par les NMPP en execution de l'injonction.
4. Les NMPP précisent dans le dossier de compte-rendu des mesures prises, transmis au Conseil le 23 avril 2004, que la décision du 22 décembre leur ayant été notifiée le 5 janvier 2004, le délai de quatre mois fixé par le Conseil expire le 5 mai 2004. Elles affirment, dans le mémoire déposé devant le Conseil le 18 juin 2004, qu'elles ont engagé, en interne, les travaux nécessaires à l'exécution de l'injonction dès le 5 janvier 2004 et ont adressé, dès le 19 janvier, leur premier courrier aux MLP pour les interroger sur les modalités envisageables de mise en œuvre de cette injonction.
5. Elles expliquent, à titre liminaire, qu'elles adressent au Conseil un compte-rendu qui leur est propre et non commun avec les MLP, dans la mesure où celles-ci ont rejeté les propositions formulées. Elles estiment que ces divergences illustrent les difficultés de mise en œuvre de l'injonction, dues au fait que les modalités d'accès des concurrents à une " infrastructure essentielle " consistant en un logiciel comprenant une base de donnée, tel Presse 2000, n'auraient été définies ni par la pratique décisionnelle du Conseil, ni par celle de la Commission.
6. Les NMPP indiquent avoir adressé aux MLP des propositions portant sur les points ci-après :
* Les fonctionnalités et données de Presse 2000 auxquelles un accès direct sera accordé et les fichiers dont le transfert automatique sera mis en place au niveau des dépositaires de presse qui le souhaiteront ;
* Les modalités juridiques de l'exercice par les MLP de leur droit d'accès direct ;
* La rémunération des NMPP au titre de l'accès direct accordé aux MLP et des transferts automatiques de fichiers qui seront mis en place chez les dépositaires qui le souhaiteront ;
* Les modalités juridiques selon lesquelles les dépositaires de presse qui le souhaiteront utiliseront pour le compte des MLP les fonctionnalités et données de Presse 2000 auxquelles l'accès direct aura été accordé aux MLP ;
* Les modalités techniques de réalisation de l'interopérabilité entre le système d'information des MLP et Presse 2000 ;
* Les modalités techniques et juridiques de réalisation des tests préalables au déploiement du dispositif.
1. Sur le périmètre des données et fonctionnalités concerné par l'injonction
7. En ce qui concerne les fonctionnalités et données de Presse 2000 auxquelles s'applique l'injonction, les NMPP considèrent que la décision du 22 décembre 2003 vise celles considérées comme essentielles pour l'exercice de l'activité de dépositaire, contenues dans le fichier des diffuseurs qualifiés. Il s'agirait donc, selon les NMPP, des mêmes informations auxquelles l'accès était convenu entre les deux parties aux termes de l'accord qu'elles avaient conclu le 24 avril 1998, et de son avenant de 1999, bien que, selon les NMPP, cet avenant n'ait pas été cité dans la décision du Conseil. Toutefois, afin de tenir compte d'évolutions survenues depuis 1998, elles proposent de rendre accessibles certaines données et fonctionnalités non prévues dans le protocole de 1998 (Numéro d'Immatriculation Messagerie ou NIM, dates de début et de fin de qualification des diffuseurs, facturation, tables de codes). Les NMPP ajoutent que, même si l'injonction du Conseil ne porte pas expressément sur les flux descendants, c'est-à-dire les transferts de fichiers du système des MLP à Presse 2000, l'accès couvre le transfert dans Presse 2000 des données de réglage issues du système Edgar des MLP. En revanche, elles considèrent que l'information relative à la présence d'une société d'affichage chez le diffuseur, prévue dans le protocole de 1998, est, en fait, une donnée commerciale qualitative non essentielle à l'activité des diffuseurs. S'agissant des informations relatives à l'historique des ventes et de leur transfert aux MLP en cas de changement de messagerie, elles affirment qu'elles n'en refusent pas le transfert mais tiennent à s'assurer qu'il s'effectue avec l'approbation de l'éditeur ou de la messagerie concernée.
8. Selon les NMPP, les contestations des MLP sur ce point concernent l'accès à des données qui n'entrent pas dans le champ de l'injonction, en particulier, celles incluant des renseignements ciblés sur les diffuseurs et leur environnement, qui sont des services à valeur ajoutée.
2. Sur les modalités juridiques de la mise en place de l'accès
9. Les NMPP ont communiqué aux MLP, le 9 avril 2004, plusieurs documents, à l'exception des conditions financières, communiquées le 16 avril :
* des conditions générales ;
* des conditions particulières ;
* des conditions financières ;
* un avenant au contrat de concession de droit d'utilisation du logiciel Presse 2000 ;
* un cahier des charges ;
* un contrat "site test".
10. En ce qui concerne les modalités juridiques de l'exercice du droit d'accès direct, les NMPP font valoir que les conditions générales et les conditions particulières qu'elles ont établies visent à instaurer une sécurité juridique indispensable pour la mise en œuvre d'un programme d'interopérabilité et s'étonnent que les MLP estiment qu'aucune documentation contractuelle n'est nécessaire. Elles produisent, à l'appui de leur mémoire du 18 juin 2004, une étude d'un expert judiciaire spécialisé en informatique qui confirme la nécessité d'une documentation contractuelle compte tenu des risques inhérents à toute opération de ce type.
11. De façon générale, elles affirment qu'elles sont incontestablement titulaires de droits de propriété intellectuelle sur le logiciel Presse 2000 et sur la base de données qu'il alimente en application des dispositions du Code de la propriété intellectuelle et, notamment, de ses articles L. 112-3 al. 2 et L. 341-1 et suivants, qui protègent leur droit sui generis d'investisseur dans ce système. Elles exposent que leur base de données est établie sur le fondement d'une architecture sophistiquée et dotée de plusieurs outils informatiques permettant d'organiser, de structurer, d'analyser et de traiter les données qu'elle contient. Cette base de données est le fruit d'un travail intellectuel original et est, dès lors, susceptible de protection par le droit d'auteur.
12. Sur les modalités juridiques selon lesquelles les dépositaires qui le souhaiteront, utiliseront pour le compte des MLP les fonctionnalités et données de Presse 2000, les NMPP précisent qu'actuellement les dépositaires bénéficient d'un droit d'utilisation du logiciel Presse 2000 afin de traiter les opérations réalisées pour leur propre compte. Dès lors, l'accès direct accordé aux MLP et la mise en place des transferts de fichiers implique une adaptation du système en place. C'est l'objet de l'avenant au contrat de concession de droit d'utilisation du logiciel Presse 2000.
13. Les NMPP précisent encore que dès que les tests techniques réalisés chez les "dépositaires tests" seront achevés, elles adresseront à chacun des dépositaires qui assurent la distribution de leurs titres et de ceux confiés par les MLP, l'avenant au contrat de concession de droit d'utilisation du logiciel Presse 2000. La version interopérable de Presse 2000 sera alors installée chez tous les dépositaires qui auront signé cet avenant.
14. Elles estiment que l'injonction, qui prévoit la mise en place de l'accès direct " pour chaque dépôt qui le souhaiterait ", ne permet pas de faire droit à la demande des MLP qui voudraient que le logiciel permettant l'accès automatique soit installé par défaut chez tous les dépositaires. Elles assurent que les deux versions du système bénéficieront de garanties de maintenance et d'évolution identiques.
15. De même, elles soutiennent qu'il est parfaitement légitime de prévoir la possibilité de désactiver l'accès direct automatique, pour les dépositaires qui en feraient la demande, en cas de nullité de l'injonction ou de son retrait par le Conseil lui-même lors de l'examen au fond.
16. Les NMPP déclarent que, sur le plan technique, toutes les dispositions nécessaires pour assurer l'accès direct et le transfert des fichiers ont été prises et que des tests ont déjà eu lieu sur un site. Elles avertissent cependant que si les MLP persistaient dans leur refus de signer le contrat " site test ", elles seraient amenées à mettre fin à ces tests pour des raisons de sécurité juridique. Dans le mémoire déposé le 18 juin 2004 devant le Conseil en vue de la séance du 23 juin, elles annoncent que ces tests ont été interrompus, et soulignent que, contrairement au motif invoqué par les MLP pour refuser de signer le contrat " site tests ", les deux dépositaires concernés avaient accepté de le signer.
3. Sur les conditions tarifaires de l'accès
17. S'agissant des conditions financières de l'accès direct et des transferts automatiques de fichiers, les NMPP déclarent ne pas avoir, à l'origine, créé le système Presse 2000 comme un actif destiné à être commercialisé et avoir eu recours, compte tenu de la complexité de la détermination des " conditions économiques équitables " visées par l'injonction, aux services d'une société de conseil spécialisée dans l'économie industrielle, et avoir élaboré les conditions financières proposées aux MLP à partir de cette analyse, des données chiffrées extraites de sa comptabilité et d'une analyse des risques de transfert de surplus.
18. Selon l'étude fournie, l'orientation du tarif d'accès à Presse 2000 vers les coûts supportés par les NMPP pour sa mise en place n'est pas pertinente en l'espèce, s'agissant d'une création intellectuelle et non d'une infrastructure physique, dont l'usage est partagé entre plusieurs utilisateurs. L'étude relève que le Conseil lui-même, dans son rapport d'activité pour l'année 2002, a précisé que l'orientation vers les coûts n'était pas un principe inscrit dans la doctrine des facilités essentielle. Dans leur mémoire du 18 juin 2004, les NMPP font également valoir que tous les précédents invoqués par les MLP pour justifier l'orientation vers les coûts concernent le secteur des télécommunications pour lequel une telle orientation est imposée par des textes législatifs ou réglementaires alors qu'aucun texte comparable n'existe pour le secteur de la distribution de la presse. Elles exposent, par ailleurs, que l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 juillet 2002, société Sogedim, ne s'est pas prononcé en faveur de l'orientation vers les coûts de la mise à disposition par l'INSEE de données du répertoire SIRENE à des entreprises concurrentes, mais uniquement sur l'existence d'un effet de ciseau tarifaire entre les tarifs fixés par le ministre pour ces prestations et ceux par ailleurs pratiqués par l'INSEE à l'égard de ses clients finals. De même, elles rappellent que la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 21 mai 2002, a expressément écarté l'orientation vers les coûts des tarifs de TDF.
19. Les auteurs de l'étude précitée expliquent que l'accès devrait réduire l'avantage concurrentiel des NMPP, en termes de qualité de service et de réputation liée au système informatisé et donc se traduire par un transfert de surplus des NMPP aux MLP. Ils estiment que l'objectif d'incitation à l'innovation, et donc d'efficacité de long terme, conduit à recommander un niveau de redevance représentatif des profits perdus par les NMPP. Une telle charge d'accès reflèterait la valeur des éléments de propriété intellectuelle mis en partage, la qualité éprouvée du système informatique et la réputation dont il bénéficie auprès des éditeurs. De plus, le prix d'équilibre étant égal au coût marginal, ils estiment qu'une redevance fixe, qui ne dépend pas de la part de marché effectivement conquise par les MLP et ne serait pas répercutée par celles-ci dans ses prix, serait plus favorable aux consommateurs. Ils estiment que, pour les MLP, une telle tarification ne conduirait pas à une marge nulle dans la mesure où l'augmentation de leurs ventes les ferait bénéficier d'économies de coût.
20. Les conditions financières communiquées aux MLP le 16 avril 2004 prévoient, en conséquence, une charge d'accès fixe de 5,3 millions d'euros par an sur la durée d'exercice du droit d'accès. Cette charge garantit, pour la durée du droit d'accès, l'évolution du système Presse 2000 et couvre une quote-part des frais généraux, de maintenance et de hotline supportés par les NMPP et précisés dans le contrat. S'y ajoutent des frais de connexion évalués en l'état des informations des NMPP à 200 000 euros, payables une seule fois. Ce tarif n'inclut pas la rémunération des prestations liées à la résolution des perturbations produites par l'équipement des MLP, à un fait ou une omission des MLP, au report par les MLP d'une intervention programmée, ainsi qu'aux incidents et réclamations.
21. Une note d'orientation annexée à ces conditions financières précise les modalités de calcul de la charge d'accès fixe : " La perte de profits générée par l'accès peut être évaluée, en première approximation, comme égale à la perte de marge subie chaque année par les NMPP, soit en raison du départ de clientèle vers la concurrence, soit en raison de baisse de prix pour aligner leur offre sur celle de la concurrence. Sur un chiffre d'affaires annuel (commissions versées par les éditeurs) de l'ordre de 586 Meuros pour l'activité relative aux publications, la perte de marge sur coûts directs prévisible due au départ de clients sensibles à l'utilisation, par les MLP, du système Presse 2000 peut être évaluée à environ 7,5 Meuros par année, à laquelle doit être ajoutée la perte de marge due à la hausse de prix consentie à d'autres clients ne quittant pas les NMPP, estimée à environ 3,5 Meuros, avec un effet sensible sur l'équilibre financier des NMPP, qui dépend notamment du mécanisme de péréquation des barèmes de distribution de la presse au numéro. La perte de marge prévisible se situe donc entre 7,5 Meuros et 11 Meuros par an ".. Cette estimation est cependant modulée pour ne pas faire peser sur les MLP une charge telle qu'elle compromettrait sa viabilité financière, " en tenant compte de l'amélioration progressive de la situation financière des MLP et des coûts évités du fait de leur intégration au système informatisé des NMPP ", dont les coûts d'un système informatique comparable à celui de Presse 2000, estimés dans cette note à environ 8 à 10 millions d'euros.
22. Les NMPP considèrent que les références mises en avant par les MLP pour établir le tarif d'accès à Presse 2000 ne sont pas pertinentes. La première référence, à savoir les conditions d'accès prévues dans l'accord de 1998, ne pourrait être retenue dans la mesure où le système Presse 2000 n'avait pas, alors, atteint le stade de développement et de maturité qu'il a atteint aujourd'hui et où l'accès négocié, à l'époque, n'incluait pas les transferts des systèmes Edgar (MLP) ou Oscar (NMPP), générateurs de risque de transferts de surplus. De surcroît, elles contestent le prix négocié en 1998 par les MLP. A la somme de 1,4 million de francs mise en avant par les MLP, elles soutiennent qu'il faut ajouter plus de 50 millions correspondant à la demande d'indemnisation des MLP au titre des discriminations dont elles se disaient victimes dans les tarifs de la SAD, demande à laquelle les MLP auraient expressément renoncé en échange de l'accès direct.
23. La référence aux conditions qui seraient accordées à la SAEM-TP serait également inapplicable dans la mesure où cette messagerie sous-traite l'intégralité de sa logistique aux NMPP et leur est liée, les sommes prévues étant, de ce fait, selon les NMPP, susceptibles d'être fixées en fonction d'autres critères que la valeur des services rendus. Les NMPP avancent néanmoins que la rémunération afférente à l'utilisation de Presse 2000 serait de l'ordre de 9 millions d'euros par an, somme qu'elle ne pourrait justifier que sous le couvert du secret des affaires. Par ailleurs, il ne serait pas pertinent de prendre comme référence les conditions d'accès accordé à la presse quotidienne régionale, celle-ci n'étant pas en concurrence avec les NMPP et aucun risque de transferts de surplus n'étant à prendre en compte en ce qui les concerne. Enfin, les NMPP affirment qu'il ne serait pas non plus pertinent d'utiliser les coûts historiques de développement et de maintenance de Presse 2000 puisque la valeur d'un logiciel comme Presse 2000, pleinement opérationnel et bénéficiant de mises à jour et d'évolutions constantes, serait croissante dans le temps.
24. Les NMPP contestent encore que les conditions tarifaires proposées puissent être considérées comme insoutenables par les MLP et font valoir que l'accès à Presse 2000 devrait permettre à ces dernières, comme elles l'ont fait valoir dans leur demande de mesures conservatoires, d'accroître sensiblement leur volume d'activité, d'une part, et d'autre part, de relever leurs prix grâce à l'amélioration de la qualité de leurs services. Les NMPP soutiennent encore que le niveau des prix actuellement pratiqué par les MLP, qui seraient inférieurs de 30 % aux siens, est justifié par le souci de maintenir un rapport qualité/prix équivalent au sien, tant que les MLP n'ont pas un accès automatique à Presse 2000.
25. Les NMPP relèvent enfin que lorsqu'elles ont demandé aux MLP de faire des contre propositions tarifaires, celles-ci s'y sont refusées, et concluent que les objections des MLP montrent qu'elles se refusent à tout effort d'investissement et entendent tout simplement bénéficier de ceux accomplis par d'autres sans en assumer le risque et en acquittant un prix non exprimé mais dérisoire. Dans le mémoire déposé le 18 juin 2004 en vue de la séance du 23 juin, les NMPP dénoncent la stratégie d'écrémage menée par les MLP qui concentrent leur activité sur la distribution des publications à prix facial élevé, alors qu'elles mêmes ont la charge de la distribution des quotidiens nationaux, activité déficitaire, et prétendent qu'une redevance d'accès dérisoire, comme le réclament les MLP, ou trop faible, conduirait nécessairement à une rupture de leur équilibre financier. Elles s'appuient sur l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 21 mai 2002, TDF/Antalis, qui a jugé, s'agissant du principe d'orientation vers les coûts, que : " l'application rigoureuse de ce principe est de nature à pénaliser injustement et irrémédiablement l'opérateur historique, qui doit exposer des dépenses pour aménager ses infrastructures et prendre des risques pour assurer la rentabilité des investissements réalisés ; qu'elle peut également exercer un impact nocif sur la concurrence en décourageant l'investissement des opérateurs dans des installations performantes et, à terme, la performance technologique ".
C. La position des MLP
26. Le 5 mai 2004, les MLP ont communiqué au Conseil un compte-rendu relatif à la mise en œuvre de l'injonction, dans lequel elles soutiennent que les NMPP ont sciemment formulé des propositions inacceptables, afin que l'injonction du Conseil reste lettre morte. Selon elles, les NMPP ont, dans un premier temps, attendu que la cour d'appel se prononce sur leur recours contre la décision de mesures conservatoires du 22 décembre 2003 et ce n'est que le 16 février 2004 qu'aurait eu lieu le premier contact en vue de la mise en œuvre de l'injonction. Elles citent, par ailleurs, les déclarations de M. Jean de Montmort, président des NMPP, faites le 13 février 2004 à l'occasion de la publication de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, qui, selon elles, montrent que les NMPP n'ont jamais eu l'intention de se conformer à l'injonction du Conseil : " Le principe d'équité posé par le Conseil de la concurrence doit aussi impliquer que les MLP partagent la mission de solidarité assumée actuellement par les seules publications associées aux NMPP dans le cadre de la péréquation qui leur fait supporter les surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne ".. Elles font valoir que les conditions financières, élément fondamental de l'injonction, ne leur ont été soumises que le 16 avril 2004, soit près de quatre mois après la décision du Conseil.
27. Les MLP observent que le pourvoi en cassation engagé par les MLP contre l'arrêt de la cour d'appel du 12 février 2004, est susceptible de dissuader les dépositaires d'accepter la nouvelle version interopérable, de crainte de voir leur système d'informations, sur lequel repose toute l'organisation de leur activité, modifié à deux reprises en moins de douze mois.
28. Elles affirment qu'en tout état de cause, il n'existe aucun obstacle d'ordre technique à la mise en place de l'accès direct, ainsi que les tests effectués l'ont montré.
1. Sur le périmètre de l'accès direct
29. Les MLP dénoncent l'exclusion du champ de l'injonction d'un certain nombre d'informations relatives aux diffuseurs. Il s'agit, tout d'abord, d'informations que les MLP estiment indispensables pour pouvoir effectuer leurs livraisons (jours et heures d'ouverture des diffuseurs). Sont également exclues les données permettant de déterminer si tel ou tel diffuseur est un diffuseur qualifié au sens des accords conclu avec l'Union Nationale des Diffuseurs de Presse (UNDP), qualification qui détermine un taux de rémunération supérieur.
2. Sur les modalités juridiques de la mise en place de l'accès
30. Les MLP expliquent, à cet égard, qu'elles ont refusé de conclure le " protocole de négociation " qui leur a été proposé par les NMPP le 20 février 2004 parce qu'il impliquait une procédure tellement contraignante que la mise en œuvre de l'injonction aurait immanquablement été reportée après le 5 mai 2004.
31. Elles remettent en cause l'utilité de plusieurs des documents contractuels proposés par les NMPP et dénoncent la date tardive à laquelle ils leur ont été soumis. Elles expliquent qu'elles n'ont pas refusé de manière définitive de discuter ces documents mais ont estimé qu'aussi longtemps que les parties n'étaient pas d'accord sur l'essentiel, à savoir les conditions financières, il était inutile de commenter des documents qu'elles considèrent comme périphériques et accessoires.
32. Elles font valoir, par ailleurs, qu'en tout état de cause, de nombreux problèmes les empêchent de signer ces documents en l'état, la principale difficulté étant que des références constantes aux droits de propriété intellectuelle des NMPP sur le système Presse 2000 et, surtout, sur la base de données qu'il alimente, figurent dans ces documents et que la signature de ceux-ci en l'état pourrait être interprétée comme l'acceptation, par les MLP, des prétentions des NMPP. Elles rejettent, en effet, toute référence à des notions de droits de propriété intellectuelle relative aux données contenues dans le logiciel Presse 2000, et cela tant dans le cadre du projet de cahier des charges que de tout autre document contractuel.
33. Elles ajoutent, à supposer que l'existence d'une base de données protégeable soit établie, que la mise en œuvre de l'injonction prononcée par le Conseil n'affecterait pas les prétendus droits de propriété intellectuelle invoqués, dans la mesure où l'injonction a seulement pour objet d'automatiser des flux de données qui existent déjà, mais dépendent de procédures manuelles.
34. Elles émettent aussi des réserves pour ce qui concerne l'élaboration d'une version distincte de Presse 2000 comprenant l'interopérabilité qui ne concernerait que ceux des dépositaires qui exprimeraient le souhait de bénéficier de ce lien automatique. Quant à la conclusion par les dépositaires intéressés d'un avenant au contrat de licence d'utilisation, les MLP prétendent qu'il s'agit d'une exigence exorbitante par rapport à l'objet de l'injonction.
3. Sur les conditions tarifaires
35. Les MLP contestent l'affirmation des NMPP selon laquelle les autorités françaises de la concurrence n'auraient jamais établi les principes qui doivent régir l'accès des concurrents à une base de donnée qualifiée de facilité essentielle et citent la jurisprudence du Conseil et de la Cour d'appel de Paris relative à l'accès aux fichiers de l'annuaire de France Télécom. Selon elles, cette jurisprudence a précisé que les conditions d'accès à une telle facilité doivent être mises en rapport avec le coût de la prestation fournie et non avec de prétendus droits de propriété intellectuelle, ni a fortiori avec d'éventuelles pertes de chiffres d'affaires anticipées par les NMPP et éventuellement liées à la mise en œuvre de l'accès. Elles avancent que la compensation des risques de transfert de surplus exigée par les NMPP s'assimile à la compensation de la perte de leur rente de monopole.
36. Elles affirment que les coûts historiques liés au développement et à la maintenance de Presse 2000, évalués par les NMPP elles-mêmes à 39,5 millions de francs pour la période 1990/septembre 2003 constituent nécessairement une référence pertinente à prendre en compte pour l'établissement des conditions financières de l'accès direct. Elles notent cependant que les coûts d'exploitation de Presse 2000 doivent être minimes puisque, depuis deux ans, les NMPP n'exigent plus de la part des dépositaires le paiement de la redevance pour l'utilisation de ce logiciel. Elles estiment que les affirmations des NMPP, selon lesquelles les coûts comptables de Presse 2000 ne sont pas pertinents dans la mesure où la valeur d'un système informatique comme Presse 2000 croît avec les années, sont contredites par les affirmations de leur directeur général selon lesquelles : " je précise que Presse 2000 date de 1990 et que ses plates-formes techniques ont vieilli. Un nouveau programme doit être écrit à l'horizon 2006, qui permettra notamment dé gérer les problématiques spécifiques de la fiscalité des produits presse et hors presse ".. Les MLP font valoir que la charge fixe d'accès proposée par les NMPP représentent la totalité de son budget informatique (fixé à 5,5 millions d'euros pour 2003 et à 5,1 millions d'euros pour 2004).
37. Les MLP ont proposé aux NMPP plusieurs éléments de référence pour établir les conditions économiques équitables de l'accès à Presse 2000. Tout d'abord, elles font valoir que le précédent protocole d'accord portant sur l'accès direct à Presse 2000, conclu entre les parties le 24 avril 1998 prévoyait "l'extension de l'ouverture de Presse 2000" moyennant le versement par les MLP, d'une somme de 1,4 millions de francs, couvrant les frais de développement de la version inter opérable. Elles estiment que l'objection opposée par les NMPP, selon laquelle il s'agissait alors d'un prix librement négocié ne s'oppose pas à ce qu'il soit repris par le Conseil comme référence puisque les NMPP l'avaient, à l'époque, considéré comme équitable.
38. Par ailleurs, les MLP ont évoqué la possibilité de prendre en compte les conditions appliquées à la SAEM-TP. L'argument avancé par les NMPP pour rejeter cette référence, à savoir le fait que leurs liens financiers et commerciaux avec la SAEM-TP justifient des tarifs qui ne sont pas forcément en rapport avec la valeur du service rendu, leur apparaît méconnaître la jurisprudence européenne selon laquelle le détenteur d'une infrastructure essentielle ne peut opérer de discrimination en faveur de ses propres services. Elles notent que les NMPP ne fournissent aucun élément à l'appui de leurs affirmations selon lesquelles la SEAM-TP leur verserait une rémunération de l'ordre de 9 millions d'euros pour l'accès direct à Presse 2000.
39. Les MLP ont cité comme élément de référence les conditions d'accès à Presse 2000 réservées à certains éditeurs de la presse quotidienne régionale. S'agissant des objections avancées par les NMPP à cet égard (cf. paragraphe 23 ci-dessus), elles relativisent le fait que la presse quotidienne régionale ne soit pas en concurrence avec les publications nationales distribuées par les NMPP et, surtout, réfutent l'argument selon lequel des conditions différentes seraient justifiées selon que le demandeur d'accès est un concurrent ou non, le principe de non discrimination imposant, selon elles, des conditions similaires pour tous les bénéficiaires de l'accès.
40. Les MLP expliquent, enfin, qu'elles n'ont pas été en mesure de faire des contre-propositions chiffrées précises, d'une part, en raison des délais très courts qui leur ont été laissés par les NMPP entre le 16 avril et le 23 avril, date à laquelle les NMPP avaient décidé de remettre leur compte rendu au Conseil et, d'autre part, parce que les NMPP n'ont fourni aucune donnée comptable et économiques relative à l'exploitation de Presse 2000.
4. Les demandes des MLP
41. Les MLP demandent au Conseil de constater que les NMPP sont responsables du défaut de mise en œuvre des injonctions et d'enjoindre à nouveau au groupe NMPP, comprenant notamment les dépositaires gérés et les SAD :
* " De leur accorder, dans un délai non extensible de 6 semaines à compter de la notification de la décision, un accès direct au logiciel Presse 2000 en mettant en place, d'une part pour chaque dépôt géré et SAD, et d'autre part pour chaque dépôt indépendant qui le souhaiterait, un transfert automatique de fichiers (dans les deux sens, aller et retour) entre le système informatique MLP, Edgar et équivalent, et Presse 2000 ; ce transfert automatique de fichiers pourra être mis en œuvre au moyen d'une nouvelle version inter opérable de Presse 2000 à condition que cette nouvelle version soit installée sans distinction chez tous les dépositaires qui, lors de la première utilisation de cette nouvelle version de Presse 2000 devront être mis en mesure d'exprimer, seuls et en toute indépendance, leur choix d'utiliser ou non la fonction d'interopérabilité qui leur est offerte ;
* D'accorder cet accès direct mentionné ci-dessus à des conditions économiques équitables, c'est-à-dire à des conditions financières : - Proportionnées aux coûts de développement et de maintenance de la version inter opérable de Presse 2000 et au poids des MLP dans la distribution de la presse nationale ;
- Excluant toute prise en compte de prétendus droits de propriété intellectuelle - au demeurant non avérés - qui protégeraient le logiciel Presse 2000 ou les informations qu'il permet de véhiculer ; et
- N'intégrant en aucune façon les éventuelles pertes de chiffre d'affaires liées à de possibles transferts de clients NMPP vers les MLP du fait de la mise en œuvre de l'accès direct à Pesse 2000 ;
* De rendre compte au Conseil, dans le délai précité de six semaines,d es dispositions prises pour se conformer à cette nouvelle injonction ".
Les MLP demandent également au Conseil de prévoir par avance, qu'à défaut pour les NMPP de se conformer à cette nouvelle injonction dans le délai supplémentaire imparti, celles-ci devront automatiquement mettre en œuvre l'accès direct ordonné au bénéfice des MLP dans les strictes conditions financières proposées lors de l'application du protocole d'accord MLP-NMPP du 24 avril 1998 à l'exclusion de toute autre considération.
II. Discussion
42. Il convient de noter, de façon liminaire, que s'agissant du périmètre des informations traitées dans Presse 2000 et auxquelles l'accès direct doit être donné, les deux parties ont informé le Conseil, au cours de la séance, qu'elles restaient en désaccord sur deux d'entre elles, à savoir le Code de saisonnalité du point de vente et du nombre de titres avec un service de base installé, mais qu'elles devraient être en mesure d'arriver à un accord sur ce point.
43. De même, s'agissant de la documentation contractuelle devant servir de cadre juridique à la mise en place de l'accès direct à Presse 2000, les MLP ont réaffirmé en séance qu'elles ne refusaient pas définitivement de signer les différents documents qui leur ont été proposés mais estimaient leur finalisation prématurée, tant qu'un accord ne serait pas trouvé sur les conditions techniques et financières de l'accès. Elles ont rappelé que leur principale objection au contenu de ces documents était qu'ils contenaient, en de nombreux endroits, l'affirmation selon laquelle les NMPP détenaient des droits de propriété intellectuelle sur le système Presse 2000 et la base de données qu'il alimente, et que la signature de ces documents par les MLP pourrait être mise en avant par les NMPP comme la preuve d'une reconnaissance de ces droits. Les NMPP ont déclaré, en séance, qu'elles n'étaient pas opposées à la suppression de toute référence à leurs droits de propriété intellectuelle dans les documents concernés.
44. Ainsi, à l'issue de la séance du 23 juin 2004, le point essentiel sur lequel les MLP invoquent le non respect de l'injonction énoncée à l'article 1, 1er tiret, de la décision 03-MC-04 du 22 décembre 2003, porte sur les conditions financières auxquelles l'accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000 doit être donné aux MLP.
45. Les NMPP ont confirmé qu'à la date de la séance, elles n'avaient pas formulé d'autre proposition financière que celle dont les principes et la méthode de calcul sont décrites aux paragraphes 17 à 21 ci-dessus, soit, au principal, une charge fixe de 5,3 millions d'euros par an, auxquels s'ajoute une somme de 200 000 euros au titre des frais de mise en place de l'interopérabilité, payable en une seule fois. Elles ont précisé que la perte de marge de 7,5 à 11 millions d'euros avait été évaluée en comptabilisant tous les titres susceptibles d'être sensibles à une offre des MLP, et que les détails de cette évaluation, qui relèvent du secret des affaires, pouvaient être transmis au Conseil à sa demande.
46. Le principe du contradictoire, inscrit à l'article L. 463-1 du Code de commerce impose cependant que le Conseil ne puisse opposer des données, des faits ou des arguments à une partie alors que celle-ci n'en aurait pas connaissance. Si la présidente du Conseil peut, conformément aux dispositions de l'article L. 463-4 du Code de commerce, refuser la communication de pièces mettant en jeu le secret des affaires, ce n'est que dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents n'est pas nécessaire à la procédure ou à l'exercice des droits des parties. Les pièces sont alors retirées du dossier et ne peuvent être opposées aux parties. En l'espèce, la détermination des conditions économiques équitables imposées par le Conseil à l'article 1 de sa décision du 22 décembre 2003, ne peut se faire sur la base d'éléments auxquels les MLP n'auraient pas accès.
47. Le Conseil note, de plus, que, s'agissant du passage d'une fourchette de 7,5 à 11 millions d'euros, à la somme de 5,3 millions d'euros fixée en définitive, les NMPP ne fournissent aucun élément chiffré de nature à l'expliquer, seules des considérations de nature générale étant avancées, telle la volonté de ne pas faire peser sur les MLP une charge telle qu'elle compromettrait sa viabilité financière, et de tenir compte de l'amélioration progressive de la situation financière des MLP et des coûts évités du fait de leur intégration au système informatisé des NMPP. La détermination d'une charge d'accès équitable au système Presse 2000, dans le cadre d'une injonction motivée par le refus d'accès et le caractère probablement essentiel de l'accès direct à ce système informatique pour l'exercice d'une concurrence effective, ne peut se faire que sur la base de données précises, soumises au débat contradictoire.
48. En tout état de cause, les principes mêmes par lesquels est justifiée la première évaluation d'une fourchette de 7,5 à 11 millions d'euros par an, correspondant à " la perte de marge subie chaque année par les NMPP, soit en raison du départ de clientèle vers la concurrence, soit en raison de baisse de prix pour aligner leur offre sur celle de la concurrence ", ne peuvent fonder, en l'espèce, la tarification de l'accès direct à Presse 2000 à des conditions économiques équitables. Le Conseil avait, en effet, considéré, dans sa décision 03-MC-04 du 22 décembre 2003, que le refus d'accès direct opposé par les NMPP portait aux MLP une atteinte grave et immédiate, en notant que les MLP étaient le seul concurrent de l'ancien monopole, sur un marché caractérisé par une grande concentration de l'offre, puisque l'ensemble NMPP/SAEM-TP, dont l'appartenance au même groupe et les relations commerciales sont de nature à limiter l'intensité de la relation concurrentielle, représente 85 % de ce marché. Le Conseil avait également noté que les NMPP n'avaient pas contesté les résultats d'une étude selon laquelle les coûts de distribution de la presse en France étaient les plus élevés d'Europe. Ces éléments ont été également relevés par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 12 février 2004. De plus, s'appuyant sur des propos tenus lors d'un conseil d'administration d'une des coopératives actionnaires des NMPP, selon lesquels " la situation difficile des MLP en ce moment rend la concurrence moins aiguë ", la cour a ajouté que les pratiques en cause, dont le refus d'accès, portaient atteinte non seulement à l'entreprise plaignante mais également au secteur intéressé. Sur un tel marché, caractérisé par une faible intensité du jeu de la concurrence, et sur lequel la suppression d'entraves à la concurrence peut faire espérer une baisse des prix, la tarification de l'accès à une facilité essentielle qui prendrait comme référence la marge perdue par l'opérateur contraint à donner l'accès, ne permet pas d'obtenir les bénéfices attendus d'une concurrence accrue, en termes d'incitation à la baisse des coûts et à l'innovation. La prise en compte, comme prix de détail par rapport auxquels la marge perdue est calculée, des commissions actuellement versées par les éditeurs aux NMPP (cf. paragraphe 21 ci-dessus) revêt, dans ces conditions, un caractère arbitraire et favorise le maintien d'un niveau de prix élevé.
49. Dans leur pratique jurisprudentielle, les autorités tant nationales que communautaires considèrent que la référence aux coûts est la plus équitable et la plus objective lorsqu'il s'agit d'évaluer le caractère conforme au droit de la concurrence de tarifs. Si dans son arrêt du 21 mai 2002 relatif à un recours de la société Antalis, la cour d'appel a jugé que l'application rigoureuse du principe d'orientation vers les coûts était de nature à exercer un impact nocif sur la concurrence en décourageant l'investissement des opérateurs dans des installations performantes, alors que le caractère essentiel de l'infrastructure en cause n'était pas établi, elle a néanmoins précisé que la prise en considération des coûts constitue une précaution indispensable pour s'assurer que les tarifs sont en conformité avec le droit de la concurrence, c'est-à-dire, s'agissant d'une société en situation de dominance, proportionnels à la valeur du service rendu.
50. Le fait que la facilité qualifiée d'essentielle ne soit pas une infrastructure physique ne retire pas sa pertinence à la référence aux coûts dans le calcul des tarifs d'accès. Dans son arrêt du 29 juin 1999 relatif à l'accès de sociétés de marketing aux services de la société Marketis, filiale de France Télécom, la Cour d'appel de Paris a bien noté que " le niveau de tarification pratiqué par Marketis est hors de proportion avec le coût des moyens techniques nécessaires ( ;;;) et ne s'explique que par la perception de droits de propriété intellectuelle dont France Télécom s'affirme titulaire " et que France Télécom contraignait ainsi le cessionnaire à payer un prix sans rapport avec le coût de la prestation effectivement demandée, pratique qu'elle a jugée contraire aux dispositions devenues celles de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
51. De même, la notion de valeur du service rendu, dont les NMPP soutiennent qu'elle doit fonder l'évaluation de la charge d'accès à Presse 2000, est approchée par les autorités de la concurrence par une référence aux coûts encourus par l'entreprise qui rend ce service. Dans son arrêt du 11 novembre 1986, British Leyland, la CJCE, pour juger que les redevances exigées par le constructeur pour ses services de vérification de conformité étaient manifestement disproportionnés par rapport à la valeur économique du service fourni, s'est référé aux frais engagés pour la réalisation des prestations correspondantes :
" il s'agit, par conséquent, d'une simple opération administrative de contrôle qui ne saurait engager des frais significatifs ".
52. L'existence de droits de propriété intellectuelle, à les supposer établis, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, cette question n'ayant fait l'objet d'aucune décision administrative ou de justice, est sans incidence sur la pertinence de la référence aux coûts dans l'établissement d'une charge d'accès. La Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 29 juin 1999 précité, a, en effet, considéré que les coûts de fourniture du service devaient être pris pour référence " sans qu'il soit besoin de prendre parti sur le bien-fondé de la prétention à la titularité de droits de propriété intellectuelle émise par France Télécom ". De plus, les dispositions des articles L. 341-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, issues de la loi du 1er juillet 1998 qui résulte elle-même de la transposition de la directive communautaire n° 96-9-CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données, ne sauraient faire obstacle à ce qu'une charge d'accès soit fixée dans des conditions économiques équitables afin de favoriser le fonctionnement concurrentiel d'un marché, comme l'indique le considérant 47 de cette directive : " considérant que, dans le but de favoriser la concurrence entre les fournisseurs de produits et de services dans le secteurs du marché de l'information, la protection par le droit sui generis ne doit pas s'exercer de manière à faciliter les abus de position dominante, notamment en ce qui concerne la création et la diffusion de nouveaux produits et services présentant une valeur ajoutée d'ordre intellectuel, documentaire, technique, économique ou commercial ; que, dès lors, les dispositions de la présente directive sont sans préjudice de l'application des règles de la concurrence, qu'elles soient communautaires ou nationales ".
53. Or, il doit être relevé que la comparaison entre les évaluations de coûts disponibles au dossier et le montant de la charge d'accès proposé par les NMPP fait apparaître des écarts très importants. Dans sa décision du 22 décembre 2003, le Conseil avait relevé que les NMPP estimaient à 39,5 millions de francs les sommes engagés entre 1990 et 2003 pour la mise en place et la maintenance du système Presse 2000, soit 6 millions d'euros. Une charge d'accès annuelle de 5,3 millions d'euros équivaut donc à faire supporter aux MLP chaque année la quasi-totalité du coût encouru par les NMPP pour la maintenance et la mise en place du système sur 14 ans. Dans la note d'orientation annexée à leur proposition financière du 16 avril 2004, les NMPP estiment à environ 8 à 10 millions d'euros les coûts liés à la mise en place d'un système équivalent à celui de Presse 2000. Sur les quinze prochaines années, durée de vie estimée d'un tel système, une charge annuelle de 5,3 millions d'euros équivaut donc à 8 à 10 fois le montant d'un tel investissement.
54. La charge d'accès au système Presse 2000 ne doit cependant pas être estimée à un niveau tel qu'il réduirait l'incitation des NMPP à investir et à améliorer les performances du système informatique installé chez les dépositaires. La participation des MLP au financement de l'investissement nécessaire à la collecte dans le tronc commun du système des données qui leur sont nécessaires et à la maintenance de l'outil mis en place à cet effet, et non pas seulement des coûts liés à la mise en place de l'interopérabilité entre leur système et le tronc commun de Presse 2000, est de nature à garantir que ces incitations seront préservées, notamment dans la perspective du développement d'un nouveau système destiné à remplacer Presse 2000, à l'horizon de l'année 2006. Cette participation devrait toutefois être calculée sur la base de la part des MLP sur le marché de la distribution de la presse, y compris la presse quotidienne, le système Presse 2000 ayant en effet été développé par les NMPP à la fois pour la gestion de la distribution de la presse quotidienne et des autres publications.
55. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les mesures prises par la société NMPP pour se conformer à l'injonction prononcée à l'article 1er, 1er tiret de la décision du Conseil, ne justifient pas la levée de cette injonction. Il y a lieu, en conséquence, pour le Conseil, qui ne saurait dans le cadre de la présente procédure donner de nouvelles injonctions ainsi que le demandent les MLP, de se saisir d'office de la question de savoir si l'injonction donnée à l'article 1er, 1er tiret de la décision n° 03-MC-04 du 22 décembre 2003, a été respectée en application des articles L. 462-5 et L. 464-3 du Code de commerce.
Décision
Article unique : Le Conseil se saisit d'office du respect de l'injonction prévue à l'article 1er, 1er tiret de la décision n° 03-MC-04 du 22 décembre 2003.