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Décisions

Conseil Conc., 23 juillet 2004, n° 04-D-35

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre sur le marché des vins doux naturels d'appellation d'origine contrôlée Rivesaltes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Pelegry, par Mme Hagelsteen, présidente, M.Nasse, vice-président ainsi que M. Piot, membre.

Conseil Conc. n° 04-D-35

23 juillet 2004

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 26 mai 1999, sous le numéro F 1145, par laquelle les sociétés Socodivin et Les Caves de la Cote Radieuse (CCR) ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur le marché des vins doux naturels des Pyrénées Orientales à Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) Rivesaltes par le Comité Interprofessionnel des Vins Doux Naturels (CIVDN) et les négociants membres de ce Comité, susceptibles d'entrer dans le champ d'application des articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Socodivin et les Caves de la Cote Radieuse, et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Socodivin et les Caves de la Cote Radieuse entendus lors de la séance du 31 mars 2004; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Les SARL Socodivin et Les Caves de la Cote Radieuse (CCR), ensemble dénommées Socodivin dans le courrier de saisine, ainsi que dans la présente décision, appartiennent aux mêmes associés. Ces deux sociétés exercent, de façon complémentaire, une activité de négoce sur le marché des vins doux naturels, la société Socodivin achetant les vins en vrac et les élevant, tandis que la société CCR les conditionne et les commercialise.

2. La société Socodivin soutient que le Comité du marché des vins doux naturels à AOC Rivesaltes et les négociants membres de ce comité l'auraient empêchée de s'approvisionner sur une partie de l'année 1996, pour la récolte 1994 de ces vins, dans le but de l'évincer de ce marché.

3. Cette société produit au soutien de sa saisine le rapport d'enquête réalisé, en 1998, par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées-Orientales, lequel n'a pas donné lieu à la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.

A. Le secteur d'activité

4. La production des vins doux naturels des départements des Pyrénées Orientales et de l'Aude représente, en 1998, un volume d'environ 460 000 hl, soit plus de 50 millions de bouteilles. Majoritairement organisée autour de coopératives, cette production est segmentée en 11 appellations dont l'AOC Rivesaltes qui couvre 10 797 ha et qui a produit 238 178 hl en 1998. C'est sur ce segment de marché que des pratiques anticoncurrentielles ont, selon la société Socodivin, été mises en œuvre.

5. A la suite de difficultés de commercialisation de l'appellation Rivesaltes, un plan du même nom a été élaboré en 1996. Ce plan, accompagné d'aides spécifiques, a conduit à une diminution de 4 000 ha environ des surfaces de production de cette appellation, ce qui a entraîné une baisse arithmétique de la production de 100 000 hl environ. L'allongement des périodes d'élevage à la propriété a, par ailleurs, permis une diminution des quantités commercialisées.

La réglementation

6. La réglementation, protectrice, applicable au marché des vins doux naturels résulte de décrets qui fixent, notamment, les aires de production, les densités des plantations, les cépages, la richesse initiale des moûts, les directives de conduite de production, les rendements à l'hectare et la durée d'élevage à la propriété.

7. S'agissant des appellations Rivesaltes et Grand Roussillon, le décret du 19 mai 1972 a déterminé une période de blocage à la propriété de 12 mois, soit jusqu'au 1er septembre de l'année qui suit celle de l'élaboration des vins. Mais cette période peut cependant évoluer selon les années. Il est fréquent, en effet, qu'un arrêté du ministre de l'Agriculture fixe, pour chaque année, la date à compter de laquelle la récolte de l'année est commercialisable.

L'interprofession.

8. L'interprofession pour les vins doux naturels est représentée par le Comité Interprofessionnel des Vins Doux Naturels (CIVDN) créé par la loi 200 du 2 avril 1943. Ce Comité représente de façon paritaire les propriétaires récoltants, les coopératives de vinification, de conservation et de distribution, ainsi que les négociants en gros.

9. Le CIVDN a, notamment, pour mission d'organiser et de contrôler la production des vins produits dans les crus délimités, de proposer les moyens de distribution en assurant le respect des usages locaux et constants, ainsi que le maintien de la qualité. Il négocie à cet effet des accords interprofessionnels qui ne deviennent opposables à l'ensemble des opérateurs de la filière qu'après avoir été entérinés par les pouvoirs publics.

10. La fixation des prix indicatifs de première mise en marché, des conditions d'élevage, des réserves qualitatives et des conditions de commercialisation, notamment, se font donc dans le cadre de discussions préalables entre les différents intervenants du marché, réunis au sein du CIVDN.

11. C'est dans ce cadre qu'a été négocié l'accord interprofessionnel de 1995, entériné par arrêté du 6 novembre 1995, relatif à la déclaration de modification d'élevage à compter du 1er septembre 1995. Aux termes de ces dispositions, un partenariat a été instauré entre producteurs et négociants, qui porte sur les quantités de vins mises en réserve dans les chais des producteurs, dans un but qualitatif de vieillissement devant permettre à la profession de proposer à la vente un produit de qualité supérieure.

12. C'est également le Comité, sur délégation de pouvoirs accordé par le service des douanes, qui délivre aux négociants les Attestations d'Authentification et d'Enregistrement (AAE) qui sont nécessaires à la circulation des vins et à leur commercialisation.

Les opérateurs.

13. En 1996, on dénombrait 4590 coopératives de production de vins doux naturels à AOC Rivesaltes et 278 producteurs particuliers. Les groupements de producteurs sont au nombre de trois: Sivir, Union des Vins Fins et Vignerons Catalans.

14. La première mise en marché des vins doux naturels à AOC Rivesaltes est, quant à elle, largement dominée par des entreprises importantes, appartenant à des groupes d'envergure intervenant sur le marché des vins et spiritueux.

15. Les intervenants sur la première mise en marché de ce produit sont cependant peu nombreux, les sept principales sociétés de négociants recensées appartenant à cinq groupes:

- le groupe La Martiniquaise qui comprend les négociants Sardet et Deribaucourt, Campanon Rey, CVR Bourdouil (à 50 %),

- le groupe Val d'Orbieu qui comprend les négociants CVR Bourdouil (à 50 %) et Trilles,

- les Chais Beaucairois qui appartiennent au groupe Casino,

- la société Cusenier qui appartient au groupe Pernaud Ricard,

- la société Bacardi qui appartient au groupe Martini.

16. La société Socodivin est une entreprise indépendante, non adossée à un groupe, dont la part de marché s'élève, selon ses dirigeants, à environ 20 % des quantités commercialisées, elle n'est pas membre du CIVDN.

B. Les pratiques

17. La date de blocage de la récolte 1994 n'ayant pas été fixée par un arrêté particulier, la date par défaut était celle prévue par le décret du 19 mai 1972, soit le 1er septembre 1995. Mais les négociants n'ayant déposé les contrats d'achat qu'à compter du 1er janvier 1996, c'est cette date qui constitue en fait la date de fin de blocage. La période d'élevage de la récolte 1994 a donc été, en fait, de 16 mois.

18. Par application du décret du 14 août 1996, la commercialisation de la récolte 1995 de vins doux naturels à AOC Rivesaltes était fixée au 1er janvier 1997. Mais l'arrêté interministériel pris à la veille de cette date de libération, le 18 décembre 1996, a reporté de six mois la commercialisation de cette récolte, soit au 1er juillet 1997. La durée totale de la période d'élevage a donc été portée à vingt-deux mois.

19. Selon la société Socodivin, "cette modification de la date de première mise sur le marché de la récolte de 1995 résulte d'une demande en ce sens formulée par le CIVDN et le Syndicat de défense des AOC Rivesaltes et Grand Roussillon, au motif que l'augmentation de la période de vieillissement permettait au vin de gagner en qualité".

20. A l'issue de ce report de commercialisation de la récolte de 1995, les négociants se sont donc trouvés dans l'obligation de se réapprovisionner en vins de la récolte de 1994, afin de commercialiser ces vins sur les six mois pendant lesquels la commercialisation de la récolte 1995 avait été reportée.

21. La société Socodivin prétend n'avoir pu procéder à ce réapprovisionnement. Elle soutient que cette incapacité résulte du fait qu'elle n'a pu trouver aucune quantité disponible de vins de la récolte de 1994, consécutivement aux pratiques du CIVDN et des négociants membres du Comité qui ont adopté, dès le 2ème trimestre 1995, "de façon parallèle et simultanée, un parallélisme de comportement économiquement irrationnel ". Ce comportement commun leur avait permis de pallier le report de commercialisation de la récolte de 1995 et a eu comme conséquence d'assécher le marché.

22. Le président de l'Association Française des Eleveurs Embouteilleurs et Distributeurs de Vins et Spiritueux a confirmé à cet égard que " les principaux négociants avaient effectué des achats massifs anormaux de la récolte de 1994, de manière à priver la société Socodivin d'approvisionnement et de la possibilité de commercialiser au premier trimestre 1997 de vins de la récolte 1994".

23. Selon la société Socodivin, ce comportement "laisse présumer qu'ils avaient, dès l'automne de l'année 1995, connaissance du report de commercialisation prévu pour la récolte de 1995", ce qui explique que "ces opérateurs aient pu anticiper sur cette mesure".

24. Tout en concluant que les investigations effectuées "n'ont pas permis d'apporter la preuve formelle d'une entente ni d'en identifier les éventuels responsables", l'enquête administrative effectuée par les services de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées Orientales, consécutivement à la plainte de la société Socodivin, a confirmé les cinq faits suivants.

25. En premier lieu, des achats de vins de la récolte 1994 ont été effectués en 1996, hors de proportion avec les besoins immédiats.

26. La récolte 1994 de vins doux naturels à AOC Rivesaltes a produit 340 026 hl. Or, dans un marché à la baisse, les achats de vins de cette récolte effectués par les principaux négociants se sont élevés à 256 427 hl. Il résulte en outre de l'enquête administrative, que les deux tiers des vins de la récolte 1994 ont été achetés de façon définitive à compter du 1er janvier 1996, date de libération des vins de cette récolte. Ces achats ont, en effet, surtout été effectués au cours du 1er trimestre, à hauteur de 209 441 hl.

27. Les quantités ainsi définitivement achetées ont fait l'objet de contrats type de vente, avec paiements effectués sur la base de versements mensuels et retraits en cours d'année. Le président de l'Association Française des Eleveurs Embouteilleurs et Distributeurs de Vins et Spiritueux a déclaré à sur ce point que: "cette pratique (d'achats massifs) étaient facilitée par les modifications intervenues concernant les délais de paiements, puisque contrairement par exemple aux spiritueux, pour lesquels 30 jours de délais de paiement sont requis, aucune obligation de cette sorte n'est prévue pour les produits dits intermédiaires, dont font partie les vins doux naturels. Cette pratique permet d'effectuer pour les négociants des achats fermes et hors de proportion avec leurs besoins sans avoir à verser des intérêts résultant d'un paiement différé".

28. En second lieu, au cours de la même période, le tiers de la production des vins de la récolte 1994 a été réservé pour une quantité de 60 473 hl, ce qui porte le total des quantités achetées et réservées à 316 900 hl sur une production de 340 026 hl.

29. Or, selon le rapport d'enquête, ces réservations ont été réalisées sur la base de déclarations de réservation à fin d'élevage établies et déposées au CIVDN, c'est-à-dire par application de l'accord de partenariat aux fins d'élevage entériné par arrêté du 6 novembre 1995 qui ne correspond pas à l'objectif annoncé lors de sa présentation initiale (cf. paragraphe 11, supra) avec, comme conséquence, un retrait momentané du marché de quantité importante de vins de la récolte de 1994, selon des contrats de réservation ne devenant définitifs qu'au 31 décembre 1996.

30. Aux termes du même rapport, l'application qui a ainsi été faite de cet accord de partenariat "a simplement eu pour but de retirer du marché, sans qu'aucun financement soit assuré, une quantité non négligeable de vins qui ont été achetés par la suite aux mêmes conditions que ceux acquis un an auparavant". Cette pratique a donc permis aux négociants " sans aucun effort financier, de contracter pour des quantités très supérieures à leurs besoins". Les enquêteurs concluent en indiquant qu'elle a eu "le triple avantage de rendre le produit rare, de fidéliser les fournisseurs et de limiter la concurrence" et que "dans un marché en perte de vitesse, l'importance des achats et des réservations effectuées en 1996, dénote bien une volonté de rendre le produit rare".

31. En troisième lieu, des quantités non négligeables de vins ont été cédés entre négociants, aux mois de septembre et octobre 1996, pouvant laisser présumer une concertation pour répartir le risque de gestion des stocks.

32. L'enquête administrative a mis en exergue des "mouvements négatifs qui correspondent à des annulations de contrats", avec, parallèlement des "similitudes de quantités et de producteurs entre annulations et achats". Selon les enquêteurs, "il y a donc bien eu, entre ces sociétés, cessions de marchandises (à l'automne 1996), ce qui attesterait que certains négociants ont acheté en début de période des quantités de vins ne correspondant pas à leurs besoins".

33. En quatrième lieu, les achats réels effectués au cours du 1er semestre 1997 ont été faibles ce qui a augmenté la quantité de vin libre à la vente en 1997, par rapport à 1996.

34. Aux termes de l'enquête, 65 536 hl de vins de la récolte de 1995 ont été achetés au cours du 1er semestre 1997, alors que, à titre de comparaison, 224 987 hl de vins de la récolte précédente avaient été achetés à la même période de l'année, en 1996. Selon les enquêteurs, la faiblesse des achats effectués en 1997 "a bien pour origine l'importance des achats et des réservations effectués au cours de l'année 1996".

35. Ce constat est corroboré par l'analyse comparative de l'évolution des quantités de vins libres à la vente entre 1996 et 1997. On constate, en effet, l'existence de 232 058 hl de vins libres à la vente au mois de janvier 1996 contre 68 502 au mois de janvier 1997 et, inversement, cette quantité est de 35 067 hl au mois de décembre 1996 contre 212 386 hl au mois de décembre 1997.

36. Les quantités de vins libres à la vente n'ont donc cessé de diminuer en 1996, à la suite des achats et des réservations importants effectués par les négociants. En revanche, la tendance est inversée en 1997. L'enquête conclut que "la faiblesse des transactions en 1997 dénote bien des achats trop importants effectués en 1996...dans un marché en perte de vitesse au niveau de la consommation, les achats massifs et les réservations importantes effectués en 1996, ont alourdi considérablement les stocks détenus par les négociants, ce qui a entraîné un report des achats et donc une augmentation des quantités disponibles".

37. La société Socodivin s'est, également, plainte auprès de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées Orientales, d'un certain nombre de bruits et de rumeurs la concernant, dans le but de l'écarter du marché, mais l'enquête administrative n'a "pas permis d'identifier de façon précise la réalité desdits bruits ni leurs auteurs".

38. Sur la base des constatations qui précèdent, le rapporteur a proposé au Conseil de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure.

II Discussion

39. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce : " Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".

Sur la recevabilité.

40. Par application des dispositions de l'article L. 462-7 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.

41. En l'espèce, la société Socodivin a saisi le Conseil, le 26 mai 1999, de faits antérieurs au 26 mai 1996 qui sont par conséquent susceptibles d'être couverts par la prescription. Toutefois, la saisissante a produit au soutien de sa saisine, un rapport d'enquête daté du 30 mars 1998 établi à la suite de l'enquête réalisée par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées Orientales, sur plainte de la société Socodivin. Le premier procès-verbal d'audition interruptif du délai de prescription réalisé dans le cadre de cette enquête étant daté du 18 novembre 1997, les pratiques dénoncées qui auraient été mises en œuvre à compter du 18 novembre 1995 ne sont, en conséquence, pas couvertes par la prescription, peu important à cet égard que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie n'a pas saisi le Conseil après avoir reçu le rapport d'enquête réalisé par ses services, dès lors que les actes des enquêteurs régulièrement habilités à cet effet avaient bien pour objet la recherche de pratiques prohibées par les articles L. 420-1, L. 420-2 ou L. 420-5 du Code de commerce.

Sur le fond.

En ce qui concerne le mode de paiement à terme

42. L'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, modifié par la loi du 31 décembre 1992, qui fixe à 75 jours le délai de paiement, ne s'applique pas aux vins doux naturels.

43. Mais pour le paiement aux producteurs de leurs achats, les négociants peuvent utiliser deux méthodes : d'une part, le paiement par mensualités, qui est utilisé par l'ensemble des opérateurs à l'exception de la société Socodivin ; d'autre part, le paiement à 60 jours fin de mois ou 75 jours après retrait, qui est pratiqué par la société Socodivin.

44. Aux termes du rapport d'enquête, ces deux méthodes correspondent aux habitudes d'achat, la première concernant des entreprises bien implantées sur le marché, qui ont une connaissance des perspectives d'activité pour l'année à venir basée sur les ventes antérieures, ce qui n'est pas le cas de la société Socodivin qui intervient sur ce marché depuis 1992.

45. Mais la société plaignante soutient que " c'est à compter du début de l'année 1996 que les négociants, membres du CIVDN, ont tous adopté, de façon systématique la pratique d'un paiement par mensualités sur 12 mois qu'ils ont prorogé à 16 ou 20 mois, retardant ainsi la date de paiement ". Cette affirmation n'est toutefois étayée par aucun élément de preuve concernant la période durant laquelle ce mode de paiement a été adopté.

46. La société Socodivin ne donne, par ailleurs, aucun élément d'explication sur les raisons pour lesquelles elle n'a pas eu recours, à l'instar de ses concurrents, à ce mode de paiement avantageux. Elle n'indique pas non plus que de telles facilités de paiement lui auraient été refusées de façon discriminatoire, ce qui aurait pu apparaître comme un indice d'entente entre les producteurs et ses concurrents négociants.

47. Il résulte tout au contraire de l'enquête administrative que les deux modes de paiement utilisés " correspondent à des habitudes d'achats " objectives, le paiement différé ayant été adopté " par l'ensemble des intervenants, à l'exception de Socodivin, qui sont suffisamment bien implantées sur les marchés et qui ont une connaissance des perspectives d'activité pour l'année à venir basée sur les ventes antérieures. Les achats de vins sont donc, pour la plupart, effectués en début d'année et permettent de répondre à la demande. Ils sont jusqu'à retiraison conservés dans les chais des producteurs " (annexe 3, page 15 du rapport). Alors que la société Socodivin " intervenante sur ce marché depuis 1992, n'étant pas encore bien implantée achète au fur et à mesure de ses besoins en fonction des ventes prévisibles. Les vins sont rapidement retirés des chais des producteurs " (annexe 3, page 15 du rapport).

48. De plus, selon les termes mêmes de la saisine, ce système de paiement différé, qui liait les producteurs à un acheteur, était conforme aux intérêts des producteurs car, ainsi, " ils étaient certains de vendre la totalité de leur récolte puisque non seulement les achats passés concernaient des quantités massives, mais encore les négociants achetaient la totalité des quantités réservées ". Ce sont par conséquent, in fine, les négociants qui prenaient le risque lié aux éventuels invendus de production, ce qui justifie économiquement les facilités de paiements accordés par les producteurs.

49. Dès lors, le fait que les concurrents de la société Socodivin aient utilisé des facilités de paiement autorisées par la loi pour effectuer des achats massifs et des réservations de vins de la récolte 1994, ne peut apparaître, en soi, comme une pratique anticoncurrentielle, ni constituer un indice d'entente. D'autant qu'il n'est pas établi, ni même soutenu, que la société Socodivin ait été empêchée de procéder de la sorte.

En ce qui concerne les achats massifs effectués en 1996

50. Il résulte de l'enquête qu'à compter du 1er janvier 1996, date de libération des vins de la récolte 1994, 2/3 des quantités de cette récolte ont été achetées de façon définitive par les négociants, ce qui a représenté une quantité de 256 427 hl qualifiée par les enquêteurs de " très importants " (annexe 3, page 21 du rapport). Si l'on agrège ces quantités achetées (256 427 hl) avec celles qui ont été mises en réserve (60 473 hl), on obtient un total de 316 900 hl sur une récolte totale de 1994 de 340 026 hl.

51. Par conséquent, il restait disponible chez les producteurs une quantité de 23 126 hl (340 026 moins 316 900 hl) soit environ 7 % de la récolte. Contrairement à ce que soutient la société Socodivin, l'existence d'un solde positif de vins de cette récolte, même limité, ne permet pas de conclure que " le stock disponible était épuisé, ce qui la plaçait dans l'impossibilité de se réapprovisionner ".

52. Il n'en demeure pas moins que les dires de la société Socodivin sur l'assèchement volontaire du marché paraissent corroborés par le rapport d'enquête aux termes duquel, " sachant que le marché est en perte de vitesse, l'importance des achats et des réservations effectués en 1996 dénote bien une volonté des négociants de rendre le produit rare " (annexe 3, page 22 du rapport). Toutefois, cette conclusion doit être nuancée par les observations suivantes.

53. Si la société Socodivin, contrairement à 11 de ses 18 concurrents, n'a procédé, en 1996, à aucune réserve de la récolte de 1994, elle a, en revanche, comme la plupart d'entre eux, participé à l'augmentation des achats définitifs de cette récolte qui sont passés, la concernant, de 8 920 hl en 1995 à 12 562 hl en 1996 (annexe 3, page 21 du rapport), ce qui représente une augmentation de ses achats d'environ 41 %. Il apparaît ainsi que l'augmentation des achats de cette récolte réalisés en 1996 a été générale et que la société Socodivin a elle-même participé à cette politique d'achats massifs ;

54. Par ailleurs, si les volumes achetés et réservés en 1996 (316 900 hl) ont représenté une hausse étonnante d'environ 60 % par rapport à la totalité de ceux achetés en 1995 (197 523 hl), le niveau atteint en 1996 (316 900 hl) a été équivalent à celui des années 1993 (380 086 hl) et 1994 (308 811 hl) (annexe 3, tableau de la page 21 du rapport). Ce constat fait apparaître la faiblesse des achats de 1995 et relativise donc l'importance des achats effectués en 1996.

55. D'autant que les achats effectués en 1995 (197 427 hl) n'ont couvert que 12 mois de commercialisation de la récolte 1993, alors que les achats et les réserves réalisés en 1996 (316 900 hl) ont couvert 18 mois de commercialisation de la récolte de 1994. Si l'on ramène ces chiffres à une commercialisation moyenne mensuelle, cela représente également, pour ces deux récoltes, une quantité quasi équivalente soit : 16 460 hl par mois en 1995 (197 523 hl : 12 mois) et 17 605 hl par mois en 1996 (316 900 : 18 mois).

56. L'enquête administrative a, par ailleurs, souligné (annexe 3, pages 26 et 28 du rapport), que " la faiblesse des achats réels effectués au cours du premier semestre 1997 a bien pour origine l'importance des achats et des réservations effectués au cours de l'année 1996 " et que " les vins libres à la vente en 1996 (récolte 1994) n'ont cessé de diminuer " alors qu'en 1997 la tendance a été inversée " achats faibles au 1er trimestre et peu important au second et quantité de vins libres à la vente très importante ",

57. Enfin, elle a également établi que " ce changement d'attitude des négociants (en 1997), même si le marché est morose, est dû aux quantités très importantes de vins achetées courant 1996 et non commercialisées ", " la faiblesse des transactions en 1997 dénotant bien des achats trop importants effectuées en 1996 ".

58. Ces constats sont corroborés par les cessions de quantités de vin réalisées par certains négociants à la fin de l'année 1996, qui confirme également que certains négociants ont acheté en début d'année 1996 des quantités de vins ne correspondant pas à leurs besoins.

59. Le rapport d'enquête ne permet toutefois pas d'attester que les distorsions entre les prévisions d'activité et les stocks par rapport aux achats et réservations ont concerné tous les négociants membres du CIVDN mis en cause, dans la mesure où les enquêteurs n'ont relevé ces distorsions que pour deux négociants seulement, les sociétés CVR Bourdouil et Cusenier (annexe 3, page 28 du rapport).

60. Il n'en demeure pas moins que, dans un marché déclinant, les achats massifs et les réservations importantes effectuées en 1996 ont incontestablement alourdi les stocks détenus par les négociants, ce qui a entraîné un report des achats et, par conséquent, une augmentation des quantités disponibles en 1997.

61. Cependant, même s'il paraît probable que certains négociants ont pu anticiper, à l'aide de ces achats massifs, le report de commercialisation de la récolte de 1995 décidé par arrêté du 18 décembre 1996, il ne peut toutefois être conclu des éléments du dossier que ces pratiques ont été le résultat d'une entente ou d'une concertation, ni l'expression d'une volonté anticoncurrentielle commune aux négociants membres du CIVDN, alors même que la société Socodivin a participé à ce mouvement d'achats massifs.

62. En outre, aucun élément du dossier et de l'enquête ne permet de conclure que ces achats et réserves massifs ont, ainsi que le prétend la société Socodivin, " influencé de façon tout à fait artificielle la hausse du cours du produit ".

63. Les achats massifs de vins de la récolte 1994 effectués par l'ensemble de la profession qui ont été dénoncés par la société Socodivin et confirmés par l'enquête, ne peuvent, par conséquent, constituer un indice d'entente.

En ce qui concerne le détournement de l'accord interprofessionnel relatif à la réserve qualitative.

64. Ainsi qu'il est soutenu par la société saisissante, l'accord interprofessionnel prévoyant des accords de partenariat d'élevage entre producteurs et négociants, entériné par l'arrêté du 6 novembre 1995, avait comme objectif une mise en réserve de quantités de vins bloquées dans les chais de l'éleveur aux fins qualitatives de leur vieillissement. Cet accord, qui a été appliqué par l'interprofession à la récolte de 1994 commercialisée à compter du 1er janvier 1996, devait en principe permettre à la profession de proposer à la vente un produit de qualité supérieure.

65. Or, dans les faits, la déclaration aux fins d'élevage qui devait être établie et déposée au CIVDN par les parties a été systématiquement remplacée, au début de l'année 1997, par un contrat de vente prévoyant le prix fixé lors de la vente ferme initiale et les conditions de retrait et de paiement qui étaient celles habituellement pratiquées (versements mensuels sur 12 mois). La période d'élevage a donc été très courte et n'a pas été de nature à modifier les conditions d'achat.

66. Il résulte de l'enquête, qu'à compter du 1er janvier 1996, date de libération des vins de la récolte 1994, le tiers des quantités de cette récolte a été réservé par les négociants, les déclarations de réservation à fin d'élevage ayant été établis et déposées au CIVDN.

67. L'application qui a été faite de cet accord interprofessionnel a donc eu comme conséquence de retirer du marché une quantité non négligeable de vins qui ont été ultérieurement achetés aux mêmes conditions que ceux acquis de façon définitive un an auparavant.

68. Ces quantités de vin réservés ont, de ce fait, été retirées du marché sans qu'aucun financement ne soit assuré, la réalité de cette pratique n'étant donc, comme il est soutenu par la société Socodivin, aucunement en accord avec les objectifs d'élevage et de partenariat qui avaient présidé à sa mise en place.

69. Selon les enquêteurs, cette pratique a eu trois conséquences (annexe 3, page 20 du rapport). D'abord, la raréfaction du produit, qui a permis de maintenir un prix de marché ne correspondant pas à la réalité et de limiter l'importance de l'activité des intervenants n'ayant pas eu recours à ce procédé, puis la fidélisation des fournisseurs qui se sont trouvés liés avec les négociants acheteurs, et enfin la limitation de la concurrence par un maintien des situations acquises en limitant toute modification importante du marché.

70. Par ailleurs, et comme le soutient la partie saisissante, il ressort de l'enquête administrative que cette pratique a permis aux négociants de contracter, sans aucun effort, pour des quantités supérieures à leurs besoins.

71. Au total, ce sont 60 473 hl de vins qui ont été concernés en 1996 par cette mise en réserve mise en place par 11 des 19 négociants répertoriés par les enquêteurs, plus de 55 % de cette quantité ayant été mis en réserve par deux sociétés seulement, la société Cusenier (13 156 hl soit 21,7 %) et la société CVR Bourdouil (20 221 hl soit 33,4 %) (annexe 3, page 19 du rapport), c'est-à-dire les deux sociétés pour lesquelles les enquêteurs ont constaté des distorsions entre les prévisions d'activité et les stocks par rapport aux achats et réservations (annexe 3, page 28 du rapport).

72. Il résulte cependant du dossier que cette mise en réserve n'a été effectuée qu'à l'occasion d'une seule récolte et n'a concerné que 60 473 hl, représentant 17,7 % seulement de la production évaluée à 316 900 hl (annexe 3, tableau de la page 9 du rapport) ; aucun élément chiffré relatif à la baisse des volumes ou à la hausse des prix n'a été apporté, ni même alléguée, au titre des effets de cette politique de réserves qui n'est, du reste, pas anticoncurrentielle en soi.

73. Par conséquent, cette pratique de réserves ne caractérise pas suffisamment la volonté commune d'entente qui aurait présidé à son adoption par onze négociants et, notamment, de leur volonté partagée de se comporter d'une manière déterminée sur le marché considéré, dans le but de procéder à son assèchement.

74. Il ressort, par ailleurs, de l'enquête, que la société CVR Bourdouil a tenté de rendre opposable à l'ensemble de la filière l'autre accord de partenariat négocié au sein du CIVDN consistant dans la mise en réserve pour chaque producteur, pour une durée de cinq ans, de 45 % de la récolte 1996, avant même que cet accord n'ait reçu l'aval des pouvoirs publics qui n'a, du reste, jamais été donné (annexe 3, page 20 du rapport).

75. Toutefois dans la mesure où l'enquête n'a révélé cette pratique que pour une société seulement, le constat effectué ne peut être considéré comme un nouvel indice de l'entente dénoncée et imputée à tout ou partie des négociants membres du CIVDN.

En ce qui concerne les cessions de marchandises entre négociants

76. Il résulte de l'enquête qu'en fin d'exercice 1996, certains négociants, dont la société CVR Bourdouil, ont annulé des quantités achetées auprès de certains producteurs au cours du premier trimestre, lesquelles ont été rachetées aux mêmes producteurs par d'autres négociants (les sociétés Bacardi Martini et Cusenier concernant les quantités annulés par la société CVR Bourdouil) (annexe 3, pages 24 et 25 du rapport).

77. Ces cessions de marchandises qui n'ont pas été expressément quantifiées par les enquêteurs, témoignent a priori que les négociants qui ont réalisé ces annulations avaient acheté, en début de période, des quantités de vin ne correspondant pas à leurs besoins.

78. Ainsi que le soulignent les enquêteurs, ces cessions " peuvent également être considérées comme une répartition du risque ".

79. Cependant, aucun élément du dossier et de l'enquête ne permet de conclure, ainsi que le soutient la société Socodivin, que ces cessions, dont la légalité n'est pas contestée,

" témoignent d'une concertation entre les opérateurs dont l'autonomie de décision quant à leur comportement sur le marché disparaissait ".

80. Il ressort de surcroît de l'enquête (annexe 3, page 25 du rapport), que la société saisissante a elle-même annulé l'achat de 1031 hl à la demande d'un producteur et a donc elle aussi, participé à cette pratique d'annulation, pratique qui ne peut non plus être considérée comme un indice d'entente anticoncurrentielle des autres opérateurs.

En ce qui concerne le rôle particulier du CIVDN

81. Aucun élément du dossier ne permet, non plus, de conclure que tant les achats massifs de la récolte 1994 réalisés au cours de l'année 1996, que les réserves importantes faites à la même période de cette récolte, ainsi que le mode de paiement utilisé par la plupart des négociants ont été faits à l'initiative ou avec le concours du CIVDN.

82. Par ailleurs, le refus du Comité, dénoncé par la société plaignante, de lui délivrer, avant la date officielle de commercialisation, les attestations d'authentification et d'enregistrement indispensables à la circulation des vins de la récolte de 1995, paraît justifié. En effet, le CIVDN agit en l'espèce sur délégation de l'administration des douanes et ne pouvait effectivement pas délivrer de telles attestations avant la date de libération et de commercialisation régulière de la récolte, sans se mettre en situation irrégulière.

83. Pour ce qui concerne les deux autres griefs reprochés au CIVDN par la société saisissante, à savoir, l'implication du CIVDN dans l'arrêté du 18 décembre 1996 et l'accord de partenariat mis en place par l'interprofession afin de permettre aux négociants de réserver certaines quantités de vins à des fins d'élevage, il convient de relever que le comité n'a, au travers de ces initiatives, aucunement dérogé ou outrepassé ses missions définies par les lois du 2 avril 1943 et 4 juillet 1980 (annexe 3, page 10 à 12 du rapport).

84. En outre, le fait que l'arrêté du 18 décembre 1996 ait été ultérieurement annulé par le Conseil d'État pour excès de pouvoir et la circonstance que l'application faite par certains négociants de l'accord de partenariat ait abouti à un retrait du marché de quantité non négligeable de vins, ne permettent pas, à défaut d'éléments probants, d'établir que ces mesures ont été initiées dans un but anticoncurrentiel.

85. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, les éléments produits au soutien de la saisine et l'enquête effectuée par la DDCCRF du département des Pyrénées Orientales n'ont pas permis d'apporter la preuve d'une entente et d'en identifier les éventuels auteurs, le simple parallélisme de comportement relevé ne constituant pas, aux termes d'une jurisprudence constante, la preuve d'une pratique anticoncurrentielle qui nécessite, pour être établie, la preuve positive de concertations et de la volonté commune des opérateurs en cause de se comporter d'une manière déterminée sur le marché considéré.

86. Il ne peut, par conséquent, être conclu que les pratiques dénoncées n'avaient de sens que dans le cadre d'une coordination et d'une concertation et qu'elles constituent des indices suffisamment graves, précis et concordants de l'entente alléguée et de la volonté commune des opérateurs de mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles.

87. D'autant plus qu'il n'est aucunement établi que les pratiques en cause ont eu un effet sur les quantités produites et le cours, à la hausse ou à la baisse, des vins doux naturels à AOC Rivesaltes issus de la récolte 1994.

88. En outre, le fait que le chiffre d'affaires de la société Socovin ait augmenté de façon significative pendant la période concernée, ainsi qu'il ressort de l'audition par le rapporteur des représentants de la société Socodivin, ne peut qu'affaiblir la thèse de la saisissante selon laquelle elle aurait été victime d'une pratique d'assèchement du marché et d'entente discriminatoire

89. Dans ces conditions, aucun grief ne pouvant être formulé à l'encontre des opérateurs de ce marché, il convient de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code commerce, précité.

Décision

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.