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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 18 mai 2004, n° 00-06441

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rolex France (SA)

Défendeur :

Barichella (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thiolet

Conseillers :

MM. Blin, Jacquot

Avoués :

SCP Bottai-Gereux, SCP Tollinchi-Perret-Vigneron

Avocat :

Me Cesari.

TGI Nice, du 21 févr. 2000

21 février 2000

Par jugement en date du 21 février 2000 rendu par le Tribunal de grande instance de Nice, il a été rejeté la demande de sursis à statuer et l'exception d'incompétence matérielle formées par la société Barichella, tandis que la société Rolex France a été déboutée de ses demandes tendant à entendre condamner la société Barichella pour agissements constitutifs de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale.

La société Rolex France a été condamnée par cette décision à payer à la société Barichella la somme de 9 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel le 7 mars 2000, la société Rolex France a relevé appel de cette décision.

Elle reproche essentiellement aux premiers juges d'avoir dénaturé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 31 octobre 1991 en ayant affirmé que cette cour d'appel avait reconnu la qualité de revendeur officiel des montres Rolex à la société Barichella, alors que cette société n'a jamais été agréée comme revendeur officiel, faute par elle d'avoir accepté de signer un contrat de distribution.

Or en ayant fait paraître dans le magazine "Le guide de Nice" de 1997 une publicité rédigée en ces termes : "Barichella Joaillier depuis 1985, Nice - 14 avenue de Verdun - 04 93 16 29 16, Représentant les montres Boucheron, Cartier, Omega, Pequinet, Rolex", la société Barichella aurait commis une contrefaçon de la marque Rolex dont elle est propriétaire et une concurrence déloyale dans la mesure où il s'agit d'une publicité mensongère qui a pour corollaire la désorganisation de son réseau de distribution aux yeux de la clientèle.

La société Rolex France a donc conclu:

- à la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer et l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société Barichella;

- à l'infirmation des autres dispositions du jugement querellé;

- à la constatation que la société Barichella a reproduit et utilisé la marque Rolex détenue par la société Rolex France sans aucune autorisation de sa part;

- à la condamnation en conséquence de la société Barichella à lui payer la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de ces actes de contrefaçon de marque;

- à la constatation que la mention "Représentant les montres Rolex" figurant dans la publicité de la société Barichella constitue des agissements de parasitisme, de concurrence déloyale et de publicité mensongère;

- à la condamnation en conséquence de la société Barichella à verser à la société Rolex France la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts;

- à ce que la décision à intervenir soit publiée dans cinq revues ou journaux de son choix et aux frais de la société Barichella, sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 35 000 F;

- à la condamnation de la société Barichella à lui payer la somme de 35 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

De son côté la société Barichella a demandé à la cour de:

- débouter la SA Rolex France de son appel;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 février 2000 par le Tribunal de grande instance de Nice;

- constater qu'elle avait reçu livraison des montres de la SA Rolex France en 1992;

- dire et juger qu'en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 31 octobre 1991, la SA Rolex France était tenue de livrer sans retard les commandes qu'elle avait passées;

- dire et juger que dans son arrêt du 31 octobre 1991, la Cour d'appel de Paris avait consacré l'existence d'un lien contractuel entre la société Rolex France et elle même et avait reconnu qu'elle était revendeur officiel des montres Rolex en l'intégrant dans le réseau de distribution Rolex;

- dire et juger qu'elle était en droit de faire usage de la marque Rolex puisqu'elle avait reçu livraison de montres de la SA Rolex France en 1992, étant tenue de surcroît à un service après-vente;

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale;

- dire et juger que la société Rolex France n'a pas rapporté la preuve d'un quelconque préjudice et encore moins de son étendue;

- dire et juger en ce qui concerne le préjudice résultant d'actes allégués de concurrence déloyale, que la SA Rolex France ne rapporte pas la preuve d'autres faits que celui de la contrefaçon dont le caractère abusif ou excessif résulte des principes généraux de droit ou des usages fondés sur des règles de probité commerciale;

- condamner la société Rolex France à lui payer la somme de 7 600 euro en remboursement de ses frais non répétibles.

I. Motifs

La recevabilité de l'appel n'étant pas discutée par les parties et la cour ne relevant aucun élément susceptible de lui permettre de soulever une irrecevabilité d'office, il convient de déclarer l'appel formé contre le jugement rendu le 21 février 2000 par le Tribunal de grande instance de Nice, recevable;

Le différend qui oppose les parties trouve essentiellement sa cause dans la perception qu'elles ont de leurs droits.

Ainsi la société Rolex France considère que la société Barichella n'était pas en droit de faire paraître dans le magazine "Le guide de Nice de 1997" une publicité faisant ressortir la qualité de représentant des montres Rolex car elle aurait refusé de signer le contrat de distribution sélective qu'elle lui avait proposé, alors que de son côté, la société Barichella soutient que la société Rolex France ayant appliqué des critères de sélection discriminatoires à son égard, la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 31 octobre 1991 l'a implicitement reconnue comme revendeur officiel des montres Rolex et l'a intégrée dans le réseau de distribution Rolex, de sorte qu'elle était en droit de faire paraître la publicité litigieuse sur laquelle se base la société Rolex France pour tenter de fonder ses demandes au titre de la contrefaçon de marque et au titre de la concurrence déloyale.

La cour de céans observera en premier lieu que le Tribunal de commerce de Paris est actuellement saisi d'une demande de la société Barichella à l'encontre de la société Rolex France, tendant d'une part à entendre cette juridiction constater:

- que cette société a procédé à un refus de vente discriminatoire à son égard de 1992 à 2000,

- que cette société lui a imposé des conditions commerciales injustifiées,

- qu'elle a signé les contrats de distribution du 30 septembre 2000, et tendant d'autre part à entendre cette juridiction:

- annuler les clauses commercialement injustifiées,

- condamner la société Rolex France à lui payer la somme de 10 000 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle a subi pendant les années 1992 à 2000.

La cour de céans observera d'autre part que dans son arrêt du 31 octobre 1991 devenu définitif, la Cour d'appel de Paris, après avoir constaté que la société Rolex France n'établissait pas que son réseau fonctionnait réellement selon les règles du contrat-type, sans discrimination non justifiée entre les commerçants demandant à distribuer ses produits et après avoir estimé que la société Rolex n'était pas fondée à opposer ce contrat-type à la société Barichella pour lui refuser de l'accepter comme revendeur de ses montres, a d'une part condamné la société Rolex France à payer à la société Barichella la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et d'autre part enjoint à la société Rolex non seulement de fournir à la société Barichella, dans le mois de la signification de cette décision, tous documents commerciaux lui permettant de présenter des commandes des produits qu'elle fabrique ou distribue, mais encore de satisfaire dans les deux mois de la signification... à la commande que la société Barichella lui avait présentée le 10 juin 1988, aux prix et conditions de paiement qu'elle pratiquait à cette date pour les clients présentant pour l'année une commande d'un tel montant.

Au vu de ces deux constatations la cour de céans, qui ne saurait préjuger de la décision à intervenir du Tribunal de commerce de Paris et qui reste tenue par la force de chose jugée de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 31 octobre 1991, ne saurait faire droit aux demandes en contrefaçon de marque et de concurrence déloyale formulées par la société Rolex à l'encontre de la société Barichella, tant que la société Rolex n'aura pas établi que les clauses du contrat-type de distribution qu'elle a proposé à la société Barichella sont également appliquées à ses autres revendeurs de montres.

En effet, si en l'espèce il est établi que dans sa décision du 19 novembre 1996, le Conseil de la concurrence a reconnu que la société Rolex avait contrevenu aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en appliquant de manière discriminatoire son critère de sélection reposant sur l'aménagement d'un atelier de réparation avec la présence d'un horloger-spécialiste, alors qu'elle n'ignorait pas que la pénurie d'horlogers qualifiés en rendait la mise en pratique difficile, la société Rolex n'établit pas qu'à la date du 10 décembre 1991, jour où elle a adressé les contrats-type de sélection à la société Barichella, elle soumettait cette société aux mêmes critères de sélection que tous les autres revendeurs de son réseau.

Bien au contraire il est établi par la communication au dossier des procès-verbaux d'audition des revendeurs agréés par la société Rolex, que plusieurs d'entre eux et notamment, Monsieur Sarfati, Madame Rignault, Monsieur Philippe, Monsieur Le Page n'ont rempli les critères de sélection imposés par la société Rolex France et pourtant exigés de la société Barichella dès le 10 décembre 1991, que dans les années 1998 et 1999.

Dès lors en ayant enjoint sous astreinte par son arrêt en date du 31 octobre 1991 à la société Rolex, de fournir à la société Barichella tous documents commerciaux lui permettant de présenter des commandes des produits qu'elle fabrique ou distribue, la Cour d'appel de Paris a incidemment permis à la société Barichella de vendre des montres Rolex et par la même de faire état de sa qualité de revendeur des montres Rolex, tant que la discrimination qu'elle avait relevée sur les critères de sélection était maintenue entre les revendeurs de montres Rolex et la société Barichella.

Ainsi la parution en 1997 dans "Le guide de Nice" de la publicité de la société Barichella faisant état de sa qualité de représentant des montres Rolex ne saurait être constitutive ni d'une contrefaçon de marque, ni d'une concurrence déloyale à cette époque, puisque ce n'est qu'en 1999 que la discrimination relevée par la Cour d'appel de Paris a fini par disparaître.

Il convient en conséquence et pour ces motifs de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.

L'équité commande également de mettre à la charge de la société Rolex France le montant des frais non répétibles d'appel engagés par la société Barichella que la cour détermine à la somme de 3 000 euro.

La société Rolex France qui succombe en toutes ses prétentions sera en outre condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit comme régulier en la forme l'appel relevé contre le jugement rendu le 21 février 2000 par le Tribunal de grande instance de Nice; Confirme pour les motifs susvisés cette décision en toutes ses dispositions; Condamne la société Rolex France à payer à la société Barichella la somme de 3 000 euro (trois mille) au titre des frais non répétibles d'appel; Condamne la société Rolex France aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP d'avoués Tollinchi-Perret-Vigneron.