CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 19 février 2004, n° 02-05031
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Géranium Haberschill (EARL)
Défendeur :
Elf Antargaz (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
MM. Vergne, Baby
Avoués :
SCP Château-Passera, SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
Me Grimaldi, SCP Philippo-Pressecq
L'EARL Géranium Haberschill produit des géraniums sur deux sites, l'un à Valdurenque, l'autre à Noaihac. Elle a conclu le 12 septembre 1994 un contrat d'approvisionnement exclusif d'une durée de six ans, soit jusqu'au 11 septembre 2000, pour la fourniture des besoins en gaz propane de ses installations. Prévoyant d'augmenter la production de son site de Valdurenque, elle a sollicité en 1998 un nouveau contrat de trois ans pour une consommation annuelle de 250 tonnes, avec une citerne de stockage de 35 tonnes. Elle n'a pas accepté la proposition faite, mais a débranché et déplacé deux réservoirs et conclu un contrat de fourniture pour 200 tonnes annuelles avec la société Air Liquide, pour une durée de cinq ans.
La SA Elf Antargaz a notifié le 9 juillet 1999 la résiliation du contrat pour inexécution par le client de ses obligations contractuelles. Elle lui a adressé trois factures qui sont demeurées impayées, et pour lesquelles elle a obtenu du président du Tribunal de commerce de Castres une ordonnance d'injonction de payer en date du 30 août 2000, pour un montant de 143 361,01 F. Sur opposition à cette décision, le tribunal, par jugement du 30 septembre 2002, a rejeté l'exception de nullité du contrat soulevée par l'EARL Géranium Haberschill sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relatives aux pratiques anticoncurrentielles prohibées; il a également rejeté le moyen de caducité pour mauvaise foi présenté sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, constatant que l'EARL avait commis des manquements à ses obligations contractuelles justifiant la résiliation du contrat à ses torts. Constatant que le moyen selon lequel les indemnités contractuellement prévues en pareil cas étaient exagérées n'était assorti d'aucune preuve, il a rejeté l'opposition et confirmé l'ordonnance rendue, condamnant en outre l'EARL à payer 800 euro à la SA Elf Antargaz, en indemnisation de ses frais irrépétibles.
L'EARL Géranium Haberschill a relevé appel de cette décision par déclaration remise le 22 octobre 2002 au greffe de la cour.
Moyens et prétentions des parties
L'appelante soutient que la rupture du contrat ne lui est pas imputable: le fournisseur a prétendu lui imposer un prix supérieur, correspondant à une forte augmentation de sa marge, et à un surcoût de 7 775 euro par an pour elle, et un autre mode d'indexation, à savoir le "Platt's" mensuel et non plus la moyenne annuelle de cet indice, ce qui avait pour conséquence de fortes variations mois par mois du prix de l'énergie nécessaire à l'activité. C'est pourquoi elle a accepté l'offre d'Air Liquide, plus conforme à ses souhaits. Elf Antargaz a saisi ce prétexte pour résilier le contrat pour les deux sites, alors qu'il n'était pas prévu de diminuer le volume des approvisionnements auprès d'elle, malgré la suppression de deux réservoirs sur un seul des sites. Il s'agit d'un abus de droit, et d'une violation des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Le refus d'installer une nouvelle capacité de stockage constitue un refus de vente, qui l'a contrainte à s'adresser à la concurrence pour assurer sa pérennité. La rupture est donc imputable au fournisseur.
Les factures présentées sont ensuite manifestement exagérées s'agissant des frais d'enlèvement et remise en état des réservoirs, dont l'entretien était pris en charge par le fournisseur. Les frais de retrait ne sont pas dus pour les cuves de Noailhac, déplacées par elle-même et qui étaient prêtes à charger. Il n'y avait au total que quatre cuves, et non cinq, la cinquième, laissée sur place par Elf, n'étant pas utilisée en fait.
L'indemnité contractuelle variable, due en cas de rupture avant l'expiration de la durée initiale du contrat, n'est pas exigible dès lors que le contrat a initialement été conclu en 1987 pour trois ans. Il en est de même pour les indemnités de primes commerciales. De plus, aucune indemnité ne peut être due au titre d'un contrat nul ou caduc.
Si la rupture ne lui est pas imputable, en tout état de cause l'EARL Géranium Haberschill ne doit rien, et l'intimée doit être déboutée de toutes ses demandes.
A titre reconventionnel, elle demande 10 000 euro de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil, en réparation de son préjudice moral et du temps perdu du fait du litige.
Elle sollicite enfin une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée invoque in limine litis l'irrecevabilité de l'appel, au visa de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, observant que les conclusions de l'appelante devant la cour ne sont que la reprise intégrale de ses écritures de première instance.
Elle réfute ensuite le moyen tenant à la violation de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986: les modalités de rupture mentionnées dans son courrier du 17 juin 1998 sont relatives à la rupture de l'ancien contrat, alors en cours, dont elles ne sont que l'application pure et simple. L'EARL était libre de résilier l'ancien contrat et de refuser le nouveau, et c'est ce qu'elle a fait. Elle devait simplement le faire en respectant ses propres engagements.
Le contrat d'exclusivité est parfaitement valable au regard des règles relatives à la concurrence, l'exclusivité d'approvisionnement étant la contrepartie de la mise à disposition du matériel de stockage.
La mauvaise foi qui lui est imputée n'est nullement démontrée, au contraire c'est sa cliente qui n'a pas respecté ses propres engagements, notamment son obligation d'exclusivité. Elle s'exposait dès lors à payer les indemnités contractuellement prévues en pareil cas.
Elle conclut donc à la confirmation, et demande l'allocation d'une indemnité de 3 000 euro au titre de ses frais irrépétibles.
Sur la recevabilité de l'appel
Si l'article 954 du nouveau Code de procédure civile impose à l'appelant d'exposer devant la cour les moyens sur lesquels il entend fonder sa demande, il ne lui impose pas pour autant de développer des moyens nouveaux, et la reprise pure et simple des conclusions de première instance n'est pas en soi une cause d'irrecevabilité de l'appel. Les conclusions de l'appelante contenant tous les éléments exigés par l'article précité, le moyen de procédure sera donc rejeté.
Au fond
L'EARL Géranium Haberschill continue d'invoquer devant la cour l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans rapporter davantage qu'en première instance la preuve d'une action concertée au sens de l'article 7 de cette ordonnance, la convention d'approvisionnement en cause étant à l'évidence sans aucune incidence sur le marché de la distribution du gaz propane. Le fait que le client ait substitué sans difficulté un autre fournisseur à celui auquel elle était liée démontre suffisamment qu'elle avait toujours accès à un marché concurrentiel.
Il n'est pas davantage démontré d'abus de position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance invoquée: là encore, le recours effectif à un concurrent suffirait à démontrer l'absence de position dominante, et le motif de la rupture du contrat par Elf Antargaz n'est nullement le fait que son client refusait de se soumettre à ses conditions commerciales, mais le fait qu'au mépris de la condition d'approvisionnement exclusif figurant au contrat il avait eu recours à la fourniture d'un tiers, manquant ainsi à son obligation de loyauté.
Quant à l'exclusivité stipulée au contrat, elle ne s'accompagnait d'aucune modalité, notamment de durée de celui-ci, susceptible d'entacher sa validité.
Il sera donc rappelé à l'appelante que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, de sorte que, si l'une des parties entend les modifier, elle ne peut imposer à l'autre cette modification, ni dans son principe, ni dans ses modalités. En particulier un fournisseur, s'il a l'obligation d'examiner de bonne foi une demande de modification, n'est jamais tenu de l'accepter aux conditions initiales du contrat, ni d'accéder sans discussion à toutes les demandes du client tendant à modifier la convention en cours d'exécution. En l'espèce, il existait un seul contrat pour les deux sites, et la demande de modification des conditions d'approvisionnement pour un seul d'entre eux constituait une modification du contrat unique, qui, à défaut d'accord des parties sur ses modalités, ne pouvait prendre effet à l'initiative d'une seule d'entre elles.
En procédant de son propre chef à cette modification de façon unilatérale, sans résilier le contrat alors qu'elle procédait à la mise hors service du matériel, l'EARL Géranium Haberschill a commis une faute dans l'exécution du contrat, violant en outre la clause d'exclusivité qu'elle avait valablement souscrite.
Dès lors, la SA Elf Antargaz était en droit de prendre acte d'une rupture du fait de sa co-contractante, et de solliciter l'application des clauses contractuelles régissant pareille situation, en procédant notamment au calcul de l'indemnité de résiliation expressément prévue, selon les modalités également prévues.
A cet égard, l'appelante ne peut se prévaloir de ce que la "période initiale" du contrat devrait être décomptée à partir de 1987, date du premier contrat entre les parties: la succession de plusieurs contrats (1987, 1993, 1994) de durées variables (3 ou 6 ans), dont aucun ne fait référence au précédent, montre que la pratique instaurée entre elles était de rédiger un nouveau contrat à chaque modification importante de l'installation ou du volume des approvisionnements, de sorte que le contrat de 1994, dont la rupture est en cause, ne peut être considéré comme la tacite reconduction du contrat de 1987: les deux parties ont expressément convenu qu'il était conclu pour six années à compter de sa signature, et la rupture à l'intérieur de ce délai doit être réputée intervenue au cours de la période initiale, ce qui entraîne le calcul de l'indemnité de résiliation selon les termes de l'article 10 de la convention.
S'agissant de l'indemnisation de la rupture, les sommes réclamées par Elf Antargaz le sont conformément aux prévisions contractuelles. Les devis produits par l'EARL Géranium Haberschill, relatifs à l'implantation et à la mise en service de citernes n'apparaissent pas pertinents pour l'appréciation du coût d'enlèvement et de remise en état de matériels, opération strictement inverse; en outre, la présence de cinq réservoirs résulte de la simple lecture des contrats successifs, et si l'un d'entre eux n'était pas utilisé, le fournisseur en demeurait propriétaire et était en droit de le retirer. L'appelante ne saurait se prévaloir de la faute contractuelle qu'elle a commise en débranchant et déplaçant le matériel pour refuser le paiement de frais de retrait (qui comprennent en outre normalement les frais de chargement sur camion). Enfin, aucun élément n'est produit quant à l'état réel du matériel, de sorte qu'il n'est pas possible de juger excessif le coût de remise en état, les postes de facturation correspondants étant conformes aux stipulations de l'article 10 du contrat, qui ne prévoit pas le plafonnement éventuel des frais de remise en état à une valeur quelle qu'elle soit. Les affirmations quant à une prétendue collusion entre le fournisseur et ses sous-traitants ne sont nullement étayées et ne sauraient retenir la cour.
Ainsi, l'appelante n'apporte à la cour aucun élément justifiant la réformation de la décision déférée, qui sera intégralement confirmée, la demande reconventionnelle de l'appelante étant nécessairement rejetée.
En l'état d'une confirmation intégrale, l'équité commande d'allouer à l'intimée une somme de 2 000 euro en indemnisation de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, En la forme, Reçoit l'EARL Géranium Haberschill en son appel, Au fond, L'en déboutant, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne l'EARL Haberschill à payer à la SA Elf Antargaz une somme complémentaire de 2 000 euro (deux mille euro) en indemnisation des frais irrépétibles exposés par elle devant la cour, La condamne aux entiers dépens, dont distraction en faveur de la SCP Château Passera, avoués.