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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 4 décembre 1996, n° 9503613

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Friedrich (SA)

Défendeur :

Association nationale interprofessionnelle des vins de table

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Leroyer-B, Gauvain & Demidoff, Castres & Colleu

Avocats :

Mes Menard, Joyeux.

T. com. Nantes, du 6 avr. 1995

6 avril 1995

Exposé des faits - Procédure - Objet du recours

L'Association nationale interprofessionnelle des vins de table et des vins de pays de France, l'ANIVIT, créée en 1976 et reconnue par les pouvoirs publics français dans le cadre de la loi du 10 juillet 1975, a pour fonction essentielle la promotion des vins de table et de pays.

Elle perçoit des cotisations auprès des producteurs et négociants, arrêtées par son conseil d'administration et rendues obligatoires par arrêté conjoint des ministres de l'Agriculture, des Finances et du Budget.

Le conseil d'administration de l'ANIVIT a fixé la cotisation à 1,15 F par hectolitre à compter du 16 décembre 1990, sur la base des quantités de vins livrées en France, effectuées sous le couvert de congés, factures congés ou capsules représentatives de droits (quelles que soient leur origine, le vin de table pouvant incorporer des vins en provenance d'autres Etats membres), mais aussi de celles exportées.

En 1991, la taxe étant désormais affectée à concurrence d'un peu plus de 50 % à l'exportation, les Etablissements Friedrich, qui vendent l'essentiel de leur production sur le marché intérieur, ont refusé de régler leur cotisation. Ils le feront ainsi pour les campagnes 1991, 1992, 1993 et partiellement 1994.

Par jugement rendu le 6 avril 1995, le Tribunal de commerce de Nantes a condamné les Etablissements Friedrich à payer à l'ANIVIT 693 107,17 F.

Par acte du 28 avril 1995, les Etablissements Friedrich ont formé appel de ce jugement.

Moyens proposés par les parties

A l'appui de leur appel, les Etablissements Friedrich font valoir que:

- le droit communautaire, qui prime le droit national, doit être appliqué par le juge national,

- la Commission de la Communauté européenne a considéré la taxe contestée comme une aide d'Etat et mis en demeure le ministre de l'Agriculture et l'ANIVIT de modifier ses modalités de prélèvement, car elle crée une discrimination au détriment des vins communautaires importés,

- la cotisation est une imposition intérieure interdite par le traité de Rome notamment en ses articles 9, 93 et 95,

- elle constitue également une aide d'Etat dont l'affectation privilégie le produit national,

- la cotisation est illicite depuis son instauration (postérieure à la création du Marché commun) en raison de la violation du droit communautaire, même si ce n'est que depuis la mise en demeure de la Commission que l'Etat français l'a modifiée (à compter de 1994),

- la taxe constitue une aide qui, ayant été créée en 1983 postérieurement à l'entrée en vigueur du traité et n'ayant pas été notifiée à la Commission antérieurement à la recommandation susvisée, ne peut être considérée comme une aide existante; son caractère illicite la rend nulle dès l'origines quelle que soit son affectation, d'autant que la position de la Commission n'est pas liée à une évolution du Marché commun,

- la seule mention de la lettre E (et non N comme aide nouvelle) sur la recommandation de la Commission ne permet pas de la considérer comme existante,

- depuis 1991, la taxe profite davantage aux produits nationaux qu'aux produits importés.

En conséquence, les Etablissements Friedrich demandent à la cour de:

- déclarer irrecevable et non fondée la demande en paiement de l'ANIVIT,

- déclarer la taxe illicite au regard du droit communautaire,

- subsidiairement, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes afin de savoir si un opérateur peut être tenu de verser une taxe reconnue illicite par la Commission jusqu'à son abrogation par l'Etat membre,

- plus subsidiairement, de désigner un expert afin de rechercher l'affectation des cotisations prélevées par l'ANIVIT pour la période 1991/1993, à l'exportation, au marché intérieur, aux vins de table français et aux vins de table issus d'assemblage de vins de différents pays de la Communauté.

Enfin ils réclament 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ANIVIT fait valoir que:

- un Etat peut créer des impositions intérieures,

- les Etablissements Friedrich ne rapportent pas la preuve de la discrimination dont ils s'estiment victimes, en particulier quant à l'affectation des fonds prélevés,

- l'analyse de la cotisation comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation ne concerne pas le présent litige,

- une aide existante peut continuer à être exécutée tant que la Commission n'a pas constaté son incompatibilité avec le Marché commun,

- la Commission a considéré l'aide comme existante et demandé au Gouvernement français de l'adapter,

- elle produit des tableaux rendant inutile le recours à une expertise, d'autant que les volumes sont saisis globalement, ce qui ne permet pas de connaître les quantités concernant les vins de table et de pays, ni de déterminer la part des vins importés utilisés à l'origine.

Elle conclut à la confirmation de la décision déférée, s'oppose à la question préjudicielle et à l'expertise (estimant ces demandes dilatoires) et sollicite 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt

Considérant que l'article 9 du traité de Rome prohibe tous droits de douane à l'importation et à l'exportation entre les Etats membres, ainsi que toutes taxes d'effet équivalent ; que l'article 13 édicte que les droits de douane à l'importation en vigueur ainsi que les taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation, seront progressivement supprimés par les Etats membres au cours de la période de transition ;

Considérant que ne peuvent être considérées comme des taxes d'effet équivalent les charges pécuniaires relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères; qu'elles peuvent cependant constituer de telles taxes lorsque la contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé; que tel est le cas lorsqu'elle constitue une charge supplémentaire nette pour le produit importé tandis qu'elle constitue pour le produit national la contrepartie à des avantages ou aides reçus;

Considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la cotisation frappe indistinctement les produits nationaux et les produits importés d'autres Etats membres, soit lors de leur commercialisation en France, soit lors de leur exportation; que d'ailleurs les campagnes de promotion définies par l'ANIVIT, tant pour la consommation française que pour l'exportation, profitaient aussi bien aux produits nationaux qu'aux produits importés,puisque les vins importés étaient soit mélangés aux vins français, soit exportés ou mis directement à la consommation en France;

Considérant que les publicités produites montrent qu'elles profitaient aux vins de table et vins de pays sans que l'affectation des fonds profite essentiellement aux seuls vins nationaux; ,qu'en effet, elles concernaient la promotion en particulier des vins de table, qui comprennent ceux vendus sous leur origine nationale (française, Italienne et espagnole notamment) ainsi que les mélanges de virils provenant de la Communauté (l'appelant fixant lui-même la part des vins importés dans les mélanges à une fourchette non négligeables puisque comprise entre 30 et 60 %) ;

Considérant de même que les opérations de promotion sur le marché intérieur constituaient jusqu'en 1991 la part la plus importante du budget; qu'en 1991, elle est restée proche de 50 %; qu'il ne peut donc être soutenu que la promotion n'a bénéficié qu'aux vins français (qui seraient seuls exportés), alors que le marché intérieur bénéficiait aux vins importés;

Considérant au surplus que ces dispositions du traité ne sont pas visées par la recommandation de la Commission du 4 août 1993 concernant les cotisations perçues par l'ANIVIT; que de même, elle n'a pas enfreint l'article 30 du traité, elle n'a procédé à aucune restriction quantitative à l'importation, ni à aucune mesure d'effet équivalent;

Considérant que la Commission a assimilé les prélèvements rendus obligatoires à des ressources publiques ne transitant pas par le budget général et comme tels à des aides d'Etat;

Considérant que les dispositions du traité relatives aux aides sont regroupées dans une section composée des articles 92, 93 et 94; que l'article 95 du traité, qui concerne les dispositions fiscales et, plus particulièrement, prohibe les impositions intérieures des produits des autres Etats membres supérieures à celles qui frappent les produits nationaux n'est pas applicable aux faits de l'espèce, puisqu'elles sont identiques; que d'ailleurs cette disposition n'est pas visée par la recommandation de la Commission du 4 août 1993 concernant les cotisations perçues par l'ANIVIT;

Considérant que l'article 92 du traité déclare incompatibles avec le Marché commun, sauf dérogations expressément prévues par le traité, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions;

Considérant que l'article 93-1 du traité édicte que la Commission procède à l'examen permanent des aides existantes; qu'elle propose aux Etats les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du Marché commun; que, selon l'article 93-2 du traité, si elle constate qu'une aide est incompatible avec le Marché commun, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine; que ces deux paragraphes concernent les aides existantes;

Considérant que l'article du 93-3 du traité vise une hypothèse différente, celle des aides nouvelles, la Commission devant être informé en temps utile pour présenter ses observations, des projets, tendant à instituer ou à modifier ces aides; qu'en ce cas, l'Etat membre ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que la procédure ait abouti à une décision finale;

Considérant que par courrier du 4 août 1993, la Commission a recommandé au Gouvernement français, au titre de l'article 93-1 du traité, de ne plus octroyer d'aides financées par l'ANIVIT en raison de leur financement par une cotisation volontaire obligatoire perçue sur les produits importés des autres Etats membres, qu'il s'agisse de vins non issus d'un mélange (importés des autres Etats membres et mis directement à la consommation en France), ou des vins importés mélangés; que les vins importés sont en effet taxés dans les deux hypothèses, soit lors de leur mise à la consommation sur le marché français, soit lors de leur exportation;

Considérant que la Commission a relevé que les vins de table sont toujours passibles de la cotisation lors de leur exportation, qu'ils soient destinés ou non à la transformation, alors qu'en sens inverse les vins de table livrés en France en vue de leur transformation ne sont pas taxés; que la cotisation s'analyse ainsi comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation et donc susceptible de fausser la concurrence;

Considérant que la Commission a estimé que ces mesures étaient susceptibles de fausser la concurrence et d'affecter le commerce entre Etats membres, contrairement à l'intérêt de la Communauté; qu'en conséquence elle a recommandé au Gouvernement français de supprimer au plus tard le 16 décembre 1993 l'octroi des aides de l'ANIVIT et de lui communiquer, avant le 15 octobre 1993, les mesures qu' il aura décidé de prendre pour se conformer à la demande de la Commission; que, postérieurement la cotisation a été modifiée à compter du 1er janvier 1994 pour tenir compte de la recommandation, uniquement en ce qu'elle pénalisait l'exportation, et non l'inverse;

Considérant que la Commission, dans son dernier paragraphe, a expressément visé l'article 93-1 du traité, estimant ainsi qu'il s'agissait d'une aide existante et non d'une aide nouvelle; que du reste cette aide, selon les écritures non contestées des parties, existait depuis 1983 ;

Considérant que l'aide est existante, sans qu'il soit nécessaire qu'elle ait été créée antérieurement à l'entrée en vigueur du traité;qu'une aide existante peut continuer à être exécutée tant que la Commission n'a pas constaté son incompatibilité avec le Marché commun;que d'ailleurs la Commission limite la recommandation à l'avenir; qu'ainsi la demande de question préjudicielle n'est pas fondée et sera rejeté;

Considérant de même que la demande d'expertise ne présente aucun intérêt, puisque la validité de l'aide n'est pas valablement mise en cause antérieurement à la recommandation et qu'il est démontré par les pièces versées (campagnes publicitaires, tableaux) qu'au moins une partie non négligeable des opérations publicitaires réalisées sur le marché intérieur au profit des vins de table a effectivement bénéficié aux vins importés;

Considérant d'ailleurs que c'est bien le cas des vins vendus par l'appelant, puisqu'il indique qu'il vendait l'essentiel de sa production sur le marché intérieur, et non à l'exportation; qu'au surplus, l'ANIVIT fait valoir que l'expertise serait impossible à exécuter au vu des documents existants, puisque les cotisants ne ventilent pas les vins de table selon leur origine et que les vins de table et de pays sont globalement saisis par elle;

Considérant enfin que sur le plan interne, la cotisation due à l'ANIVIT est obligatoire pour tous les membres de la profession suite à un arrêté d'extension du 1er août 1983; qu'un producteur ou un négociant ne peut s'y soustraire au motif que les opérations promotionnelles ne correspondent pas, dans leur ventilation entre le marché intérieur et l'exportation, à celle qui lui est propre;

Considérant que l'ANIVIT fait justement valoir que les modifications dans la répartition des opérations de promotion en 1991 entre le marché intérieur et l'exportation sont la conséquence des mesures prises en France contre l'abus des boissons alcoolisées;

Considérant que le montant des cotisations réclamées et non payées depuis 1991, justifié par la production de leur décompte, de surcroît non contesté en son quantum, a justement été fixé par le jugement à 693 107,17 F;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée; que les Etablissements Friedrich, qui échouent en leur recours ne sont pas fondés à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et supporteront la totalité des dépens;

Considérant qu'il est en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'ANIVIT les sommes exposées par elle au cours de l'instance et non comprises dans les dépens; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 50 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne les Etablissements Friedrich à verser à l'ANIVIT 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne les Etablissements Friedrich aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.