Ministre de l’Économie, 23 janvier 2004, n° ECOC0400246Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Nutrixo
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 22 décembre 2003, vous avez notifié l'acquisition, par la société Nutrixo (ci-après " Nutrixo "), de la société Maître Fournil (ci-après " Maître Fournil "). Cette opération a été formalisée par un contrat de cession signé le 15 décembre 2003.
I. - Les parties et l'opération
Nutrixo, société mère des Grands Moulins de Paris, d'Euromill et d'Intermeunerie, appartient elle-même à un groupe contrôlé par la société Champagne Céréales. Cette dernière ne détient aucune filiale directe ou indirecte active dans le secteur de la boulangerie-viennoiserie-pâtisserie ou dans un secteur connexe, amont ou aval, en dehors de la société Délifrance (ci-après " Délifrance "), filiale à 100 % de Nutrixo. Délifrance réalise des viennoiseries surgelées, prêtes à pousser, prêtes à cuire et cuites (1). La société Champagne Céréales a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires total consolidé, calculé conformément à l'article 5 du règlement n° 4064-89 du 21 décembre 1989 modifié relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, de 989 millions d'euros, dont 871 millions en Europe et 573 millions en France.
Maître Fournil ne détient plus qu'une filiale (2), la société Appétit de France (ci-après " ADF "), qui réalise de la viennoiserie surgelée prête à cuire et cuite. Maître Fournil a réalisé en 2003, au titre de l'activité d'ADF, un chiffre d'affaires total de 51 millions d'euros, exclusivement en Europe, dont 33 millions en France.
La présente opération emporte le passage à un contrôle exclusif de Nutrixo sur Maître Fournil. Elle constitue donc une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires précités, elle ne revêt pas une dimension communautaire au sens du règlement (CE) n° 4064-89 du 21 décembre 1989 modifié et relève des dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.
II. - Marchés concernés
Les entreprises concernées sont toutes les deux actives dans le secteur de la viennoiserie surgelée. Elles fabriquent et distribuent toute une gamme complète de produits surgelés composés de croissants, pains au chocolat, pains aux raisins (qui sont les produits leaders) auxquels s'ajoute une grande variété de produits complémentaires. Pour les besoins de la présente analyse, il n'y a pas lieu de distinguer entre chacun de ces produits. En effet, ils correspondent tous à la satisfaction du même besoin et ne demandent pas de techniques spécifiques de fabrication.
Les parties estiment pertinent de distinguer les marchés de la viennoiserie surgelée prête à cuire (ci-après " PAC ") (i), de la viennoiserie surgelée prête à pousser (ci-après " PAP ") (ii) et enfin de la viennoiserie surgelée cuite (ci-après " CUIT ") (iii). Ces différents types de viennoiserie surgelée présentent en effet des différences quant à la technique qu'elles exigent, à la clientèle qu'elles visent et à leur prix. En ce qui concerne la technique, le PAP, le PAC et le CUIT sont commercialisés par le fabricant à des stades de finition différents (3). Quant à la clientèle, il convient de remarquer que le PAP est avant tout acheté par les artisans boulangers, le PAC par la restauration hors foyer et le CUIT par les grandes et moyennes surfaces. Les prix enfin, sont de [...] euros par kilo pour le PAC contre [...] euro par kilo pour le PAP (4). En tout état de cause, la question de la délimitation des marchés de produits peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.
En ce qui concerne le marché géographique, les parties estiment qu'il convient d'adopter une dimension européenne en raison de l'absence de barrières réglementaires ou techniques, de l'importance des flux transeuropéens et du recours des clients aux appels d'offre européens. Cette délimitation supranationale doit être relativisée par les différences de consommation de viennoiserie qui, bien que s'atténuant, subsistent entre les différents pays de l'Union européenne. En tout état de cause, la question de la délimitation géographique du marché peut être laissée en suspens les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.
III. - Analyse concurrentielle
L'opération notifiée n'entraîne de chevauchement entre les activités des parties que dans le secteur du PAC et du CUIT, la cible n'étant pas active dans la fabrication du PAP. Nutrixo acquiert, de plus, une activité de fabrication de brioches, produit qu'il ne fabriquait pas avant l'opération.
Si l'on prend en considération la viennoiserie surgelée dans son ensemble (PAC, PAP et CUIT), la nouvelle entité réalise [5-15] % du total des ventes de viennoiserie surgelée en France (5), soit une augmentation de [0-10] points pour le groupe acquéreur qui réalise, avant l'opération, près de [5-15] % du total de ces ventes. La nouvelle entité sera confrontée à la pression concurrentielle de trois principaux fabricants de viennoiserie surgelée : les sociétés Panavi, Bridor et BVF qui réalisent respectivement [25-35] %, [5-15] % et [5-15] % du total des ventes de viennoiserie surgelée en France.
En ce qui concerne le PAC (6), l'opération se traduit pour Nutrixo par une augmentation de [0-10] % à [20-30] % des ventes de PAC réalisées en France (7). Cette augmentation doit cependant être relativisée par l'existence de la pression concurrentielle de trois producteurs principaux : Bridor, BVF (qui réalisent chacun [15-25] % des ventes de PAC en France) et Panavi ([10-20] %).
D'autre part, le secteur de la viennoiserie surgelée (qu'elle soit PAC, PAP ou CUITE) ne présente pas de barrières à l'entrée significatives. En effet, les nouveaux entrants potentiels n'ont ni brevet ni savoir-faire particulier à développer. L'approvisionnement en matières premières est réalisé par un grand nombre d'opérateurs (8). L'entrée de la société " Le Ty Vorn ", en 2002, qui réalise en 2003 [0-10] % des ventes en France en viennoiserie surgelée confirme cette absence de barrières significatives. La puissance de négociation de certains clients en viennoiserie surgelée, notamment en viennoiserie prête à cuire (9), est, enfin, un élément atténuant les risques d'atteinte à la concurrence que pourrait représenter l'opération.
En acquérant Maître Fournil, Nutrixo ne modifie pas sa position en ce qui concerne le PAP mais la renforce dans les secteurs du CUIT et du PAC et élargit sa gamme de produits en ayant accès à la vente de brioches. Il convient cependant d'écarter un éventuel effet de gamme en raison de l'existence de deux sociétés concurrentes (Panavi, Sofrapain) présentant une même gamme de produits et des poids dans le secteur très différentes ([25-35] % des ventes totales de viennoiseries surgelées en France pour Panavi et [0-10] % du même total pour Sofrapain). Ces chiffres peuvent être rapprochés de ceux des sociétés Bridor et BVF qui réalisent respectivement [5-15] % et [5-15] % du même total tout en proposant une gamme plus réduite de produits.
L'opération se traduit également par une intégration verticale, Nutrixo étant la société mère des Grands Moulins de Paris, d'Euromill et d'Intermeunerie. Il convient cependant de remarquer que Maître Fournil a déjà pour fournisseur principal la société Grands Moulins de Paris et que les concurrents précédemment identifiés de la cible présentent autant de débouchés pour les autres meuniers.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Les viennoiseries surgelées sont regroupées selon leur stade de finition à la sortie de l'usine de fabrication. Ainsi, le " prêt à pousser " n'est ni cuit ni fermenté par le fabricant, ce qui nécessite que ces deux opérations soient réalisées par le point de vente. Le " prêt à cuire ", quant à lui, est fermenté et ne nécessite donc qu'une cuisson de la part du point de vente. Enfin, le " cuit " n'a qu'à être décongelé.
(2) Maître Fournil détenait également une autre filiale " Boul'Pat Service " qui distribuait des produits de boulangerie, viennoiserie pâtisserie, traiteur surgelés pour un chiffre d'affaires total atteignant 9 millions d'euros en 2002 et qui a été cédée en décembre 2003 à la société Hubert développement.
(3) Voir note 1.
(4) Le CUIT atteint des prix plus élevés que ceux du PAC et du PAP.
(5) En Europe, la nouvelle entité détiendra [0-10] % du total des ventes de viennoiserie surgelée et sera notamment confrontée à la concurrence des sociétés Panavi ([10-20] % de ce même total), Hiestand ([0-10] %), Bridor et BVF ([0-10] % chacune).
(6) Maître Fournil n'est pas présent dans la production de viennoiserie surgelée PAP et est faiblement présent dans la production de CUIT. Sur les 23 000 tonnes de viennoiserie surgelée vendues en Europe, Nutrixo en représente [0-10] % et Maître Fournil [0-10] %.
(7) En Europe, la nouvelle entité détiendra [10-20] % du total des ventes de viennoiserie surgelée PAC et sera notamment confrontée à la concurrence des sociétés Hiestand ([10-20] % du même total), Panavi ([5-15] %), Pastridor et Klemme ([5-15] % chacune), Bridor ([0-10] %) et BVF ([0-10] %).
(8) Il existe, en effet, en France, plus de 150 meuniers dont certains ont une taille significative : le groupe Soufflet, Dijon céréales, les Grands Moulins de Strasbourg, Celbert et Cabal* par exemple.
(9) Les clients en viennoiserie prête à cuire sont principalement les grandes chaînes de restauration hors foyer. Les parties comptent ainsi parmi leurs clients les sociétés Mac Donald's, Elior, Compass, Autogrill et Sodexho.
(*) Erreur matérielle : lire : " Caval " au lieu de : " Cabal ".