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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 2 avril 2004, n° 2002-04597

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kritsen (SA)

Défendeur :

Charles Amand (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Monégier du Sorbier, Hollier Larousse.

T. com. Paris, 15e ch., du 30 nov. 2001

30 novembre 2001

LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la société Kritsen à l'encontre d'un jugement rendu le 30 novembre 2001 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Charles Amand.

Le tribunal entrepris a:

- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné Kritsen à payer à la société Charles Amand la somme de 30 000 F soit 4 573,47 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Kritsen par ses écritures d'appel du 20 septembre 2002 prie la cour de:

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Charles Amand de sa demande reconventionnelle en concurrence parasitaire,

- statuant à nouveau,

* dire que la société Charles Amand s'est rendue coupable de concurrence parasitaire à son égard,

* dire qu'elle s'est également rendue coupable de concurrence déloyale,

* faire interdiction à la société Charles Amand, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, de poursuivre la commercialisation de son produit dans la présentation incriminée, sous astreinte de 15 250 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

* ordonner le retrait du marché des produits dans la présentation incriminée, en quelque lieu qu'ils soient, sous astreinte de 15 250 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

* ordonner la suppression de toute représentation, publicitaire ou non, sur quelque support que ce soit, de la présentation incriminée, ce sous astreinte de 7 630 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

* dire que la cour se réservera la liquidation des astreintes,

* pour le préjudice causé, condamner la société Charles Amand à verser à la société Kritsen à titre de dommages et intérêts la somme de 152 500 euro du fait des actes de concurrence parasitaire, et la somme de 38 110 euro du fait des actes de concurrence déloyale,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues au choix de la société Kritsen, et aux frais de la société Charles Amand, le coût de chaque insertion étant fixé à la somme de 4 580 euro hors taxes, et ce au besoin, à titre de complément de dommages et intérêts,

* condamner la société Charles Amand à lui verser la somme de 38 110 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par écritures du 21 mars 2003, la société Charles Amand prie la cour de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Kritsen de sa demande fondée au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et condamné cette société sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- infirmant pour le surplus et statuant à nouveau:

* dire que Kritsen s'est rendue coupable de concurrence parasitaire à l'égard de la société Charles Amand,

* lui faire interdiction, directement ou indirectement, de poursuivre la commercialisation de sa gamme de terrines à base de produits de la mer vendues sous blister, sous astreinte de 15 000 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,

* ordonner le retrait du marché des terrines à base de produits de la mer et vendues sous blister, en quelque lieu qu'il soit, sous astreinte de 15 000 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,

* prononcer la nullité du dépôt de modèle enregistré à l'INPI sous le n° 99 4766,

* dire que l'arrêt à intervenir sera inscrit sur le Registre National des Dessins et Modèles à l'INPI, sur réquisition du greffier,

* en réparation du préjudice causé, condamner la société Kritsen à verser à la société Charles Amand la somme de 153 000 euro à titre de dommages et intérêts du fait des actes de parasitisme,

* ordonner la publication de l'arrêt dans 5 journaux ou revues au choix de la société Charles Amand, aux frais de la société Kritsen, le coût de chaque insertion étant fixé à la somme de 4 500 euro, et ce au besoin, à titre de complément de dommages et intérêts,

* condamner la société Kritsen à verser à la société Charles Amand la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Considérant que Kritsen expose qu'elle a adopté en 1999 pour la commercialisation de produits traiteurs de la mer une présentation nouvelle d'emballage, de forme rectangulaire, sous lequel apparaissent deux tranches de terrine du produit proposé sous forme trapézoïdale ; que cet emballage, pour lequel elle a procédé à d'importants investissements industriels et marketing, se distingue de ceux de la concurrence en ce que les deux tranches de terrine sont totalement visibles ; que ces investissements ont été bénéfiques puisqu'elle est aujourd'hui en deuxième position sur le marché français des terrines à base de produits de la mer;

Considérant qu'elle soutient qu'un de ses concurrents Charles Amand a adopté cette même présentation de deux tranches visibles sous blister rectangulaire, en 2000, pour se placer dans le sillage des produits qu'elle avait elle-même lancés depuis peu sur le marché avec un succès grandissant, alors que les produits que Charles Amand diffusait auparavant sous la marque Ocelia ou sous la dénomination Charles Amand avaient des caractéristiques très différentes et qu'il ne peut être dit, comme l'a fait le tribunal que cette modification était une évolution dans la présentation des produits;

Qu'elle rappelle que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a pour corollaire le devoir de loyauté pesant sur chaque commerçant qui doit notamment adopter une stratégie commerciale qui vise à distinguer ses produits de ceux d'autrui ; qu'en l'espèce, Charles Amand ne justifie nullement des investissements réalisés pour l'élaboration de la présentation du nouveau produit; qu'elle a réalisé de manière illicite une économie injustifiée, puisqu'elle a repris à son compte les innovations de Kritsen afin de relancer "sans bourse délier", ses terrines de poisson;

Considérant qu'elle reproche également aux premiers juges de n'avoir pas retenu les actes de concurrence déloyale en faisant une comparaison entre les emballages, selon les différences et non pas suivant les ressemblances, alors qu'il résulte de cette comparaison l'existence d'un risque de confusion entre les produits commercialisés auprès d'une clientèle commune;

Considérant, cela exposé, qu'il sera relevé, ce qui ne fait pas l'objet de contestation, que Kritsen a lancé un nouveau produit en 1999 sous une présentation rectangulaire de deux tranches de terrine qui ne correspondait pas aux emballages précédents (de forme carrée ou rectangulaire dans un sens horizontal) ; que néanmoins, la présentation de deux produits visibles avait également été faite sous blister pour, notamment, des savarins par Charles Amand; qu'il est également constant que les investissements de Kritsen ont été importants pour lancer ce produit ; qu'il sera cependant relevé que ces investissements étaient nécessaires puisqu'il n'existait pas sur ce marché spécifique des produits traiteurs de la mer à la différence de Charles Amand;

Considérant que Charles Amand démontre également avoir procédé à la même période à des investissements pour adopter une nouvelle forme de présentation de deux tranches de terrine, traditionnellement de forme trapézoïdale, étant consciente de ce que son visuel précédent (deux tranches superposées) était imparfait;

Considérant qu'il ne peut, en conséquence, être retenu que sa volonté a été de se mettre, sans bourse délier, dans le sillage de son concurrent pour tirer profit de sa notoriété ;que le nouvel emballage est, comme l'a dit le tribunal, en réalité dans la ligne du précédent ;qu'il sera ajouté qu'il correspond à une évolution nécessaire pour montrer au consommateur les deux tranches de terrine de manière visible ;que la seule adoption d'une forme rectangulaire verticale pour cette présentation ne suffit pas à caractériser des actes de parasitisme, même si cette modification a eu lieu un an après le lancement des produits Kritsen;

Considérant sur les actes de concurrence déloyale résultant du risque de confusion entre les emballages, si, comme le soutient exactement Kritsen, le risque de confusion doit être apprécié eu égard aux ressemblances, il subsiste que c'est sans méconnaître cette règle que les premiers juges ont estimé que les ressemblances (en raison de l'importance de différences) n'étaient pas de nature à entraîner un risque de confusion, tenant ainsi compte de l'impression d'ensemble qui doit être faite;

Qu'il sera ajouté que les ressemblances invoquées sont relatives à la présentation rectangulaire, la forme trapézoïdale des tranches de terrine, le liseré de couleur encadrant le carton, le fond de couleur bleue ainsi que la représentation, en fond, d'une assiette

Mais considérant qu'outre le fait que le fond n'est pas identique (la position de l'assiette n'étant pas identique), le liseré de couleur saumon, ainsi que le fond bleu sont des caractéristiques des emballages précédemment commercialisés par Charles Amand;que la présentation sous blister rectangulaire de tranches de terrine ne suffit pas à provoquer un risque de confusion entre les produits qui, par ailleurs, se distinguent très clairement par les marques apposées et sur la couverture partielle d'une des tranches de terrine avec un emballage qui présente à ce niveau une forme de vague ;que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande;

Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en concurrence déloyale et parasitaire qui avait été formée par Charles Amand reprochant à son concurrent d'avoir repris la présentation sous vide des produits qui était due à son initiative ; que les premiers juges ont, en effet, estimé à juste titre que ce type de conditionnement s'imposait comme étant d'un usage courant sur ce segment de marché et que Charles Amand ne peut revendiquer une quelconque protection légale de ses efforts d'ouverture de marchés à ce type de présentation;

Considérant que l'intimée demande à nouveau en appel que soit prononcée la nullité du modèle n° 99 4766 déposé par Kritsen;

Mais considérant que dès lors que Kritsen n'a au cours de cette procédure pas invoqué le dépôt ainsi contesté, Charles Amand ne saurait en invoquer la nullité;

Considérant que l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'appel non compris dans les dépens;

Considérant que Kritsen qui succombe supportera la charge des dépens;

Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Kritsen aux entiers dépens; Autorise la SCP Roblin Chaix de Lavarenne, avoués, à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.