CA Bordeaux, 1re et 2e ch. réunies, 7 septembre 2004, n° 02-04506
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fiat Auto France (SA)
Défendeur :
Guérin (ès qual.), Landes Aquitaine Automobile (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Braud
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseiller Rapporteur :
M. Sabron
Conseiller :
Mme Larsabal
Avoués :
SCP Luc Boyreau, Raphaël Monroux, SCP Touton-Pineau, Figerou
Avocats :
Mes Lagrange, Schrimpf, Tourret.
Par lettre du 2 octobre 1998, la SA Fiat Auto France a avisé la société Landes Aquitaine Automobiles qui gère un garage à Mont-de-Marsan (Landes) et à laquelle avait été consenti à la fin de l'année 1996 un renouvellement de son contrat de concession de vente de véhicules automobiles, de ce que, celle-ci n'ayant pas fourni la garantie bancaire supplémentaire de 600 000 F réclamée dans un précédent courrier, elle apportait aux conditions d'exécution du contrat de concession des modifications consistant dans une "régulation" des livraisons des véhicules neufs et dans un paiement comptant des véhicules d'occasion.
Par acte du 27 octobre 1998, la société Landes Aquitaine Automobiles a fait assigner en application des dispositions de l'article 809 du NCPC la SA Fiat Auto France en référé devant le Président du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (Landes) pour qu'il soit ordonné à cette dernière, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, de livrer les véhicules actuellement en commande dans les termes et conditions fixées au contrat de concession et de lever le blocage des transactions informatiques à son égard.
Une ordonnance de référé du 19 novembre 1998 a accueilli cette demande en fixant l'astreinte, provisoire, à 2 000 F par jour de retard.
Sur appel de la société Landes Aquitaine Automobile, la Cour d'appel de Pau (Pyrénées Atlantiques) a confirmé la décision du Président du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (Landes), par arrêt du 1er juillet 1999.
La cour d'appel a estimé injustifié le motif tiré par la SA Fiat Auto France du refus de son concessionnaire de fournir une garantie bancaire de 600 000 F en complément de celle qui avait été apportée à hauteur de 400 000 F à la signature du contrat de concession.
Elle a rejeté un second moyen qui était fondé sur l'existence de livraisons impayées en relevant que "ces moyens, développés tant en première instance qu'en cause d'appel, relatifs à d'autres défaillances de la société Landes Aquitaine Automobile, étaient irrecevables en cause de référé en ce qu'ils tendaient à modifier les termes du litige".
La SA Fiat Auto France s'est pourvue en cassation contre cette décision qu'un arrêt de la Cour de cassation en date du 18 juin 2002 a cassé en toutes ses dispositions au visa des dispositions des articles 809 du nouveau Code de procédure civile et 1131 du Code civil (relatif à la cause des obligations).
La Cour de cassation a estimé qu'en statuant comme indiqué ci dessus, alors qu'il lui appartenait de se prononcer sur les inexécutions contractuelles qui pouvaient être de nature à justifier les mesures adoptées par la SA Fiat Auto France, la cour d'appel avait violé les dispositions sus-visées.
L'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Bordeaux qui a été saisie par la SA Fiat Auto France.
Entre temps, la société Landes Aquitaine Automobile a fait l'objet d'une mise en redressement judiciaire, ce par un jugement du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (Landes) en date du 16 novembre 2001, puis, par un second jugement de ce tribunal en date du 14 décembre 2001, d'une mise en liquidation judiciaire; un mandataire liquidateur a été désigné en la personne de Maître Dominique Guérin.
Par ailleurs, le Tribunal de grande instance de Paris qui avait été saisi par la société Landes Aquitaine Automobile, a rendu le 23 juin 2003 un jugement qui a prononcé la résiliation du contrat de concession, aux torts réciproques et "à dater du 9 septembre 1998".
Dans des conclusions récapitulatives du 16 mars 2004, la SA Fiat Auto France demande à la cour de renvoi d'infirmer l'ordonnance de référé rendue le 19 novembre 1998 par le Président du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (Landes) lui ayant imparti de livrer dans les termes et conditions fixés au contrat de concession les véhicules en commande et de lever le blocage des transactions informatiques de la société Landes Aquitaine Automobile.
Elle soutient que Maître Guérin, mandataire liquidateur de la dite société, serait irrecevable, pour défaut d'intérêt, à poursuivre l'exécution des mesures sus-visées en relevant que la société Landes Aquitaine Automobiles n'a plus d'activité et qu'au surplus la résiliation judiciaire du contrat de concession a été prononcée "à dater du 9 septembre 1998" par une décision qui serait aujourd'hui définitive.
Sur le fond, elle fait valoir qu'elle était fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution à l'égard de son concessionnaire dès lors:
- que d'une part, celui ci restait débiteur d'un encours s'élevant alors à plus de 600 000 F au titre de livraisons restées impayées en dépit de nombreuses mises en demeure, ce qui l'autorisait, selon elle, à limiter les livraisons de façon à ne pas pénaliser les autres concessionnaires;
- que, d'autre part, la société Landes Aquitaine Automobiles se refusait à fournir une garantie bancaire complémentaire que l'accroissement de son endettement permettait au concédant d'exiger en vertu de l'article 8-5 du contrat de concession.
La société appelante demande à la cour de débouter Maître Guérin, ès qualité, de ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions qui sont datées du 13 octobre 2003 Maître Guérin, mandataire liquidateur de la société Landes Aquitaine Automobile, sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée en ses dispositions relatives à l'astreinte qu'il demande à la cour de liquider.
Il fait objecter au moyen d'irrecevabilité soulevé par la SA Fiat Auto France que, nonobstant l'arrêt de l'activité de la société en liquidation judiciaire, l'intérêt de celle-ci à agir consiste dans la liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance critiquée.
Sur le fond, Maître Guérin se prévaut essentiellement des motifs du jugement du jugement du Tribunal de commerce de Paris qui a prononcé la résiliation du contrat de concession aux torts réciproques, motifs dont il résulterait:
- que la SA Fiat Auto France avait modifié sans délai et de façon brutale les conditions de paiement prévues par le contrat de concession;
- que la société concédante n'était pas fondée à modifier à compter du 2 octobre 1998 les conditions de livraisons de ses véhicules au prétexte d'un refus du concessionnaire de fournir une caution bancaire complémentaire.
Il sollicite le paiement d'une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Maître Guérin, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Landes Aquitaine Automobile, justifie d'un intérêt à poursuivre l'exécution de la décision déférée dès lors que celle-ci était assortie d'une astreinte ayant eu vocation à s'appliquer pour la période allant de son prononcé, en date du 19 novembre 1998, à la cessation d'activité de la société concessionnaire qui n'a été mise en liquidation judiciaire qu'à la fin de l'année 2001.
Peu importe par ailleurs que le Tribunal de commerce de Paris qui a statué sur le fond dans un jugement du 23 juin 2003 ait prononcé, aux torts réciproques, la résiliation du contrat de concession "à dater du 9 septembre 1998", date qui est celle d'une simple mise en demeure de payer le prix de véhicules revendus par la société concessionnaire, dès lors que, dans la réalité, les parties ont maintenu leurs rapports contractuels jusqu'au mois de mai 1999.
Les moyens d'irrecevabilité invoqués par la SA Fiat Auto France ne sont pas fondés.
Il est constant, le Tribunal de commerce de Paris le relève dans son jugement du 23 juin 2003 qui, sur le fond, a prononcé la résiliation du contrat de concession aux torts réciproques, que de nombreuses mises en demeure ont été adressées courant 1997 à la société Landes Aquitaine Automobile qui, en violation des obligations mises à sa charge par le contrat de concession, ne payait pas à l'échéance les véhicules qu'elle avait revendus à ses clients.
Deux nouvelles mises en demeure ont été adressées par la SA Fiat Auto France à la société concessionnaire les 5 septembre et 5 octobre 1998, date à laquelle le montant des impayés s'élevait à environ 600 000 F; ces mises en demeure, délivrées au cours des années 1997 et 1998 à la suite de contrôles du stock, sont produites aux débats par la société appelante.
La société Landes Aquitaine Automobile avait été avisée de ce que la société concédante envisageait de modifier ses conditions d'approvisionnement au motif que les véhicules revendus ne lui étaient pas payés à l'échéance contractuellepuisque dans un courrier du 9 février 1998 qui lui avait été adressé en réponse au reproche selon lequel une telle mesure n'aurait pas obéi à des considérations objectives, la SA Fiat Auto France avait justifié sa position par le dit motif, décrit comme étant constitutif d'un "manquement grave et répété tout au long de l'année 1997 au contrat de concession".
Le contrat de concession permettait au concédant, aux termes de son article 6.2.6 de procéder à tout moment et sans préavis à la résiliation "de plein droit" du contrat de concession dans l'hypothèse où le concessionnaire ne procédait pas au règlement à l'échéance des sommes dont il était redevable.
La mesure de régulation des livraisons des véhicules neufs dont la société concessionnaire a demandé la levée au juge des référés n'avait pas dès lors un caractère disproportionné.
Par ailleurs, il est indifférent que dans la lettre du 2 octobre 1998 par laquelle elle a avisé la société concessionnaire de sa décision de réguler les livraisons de véhicules neufs et rappelé que les véhicules d'occasion devaient être payés comptant, la SA Fiat Auto France n'ait fait état que d'un refus de fournir une garantie bancaire supplémentaire, motif que, dans le jugement sur le fond sus-visé, le Tribunal de commerce de Paris a considéré non justifiée la différence de celui ayant trait au défaut de paiement des véhicules revendus à des clients,
En effet, l'exigence d'une garantie bancaire complémentaire était directement liée au fait que le concessionnaire avait laissé se creuser une dette importante en s'abstenant de payer à l'échéance les véhicules revendus à ses clients et la société Landes Aquitaine Automobile savait parfaitement, ce motif lui ayant été exposé dans la lettre sus-visée du 9 février 1998, que le reproche essentiel fait par la société concédante consistait dans les retards de paiement des véhicules livrés.
Il résulte des observations ci dessus que la SA Fiat Auto France était fondée, devant les manquements graves commis par son concessionnaire dans l'exécution du contrat de concession, à "réguler", de manière à éviter un accroissement de l'endettement de ce dernier à son égard, les livraisons de véhicules neufs, ainsi qu'à exiger un paiement comptant des véhicules d'occasion.
Il y a lieu d'infirmer l'ordonnance de référé rendue le 19 novembre 1998 par le Président du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (Landes) et de débouter Maître Guérin, ès qualité, de sa demande en liquidation de l'astreinte prononcée par la dite décision.
Il n'y a pas lieu, compte tenu de la mise en liquidation judiciaire de la société intimée, de prononcer la condamnation prévue par l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens.
Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme l'ordonnance de référé rendue le 19 novembre 1998 par le Président du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsant (Landes). Dit que les mesures prises par la SA Fiat Auto France étaient justifiées au regard des manquements graves dont la société Landes Aquitaine Automobile s'était rendue responsable dans l'exécution du contrat de concession. Déboute Maître Dominique Guérin, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Landes Aquitaine Automobile de sa demande en liquidation de l'astreinte prononcée par la décision déférée. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Dit que les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la liquidation judiciaire de la société Landes Aquitaine Automobile et autorise la SCP Boyreau-Monroux, avoués associés de la société Fiat France, à recouvrer comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.