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Décisions

CCE, 10 août 1992, n° M.206

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Rhône-Poulenc/Snia

CCE n° M.206

10 août 1992

Messieurs,

Objet: Affaire n° IV/M.206 - Rhône-Poulenc/Snia.

Votre notification du 08.07.1992 en application de l'article 4 du règlement du Conseil n° 4064-89

1. Le 8 juillet 1992, Rhône-Poulenc S.A. (R.P.) et Snia Fibre SpA ont notifié à la Commission un accord dont l'objet est de créer une entreprise commune (EC), dénommée Novalis Fibre BV (Novalis), dans laquelle les parties regrouperont toutes leurs activités dans le domaine des fils BCF et de la fibre polyamide.

2. Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du Règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.

3. Les parties

RP est un holding contrôlé directement par l'Etat français qui détient 56,41% des actions et 71,68% des droits de vote. Les sociétés concernées par la présente opération sont Rhône- Poulenc Fibre et Rhône-Poulenc Nordfaser, toutes les deux contrôlées à 100% par RP.

Le groupe Rhône-Poulenc est actif dans les secteurs des produits intermédiaires organiques et minéraux, des spécialités chimiques, des fibres et polymères, de la santé et de l'agrochimie.

Snia est une société admise à la cote officielle, son actionnaire majoritaire étant Snia BPD SpA (77,68%). Snia BPD SpA est contrôlée par Sicind SpA qui, tout en détenant moins de la moitié du capital social (45,24%), a le pouvoir de nommer plus de la moitié des membres du Conseil d'Administration de Snia BPD. Sicind est une filiale à 100% de Fiat SpA. Les principales activités de Snia comprennent la production et la vente de fils et fibres polyamides.

4. Dimension communautaire

Aussi bien les chiffres d'affaires de Rhône-Poulenc que ceux de Fiat sur le plan mondial et sur le plan communautaire ont dépassé en 1991 respectivement les montants de 5 milliards et de 250 Millions d'Ecus. Les entreprises concernées n'ont pas réalisé plus de deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaire à l'intérieur d'un seul et même Etat membre. Il s'ensuit que l'opération est de dimension communautaire.

5. L'opération

5.1. Contrôle en commun

L'EC sera contrôlée en commun par Rhône-Poulenc et par SNIA. Aucune des deux entreprises fondatrices ne pourra déterminer seule la politique commerciale de l'EC. Les statuts prévoient d'une part la présence d'un membre de chacune des entreprises mères et d'autre part une règle de prise de décision à l'unanimité au Comité de Direction. En conséquence, les décisions stratégiques relatives à la conduite financière, industrielle et commerciale de l'EC devront nécessairement résulter d'un accord de RP et Snia.

5.2. Autonomie de la nouvelle entreprise

L'objectif de l'EC sera le développement, la production, la stratégie commerciale et la vente des fils et fibres polyamides. Novalis accomplira de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome. L'EC est créée pour une durée illimitée et sera dotée de tous les moyens matériels et financiers, des droits de propriété industrielle de toute nature liés aux produits concernés, tels que brevets, savoir-faire technique ou commercial, pour être viable par ses propres moyens et être en mesure d'intervenir sur le marché comme fournisseur et acheteur indépendant.

5.2.1. RP et Novalis conclueront un contrat de fourniture [secret d'affaires] de matières premières pour le sel nylon d'une durée de [non supérieure à 5 ans.]. Ce contrat est justifié par le fait qu'en son absence l'EC pourrait rencontrer de grandes difficultés d'approvisionnement sur le marché du sel nylon. En effet, il n'y a que quatre producteurs de sel nylon en Europe, et 86% de la production est autoconsommée. D'autre part, Snia et Novalis conclueront un accord aux termes duquel Snia négociera dans l'intérêt de l'EC et à sa demande, les achats de caprolactam de l'EC, [secret d'affaires].

De plus, Novalis et les sociétés fondatrices conclueront des accords ayant pour objet l'occupation de certains sites, la fourniture d'utilités comme la fourniture d'électricité, de vapeur et de évacuation des eaux usées, la prestation de certains services tels que le gardiennage et les services informatiques, fiscaux légaux et de comptabilité. Enfin, Novalis et les sociétés-mères conclueront des accords ayant pour objet la fourniture des fibres polyamides produites dans les trois unités non-transférées (voir point 8.3.).

Etant donné leur caractère accessoire tous ces contrats ne sont pas de nature à remettre en cause l'autonomie de l'EC, puisqu'ils ne permettront pas aux sociétés mères d'exercer une influence significative sur Novalis.

Par conséquence, il apparaît que l'EC accomplira de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome.

5.3. Absence de coordination du comportement concurrentiel

RP et Snia se retireront des marchés affectés par l'opération notifiée après avoir transféré à la nouvelle EC toutes leurs activités dans les domaines des fils et fibres polyamides, à l'exception de trois installations: l'installation Snia de Cesano Maderno et les deux installations RP, de Blanes et Rottweil. [secret d'affaires] De plus, toute la production de ces installations sera vendue à l'EC, laquelle se substitue aux entreprises fondatrices pour les activités en cause. Il est d'autre part très improbable que RP et SNIA puissent rentrer à nouveau sur les marchés affectés par la concentration, compte tenu des coûts qu'elles auraient à encourir et qui sont trop importants par rapport aux volumes que représentent ces marchés.

5.3.1. RP conservera aussi en propre les installations de sa filiale

brésilienne qui est exclusivement active sur le marché latino-américain qui doit être considéré comme un marché géographique distinct (voir point 6.3 ci-dessous). Il s'ensuit qu'il n'y aura pas de risque de coordination entre la filiale brésilienne de RP et l'EC.

6. Compatibilité avec le Marché commun

6.1. Marchés des produits en cause

Le polyamide est principalement utilisé dans trois grands domaines d'application, le tapis, le textile et les applications industrielles. De par les activités transférées à l'entreprise commune, les applications concernées sont:

a) les fils et fibres pour tapis;

b) les fibres pour filature à usage de renfort textile (à ne pas confondre avec le grand marché du filament textile de polyamide, utilisé par exemple pour les bas);

c) les fibres pour le secteur du "non-tissé";

d) les fibres pour le flock.

Les fibres de filature à usage de renfort textile sont utilisés essentiellement en renfort minoritaire dans les filés laine/polyamide (ex. 80% laine, 20% polyamide). Ces filés sont utilisés essentiellement en bonneterie (chaussettes, tricots), en raison du fait que le polyamide apporte une qualité de forte résistance à l'abrasion.

Le non-tissé est une fibre coupée qui présente l'apparence d'un tissu. La fibre est d'une longueur de 20 à 100 mm. Le non-tissé comprend une gamme d'applications techniques des fibres polyamide non-filées comme, par exemple, les triplures (confection masculine et féminine), les surfaces abrasives et les feutres à papeterie.

Bien que d'autres fibres moins chères comme le polyester (environ 30% moins cher que le polyamide) soient utilisées dans le non-tissé et le renfort textile, le polyamide continue à être largement utilisé du fait de sa performance technique supérieure (résistance et douceur). De plus, dans le contexte de l'usage textile, le polyamide a l'avantage par rapport aux autres fibres moins chères de pouvoir être teinté comme la laine.

En ce qui concerne le flock, il s'agit de surfaces sur lesquelles sont fixées par une technique de projection électrostatique des fibres de polyamide. Le flock permet la réalisation de surfaces à aspect velours (usage automobile, ameublement). Il est utilisé en raison de ses caractéristiques de résistance à l'abrasion et à l'eau ainsi que de sa teignabilité.

Tant Rhône-Poulenc que Snia produisent des fils et fibres pour le tapis, le non-tissé et le renfort textile. Rhône-Poulenc est le seul à produire également des fibres pour le flock. L'une et l'autre des parties produisent également du filament polyamide à garnissage textile, mais ces activités ne sont pas transférées à l'EC.

6.2. Les fils et fibres correspondant à chacune de ces applications présentent des propriétés particulières relatives à leur qualité, leur poids, leur épaisseur, leur douceur ou leur résistance. En particulier, les décitex requis varient à l'intérieur de fourchettes particulières à chacune de ces applications: pour la fibre destinée au tapis, il est compris entre 6 et 25; pour l'usage textile, il est compris entre 1.1. et 3.3, pour l'usage technique, il peut même être inférieur à 1.1.

En outre, à chacune de ces applications correspondent généralement des clients et des acteurs économiques différents.

Cependant, la question de savoir si chacune des applications des points a), b), c) et d) correspond à un marché distinct peut demeurer ouverte dans la mesure où même si tel était le cas l'appréciation de l'opération ne s'en trouverait pas modifiée sur la question de savoir si cette opération crée ou renforce une position dominante.

6.3. Marché géographique en cause

Les marchés géographiques en cause sont communautaires: les politiques d'approvisionnement des fabricants de tapis et des autres utilisateurs des fibres polyamides ne sont pas nationales mais procèdent d'achat de fils et de fibres dans les différents pays de la Communauté. D'un autre côté, les marchés ne sont pas plus larges que la Communauté: les importations d'origine extra-communautaire ne représentent qu'un volume inférieur à 10%. Elles attestent le degré d'interpénétration mutuelle relativement faible entre le marché de la Communauté et d'autres zones telles que l'Amérique du Nord et l'Extrême-Orient. La raison principale en est la nécessité pour les clients d'entretenir des rapports étroits avec leurs fournisseurs. De plus, un droit de douane de 9% est perçu sur les importations des fils et fibres d'origine extra-communautaire.

7. Appréciation de l'opération

7.1 Du fait de l'addition des parts de marché, des quatre applications qui pourraient être considérées comme des marchés concernés par l'opération, seuls les fils et fibres pour tapis, l'usage textile et le non-tissé font l'objet de la présente appréciation.

7.2. Le marché des fils et fibres pour tapis

A la suite de cette concentration, la part de marché de la nouvelle entité atteindrait [en dessous de 25%.] (Rhône-Poulenc [en dessous de 25%.], SNIA [en dessous de 10%.]) soit un ordre de grandeur similaire aux parts de marché de Du Pont et de ICI. De plus, le pouvoir de marché de Du Pont et de ICI paraît être supérieur à ce qu'indique le niveau de leur part de marché. En effet, tant Du Pont qu'ICI semblent détenir sur ce marché des avantages concurrentiels en termes de recherche et développement, de gamme de produits et de renommée en matière de qualité et de fiabilité, ce qui accroîtrait le pouvoir qui résulte de leur position sur ce marché. Enfin, outre ces deux concurrents importants, sont également présents d'autres offreurs, en particulier Aquafil, Radici, Akzo et Allied Signal. En conséquence, l'opération ne crée pas une position dominante individuelle.

7.2.1. Compte tenu du taux de concentration atteint sur ce marché après la réalisation de cette opération - les deux tiers environ du marché seraient détenus par les trois premières entreprises - il convient également d'examiner si cette concentration ne conduirait pas à la création ou au renforcement d'une position dominante oligopolistique.

7.2.2. Le Marché communautaire des fils et fibres pour tapis présente des caractéristiques structurelles qui ne sont pas propres à engendrer des parallélismes de comportement résultant d'une interdépendance oligopolistique [La présente analyse est fondée sur la situation actuelle du marché. La Commission est en train d'examiner l'acquisition envisagée des activités nylon d'ICI par Du Pont, qui a été notifiée au titre du Règlement concentrations. Le résultat de l'examen de cette affaire par la Commission n'affecte pas l'analyse de l'affaire Rhône- Poulenc/SNIA.]:

i. les fils et fibres pour tapis constituent de par leur variété, un marché de produits différenciés: les fils et fibres polyamides pour tapis, en particulier dans leurs segments de haute qualité, sont des produits recherchés par les fabricants de tapis pour leurs propriétés particulières en fonction des types de modèles qu'ils souhaitent lancer sur le marché. Il existe ainsi une gamme très large des fils et fibres qui permet de répondre aux objectifs que cherchent à atteindre les fabricants de tapis et qui peuvent s'exprimer par de multiples paramètres ("rendu" et toucher des tapis, esthétique, qualités de résistance et d'entretien, etc.).

ii. l'innovation et le développement de nouveaux produits jouent un rôle essentiel dans la dynamique du marché: les recherches technologiques des producteurs de fibres en liaison avec les fabricants de tapis sont donc constantes et des ressources importantes sont allouées pour que la gamme proposée soit en constante adéquation avec les besoins spécifiques de la clientèle.

iii. enfin, pour les raisons exposées au point 7.2. ci-dessus, les positions des principales entreprises du marché ne sont pas équilibrées.

Du fait de ces caractéristiques de marché, la concurrence ne s'exerce pas uniquement en fonction des prix mais également en fonction de la qualité, de l'innovation et de la différenciation de ce type de produit (caractéristiques techniques exigées par le client, affinités tinctoriales, assistance technique dans l'application du produit etc.). En conséquence, une interdépendance oligopolistique entre les concurrents ne semble pas probable dans ce marché.

7.2.3. De plus, le projet de concentration entre Rhône-Poulenc et Snia n'aurait pas, dans ce contexte, pour effet de réduire les possibilités de concurrence entre les trois premières entreprises mais pourrait améliorer la structure concurrentielle du marché. Bien que ne détenant pas les mêmes atouts concurrentiels que les deux leaders en termes de technologie, recherche et développement et qualité, l'ensemble Rhône-Poulenc/Snia pourrait cependant être dans une meilleure position pour concurrencer Du Pont et ICI.

En conséquence, il n'y a pas lieu de s'attendre à ce que la concentration envisagée crée ou renforce une position dominante oligopolistique.

7.3. Les secteurs de la fibre à usage textile et du non tissé

Malgré les positions atteintes dans ces secteurs par la nouvelle entité, respectivement de [en dessous de 50%.] (RP [en dessous de 45%.]; SNIA [en dessous de 10%.]) et de [en dessous de 45%.] (SNIA [en dessous de 40%.], RP [en dessous de 10%.]), cette opération ne crée pas de position dominante pour les raisons suivantes:

. en premier lieu, d'autres concurrents sont présents, en particulier ICI avec une part d'environ 30% et 20% respectivement. De plus, il ressort des investigations qu'ICI détient dans ces domaines une renommée d'avance technologique et de fiabilité;

. en second lieu, dans le secteur du non-tissé figure l'entreprise suisse EMS-Chemie AG dont la part de marché s'est considérablement accrue les derniers années pour atteindre environ 20%. EMS est aussi connue pour avoir acquis une spécialisation et un savoir-faire recherchés;

. en troisième lieu, sont réunies dans ces deux domaines des conditions favorables à une concurrence potentielle de la part des producteurs de fibres pour tapis: en effet, les fibres polyamides pour tapis, pour les usages textiles et pour le non-tissé sont issues de la même technologie de base. Il suffirait à un fabricant de fibres pour tapis de modifier les caractéristiques d'extrusion de ses machines pour entrer dans les deux autres domaines d'application. Ces adaptations techniques requièrent un délai très court (inférieur à une journée) et des coûts assez faibles. En conséquence, à supposer même que la nouvelle entité envisagerait une augmentation de ses prix, elle créerait des conditions favorables d'entrée qui remettraient en cause la profitabilité de cette politique.

7.3.1. Pour les mêmes raisons, tenant aux caractéristiques structurelles de ces secteurs, que celles qui sont exposées au point 7.2.2. pour les fils et fibres de tapis, le projet de concentration ne crée ni ne renforce de position dominante oligopolistique.

8. Restrictions accessoires

8.1. Les accords mentionnés au point 5.2.1 ci-dessus et concernant l'approvisionnement en matières premières (sel nylon et caprolactam) doivent être considérés comme des restrictions accessoires à l'opération notifiée et, par conséquent, couvertes par la présente décision.

Le contrat de fourniture du sel nylon, [Secret d'affaires] répond tout d'abord à la nécessité d'assurer à l'EC la continuité et la sécurité dans ses approvisionnements, qui seraient autrement problématiques compte tenu de l'étroitesse du marché libre du sel nylon. En outre, il répond à l'exigence pour RP d'assurer la continuité d'une partie de ses débouchés pendant une période transitoire [Secret d'affaires].

Le contrat d'achat de caprolactam par Snia pour le compte de l'EC répond également à l'intérêt de maintenir pour les parties des conditions d'approvisionnement aussi favorables qu'auparavant pendant une période transitoire, [Secret d'affaires] et, pour cette période, ce contrat doit aussi être considéré comme accessoire à l'opération.

8.2. La clause de non-concurrence prévue par le "Shareholders agreement" doit elle aussi être qualifiée de restriction accessoire car elle vise à exprimer la réalité du retrait durable des fondateurs du marché assigné à l'entreprise commune.

8.3. Les accords établis en faveur de l'EC et ayant pour objet l'occupation de certains sites pour une durée de 30 ans, la fourniture d'utilités physiquement liées à l'occupation des sites pour une durée de 10 ou 15 ans selon les cas, et la fourniture de fibres par les trois unités de production qui ne sont pas apportées à l'EC pour une durée de 3 ans peuvent être considérés comme faisant partie intégrante de la concentration.

9. Conclusion

Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché Commun. Cette décision est prise sur la base de l'article 6(1)b du Règlement du Conseil n° 4064-89.