Conseil Conc., 15 septembre 2004, n° 04-D-44
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine présentée par le Ciné-Théâtre du Lamentin dans le secteur de la distribution et de l'exploitation de films
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Deparis, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Aubert, Perrot, MM. Bidaud, Charrière-Bournazel membres.
Le Conseil de la concurrence (section 1),
Vu la lettre enregistrée le 9 mars 2000 sous les numéros F 1216 et M 272 et les mémoires complémentaires enregistrés les 2 mai et 28 juin 2000 par lesquels le Ciné-Théâtre du Lamentin a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Filmdis-Circuit Elyzé, qu'il estime anticoncurrentielles ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle, et notamment son article 92, et le décret du 9 février 1983 portant application des dispositions de l'article 92 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 ; Vu l'avis du médiateur du cinéma en date du 19 septembre 2000 ; Vu les observations présentées par le Ciné-Théâtre du Lamentin et les sociétés Filmdis et Cinésogar, ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Ciné-Théâtre du Lamentin et des sociétés Filmdis-circuit et Cinésogar SA, entendus lors de la séance du 22 juin 2004 ; Le médiateur du cinéma, les représentants du Centre national de la cinématographie (CNC) et de l'Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 alinéa 2 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. Le secteur concerné et les entreprises
1. Dans les départements des Antilles françaises, l'activité cinématographique s'exerce dans des conditions différentes de celles qui prévalent dans la métropole.
2. En premier lieu, la réglementation édictée par le Centre national de la cinématographie (CNC), créé en 1946 et chargé du contrôle de l'activité cinématographique en France métropolitaine, n'est pas applicable dans ces départements. En effet, avant l'alignement des DOM sur le régime des départements métropolitains, l'extension aux DOM des textes applicables en métropole devait être expressément prévue dans des décrets d'application. Or, la loi du 25 octobre 1946, instituant le CNC, a été promulguée le 26 octobre 1946, soit deux jours avant cet alignement et sans prévoir d'extension de ses dispositions aux DOM. En conséquence, ni cette loi ni les textes importants pris dans le cadre de la réglementation du CNC n'ont pu être mis en vigueur dans les départements d'outre-mer, notamment ceux relatifs au contrôle de la billetterie. Il est, de ce fait, impossible d'avoir un état précis du nombre d'entrées par salles et par films dans les Antilles ; il en résulte une absence de régulation du secteur tout à fait dérogatoire au droit commun et une opacité des secteurs de la distribution de films et de l'exploitation des salles de cinéma.
3. En revanche, le médiateur du cinéma, autorité administrative indépendante, créée par la loi du 29 juillet 1982 pour résoudre les différends relatifs à la diffusion des films, est compétent dans les départements d'outre-mer ; il a été saisi, à trois reprises, des litiges faisant l'objet de la présente décision du Conseil.
4. En second lieu, les entreprises cinématographiques telles qu'UGC, Gaumont, Pathé ou MK2 n'exercent pas d'activité de distribution ou d'exploitation de salles dans les Antilles françaises. Il n'existe aucun producteur implanté aux Antilles et les distributeurs et exploitants de salles sont des sociétés indépendantes, distinctes de ces grands groupes métropolitains.
5. Enfin le secteur du cinéma, géographiquement plus restreint et distant de la métropole, présente, dans les DOM, une configuration particulière ; les habitants y bénéficient notamment d'un pouvoir d'achat moins élevé. Initialement, dans ces départements, les exploitants des salles de cinéma les plus importants étaient leurs propres distributeurs et s'adressaient directement aux distributeurs métropolitains ou étrangers pour assurer l'exploitation des films dans leurs salles ; les exploitants de salles s'échangeaient ensuite les films entre eux ou se les rétrocédaient.
1. La distribution de films dans les Antilles françaises
6. Dans les trois départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, la distribution de films est assurée par la société Filmdis, domiciliée au 106 bis, rue Victor Sévère à Fort-de-France (Martinique). Cette société, créée le 31 octobre 1983, est une SARL dont 97,5 % des parts sont détenues par la société Holding Médiagestion et dont M. Jean-Max X... est le gérant.
7. La famille X... dirige plusieurs entreprises, selon les déclarations de M. Jean-Max X..., lui-même :
* " Maison mère : Société Mediagestion
* Société de distribution : Filmdis Sarl, qui achète pour les trois départements français d'Amérique, les droits de diffusion cinématographique payante en salle :
- en Martinique : CCEL et Madiana-Congrès ;
- en Guadeloupe : Cinesogar et d'Arbaud ;
- en Guyane : SGS.
Toutes ces entreprises sont majoritairement détenues par la famille X... ".
8. La société Médiagestion est une société anonyme au capital de 250 000 francs présidée par M. Jean-Max X... ; son objet social est la gestion de participation et de fonds de commerce. Elle est domiciliée à l'adresse du nouveau complexe de salles de cinéma " Madiana " exploité par la famille X... en Martinique. Cette maison-mère détient des participations dans les différentes sociétés assurant la distribution de films et l'exploitation de salles de cinéma dans les Antilles.
9. La société Filmdis achète les droits de diffusion des films auprès des producteurs métropolitains ou étrangers, pour les trois départements français d'Amérique. L'article 2 de ses statuts précise que :
" La société a pour objet dans le monde entier et plus spécifiquement aux Antilles et dans les Territoires d'Outre-mer :
* la distribution et l'exploitation, par tous moyens et à tous les stades du circuit de commercialisation, de tous supports de spectacles ou de publicité par moyens cinématographiques ou audiovisuels ;
* la cession ou la concession des droits attachés à ces moyens ;
* la prise de participation par toutes opérations juridiques dans les sociétés ayant le même objet ou une activité similaire. Et plus généralement toutes opérations commerciales industrielles ou financières, mobilières et immobilières se rattachant directement ou indirectement à cet objet en totalité ou en partie ".
10. La société Filmdis, qui assure l'activité de distributeur en Martinique, est relayée en Guadeloupe par la société Cinésogar et en Guyane par la Société guyanaise des spectacles (SGS).
11. En Guadeloupe, la SA Cinésogar, domiciliée au cinéma Rex, rue René Wachter, 97110 Pointe-à-Pitre, assure des activités de distribution, en liaison avec la société Filmdis avec laquelle elle est liée par une convention. La société Cinésogar, au capital de 2 212 000 francs, a comme principal actionnaire la SA Médiagestion, qui détient 95 % de son capital social. M. Jean-Max X... en est le président du conseil d'administration et M. Jean-Jacques Y..., le directeur. Son objet social est, selon l'article 2 de ses statuts modifiés le 28 décembre 1995, " l'exploitation aux Antilles de salles de représentations, de cinémas, la sous-location des films, l'acquisition, la vente, la cession et la prise à bail de tous immeubles, meubles et matériels, nécessaires à l'exploitation cinématographique aux Antilles, et généralement, la création, l'administration de tous établissements se rapportant aux activités et aux objets susvisés et aussi toutes opérations industrielles, commerciales ou financières pouvant se rattacher directement ou indirectement au but que se propose la Société ". La société Filmdis a passé une convention, en 1983, avec la société Cinésogar conférant à cette dernière une fonction de sous-distributeur en Guadeloupe. L'article 10 de cette convention dispose : " sous-distribution : la société Cinésogar est mandatée par Filmdis pour assurer physiquement le fonctionnement du dépôt, le dédouanement des films et la location aux exploitants des communes. Pour le compte de la société Filmdis, la société Cinésogar assurera la programmation des exploitants indépendants, établira les factures correspondant à la fourniture des films et des affiches et les encaissera. En rémunération de ce service, Filmdis reversera 7 % des sommes encaissées au titre des locations de films pour le territoire où s'effectue la distribution "
12. En Guyane, la distribution de films est assurée par la Société guyanaise des spectacles (SGS), SARL au capital de 300 000 francs, dont le gérant est M. Jean-Max X.... La SGS est détenue à 99,8 % par la société Argos, dont M. Jean-Max X... est également le gérant. Cette société assure parallèlement l'exploitation, en Guyane, de deux ensembles cinématographiques à Cayenne et à Kourou.
2. L'exploitation des salles dans les Antilles françaises
13. A la date de la saisine et de l'enquête, les salles de cinéma des trois départements des Antilles se répartissaient, en deux groupes, les salles du groupe et les salles indépendantes, généralement des salles municipales.
a) Martinique
14. En Martinique , la CCEL (Circuit cinématographique ), société anonyme au capital de 846 000 francs, composée des différents membres de la famille X... et présidée par Monsieur Jean-Max X..., a pour objet l'exploitation des salles de cinéma suivantes :
* L'Elyzé, à Saint-Pierre (Nord Caraïbes), offre 130 places et 8 séances par semaine, au tarif de base de 35 francs ;
* L'Eden de Trinité offre 213 sièges et 8 séances hebdomadaires au tarif de base de 35 francs ;
* L'Olympia à Fort-de-France comprend 461 sièges répartis dans 3 salles, dont une est équipée en son " THX ". Les salles assurent 40 séances par semaine au tarif de base de 45 francs ;
* Le Ciné-Théâtre situé au centre-ville de Fort-de-France, possède une seule salle de 146 sièges, mais offre 33 séances hebdomadaires, au tarif de base de 45 francs.
15. Depuis octobre 98, à Schoelcher, commune mitoyenne de Fort-de-France, le Palais des congrès de Madiana a ouvert ses portes. Cette société anonyme au capital de 32 000 000 francs dénommée " Madiana congrès ", est détenue par les différents membres de la famille X... et a pour objet : " L'exploitation d'un complexe de salles de cinéma (le Madiana) et de congrès et toutes autres activités se rapportant à l'article 199 undecies 238 bis H A du Code général des impôts, hôtellerie de tourisme aménagement et équipement de sites touristiques ". Ce complexe comprend dix salles, de 111 à 417 places, toutes équipées en son " THX ", dans un espace regroupant un nombre conséquent d'activités et de services. 2 279 sièges sont disponibles pour une moyenne de 40 séances par jour. Le tarif de base était à l'époque de l'enquête de 45 francs. Aucune salle n'est implantée dans le sud de l'île.
16. Les salles indépendantes sont les suivantes :
* L'Excelsior, de Sainte-Marie, est une salle communale gérée en régie par une société d'économie mixte, la SEMA. Un marché pour la fourniture et la programmation de films a été passé avec la société Filmdis. Cette salle offre 239 sièges et prévoit 11 séances par semaine. Le tarif de base est de 42 francs ;
* L'Etoile du Morne Rouge est située dans le Nord de l'Ile, à proximité de la ville de Saint-Pierre ; cette salle de 205 places est exploitée depuis le 1er juillet 2000 par l'office du tourisme et de la culture de la commune. Les tarifs sont de 30 francs pour les adultes et de 20 francs pour les enfants. Le nombre de séances offertes est fixé à 4 par semaine ;
* Le cinéma des Anses d'Arlet est situé dans le Sud-Ouest de l'île, dans une commune enclavée. C'est une petite salle de quartier comportant 90 places ; le confort y est minimum et l'appareillage technique ancien. Les quatre séances prévues par semaine sont souvent annulées en raison du faible nombre de spectateurs ;
* Le Miroir du Vert-Pré, situé dans une commune essentiellement rurale, offre une salle de 248 sièges, qui assure épisodiquement les séances (1 ou 2 par quinzaine) en raison du très faible nombre de spectateurs. Le prix de la séance est fixé à 30 francs ;
* La salle audiovisuelle du Marin est une salle municipale de 120 places qui fait occasionnellement office de salle de cinéma.
b) Guadeloupe
17. Chacun de ces exploitants a signé une convention le liant avec la société Filmdis.
18. En Guadeloupe, la société Cinésogar appartenant au groupe exploite 2 ensembles cinématographiques à Pointe-à-Pitre : " Le Rex " composé de 4 salles de 350, 198, 192 et 99 sièges et " La Renaissance " composé de 2 salles de 452 et 131 sièges. Elle exploite, par ailleurs, deux salles du cinéma " D'Arbaud " à Basse-Terre.
19. Les salles indépendantes sont les suivantes :
* l'Image du Gosier, salle de 120 places, ouverte depuis octobre 1999 ;
* le Majestic de Capesterre-Belle-Eau, salle de 250 sièges ;
* la salle municipale de Saint-François, d'une capacité de 100 places ;
* les salles El Rancho à Grand-Bourg, Marie-Galante et Sandy Ground à Saint-Martin (il s'agit là d'îles relativement éloignées de la Guadeloupe) ;
* Le cinéma de plein air sur l'île de Saint-Barthélémy ;
* Le Ciné-Théâtre du Lamentin, salle municipale de 332 places inaugurée en 1993, dont l'exploitant M. Z..., est le saisissant. Cette salle est située à peu de distance de Pointe-à-Pitre, environ 12 km ;
* L'office municipal des affaires culturelles et sportives de la ville du Moule ; selon les déclarations de son directeur, M. A..., cette salle, antérieurement exploitée par le groupe Filmdis, avait été fermée à la suite du passage du cyclone Hugo.
c) Guyane
20. En Guyane, la Société guyanaise des spectacles (SGS) exploite le cinéma " l'Eldorado " de Cayenne composée de deux salles de 231 et 96 places, dont une équipée en moyens " THX ", et " l'Urania " à Kourou, composée de deux salles de 350 et 146 places.
21. La seule salle indépendante est exploitée par M. B..., en entreprise individuelle, depuis une douzaine d'années. Il s'agit d'une salle de cinéma à l'enseigne " Le Toucan ", située au centre de Saint Laurent du Maroni, commune distante d'environ 200 kilomètres de Kourou et de 260 kilomètres de Cayenne, ce qui correspond à des trajets routiers de l'ordre de deux à trois heures. Cette salle est d'une capacité de plus de 200 places, à 35 francs la place. Les horaires d'exploitation se limitent à une seule séance quotidienne, à 20 heures.
3. Les relations des distributeurs avec les exploitants de salles
22. La rémunération de la location des films fournis par les sociétés de distribution Filmdis, SGS et Cinésogar aux exploitants de salles de cinéma, est effectuée soit en pourcentage des recettes réalisées par l'exploitant soit au forfait.
23. Pour la plupart des salles, les sociétés sous-distributrices concluent avec l'exploitant un contrat qui stipule que la rémunération du distributeur est proportionnelle au volume des recettes réalisées par l'exploitant, à l'image du système mis en place en métropole. Afin de maximiser ses recettes, la société distributrice programme ses films et les attribue aux salles en fonction du niveau de recettes attendues de chaque salle. Des moyens de suivi et de contrôle quotidiens sont mis en place en conséquence. L'ordre de passage des films doit se faire en fonction de la qualité des établissements, tout en tenant compte de leur localisation et de la capacité des salles pondérée par le nombre de séances. Il s'y ajoute une contribution au frais de lancement, égale à 5 % de la recette-guichet pour les salles de premier rang qui assurent l'économie générale de l'activité et bénéficient, sauf exception, de la première exclusivité.
24. Pour les autres salles, des contrats à forfait sont établis comportant la fourniture de 1 ou 2 films loués à la semaine. Aucun suivi ni contrôle n'est exercé et l'exploitant (association ou personne physique) utilise le film comme il l'entend. C'est sous un contrat à forfait que Monsieur Z... exploite la salle du Lamentin.
B. Les faits relevés
1. L'exclusivité de distribution des sociétés Filmdis et Cinésogar
25. Les sociétés Filmdis et Cinésogar s'avèrent les distributeurs exclusifs des films dans les départements des Antilles.
26. En effet, il résulte d'un document remis par Filmdis, intitulé " note n° 1 le cinéma aux Antilles ", que " après la cessation des activités de la SECA en 1982 qui fait suite à celle des circuits CONRAD Malval et Saliba, seule la société Filmdis subsiste en tant que distributeur de films et assure l'approvisionnement des salles commerciales... Les relations ainsi établies de M. Maxence X..., ont conduit à développer des activités d'exploitants en Guadeloupe puis en Guyane et à fédérer d'autres exploitants afin d'assurer l'approvisionnement en films. De cette démarche est née Filmdis ". Dans la note n° 2 remise par la société Filmdis, intitulée " distribution cinématographique aux Antilles ", de septembre 2000, il est précisé que " 100 à 120 films sont traités chaque année soit en moyenne 2 par semaine. Globalement, Filmdis Sarl approvisionne un peu moins de 30 écrans "
27. Cette quasi-exclusivité de distributeurs de films des sociétés Filmdis et Cinésogar est confirmée par les déclarations des exploitants de salles indépendants.
28. M. C..., directeur des services concédés et de la sécurité de la ville de Sainte Marie, entendu par les services d'enquête, le 30 janvier 2001, a expliqué, concernant la salle de cinéma Excelsior à Sainte Marie Martinique, qu'" en 1998, la collectivité a organisé un appel d'offres ouvert pour la programmation et la fourniture des films du cinéma Excelsior ... Le marché d'une durée de 3 ans a été attribué à la société Filmdis, seule candidate ".
29. M. A..., directeur de l'Office national d'action culturelle et sportive de la commune du Moule en Guadeloupe, rappelle l'existence de cette réunion : " Nous avons abordé essentiellement les problèmes d'exploitation des films en Guadeloupe et l'opinion de la position dominante de Filmdis s'est confortée dans la mesure où la situation existante ne pouvait pas changer car pour M. X..., il était tout à fait normal que ses salles soient servies avant les autres... Aujourd'hui, je vais me retrouver dans une impasse comme les autres exploitants de salles indépendantes, car visiblement, profitant de sa position de monopole, Filmdis me programmera les films de son choix à sa convenance. Une telle situation m'est préjudiciable car je n'aurai pas la possibilité de développer une véritable politique cinématographique culturelle. Nous souhaiterions qu'il soit mis fin le plus tôt possible au monopole de fait et l'abus de la position dominante de Filmdis afin de nous permettre de développer notre activité culturelle cinématographique ".
30. M. Rosan Z..., directeur du Ciné-Théâtre Le Lamentin en Guadeloupe, a déclaré aux enquêteurs, le 18 janvier 2000 : " ... Le médiateur constate que de fait, le marché est fermé ; le distributeur qui est en situation de monopole décide du nombre de copies des films et de la date de programmation des films, qui est un passage obligé pour les exploitants lesquels n'ont aucun choix et se voient imposer des relations contractuelles... ".
31. Enfin, M. Jean-Max X... a déclaré, lors de son audition du 20 février 2001 : " Filmdis est le seul distributeur survivant aux Antilles-Guyane ".
32. Le médiateur du cinéma a fait état, dans ses procès-verbaux de médiation, de la position dominante de la Société Filmdis dans le domaine de la distribution de films aux Antilles Françaises.
33. Cette situation de quasi-monopole a été constatée par différentes missions administratives. Dans un rapport daté de novembre 1990, rédigé par l'Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC), sur l'exploitation cinématographique en Guadeloupe, Martinique et Guyane, la diffusion de films était ainsi décrite " il ne reste actuellement qu'un seul importateur de films : le circuit . Cette société fournit non seulement ses propres salles mais également toutes les autres salles des 3 départements " Le rédacteur de ce rapport concluait : " le circuit possède un dynamisme indéniable " et constatait " le monopole de fait du circuit dans l'importation des films ".
34. Un rapport administratif, concernant la Martinique (établi sur la période du 14 au 20 avril 1996), relevait en sa page 3 : " ...du groupe (principal exploitant et unique distributeur de l'île) ", et en page 6 : "détenteur d'une position dominante dans le secteur de l'exploitation, le groupe exerce surtout, par la société Filmdis, un monopole en matière de distribution, contrôlant ainsi intégralement l'offre de films en Martinique ".
35. Pour la Guadeloupe, le rapport de mission couvrant la période du 11 au 15 décembre 2000 mentionnait page 3 : " les principales critiques des exploitants indépendants portent sur le monopole exercé par Filmdis... La mise en œuvre concrète de ces solutions passe très certainement par un regroupement (sous forme associative) des salles indépendantes. L'atomisation actuelle rendant peu crédible une relation réelle et efficace, notamment avec les distributeurs, peu intéressés par un marché Outre-mer trop étroit et habitués à une relation exclusive avec Filmdis ".
36. Lorsque les exploitants indépendants de salles se sont adressés directement aux producteurs ou aux distributeurs pour louer des films, ceux-ci les ont renvoyés à l'intermédiaire obligé qu'est la société Filmdis. Ainsi, par lettre du 10 décembre 1997, la société Ciné-Théâtre du Lamentin a écrit à la société UIP (United international pictures) pour solliciter la location d'un film. La réponse de la société a été la suivante :
" Messieurs, nous avons bien reçu votre fax du 10 décembre 1997 nous faisant part de votre souhait de présenter le film " Fenêtre sur cour " dans le cadre d'une opération " Lycée au cinéma ", sur la période 12 mars - 13 avril 1998, en Martinique.
Malheureusement, nous ne pouvons répondre favorablement à votre demande pour les raisons suivantes : notre société n'est pas structurellement équipée pour réaliser des locations ponctuelles, commerciales ou non-commerciales, sur d'autres territoires que la France métropolitaine ; dans le cas de tractations extérieures, nos films sont exploités sous forme de contrats de sous-distribution par cession des droits pour une durée relativement longue. Habituellement, nous dirigeons les demandes du type de la vôtre à la société Filmdis, 106 bis rue Victor Sévère, Fort-de-France (Tél : 05 96 60 59 59) qui agit en quelque sorte comme sous-distributeur des films dont nous leur concédons les droits ; cependant, dans les circonstances présentes de l'espèce, nous ne serions pas en mesure de proposer à Filmdis de reprendre " Fenêtre sur cour " en distribution pour la Martinique, dès lors que nous ne sommes plus nous-mêmes détenteurs des droits de ce film ".
37. Ces tentatives infructueuses ont été confirmées par M. A... qui a déclaré : " nous avons, lors de nos différents passages à Cannes et à Paris, discuté avec plusieurs distributeurs de films qui, malheureusement, nous ont répondu qu'il existait déjà un distributeur dans notre zone, en l'occurrence Filmdis ".
38. M. D..., exploitant de la SECAC Majestic à Capesterre Belle Eau (Guadeloupe), entendu le 25 janvier 2001, a précisé : " Filmdis est le seul distributeur de films en Guadeloupe " ... " lors d'une réunion entre les représentants de Filmdis et les exploitants de salles indépendantes, à laquelle assistait un représentant de la DRAC (...), M.-Jean-Max X... a laissé entendre qu'il nous mettait au défi de pouvoir programmer des films autres que ceux de son réseau de distribution ".
39. Les contrats conclus entre les producteurs de films et Filmdis accordent à cette dernière des " droits exclusifs d'exploitation dans les territoires concédés ", ce qui exclut que les exploitants de salle puissent se procurer un film distribué par Filmdis auprès d'autres distributeurs.
2. L'exclusivité contractuelle
40. Cette exclusivité est renforcée par les dispositions des contrats-types signés entre les propriétaires des salles indépendantes et les sociétés de distribution du groupe.
41. En effet, ces contrats comprennent un article aux termes duquel : " Filmdis dispose des pouvoirs les plus étendus sans aucune restriction ni réserve et notamment, elle traite seule avec les producteurs et les distributeurs selon les modalités qu'elle juge convenable ". En second lieu, ce même contrat-type prévoit que l'exploitant de salle programmé " s'interdit formellement de traiter avec un producteur, un distributeur ou un autre programmateur sans l'accord préalable de Filmdis sauf dénonciation du contrat et sous réserve d'un préavis de trois mois ". " L'exploitant s'engage à consulter la société Filmdis préalablement à tout contrat envisagé avec un producteur, un distributeur ou un autre programmateur, en vue de ne pas affecter substantiellement les termes de la présente convention ".Cette clause a été critiquée par les exploitants de salles et par le médiateur du cinéma mais n'a nullement disparu des contrats. M. X... a précisé, en séance, qu'elle n'avait jamais été utilisée.
3. Les clauses imposant le recours à une société agréée par Filmdis pour la vérification du matériel de projection
42. Par ailleurs, ce contrat impose à l'exploitant de salles de faire appel tous les six mois à une société agréée par Filmdis pour la vérification du matériel de projection, Filmdis pouvant également, à tout moment, s'assurer de la qualité des équipements et de la prestation fournie par l'exploitant. En réalité la seule société agréée par Filmdis est la SARL Techni- Ciné Caraïbes, sise à Fort de France, gérée par un ancien salarié de la société Filmdis. Monsieur A..., directeur de l'OMACS du Moule, a précisé qu'il avait dû faire appel, pour l'installation de sa nouvelle salle, à Monsieur Edmond, ancien salarié de la société Filmdis.
4. Ordre et délais de passage des films
43. Ceux-ci ont été décrits par M. X..., dans son audition du 1er janvier 2001 : Le marché de la diffusion est réparti en deux groupes distincts :
" Les exploitants à vocation commerciale qui dépendent de notre direction de programmation et avec qui nous avons des contrats au pourcentage, que ces clients appartiennent ou non au groupe ".
" Les salles communales ou associatives, dont la programmation est réalisée sur le territoire concerné (Martinique, Guadeloupe ou Guyane)... les relations financières avec ces salles sont forfaitaires. La programmation des films dans le circuit commercial se réalise de la manière suivante : il est tenu compte du critère de qualité décroissante, de la salle et de ses équipements techniques. Le premier critère d'appréciation de la qualité est le prix d'entrée. Outre le critère de qualité, intervient un second critère dépendant de la zone de chalandise et du potentiel de clientèle. En fonction de ces critères, on peut dégager les tendances générales suivantes : lorsque plusieurs copies de films sont expédiées, la Martinique et la Guadeloupe en ont au moins une. En Martinique, la diffusion se fait généralement comme suit : Madiana d'abord, puis Fort-de-France (Olympia), puis (ou) Sainte-Marie (Excelsior), Ciné-Théâtre de Fort-de-France, enfin Trinité et Saint-Pierre, pour une partie de la programmation. En Guadeloupe, la sortie d'un film commence par le cinéma Rex 1 et 2 à Point-à-Pitre, 2 salles de qualité THX. Avant l'ouverture du cinéma " l'image du Gosier ", " La Renaissance " avait la deuxième place suivant le critère de bassin (Pointe-à-Pitre), et la troisième en terme de qualité. Le " d'Arbaud " à Basse-Terre dispose du classement inverse. Un film à deux copies fera donc : Rex d'Arbaud (en tandem), puis Renaissance. Un film à une copie fera Rex Renaissance, puis d'Arbaud. C'est après la diffusion dans ces salles à vocation commerciale que les films sont diffusés dans le réseau communal ou associatif. Le Lamentin étant la première salle de cette catégorie. Depuis l'ouverture de " l'Image " incontestablement la meilleure salle du point de vue technique avec le " REX ", mais de petite taille, l'ordre s'est progressivement modifié : l'Image qui se positionnait à parité avec le d'Arbaud est programmé en même temps ou immédiatement après le Rex. L'établissement du programme se fait en Martinique en concertation avec le propriétaire ou l'exploitant de la salle. Je précise que dans le circuit commercial, aucune salle n'est au " forfait ". Dans le circuit communal et associatif, l'ouverture de la salle de Capesterre pose la question de l'ordre de passage des films, le premier rang du Ciné-Théâtre doit être remis en question. Il est actuellement contesté par l'exploitant de Capesterre ".
44. Cette hiérarchisation est valable dans le cas où une seule copie est en exploitation (ce qui est extrêmement rare). A partir de deux copies, la Guadeloupe est destinataire de la seconde ; au-delà la Guyane est également servie.
45. En Martinique, l'ordre de passage des films est : 1er/ Madiana à Schoelcher (10 salles), 2e/ Olympia de Fort-de-France, 3e/ Ciné-Théâtre de Fort-de-France, 4e/ Excelsior de Sainte-Marie, 5e/ Eden de Trinité, 6e/ Etoile du Morne Rouge, 7e/ Salle audiovisuelle du Marin, 8e/ Atlas des Anses d'Arlet, 9e/ Miroir du Vert-Pré.
46. Selon M. X..., l'Excelsior de Sainte-Marie reçoit les films avant l'Eden de Trinité (qui lui appartient) en raison du fait que la salle de Sainte-Marie est mieux classée que celle de Trinité. En réalité, le cinéma qui appartenait à M. X... a été racheté par la ville et la société Filmdis est devenue le programmateur et le fournisseur de ce cinéma, ayant seule soumissionné au marché public lancé par la ville de Sainte-Marie. De plus, la rémunération de ce marché s'effectue au pourcentage des recettes.
47. En Guadeloupe, l'ordre de passage des films est le suivant : 1er/ Rex de Pointe-à-Pitre, 2e/ la Renaissance de Pointe-à-Pitre, 3e/ l'Image au Gosier, 4e/ le D'Arbaud de Basse-Terre, 5e/ le Ciné-Théâtre du Lamentin, 6e/ le Majestic de Capesterre. Le passage des films peut se faire en tandem entre le d'Arbaud et l'Image, selon les clauses de la convention qui lie ce dernier établissement à la société Filmdis.
48. En Guyane, les salles exploitées par la société guyanaise des spectacles (SGS) sont d'abord servies, puis celle de Saint-Laurent. La programmation est assurée par Filmdis. Compte tenu des distances qui séparent les trois villes où sont implantées les salles, il n'y a pas de problème de concurrence entre celles-ci.
49. Au problème de l'ordre de passage des films dans les salles s'ajoute celui, connexe, des délais de fourniture des films dans les salles indépendantes. Au vu des documents produits par M. X... lui-même, il apparaît que les écarts entre la date de sortie des films en Guadeloupe et celle de leur programmation au " Ciné-Théâtre ", ont été de l'ordre de 3 à 19 semaines en 1999, soit une moyenne de 9 semaines, et de 2 à 16 semaines en 2000, soit une moyenne de 8 semaines environ. La liste des films fournis par Filmdis au Ciné-Théâtre au cours des années 1999 et 2000 fait apparaître des délais substantiels entre leur passage à Pointe-à-Pitre et au Lamentin, distantes l'une de l'autre d'une dizaine de kilomètres.
50. On peut noter des écarts allant jusqu'à 14 ou 16 semaines (" Water boy " et " The factory ") pour 1999, et pour 2000 :
* Buena vista social club : 13 semaines ;
* Flight club : 15 semaines ;
* Love Story 2 : 12 semaines ;
* American Beauty : 13 semaines ;
* Sleppy hollow : 16 semaines ;
* American Carter : 12 semaines.
51. Les exploitants de salles indépendants contestent l'ordre de passage des films et leur délai d'acheminement dans leurs salles. Pour M. Z... " selon l'ordre hiérarchique des salles, les salles de M. X... sont toujours servies en premier ". Il ajoute (synthèse des relations entre la société Filmdis et le Ciné-Théâtre, page 3) " la seule façon pour elle de garantir la protection de ce marché, c'est de distribuer les salles indépendantes (du groupe) avec un retard conséquent se situant entre 10, 12 et 14 semaines après la sortie locale, lorsque les films n'ont plus aucune valeur commerciale ".
52. Les autres exploitants indépendants ont formulé les mêmes observations. Ainsi, selon M. F..., directeur de marketing de la SA Gosier les Bains : " Bien que l'article de la convention du 26 mars 1999 signée avec la société Filmdis prévoit la distribution en tandem des films avec les autres salles de qualité égale de Guadeloupe, nous n'avons jamais pu obtenir le respect de cette clause, sauf pour le film " 6e Sens " que nous avons projeté du 11 au 17 février 2000 ".
53. M. D..., du cinéma " le Majestic " en Guadeloupe, a déclaré : " 4°) A titre d'exemple des difficultés que je rencontre, je vous cite le cas de " Sanghaï Kid " dont j'ai demandé la programmation au mois de septembre et qui m'a été accordé en novembre (semaine du 14), alors que ce film était exploité au Rex depuis le mois d'août et avait fait l'objet d'une séance promotionnelle le 1er septembre 2000 ; entre le passage une fois au Rex le 1er mars 2000 et en août, ce film a été programmé jusqu'au 25 septembre, puis retiré du circuit. Ma lettre du 3 octobre 2000 sur ce différend est restée sans réponse, comme bien d'autres ".
54. Concernant la Martinique, les exploitants des salles indépendantes se sont plaints de cette situation. Dans des notes manuscrites rédigées lors de la réunion du 17 janvier 2000, les responsables de la mairie de Sainte-Marie évoquaient déjà ces griefs : " relation circuit : pas satisfaite. Trop long/Madiana, pas de copie disponible des films immédiatement (ex. Tarzan)... Pas de première ou d'avant-première en 1999 (...) la programmation des films sur une trop longue période pénalise la salle ". Enfin, la lettre du 1er février 2000, adressée à Filmdis par le maire de Sainte-Marie, mentionnait : " Certaines résolutions devront être prises pour améliorer la fréquentation de la salle. Elles touchent à une meilleure programmation des films par rapport à leur passage à Madiana. L'indisponibilité des copies de films semble toujours d'actualité malgré les 150 000 francs prévus à cet effet ".
5. La programmation des salles
55. Concernant la programmation, les dispositions contractuelles précisent que " les horaires, le nombre des séances, le prix des places et les campagnes publicitaires seront fixés par Filmdis après consultation du programmé ". Pour sa part, M. X... a indiqué que " des ajustements sont constamment pratiqués en coordination avec les exploitants pour adapter la programmation aux réactions du public et optimiser la gestion des films et des salles ". Cet avis n'est pas partagé par les exploitants indépendants.
56. En Martinique, M. G... (Etoile du Morne Rouge) souligne que, bien que la convention le liant à la société Filmdis prévoit que " la programmation sera effectuée par l'exploitant avec l'accord de la société Filmdis ", la programmation est effectuée dans les faits par la seule société Filmdis, sans qu'il soit invité à y participer. C'est par l'intermédiaire de la facture de la semaine en cours qu'il prend connaissance du nom du film que Filmdis a programmé dans sa salle pour la semaine suivante. Cette manière de procéder ne lui permet pas d'adapter l'offre à la demande de son public. De ce fait, les films qui lui sont imposés ne sont pas toujours en adéquation avec la clientèle potentielle de sa zone de chalandise, ce qui a une influence tout à fait négative sur la fréquentation de sa salle et donc de ses recettes. Ses demandes, verbales jusqu'ici, pour participer à la programmation de sa salle sont demeurées vaines.
57. M. H... (cinéma des Anses d'Arlet) indique que la convention le liant à la société Filmdis prévoit que " la programmation sera effectuée par l'exploitant avec l'accord de la société Filmdis ", mais que, en réalité, la programmation est effectuée par la seule société Filmdis, sans qu'il y participe.
58. M. I... (le Marin) exprime la même remarque, tout en rappelant que n'ayant pas d'impératif de rentabilité, cette situation ne lui est pas trop dommageable.
59. M. C... (ville de Sainte-Marie) a formulé les mêmes observations dans son procès-verbal de déclaration du 30 janvier 2001 : " Certains problèmes apparaissent, qui permettent de penser que des efforts peuvent être encore faits par Filmdis pour améliorer la qualité des services proposés, et augmenter le potentiel d'usagers pour les années à venir. L'équipement accuse une sérieuse concurrence du nouveau complexe de Madiana, qui diminue l'attrait du début ". Concernant l'année 1999 (notes manuscrites prises au cours de la réunion du 17 février 2000), il était déjà relevé que " ...l'absence de propagande et l'indisponibilité des films, malgré les dispositions conventionnelles accentuent ce handicap ; qualité des films : perte de qualité visuelle et sonore à cause d'usage préalable ".
60. En Guadeloupe, M. Rosan Z... précise que, n'étant jamais prévenu suffisamment à l'avance des films loués, il lui est difficile d'en assurer la programmation par une publicité adaptée et qu'il lui est impossible d'organiser dans de bonnes conditions des festivals de cinéma ou des opérations de promotion de 7e art.
61. M. D..., exploitant de la salle " le Majestic " a fait part des difficultés de programmation qu'il connaît, depuis le début de son activité. La programmation est assurée par Filmdis, à partir des demandes qu'il formule, le 10 de chaque mois, pour les projections du mois suivant, sur une liste de films disponibles. Ces voux sont loin d'être toujours satisfaits :
" Je n'ai nullement le choix de la programmation de mes films. A partir de la brochure " Ecran Line " qui paraît mensuellement et qui est éditée par Filmdis, je connais les films qui sont programmés en Martinique.
En suivant de près la programmation des films diffusés par les salles de cinéma en Guadeloupe, j'ai constaté :
1°) les films de cette revue, programmés en Martinique, peuvent l'être en même temps en Guadeloupe ou après en Guadeloupe, sans avoir pu noter une certaine périodicité postérieure constante ;
...
3°) Filmdis, qui est le seul distributeur de films en Guadeloupe, est représenté par Cinésogar à qui j'adresse mes demandes de films vers le 10 de chaque mois. Je ne reçois pas de réponse avant le 20 de ce mois, car étant le dernier " servi " la programmation du Ciné-Théâtre du Lamentin doit être connue préalablement. Sur une moyenne de 12 films demandés, j'obtiens satisfaction pour 4, 5 ou 6 films. C'est un problème que je ne maîtrise nullement, d'autant plus que systématiquement je reçois des propositions de films que je n'ai nullement demandés ".
62. M. F..., directeur du cinéma le Gosier, précise (procès-verbal du 30 janvier 2001 déjà cité) : " En effet, nous n'avons nullement le choix de la programmation de nos films, dans la mesure où Filmdis nous impose, entre le 10 et le 15 du mois la programmation des quatre films pour le mois suivant. D'autre part les films qui nous sont imposés, sont programmés entre 15 jours et 42 jours après leur sortie au Rex 1 qui est une salle comparable à la nôtre, qualitativement.
Suite à diverses réclamations, nous avons pu obtenir de la part de Filmdis, qu'un film par mois pourrait être programmé au mieux 15 jours après sa première projection, dans une salle du groupe Filmdis, en l'occurrence au Rex 1.
Selon l'article 3 de la convention du 26 mars 1999, même les horaires et le nombre de séances doivent être concertés avec Filmdis.
Nous rémunérons Filmdis sur la base de 40 % de nos recettes hors taxe pour la programmation des films, dont je me répète, qu'il nous impose. En outre, nous versons également 5 % de nos recettes hors taxes pour la promotion des films qui devrait être :
* L'affichage sur les réseaux " Filmdis "; or, aucune affiche mentionnant notre cinéma " l'Image " n'est apposée ;
* La livraison d'affiches et d'affichettes gratuites n'est pas respectée dans la mesure où nous ne disposons que des affiches internes à notre salle ;
* La promotion régulière des films sur les média-radios et TV n'est pas effectuée ; nous figurons tout simplement dans la bande annonce du journal France-Antilles à la page " Programmation Filmdis " ;
* Nous n'avons jamais fait l'objet d'une attention publicitaire particulière dans le journal France-Antilles, du genre " actuellement ou prochainement à l'Image... Les films en sortie nationale ne sont jamais programmés simultanément dans aucune salle en Guadeloupe mais peuvent l'être en Martinique. Le film " la ligne verte " qui a été un film à succès n'a pas pu être programmé au Majestic avant sa sortie en vidéo (environ 8 mois après sa sortie nationale) ".
63. M. Jean-Claude A..., directeur de l'OMACS du Moule en Guadeloupe, a formulé les mêmes observations : " ... Nous ne comprenons pas d'ailleurs pourquoi, un film en sortie nationale ne peut pas être programmé en Guadeloupe alors qu'il est en Martinique. M. X... a été clair lorsqu'il a abordé l'existence de notre nouvelle salle. Il a laissé entendre que la situation allait s'aggraver. Nous n'avons pas pu obtenir des garanties relatives à l'acquisition éventuelle d'une copie supplémentaire de la part de M. X... qui permettrait de réduire les délais de programmation. Pour la programmation des films, j'ai d'ailleurs pris l'attache de Mme M... de Cinésogar qui nous a dit qu'il n'y avait pas de problème pour travailler avec eux, sans toutefois entrer dans le détail, en nous précisant qu'il faudrait passer une convention ; connaissant le contenu de ce type de convention, je n'ai pas voulu m'engager pour l'instant. A la demande des exploitants de salles, indépendantes, M. X... n'a pas été capable de nous garantir la diffusion d'un catalogue des films qu'il distribue, ni la liste des films dont il détient les droits... "
6. LES PRIX DES PLACES
64. Les conventions passées entre Filmdis, Cinésogar et certains établissements révèlent que les prix des places sont fixés par les distributeurs.
65. Ainsi, la convention passée entre Cinésogar et le casino de Gosier les Bains prévoit, en son article 4, que le prix des places sera fixé par Filmdis. De la même manière, les prix de 45 francs (tarif normal) et de 35 francs (tarif réduit), pratiqués à l'Image du Gosier, sont également ceux pratiqués par le cinéma Rex appartenant au groupe. Selon M. F... du cinéma l'Image, " même nos tarifs nous ont été imposés par Filmdis puisque nous pratiquons les mêmes qu'eux ".
66. Alors que l'article 4 du cahier des charges établi pour le marché du cinéma de Sainte Marie indiquait que les tarifs seraient fixés par la collectivité, cet article a été modifié, sur proposition du représentant de Filmdis figurant dans une lettre du 2 février 1998, pour devenir : " les tarifs seront fixés par la collectivité sur proposition de la société, de manière à ce que ceux pratiqués au guichet de l'Excelsior soient conformes à ceux en vigueur dans les salles de qualité égale programmée par la société ".
67. En conséquence, il apparaît que les établissements indépendants ne sont pas maîtres de leur gestion et de leur tarif, car les films, la durée d'exposition, les horaires, le nombre de séances et les tarifs, sont fixés par Filmdis et doivent être conformes à ceux pratiqués par les salles de qualités équivalentes appartenant au groupe des sociétés.
C. Les griefs notifies
68. Les pratiques relevées ont conduit le rapporteur à constater en premier lieu la position dominante des sociétés liées à la famille X... dans le domaine de la distribution de films et de l'exploitation des salles de cinéma dans les départements des Antilles françaises et à relever un ensemble de pratiques abusives de la part des sociétés Filmdis et Cinésogar. Ces pratiques consistent en des clauses contractuelles imposant aux exploitants de salles indépendants de s'approvisionner en exclusivité auprès de Filmdis ou Cinésogar ou imposant à ceux-ci le recours à un réparateur de matériel agréé par Filmdis pour vérifier le matériel de projection et en des pratiques consistant à imposer un ordre de passage des films systématiquement défavorable aux exploitants de salles concurrents du groupe , des délais de passage excessivement long et des conditions de programmation conduisant à une absence totale d'autonomie des salles quant à leur gestion et à leurs tarifs.
69. En second lieu, en raison de la notoriété des produits-films distribués, de l'importance de la part de marché du distributeur dans le chiffre d'affaires des exploitants de salles de cinéma indépendants et de l'impossibilité pour ces derniers d'obtenir d'autres distributeurs des produits équivalents, le rapporteur a estimé que ces pratiques étaient constitutives d'un abus de dépendance économique susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence.
70. Les griefs d'abus de position dominante et d'abus ou dépendance économique ont été retenus, conformément aux dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce, pour être notifiés aux entreprises suivantes :
* Entreprise Filmdis ;
* Entreprise Cinésogar.
71. Eu égard à la situation particulière de la Guyane, caractérisée par une impossibilité de concurrence effective entre les salles en raison de l'éloignement géographique des unes et des autres, il n'a pas été retenu de griefs à l'égard de la société guyanaise des spectacles (SGS).
II. Discussion
A. Sur la procédure
1. Sur l'absence de transmission de la notification de griefs au médiateur du cinéma
72. Selon les sociétés Filmdis et Cinésogar, le médiateur du cinéma n'a pas été destinataire de la notification de griefs, alors qu'il est intéressé et partie à la procédure, conformément à l'article L. 463-2 du Code de commerce.
73. Le médiateur du cinéma ne figure pas au nombre des destinataires de la notification de griefs et du rapport, énumérés à l'article susmentionné. L'article 35 du décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence dispose que " le rapporteur général communique aux autorités administratives énumérées à l'annexe IV au présent décret toute saisine relative à des secteurs entrant dans leur champ de compétence ", le médiateur du cinéma figurant dans cette annexe IV. Conformément à ces dispositions, la saisine enregistrée sous le numéro F 1216 a été communiquée au médiateur du cinéma en même temps que la saisine du Conseil enregistrée sous le numéro M 272 demandant des mesures conservatoires. Le médiateur a rendu son avis le 19 septembre 2000. Aucune disposition légale n'imposant que cette autorité doive à nouveau donner son avis lors de l'examen du fond de l'affaire, il convient d'écarter ce moyen de procédure. Il y a lieu, au surplus, de noter que le Conseil a procédé à l'audition du médiateur du cinéma lors de sa séance du 22 juin 2004.
2. Sur la violation du principe de l'égalité des armes
74. Les sociétés Filmdis et Cinésogar allèguent que l'ensemble des pièces retenues à l'appui de la notification de griefs étant exclusivement produites par le requérant, le principe de l'égalité des armes n'aurait pas été respecté.
75. Mais il est de jurisprudence constante que le rapporteur base la notification de griefs et son rapport sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé. Ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a rappelé dans un arrêt en date du 27 février 2003 : " (...) le fait que la notification de griefs puis le rapport n'aient pas cité tous les faits et documents qui n'ont pas été retenus comme indices des pratiques anticoncurrentielles ne peut faire grief aux entreprises précitées, celles-ci ayant eu accès à l'ensemble de la procédure ; (...) l'argument selon lequel le rapporteur aurait dénaturé les documents et les déclarations figurant au dossier est dépourvu de portée, dès lors que les requérantes reconnaissent dans le même temps que ceux-ci sont sujets à interprétation et qu'il n'est pas contesté qu'elles ont pu faire valoir, tout au long de la procédure, leurs moyens de défense sur l'interprétation qui en était donnée par le rapporteur, le Conseil puis la cour ayant été mis en mesure par la suite de faire un nouvel examen des éléments de preuve ainsi produits ". La cour ajoute qu' " (...) ainsi le moyen tiré de la violation des exigences de droit quant à l'individualisation et à la motivation des griefs doit être écarté de même que celui corrélatif pris de la violation du principe de la contradiction,..., les entreprises ayant été mises en mesure de présenter des observations écrites sur la notification de griefs complémentaire et le rapport, ainsi que des observations orales lors de la séance qui s'est tenue devant le Conseil ". Il convient dès lors d'écarter ce moyen.
3. Sur l'autonomie de la société Cinésogar par rapport à la société Filmdis
76. Les sociétés mises en cause prétendent que la société Cinésogar ne disposerait d'aucune autonomie juridique et commerciale et ne constituerait donc pas une entreprise au sens du droit de la concurrence, distincte de Filmdis.
77. Aux termes de la convention décrite au paragraphe 11 de la présente décision, la société Cinésogar est mandatée, dans des termes très larges, par la société Filmdis pour assurer la distribution de films dans le département de la Guadeloupe. A ce titre, elle assure la distribution et la programmation des différentes salles de Guadeloupe, que celles-ci fassent ou non partie du groupe, et détermine de façon autonome l'ordre de passage des films sans en référer à la société Filmdis. Dés lors, cette société bénéficie d'une pleine autonomie en matière de distribution de films sur le territoire considéré, même si elle est tributaire, dans son approvisionnement, des films qui lui sont fournis par Filmdis. Il y a donc lieu d'écarter ce moyen.
4. Sur la double qualification des pratiques en abus de position dominante et en abus de dépendance économique
78. Les sociétés mises en cause soutiennent qu'en vertu du principe " non bis in idem ", les mêmes faits ne peuvent faire l'objet d'une double qualification et que donc, elles ne peuvent se trouver sanctionnées sur le double fondement de l'abus de position dominante et d'abus de dépendance économique.
79. Mais le principe précité ne peut être valablement invoqué qu'en présence d'une éventuelle double condamnation pour les mêmes faits et sur le même fondement. En l'espèce, les faits sont examinés sous deux qualifications différentes aux éléments constitutifs distincts. Aucun principe général du droit ne s'oppose donc à l'application cumulative des deux qualifications retenues, à l'instar du cumul idéal d'infraction en matière pénale. Le moyen doit donc être écarté.
B. Sur le fond
1. Sur le marché pertinent
80. Il résulte des constatations énumérées aux paragraphes 6 à 12 et 25 à 41 que, compte tenu de son éloignement et des spécificités de la distribution des films dans cette zone, la distribution des films dans les Antilles constitue un marché pertinent.
81. Sur les marchés connexes de l'exploitation des films en salles en Guadeloupe et en Martinique, les salles appartenant au groupe sont en concurrence directe, dans les départements concernés, avec les salles des exploitants indépendants, ainsi que le Conseil l'a déjà exposé dans sa décision n° 00-MC-15 du 25 octobre 2000, relative à la demande de mesures conservatoires présentée par le saisissant à l'encontre de la société Filmdis. Alors que cette société soutenait que le Ciné-Théâtre du Lamentin et ses propres salles de Pointe-à-Pitre seraient situées sur deux marchés géographiques distincts, en raison des prix de places, des structures d'accueil différentes entre salles et des communications difficiles, le Conseil de la concurrence a considéré que " la salle exploitée par l'entreprise saisissante se trouve être en concurrence avec des salles exploitées par une filiale de la société Filmdis sur un marché géographique où il n'est pas exclu que la société Filmdis soit en position dominante ; que ce marché est, en tout état de cause, connexe au marché régional de la distribution de films où la société Filmdis est en position dominante ".
82. Les sociétés Filmdis et Cinésogar font valoir qu'elles ne bénéficient pas d'une position dominante sur le marché de la distribution dans les Antilles, car il existe d'autres distributeurs, tels le Centre martiniquais d'action culturelle (CMAC), qui aurait distribué des films de 2001 à 2003, ainsi que les associations des cinéphages de Guadeloupe, du festival du Marin, du film francophone en Martinique ou encore du Monde en Guyane, auxquels les exploitants de salles indépendants auraient eu recours. De la même manière, l'UCIGC (Union des cinémas indépendants Guadeloupe Caraïbes) aurait associé un certain nombre d'exploitants, qui auraient acquis les droits pour la distribution de 4 films, " Le pianiste " de Roman Polanski, " L'auberge espagnole " de Cédric Klapish, " Le samouraï " de Gerlerdini et " Décalage horaire " de Danièle Thomson. Elles ajoutent que M. Z... a aussi assuré la distribution du film " Le pianiste "
83. Selon les propres observations de la société Filmdis, le CMAC aurait distribué 41 films de 2001 à 2003, soit environ 13 films par an en moyenne, alors que les dirigeants de la société Filmdis ont reconnu, dans une note remise aux enquêteurs, et au cours de la séance du Conseil, avoir distribué une moyenne de 100 à 120 films par an. La comparaison ainsi opérée ne peut suffire à remettre en cause la position dominante des sociétés Filmdis et Cinésogar sur le marché de la distribution des films.
84. Par ailleurs, les films distribués par le CMAC n'appartiennent pas à la même catégorie que les films distribués par les sociétés Filmdis et Cinésogar, sous-distributrice, qui distribuent essentiellement des films dits " grand public ", porteurs de recettes. La liste des films distribués par le CMAC contient surtout des films dits " Art et Essais ", qui rencontrent un public différent. Ainsi, ni en terme quantitatif, ni en terme qualitatif, l'offre du CMAC ne peut apparaître comme une alternative, pour les exploitants de salles indépendants. Ceux-ci souhaitent projeter tous types de films, notamment des films " grand public " distribués par Filmdis et Cinésogar, susceptibles de leur permettre de réaliser des bénéfices compensant la moindre recette de diffusion des films plus culturels et moins rémunérateurs.
85. De la même manière, l'UCIGC, qui a pu acquérir les droits de quatre films, est de création récente et postérieure à la saisine du Conseil. Elle entend développer un " cinéma culturel " différent des objectifs de " cinéma grand public " des sociétés du groupe et n'offre donc pas en l'état de solution alternative à la position dominante des sociétés mises en cause. Cet état de fait a été constaté par l'administration dans ses rapports de mission sur l'industrie cinématographique, tant en Guadeloupe qu'en Martinique, mentionnés ci-dessus. Enfin, le médiateur du cinéma, dans son procès-verbal de conciliation en date du 28 septembre 1998, a constaté que la société Filmdis était dans une situation de monopole de fait en tant que distributeur. Il a encore confirmé cette analyse dans son procès-verbal du 8 octobre 1999 : " ... il ne faudrait pas que la position dominante de la société Filmdis, si elle s'explique sur le plan historique et économique, se fasse au détriment d'un exploitant qui, paradoxalement, a le profil idéal pour exploiter correctement les films, du fait, notamment, de son équipement ".
86. Les pratiques reprochées aux sociétés mises en cause ont affecté les marchés départementaux de l'exploitation des films en salle, sur lesquels celles-ci détiennent aussi une position dominante. En effet, en Guadeloupe, les huit salles exploitées par le biais de Cinésogar, offrent une capacité totale de 2 063 places, soit 72 % du total des places disponibles. En Martinique, la situation est identique, puisque les salles exploitées par Filmdis lui permettent d'offrir 3 229 places, soit plus de 78 % de la capacité totale disponible(4 133). Dans la seule conurbation de Fort-de-France (Schoelcher), les salles de M. Jean-Max X... offrent 2 886 sièges.
87. En conséquence, les sociétés du Groupe sont en position dominante sur le marché pertinent de la distribution des films dans les Antilles et sur les marchés connexes de l'exploitation des salles de cinéma en Guadeloupe et en Martinique.
2. Sur les pratiques
a) Sur la clause soumettant à l'accord préalable de Filmdis tout approvisionnement des exploitants de salles auprès d'autres fournisseurs
88. Cette clause prévoit que " l'exploitant de la salle s'interdit formellement de traiter avec un producteur, un distributeur ou un autre programmateur sans l'accord préalable de Filmdis, sauf dénonciation du contrat et sous réserve d'un préavis de trois mois ". Elle limite donc la liberté de choix des exploitants de salles déjà très restreinte par les relations d'exclusivité existant entre les producteurs de films et Filmdis (décrites au paragraphe 39).
89. Le Conseil de la concurrence, se fondant sur une jurisprudence constante, tant au regard des dispositions internes que communautaires de concurrence (arrêt de la CJCE du 31 février 1979, Hoffmann Laroche), a rappelé que, pour une entreprise se trouvant en position dominante, le fait de lier, fût-ce à leur demande, des acheteurs par une obligation ou une promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins, exclusivement auprès de ladite entreprise, constitue un abus de position dominante. Dans un arrêt en date du 18 septembre 2001 sur la transmission florale Interflora France, la Cour d'appel de Paris a précisé que " (...), compte tenu de la position largement dominante occupée par la société Interflora sur le marché de la transmission florale à distance, la clause litigieuse avait nécessairement pour objet de dissuader les fleuristes adhérents à son réseau de s'associer à d'autres réseaux, et ainsi d'empêcher ou de restreindre le jeu de la concurrence sur ce marché ; (...) ; qu'elles constituent un abus de position dominante prohibé par les dispositions de l'article L. 420-2 du nouveau Code de commerce ".
90. Cette clause a pour objet et peut avoir pour effet d'assurer au distributeur en place une protection absolue, dans la mesure où connaissant les difficultés d'approvisionnement des exploitants de salles auprès d'autres que lui, il fait planer la menace d'un assèchement définitif de l'approvisionnement en films pour les exploitants de salles qui voudraient, de façon occasionnelle, utiliser les services d'un autre distributeur. Elle est donc contraire à l'article L. 420-2 du Code de commerce.
91. Les sociétés mises en cause soutiennent que cette clause existe mais qu'elle n'est pas appliquée puisque les exploitants individuels ont pu, à l'occasion de diverses manifestations, s'approvisionner chez d'autres distributeurs et qu'elle avait simplement pour objet de permettre à Filmdis d'être avisée de ces acquisitions pour en tenir compte lors de la sélection de ses propres films.
92. Les justifications avancées par les mises en cause n'emportent pas la conviction, dans la mesure où dans les rares cas où les exploitants de salles ont eu recours à cet approvisionnement alternatif, c'est principalement sur des créneaux " arts et essais ", très différents des créneaux de Filmdis, et donc indifférents à la sélection de ses propres films. Cette clause, sans justification technique ou commerciale, a, par ailleurs, été considérée comme abusive par le médiateur du cinéma qui avait invité M. X..., lors d'une de ses médiations, à la faire disparaître de ses contrats. Elle n'a pourtant pas été supprimée.
b) Sur les clauses imposant des réparateurs agréés
93. Le contrat-type signé entre exploitants de salles et Filmdis prévoit que le contrôle technique des salles devra être réalisé par une société agréée par Filmdis, tous les 6 mois ; celle-ci pouvant à tout moment s'assurer de la qualité des équipements et de la prestation fournie par l'exploitant. Ainsi qu'il est exposé au paragraphe 42 de la présente décision, la seule société agréée par Filmdis est la SARL Techni-Ciné Caraïbes, gérée par un ancien salarié de Filmdis.
94. Le Conseil de la concurrence a souvent sanctionné comme abusive la pratique d'une entreprise en position dominante consistant à imposer à ses cocontractants (distributeurs ou franchisés...) de recourir aux prestations d'une société désignée par elle, souvent affiliée à elle, sans aucune justification technique objective (décisions n° 87-D-08 du 28 avril 1987 et n° 02-D-50 du 5 mars 2002).
95. En l'espèce, si la société loueuse de films est en droit d'exiger des exploitants de salle un matériel de projection qui n'endommage pas les films, il ne lui appartient pas de lui imposer un prestataire particulier, sauf justification technique particulière, absente en l'espèce. Cette obligation, émanant d'une entreprise en position dominante, a pour objet et a pu avoir pour effet de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence dans le secteur du contrôle des appareils de projection, dans des conditions contraires aux dispositions aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, en interdisant aux exploitants de salles de recourir aux prestataires de leur choix, et éventuellement de contracter à des conditions moins onéreuses.
c) Sur l'ordre de passage des films et la hiérarchie des salles
96. Les sociétés mises en cause précisent que l'ordre de passage des films est déterminé objectivement à partir du potentiel économique des salles, de leurs qualités intrinsèques, du nombre de fauteuils et de séances et du tarif pratiqué. Elles ajoutent qu'elles achètent les films au fur et à mesure de leurs disponibilités sur le marché et qu'elles ne bénéficient que de copies usagées dont la date de livraison n'est pas arrêtée et dépend du succès commercial du film en métropole. Elles exposent que les salles indépendantes sont moins performantes que les salles du réseau et que, pour certaines de ces salles, les contrats de location des films prévoient une rémunération forfaitaire et non au pourcentage comme celles du réseau.
97. Il est juridiquement admis que la distribution d'un film puisse être " sélective ", comme la Cour d'appel de Paris l'a rappelé dans un arrêt du 7 juin 2000 (SARL Cinéma les 5 Royal/Société Gaumont Buena Vista International) : " la nature particulière de l'activité cinématographique, qui relève à la fois de l'art, de l'industrie et du commerce, et la spécificité de ses produits peuvent autoriser les distributeurs à déterminer le plan de sortie d'un film apte à assurer la diffusion la plus large et la plus efficace d'une ouvre donnée ". Par exemple, " (...) le distributeur peut ainsi décider de limiter le nombre de copies d'un film, s'il estime, afin d'en assurer le succès, que celui-ci doit bénéficier d'une exploitation surtout étendue dans le temps ". La Cour d'appel de Paris a aussi précisé, à propos de la distribution de films à Paris et en région lyonnaise, que les salles les plus performantes pouvant accueillir un maximum de spectateurs étaient les plus à même d'assurer la promotion d'un film et de lui assurer la meilleure rentabilité économique.
98. Toutefois, cette liberté des distributeurs doit être exercée dans le cadre et les limites du droit de la concurrence : " (...) l'exercice de cette liberté ne doit toutefois pas avoir pour objet ou pour résultat de défavoriser systématiquement un exploitant par rapport à l'un de ses concurrents dans sa zone de chalandise ".
99. En l'espèce, l'ordre de sortie des films est déterminé par M. X... seul, responsable de Filmdis, sans concertation avec les exploitants de salles indépendants, ainsi qu'il ressort de son audition du 1er février 2001, relevée au paragraphe 43 de la décision. Les salles indépendantes sont systématiquement servies après celles de son réseau.
100. Si l'on se réfère au seul critère de rémunération (pourcentage ou forfait), il apparaît que la société Filmdis favorise les salles du Rex, exploitées en Guadeloupe par sa société filiale, Cinésogar, au détriment de la salle indépendante du Gosier (Image), toujours servie en dernier, alors que toutes ces salles sont rémunérées au pourcentage et disposent d'équipements et d'un confort tout à fait comparables. Les sociétés mises en cause ne peuvent donc se retrancher derrière la prétendue infériorité des salles indépendantes, ni derrière le mode de rémunération choisi pour expliquer les discriminations dont souffrent ces salles.
101. Si une hiérarchie peut légitimement être établie entre les différentes salles, encore faut-il que des délais abusivement longs ne nuisent pas à la rentabilité des autres salles destinataires ultérieurement de ces films et situées dans le même bassin de chalandise que celles du groupe . Les constatations, opérées au cours de l'enquête et exposées aux paragraphes 49 à 54 de la décision, ont confirmé des délais de passage particulièrement longs, signalés par l'exploitant du Ciné-Théâtre dans sa plainte.
102. Au vu des documents produits par M. X... lui-même et déjà mentionnés, il apparaît que les écarts entre la date de sortie des films en Guadeloupe et celle de leur programmation au " Ciné-Théâtre " ont été de l'ordre de 9 semaines en moyenne en 1999 et de 8 semaines en 2000. La liste des films fournis par Filmdis au Ciné-Théâtre au cours des années 1999 et 2000 fait apparaître des délais substantiels entre leur passage à Pointe-à-Pitre et au Lamentin, distantes l'une de l'autre de 10 kilomètres.
103. Les délais de passage des films dans les autres salles indépendantes du circuit, de la Guadeloupe ou de la Martinique sont comparables à ceux du Ciné-Théâtre du Lamentin.
104. Cette situation entraîne une baisse régulière de la fréquentation des salles indépendantes et une baisse de leurs recettes. En effet, les salles du groupe et celles des exploitants indépendants sont directement en concurrence. En Guadeloupe, les deux salles indépendantes de " l'Image " du Gosier et du " Ciné-théâtre " du Lamentin sont situées dans le même bassin de chalandise que celles appartenant au groupe dans l'agglomération de Pointe-à-Pitre et ces salles subissent les effets d'une programmation imposée par Filmdis et Cinésogar, qui protègent leurs propres salles, en limitant la concurrence que pourraient exercer les autres.
105. Il en est de même pour les salles indépendantes de Martinique où les distances ont été abolies par le développement du réseau routier et mettent le multiplexe de Madiana, comprenant un nombre important de salles, à moins de trente minutes de la plupart des communes de l'île. Les salles indépendantes doivent faire face à un mode de programmation qui les défavorise par rapport aux salles dépendantes des sociétés Filmdis et Cinésogar qui sont pourvues, avant elles, en films porteurs en termes de rentabilité.
106. Par ailleurs, les salles, qui appartiennent en propre à M. X... en Martinique et celles qu'il gère par l'intermédiaire de Cinésogar en Guadeloupe, ont la possibilité de garder pendant plusieurs semaines les films à l'affiche. Filmdis ou Cinésogar ne consentent aux salles indépendantes qu'une durée d'exposition des films d'une semaine, très exceptionnellement deux. A la fin de cette tournée, les exploitants ont la possibilité de demander à réaliser des reprises qui ne peuvent être satisfaites que selon les disponibilités en copies, dont seules Filmdis ou Cinésogar ont la connaissance et la maîtrisent.
107. Ces pratiques discriminatoires désavantagent les salles indépendantes par rapport aux salles du circuit et sont constitutives d'un abus de position dominante des sociétés Filmdis et Cinésogar.
d) Sur la programmation et l'absence de promotion
108. Les sociétés mises en cause font valoir que la programmation relève du seul pouvoir de négociation des sociétés de distribution avec les producteurs car ce sont les sociétés de distribution qui assurent seules les risques économiques de leurs achats.
109. Ces déclarations sont en contradiction avec les dispositions contractuelles signées avec les exploitants indépendants selon lesquelles " la programmation sera effectuée par l'exploitant en accord avec la société Filmdis " Les exploitants de salles de cinéma, ainsi qu'il est mentionné aux paragraphes 55 à 63 de la décision, ne peuvent formuler aucun souhait quant aux films qui leur sont attribués puisqu'ils sont tributaires du choix effectué par les sociétés mises en cause. Mais surtout, ce choix est porté tardivement à leur connaissance et les empêche d'assurer la promotion commerciale du film loué et, en définitive, celle de leurs salles. Ils prennent connaissance de la programmation uniquement par la voie des factures qui la leur annoncent
110. Enfin, aux termes des conventions de distribution, les exploitants de salles indépendants devraient pouvoir, moyennant le paiement de la redevance qu'ils acquittent, bénéficier d'opérations publicitaires de la part de Filmdis et Cinésogar. Cette obligation contractuelle n'est pas respectée par les deux sociétés, ce qui nuit au développement des salles indépendantes.
e) Sur les prix
111. Les sociétés mises en cause contestent l'opacité des prix pratiqués et précisent que les différences relevées entre les salles sont dues aux négociations pratiquées entre les salles indépendantes et le distributeur, pour prendre en compte la capacité contributive de chaque salle. En effet, la tarification des locations de films serait fixée selon les espérances des recettes qui ne peuvent qu'être différentes d'une salle à l'autre.
112. Ce n'est pas tant la différence des prix entre les différents établissements que la façon dont ils sont fixés qui peut être critiquée au regard du droit de la concurrence. Ainsi, la convention passée entre Cinésogar et le Casino de Gosier les Bains prévoit en son article 4 que le prix des places sera fixé par Filmdis. Cet établissement n'est donc pas maître de sa politique tarifaire. Les prix de 45 francs (tarif normal) et de 35 francs (tarif réduit) pratiqués à l'Image du Gosier sont précisément les prix pratiqués au cinéma Rex appartenant à la famille X.... Selon M. Abdel F... du cinéma l'Image, " même nos tarifs nous ont été imposés par Filmdis, puisque nous pratiquons les mêmes qu'eux ".
113. Alors que le cahier des charges, établi pour la passation de marché du cinéma de Sainte-Marie, indiquait en son article 4 que les tarifs seraient fixés par la collectivité, on relève que, sur proposition du représentant de Filmdis figurant dans une lettre du 2 février 1998, ledit article 4 a été modifié pour devenir " les tarifs sont fixés par la collectivité sur proposition de la société, de manière à ce que ceux pratiqués au guichet de l'Excelsior soient conformes à ceux en vigueur dans des salles de qualité égale programmée par la société ".
114. Il résulte donc de l'instruction que la société Filmdis s'est arrogé le droit de programmer les salles indépendantes, tant dans le choix des films que dans leur durée d'exposition, et d'exercer un contrôle sur les prix des places alors que les prix doivent être, sauf les cas où la loi en dispose autrement, librement déterminés par le jeu de la concurrence.
115. Il résulte de ce qui précède que le grief d'abus de position dominante est établi à l'égard des société Filmdis et Cinésogar.
3. Sur l'abus de dépendance économique
116. L'article L. 420-2, alinéa 2 du Code de commerce prohibe " ...dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur (...) ".
117. Une jurisprudence constante, développée notamment dans trois décisions du Conseil de la concurrence n° 01-D-49 du 31 août 2001, n° 02-D-77 du 27 décembre 2002 et n° 04-D-26 du 30 juin 2004, précise que " la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché du fournisseur, de l'importance de la part de fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, à condition toutefois que cette part ne résulte pas d'un choix délibéré de politique commerciale de l'entreprise cliente, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents. Cette jurisprudence précise que ces conditions doivent être simultanément réunies pour entraîner cette qualification ".
118. Sur l'absence de solution alternative pour le distributeur, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 3 mars 2004 (société Concurrence), que : " (...) L'état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce ".
119. La société Filmdis distribue des ouvres cinématographiques communément qualifiées " grand public " c'est-à-dire soit de grosses productions françaises, telles que " Le dîner de cons " ou des productions américaines à diffusion mondiale, telles que " Titanic " ou " Charlie et ses drôles de dames ". Ces films font l'objet, lors de leurs sorties, de campagnes de publicité intenses diffusées par les médias et bénéficient, de ce fait, d'un impact considérable auprès des spectateurs potentiels. Ils sont susceptibles d'attirer un nombre important de spectateurs et de rentabiliser au mieux les salles de cinéma. Les films offerts à la diffusion par les sociétés mises en cause ne relèvent pas de la catégorie beaucoup plus limitée en terme de rentabilité des films dits d'" Arts et Essais ". Les sociétés mises en cause sont les seules à distribuer, dans les Antilles, de façon quasi exclusive, les films de cette catégorie.
120. Les films distribués par les sociétés du groupe représentent, dans les Antilles, la totalité des films " grand public " distribués et diffusés par les exploitants de salles de cinéma. Cela ne résulte pas d'une politique commerciale délibérée de leur part puisqu'ils ne peuvent pas opter librement pour la diversité de leurs sources d'approvisionnement et sont tributaires, en droit et en fait, des sociétés du groupe, ainsi qu'il est rappelé aux paragraphes 25 à 41. Enfin, les films distribués hors du circuit des sociétés mises en cause sont en nombre limité, puisqu'ils n'ont concerné que 41 films en trois ans, soit 13 films par an, alors que la société Filmdis distribue, selon les déclarations de ses responsables, de 100 à 120 films par an.
121. Les sociétés du groupe sont en position de quasi-monopole dans le secteur de la distribution de films dans les départements concernés.
122. Enfin, il est établi que les exploitants de salles indépendantes n'ont pas de solutions alternatives.En droit, la clause d'exclusivité leur impose de prévenir les sociétés mises en cause en cas d'appel à un autre distributeur. Bien que cette clause ait été critiquée par le médiateur du cinéma et que M. X... ait déclaré ne pas y être attaché, elle figure toujours dans les contrats figurant dans les pièces du dossier. Dans les faits, les distributeurs métropolitains contactés ont renvoyé les exploitants de salles indépendants, qui s'étaient adressés à eux pour leur demander de leur fournir des films, vers les sociétés du groupe. Les exploitants indépendants n'ont aucune liberté dans le choix du distributeur et ne peuvent pas arbitrer entre différents producteurs puisqu'il n'existe pas d'offre diversifiée.
123. Il résulte ainsi de l'ensemble de ce qui précède que les exploitants de salles indépendantes se trouvent en situation de dépendance économique vis-à-vis des sociétés Filmdis et Cinésogar.
124. Les clauses des contrats-types conclus entre Filmdis, Cinésogar et les exploitants de salles soumettant à l'accord de ces sociétés tout approvisionnement en films auprès de concurrents ou encore imposant aux exploitants le recours à un établissement agréé pour vérifier l'état du matériel de projection sont constitutives d'abus de dépendance économique. Il en est de même des pratiques consistant à servir ces salles en copies systématiquement en dernier et dans des délais incompatibles avec une exploitation commerciale raisonnable et à leur imposer unilatéralement une programmation tant en terme de choix des films que de durée d'exposition des films et la fixation des prix des places.
C. Sur les sanctions
125. Les infractions retenues ayant été commises avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, les dispositions introduites par la loi dans l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles prévoient des sanctions plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
126. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. (...) ".
127. La gravité des pratiques doit être appréciée en tenant compte du fait qu'elles ont été mises en ouvre par une entreprise en situation de quasi-monopole sur le marché amont de la distribution des films et par une entreprise sous-distributrice, à l'encontre des exploitants de cinéma indépendants en concurrence, sur le marché de l'exploitation des salles, avec les propres salles de ces sociétés distributrices. Certaines des pratiques aujourd'hui en cause, telles notamment l'ordre de passage des films systématiquement défavorable aux salles indépendantes et l'accès malaisé aux copies, ont perduré, malgré les trois médiations du médiateur du cinéma dont elles avaient fait l'objet en septembre 1999, en octobre 1999 et en octobre 2001, et malgré l'affirmation de leur caractère anticoncurrentiel par cette autorité indépendante.
128. La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 28 octobre 1992, a considéré que les restrictions apportées à l'approvisionnement en films des exploitants indépendants des grands réseaux constituent des pratiques graves.
129. S'agissant du dommage à l'économie, l'intégration verticale des activités cinématographiques du groupe dans les Antilles, assortie à l'impossibilité totale pour les salles indépendantes de s'approvisionner auprès de distributeurs concurrents, lui a permis de raréfier l'offre de films dans les Antilles, 100 à 120 films y étant distribués par lui, sur une production d'environ 500 films en métropole.
130. Les salles indépendantes n'ayant aucune maîtrise de leur programmation et de leur prix, aucune concurrence n'a pu s'installer sur le marché de l'exploitation des films où le réseau était déjà en position dominante.
131. Toutes ces pratiques ont pu avoir pour effet de limiter la concurrence sur le marché de l'exploitation des salles en privant des exploitants indépendants de films " porteurs " de nature à garantir leur rentabilité et à leur permettre de diversifier leur offre. Elles ont aussi porté atteinte aux consommateurs en raréfiant l'offre.
132. Au vu des éléments qui précèdent, du chiffre d'affaires hors taxes des sociétés Filmdis et Cinésogar qui s'est élevé à respectivement 4,6 millions d'euros et 1,89 million d'euros au cours de l'exercice clos au 31 décembre 2003, il y a lieu d'infliger à la société Filmdis une sanction pécuniaire de 45 000 euros et à la société Cinésogar une sanction pécuniaire de 5 000 euros.
Décision
Article 1er : Il est établi que les sociétés Filmdis et Cinésogar ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Article 2 : Sont infligées les sanctions suivantes :
* 45 000 euros à la société Filmdis ;
* 5 000 euros à la société Cinésogar.
Article 3 : Il est enjoint aux sociétés Filmdis et Cinésogar :
* de supprimer la clause mentionnée dans les contrats qui les lient avec les exploitants de salles de cinéma indépendants leur interdisant formellement de traiter avec un producteur ou un distributeur ou un autre programmateur sans l'accord préalable des sociétés sous-distributrices, sauf dénonciation du contrat et respect d'un préavis de trois mois ;
* de cesser d'imposer un prix des places aux exploitants de salles indépendants ;
* de cesser d'imposer aux exploitants de salles un réparateur agréé par elles, cet entretien pouvant être réalisé par toute entreprise compétente en la matière.
Article 4 : Il est enjoint aux sociétés Filmdis et Cinésogar de publier leurs catalogues de films disponibles à une fréquence correspondant au rythme de la programmation.
Article 5 : Il est enjoint aux sociétés Filmdis et Cinésogar, quant à l'ordre et aux délais de passage des films, de respecter les termes de la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris, en tenant compte des critères liés à la qualité des salles mais sans que cette prise en compte n'ait " pour objet ou pour résultat de défavoriser systématiquement un exploitant par rapport à l'un de ses concurrents dans sa zone de chalandise ".