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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 11 octobre 1995, n° 94-005753

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lambert Ollivier (SA)

Défendeur :

Lambert Diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Gibou Pignot Grappotte Benetreau, SCP Taze Bernard Belfayol Broquet

Avocats :

Mes Camus, Giacobbi.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 7 oct. 1…

7 octobre 1993

Statuant sur l'appel interjeté par la société Lambert Ollivier du jugement rendu le 7 octobre 1993 par le Tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à la société Lambert Diffusion.

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Lambert Ollivier inscrite initialement au RCS de Paris le 28 novembre 1986 et à ce jour à celui de Nanterre et ayant pour objet social la création, la fabrication et la commercialisation d'articles d'habillement et d'accessoires, est titulaire de la marque "Lambert Ollivier" déposée à l'Institut national de la propriété industrielle le 25 septembre 1987 et enregistrée sous le n° 1 658 264 pour désigner divers produits dans les classes 3, 14 et 18.

La société Lambert Diffusion qui a été immatriculée le 25 janvier 1990 au Registre du commerce de Paris a pour activité la vente de vêtements d'uniformes et de tous accessoires s'y rapportant.

Faisant valoir qu'en utilisant la dénomination "Lambert Diffusion" la société du même nom portait atteinte à sa marque et à son nom commercial et se livrait à son encontre à des actes de concurrence déloyale, la société Lambert Ollivier l'a, après une sommation demeurée sans effet, assignée le 27 janvier 1993 devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Elle sollicitait sa condamnation pour contrefaçon et concurrence déloyale à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts outre des mesures d'interdiction et de publication et le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Lambert Diffusion ne constituait pas avocat.

Le tribunal par le jugement entrepris a déclaré mal fondée la demande de Lambert Ollivier.

Cette société a interjeté appel le 25 janvier 1994.

Elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et reprend les termes de son exploit introductif tels qu'exposés ci-dessus.

Par ailleurs elle sollicite la nullité de la marque "Lambert Diffusion" et réclame paiement de la somme de 23 720 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Lambert Diffusion poursuit la confirmation du jugement et sollicite paiement de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

I - Sur la contrefaçon de marque

Considérant que l'appelante soutient que si toute personne a le droit de faire usage de son nom patronymique dans les faits et actes de commerce, cet usage ne doit pas être frauduleux et déloyal.

Qu'elle ajoute que son dépôt étant antérieur, il appartenait à l'intimée de prendre toutes les précautions afin d'éviter toute confusion avec elle-même, ce que celle-là n'a pas fait.

Qu'elle estime que le terme Diffusion étant banal, son adjonction au patronyme Lambert seul élément distinctif ne fait pas disparaître le risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, et ce d'autant plus que les deux sociétés ont des activités totalement similaires.

Considérant que la société intimée réplique qu'elle a adopté la dénomination sociale et le nom commercial Lambert Diffusion parce qu'elle assure la vente d'uniformes fabriqués par M. Max Lambert associé de la société et connu dans la profession sous ce nom, depuis 1965,

Qu'elle prétend encore qu'aucune restriction ne peut être apportée à l'usage de ce patronyme dès lors qu'il n'est ni rare ni notoire.

Qu'enfin elle fait valoir que les deux sociétés en cause ne commercialisent pas les mêmes produits et ne s'adressent pas à la même clientèle.

Qu'elle en conclut que la contrefaçon n'est pas constituée,

Considérant les moyens des parties étant ainsi exposés qu'il n'est pas justifié de ce que la société intimée serait titulaire d'une marque "Lambert Diffusion", aucun certificat d'identité de marque n'ayant été communiqué.

Qu'en conséquence il convient, au titre de la contrefaçon de rechercher si l'utilisation par la société intimée de la dénomination sociale et du nom commercial "Lambert Diffusion" porte atteinte aux droits de la société appelante sur la marque "Lambert Ollivier" et constitue un acte de contrefaçon.

Considérant que cette marque se présente ainsi :

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Que les couleurs suivantes sont revendiquées lettres jaunes sur fond vert.

Que le dépôt vise les produits suivants parfumerie, cosmétiques et lotions. Tous articles en cuir, maroquinerie, peausseries, malles et valises, sacs, parapluies; cravates, carrés de soie, noeuds papillon. Tous articles d'habillement de toute nature, homme, femme et enfant, chaussures homme, femme et enfant ; joaillerie, bijouterie, pierres précieuses, horlogerie.

Considérant qu'il résulte tant de l'extrait K bis de la société intimée que des devis et factures mis aux débats que la société Lambert Diffusion commercialise des vêtements d'uniformes et les accessoires s'y rapportant (cravates, chaussettes, gants, casquettes) pour des administrations ou des sociétés.

Considérant que la marque étant protégée en vertu de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle contre une usurpation pour des objets similaires, il importe peu que les uniformes ne soient pas mentionnés au dépôt de la marque "Lambert Ollivier" dès lors qu'il s'agit d'articles destinés à être revêtus par l'homme, la femme ou l'enfant et qui peuvent donc être attribués par les acheteurs à la même origine que les articles d'habillement et les accessoires s'y rapportant mentionnés au dépôt de la marque.

Considérant sur l'usage du patronyme Lambert que l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose que " l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l'enregistrement, soit le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom patronymique.

Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l'enregistrement peut demander qu'elle soit limitée ou interdite".

Considérant que ce texte énonçant que l'homonyme peut employer son nom sous forme de dénomination sociale, il en résulte qu'une société peut s'en prévaloir.

Mais considérant que ce bénéfice ne peut être revendiqué par une personne morale, qu'à la condition que l'homonyme exerce au sein de la société de réelles fonctions de contrôle et de direction.

Or considérant qu'il résulte des pièces mises aux débats que Max Lambert n'exerce aucune fonction de responsabilité au sein de la SARL Lambert Diffusion dont M. Giora est seul gérant (le premier gérant ayant été M. Bachetti) et qu'il ne détient que 200 actions sur 2000.

Qu'il ne s'identifie pas à cette société et n'y joue aucun rôle prépondérant.

Qu'il importe peu qu'il ait été du 21 juin 1990 au 8 septembre 1991 le gérant de la société CHP et que celle-ci ait utilisée l'enseigne Lambert, dès lors que ce n'est pas à cette société, qui n'est pas dans la cause, qu'il est fait grief d'utiliser la dénomination Lambert.

Que dans ces conditions la société Lambert Diffusion est mal fondée à se prévaloir du bénéfice de l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Considérant que dans la marque opposée chacun des noms Lambert et Ollivier est en lui-même distinctif.

Que dans la dénomination sociale et le nom commercial "Lambert Diffusion" le terme "Lambert" ne se fond pas dans un ensemble avec le mot "Diffusion" mais constitue le seul élément distinctif et attractif.

Qu'à une époque où les sociétés diversifient leurs activités, le public peut être enclin à penser qu'il s'agit d'un département de la société Lambert Ollivier ou d'une filiale.

Que le risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne, entre la marque de l'appelante et la dénomination utilisée par l'intimée, est d'autant plus réel que sur son papier à en tête la société Lambert Diffusion fait figurer le mot "Diffusion" en plus petits caractères que le mot " Lambert ".

Que dans ces conditions, il est démontré qu'en adoptant la dénomination sociale Lambert Diffusion et en l'utilisant pour commercialiser des vêtements d'uniforme et leurs accessoires, la société intimée a commis des actes de contrefaçon de la marque " Lambert Ollivier ".

Que le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a débouté la société Lambert Ollivier de sa demande de ce chef.

II - Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société appelante fait valoir que les parties en cause ont les mêmes activités et qu'en cherchant à capter sa clientèle et à profiter du nom d'une société déjà existante et bien implantée sur le marché, la société Lambert Diffusion a commis à son encontre des actes de concurrence déloyale.

Considérant que la société intimée réplique d'une part que l'appelante ne justifie pas de faits distincts de ceux invoqués à l'appui de la demande en contrefaçon de marque.

Que d'autre part elle soutient que les deux entreprises ne commercialisent pas les mêmes produits et ne s'adressent pas à la même clientèle.

Considérant ceci exposé que l'appelante selon son extrait K Bis a pour activité création, fabrication, commercialisation d'articles d'habillement, accessoires et tous articles textiles, toutes transactions commerciales portant sur les marchandises biens et services import export, représentation.

Que celui de l'intimée révèle qu'elle a pour objet la vente de vêtements d'uniformes et de tous accessoires s'y rapportant.

Considérant cependant que les bons de commande et le catalogue produits par Lambert Ollivier démontre que tout comme Lambert Diffusion, elle commercialise auprès de banques et d'entreprises des uniformes et/ou leurs accessoires ainsi que des vêtements avec marquage publicitaire.

Que les deux sociétés en cause s'adressent donc à la même clientèle et sont en concurrence sur le même marché.

Or considérant que l'intimée qui ne justifie pas être aux droits des Etablissements Lambert ne conteste pas que l'appelante ait fait usage depuis sa création en novembre 1986 ou tout du moins avant le 25 janvier 1990, date d'immatriculation de la société Lambert Diffusion, du nom commercial Lambert Ollivier,

Qu'en adoptant dans ces conditions, à titre de nom commercial et de dénomination sociale "Lambert Diffusion", qui reprend à l'identique le nom Lambert, la société intimée a fait preuve d'une imprudence manifeste créant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle.

Que ces faits sont constitutifs de concurrence déloyale.

III - Sur les mesures réparatrices

Considérant que la société appelante qui évalue son préjudice financier à la somme de 200 000 F fait essentiellement valoir que son chiffre d'affaires a connu une chute brutale en 1993.

Considérant que l'intimée réplique que cette baisse qui n'est pas prouvée, est certainement due à des éléments conjoncturels autres que les faits litigieux.

Considérant ceci exposé que le compte de résultat certifié conforme produit par Lambert Ollivier établit qu'entre 1992 et 1993 son chiffre d'affaires est passé de 4 575 139 F à 2 645 056 F.

Considérant que s'il n'est pas démontré que cette baisse soit due exclusivement aux agissements de la société Lambert Diffusion, il n'en demeure pas moins que cette société a causé à l'appelante un préjudice commercial et ce d'autant plus que le marché où ces deux sociétés exercent leurs activités est un marché étroit.

Qu'eu égard aux éléments communiqués la somme réclamée par l'appelante constitue la juste réparation de son préjudice.

Qu'à titre de réparation complémentaire et pour éviter par ailleurs la poursuite des actes de contrefaçon, il convient de faire droit aux mesures de publication et d'interdiction dans les conditions précisées au dispositif.

Qu'en revanche dès lors qu'il n'est pas justifié de l'existence d'une marque "Lambert Diffusion", il n'y a pas lieu de prononcer la nullité d'un tel dépôt.

Considérant qu'il y a lieu d'allouer à la société appelante pour les frais hors dépens par elle engagés la somme de 20 000 F.

Considérant en revanche que la société intimée qui succombe sera déboutée de sa demande formée du chef de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit qu'en utilisant à titre de dénomination sociale et de nom commercial "Lambert Diffusion" la société Lambert Diffusion a commis - des actes de contrefaçon de la marque n° 1 658 264 dont la société Lambert Ollivier est titulaire, - des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Lambert Ollivier, La condamne à payer à la société Lambert Ollivier la somme de deux cents mille francs (200 000 F) à titre de dommages et intérêts, Fait interdiction à la société Lambert Diffusion d'utiliser le terme " Lambert " à titre de marque, de nom commercial et de dénomination sociale pour commercialiser et/ou désigner des vêtements d'uniformes et de tous accessoires s'y rapportant et ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, Dit que dans le même délai et dans les mêmes conditions d'astreinte, Lambert Diffusion devra justifier avoir accompli les démarches auprès du registre du commerce aux fins de modification de sa dénomination sociale, Autorise la société Lambert Ollivier à faire publier le dispositif du présent arrêt dans deux journaux ou revues de son choix et aux frais de la société Lambert Diffusion sans que le coût total des insertions puisse excéder la somme de 30 000 F HT, Condamne la société Lambert Diffusion à payer à la société Lambert Ollivier la somme de vingt mille francs (20 000 F) en application de l'article du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'instance et d'appel, Admet la SCP Gibou Pignot Grappotte Benetreau avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.