CA Paris, 4e ch. A, 17 mars 2004, n° 2003-00877
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Christian Lacroix (SNC)
Défendeur :
France Gift (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Menard-Scelle-Millet, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes de Cande, Clery.
Vu l'appel interjeté par la société Christian Lacroix du jugement du Tribunal de commerce de Paris qui a:
- dit l'action recevable,
- condamné la société Christian Lacroix à payer à la société France Gift la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Christian Lacroix à payer à la société France Gift la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens;
Vu les dernières écritures signifiées le 13 janvier 2004 par lesquelles la société Christian Lacroix, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de:
- dire que le modèle "Passementerie" par elle créé le 18 octobre 1995 est original et à ce titre peut être protégé par les livres I et III du Code de la propriété intellectuelle protégeant le droit d'auteur,
- dire que la société France Gift, en important en France, en offrant à la vente et en vendant son modèle de trois couverts pour fromage "Cartisane", tel que saisi dans ses locaux le 28 février 2001, a commis des actes de contrefaçon à son détriment,
- dire que la société France Gift s'est inscrite dans son sillage dans le but de profiter autant que faire se peut des investissements consentis pour créer ledit modèle, mais également le faire connaître de manière très large et en commercialisant au demeurant des produits de qualité médiocre à des prix dérisoires, a commis des agissements parasitaires constitutifs de concurrence déloyale et a engagé sa responsabilité civile,
- interdire à la société France Gift la poursuite de tels agissements illicites, sous astreinte de 150 euro par couvert offert à la vente à compter de la signification de la décision,
- ordonner la confiscation du stock de couverts "Cartisane" encore détenu par la société France Gift et leur remise entre ses mains, sous astreinte de 3 000 euro par jour de retard, en vue de leur destruction sous contrôle d'huissier,
- se réserver la liquidation des astreintes,
- ordonner la publication dans plusieurs journaux revues ou magazines de son choix, dans la limite de quatre, d'un texte libellé dans ses écritures comprenant la reproduction du modèle original et de la contrefaçon, aux frais de la société France Gift à hauteur de 10 000 euro HT pour l'ensemble des publications et ce, à titre de dommages-intérêts complémentaires,
- condamner la société France Gift à lui verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à verser à la société France Gift la somme de 10 000 euro pour procédure abusive;
Vu les dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2004 aux termes desquelles la société France Gift sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Christian Lacroix de son action en contrefaçon artistique et en concurrence déloyale et a reconnu le caractère abusif de la procédure, et son infirmation pour le surplus, demandant à la cour de :
- dire le modèle Passementerie Follement de la société Christian Lacroix dépourvu de toute originalité et donc insusceptible de bénéficier de la protection du droit d'auteur, notamment au regard de l'antériorité produite,
- condamner la société Christian Lacroix à lui payer les sommes suivantes:
* 150 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
* 150 000 euro à titre de dommages-intérêts pour appel abusif,
- ordonner, si besoin à titre de dommages-intérêts complémentaires, la publication de l'arrêt à intervenir, dans dix journaux français ou étrangers, de son choix, aux frais de la société Christian Lacroix, dans la limite de 5 000 euro HT par insertion,
- condamner la société Christian Lacroix à lui verser la somme de 25 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur ce, LA COUR
Considérant que la société Christian Lacroix se prévaut de la titularité des droits d'auteur sur un modèle de couvert dénommé "Passementerie" qui a fait l'objet d'un procès-verbal de constat de Maître Avalle, huissier de justice à Paris, le 17 novembre 1995, et sur un modèle de couvert dénommé "Follement", qui constituerait la mise en œuvre sur un plan industriel du modèle "Passementerie", qu'elle justifie par la production d'extraits de presse et d'une facture avoir commercialisé dans les boutiques à l'enseigne "Pavillon Christofle" au mois de janvier 1997;
Qu'elle fait grief à la société France Gift d'avoir reproduit les caractéristiques du modèle "Passementerie", commercialisé dans le cadre de la ligne dénommée "Follement", dans un ensemble de couverts présentés sous la dénomination "Cartisane";
Sur le caractère protégeable au titre du droit d'auteur du modèle "Passementerie/Follement"
Considérant que la société Christian Lacroix caractérise les modèles "Passementerie" et "Follement" ainsi:
- l'aspect torsadé des fils composant l'embout de l'embrasse,
- cet ensemble de fils qui constitue le manche est d'une section irrégulière, successivement large puis se rétrécissant pour s'élargir légèrement en partie basse,
- l'ondulation et l'enchevêtrement des fils constituant cet embout,
- en partie supérieure, la reproduction d'un fil torsadé maintenant ensemble les différents éléments de l'embout,
- au dessus de ce fil une décoration ciselée présentant des entrelacs,
- au dessus de cette décoration, une nouvelle reproduction d'un fil torsadé;
Considérant qu'il convient à titre liminaire de relever, comme le soutient exactement la société France Gift, que si les deux modèles de la société Christian Lacroix procèdent d'une inspiration commune, ils diffèrent en ce que:
- les franges de passementerie du manche du dessin de 1995 sont rectilignes, disposées selon un maillage serré, de longueur inégale et à embout rond,
- alors que celles du modèle commercialisé en 1997 sont légèrement ondulées et enchevêtrées, à grain plus rond, coupées droit au niveau de l'embout;
Considérant que la société France Gift conteste l'originalité des modèles qui lui sont opposés faisant valoir que la transposition d'un modèle de passementerie, existant de longue date et parfaitement accessible à la connaissance des tiers et à la sienne, dans le domaine des arts de la table ne constitue pas un effort créateur suffisant pour conférer à la société Christian Lacroix des droits privatifs; qu'elle se fonde principalement, pour dénier toute originalité aux modèles, sur une planche de dessin conservée au Musée des Arts Décoratifs, sur des modèles de coupes et de seaux à glace commercialisés sous son nom et sur deux ouvrages intitulés "Des dorelotiers aux passementiers" et "La passementerie" ;
Considérant, d'une part, que l'application des ouvrages de passementerie aux arts de la table avait déjà été réalisée antérieurement ainsi qu'il ressort de l'examen d'une planche illustrée intitulée "Silver-Handled Cutlery", extraite d'un ouvrage de la bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs, qui présente, sous les références H et J, des couverts datés de 1779, dont le manche représente un gland associé à des franges de passementerie ; que la société France Gift justifie avoir mis en œuvre ce thème dans le domaine des arts de la table en commercialisant, dans le courant de l'année 1994, des objets en métal argenté, coupes, seaux à glace et pichets, portant la référence "Noeud", agrémentés de cordons et pompons de passementerie;
Que la société Christian Lacroix ne peut donc se prévaloir de la transposition de l'apparence d'un embout d'embrasse de rideau, dans le domaine des arts de la table;
Considérant, d'autre part, que la forme spécifique de l'embout d'embrasse de tenture adoptée par la société Christian Lacroix dans le modèle "Passementerie" est la reprise à l'identique des ciselures d'un modèle de gland de l'époque 1er Empire reproduit dans l'ouvrage intitulé "La Passementerie", publié en 1981 et dans une plaquette ayant pour titre "des Dorelotiers aux Passementiers", éditée en 1973 par le Musée des Arts Décoratifs à l'occasion d'une exposition; qu'il résulte du procès-verbal de constat dressé le 25 septembre 2003 que ces deux ouvrages de vulgarisation consacrés au métier d'art de la passementerie peuvent être consultés au Musée des Arts Décoratifs; qu'ils sont en outre disponibles par le biais de sites Internet;
Que le mouvement ondulatoire des franges de l'embout imprimé par la société Christian Lacroix au modèle "Follement", absent du modèle "Passementerie", préexistait sur les manches de couverts XVIIIe siècle illustrant la planche précédemment examinée et sur les coupes et seaux à glace commercialisés par la société France Gift en 1994;
Qu'il s'ensuit que les caractéristiques de forme du manche de couvert revendiqué, à savoir l'association des ciselures du gland, simple reprise d'un modèle reproduit dans des ouvrages accessibles à toute personne recherchant une documentation sur la passementerie, au mouvement d'ondulation et à l'enchevêtrement des fils représentant la frange, que dévoilent les modèles antérieurs précités, ne traduisent pas un effort créatif reflétant la personnalité de l'auteur;
Que les modèles dénommés "Passementerie" et 'Follement" dépourvus d'originalité, ne sont donc pas protégeables par le droit d'auteur;
Que la société Christian Lacroix doit en conséquence être déboutée de ses demandes sur le fondement de la contrefaçon;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que la société Christian Lacroix prétend que la société France Gift a choisi de manière opportune le mois de décembre 1997, date culminante des efforts de communication entrepris par elle pour promouvoir le modèle "Follement", pour commercialiser son modèle "Cartisane" à bas prix et dans une qualité médiocre ;
Mais considérant que si plusieurs magazines féminins et revues de décoration ont présenté, durant le premier trimestre 1997, la ligne de couvert "Follement", il n'est pas démontré par les factures produites aux débats datées des années 2000 et 2001, à l'exception de deux factures de 1997 dont l'une concernant un client australien, que ces modèles étaient largement diffusés avant la mise sur le marché, en décembre 1997, du modèle "Cartisane" de la société France Gift de sorte que la société France Gift aurait tiré profit du succès du modèle;
Considérant par ailleurs que la société Christian Lacroix est mal fondée à invoquer la différence entre les prix retenus, dès lors qu'il n'est pas démontré que le prix inférieur pratiqué par la société France Gift résulte d'une vente à perte; qu'en outre, la société France Gift justifie le coût moindre de ses produits par le fait qu'elle avait déjà conçu, en 1993, une ligne de produits utilisant le thème de la passementerie; que si les manches des couverts vendus sous la dénomination "Cartisane" présentent un aspect moins raffiné, notamment dans le détail des ciselures du gland et le grain des fils formant la frange, la composition du métal argenté des modèles en cause ou leur mode d'assemblage n'étant pas précisés, la preuve n'est pas rapportée qu'ils sont réalisés dans un matériau de qualité médiocre, moins résistant à l'usure;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté le grief de concurrence déloyale;
Sur les autres demandes
Considérant qu'à supposer même que la société Christian Lacroix connaisse les ouvrages antérieurs sur le métier de la passementerie invoqués par la société intimée et s'y soit reportée pour mettre au point sa ligne de couverts, il n'est pas établi que son action procède d'une intention délibérée de nuire à un concurrent ; que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société France Gift doit donc être rejetée;
Que la demande de publication n'apparaît pas justifiée;
Qu'en revanche, les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent lui bénéficier, la somme complémentaire de 15 000 euro devant lui être allouée à ce titre;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Christian Lacroix;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Christian Lacroix de ses demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale; Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau; Dit que les modèles de couvert dénommés "Passementerie" et "Follement" ne sont pas protégeables au titre du droit d'auteur; Déboute la société France Gift de ses demandes de dommages-intérêts et de publication; Y ajoutant; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Christian Lacroix à payer à la société France Gift la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Christian Lacroix aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.