CA Paris, 14e ch. A, 9 juin 2004, n° 2004-01704
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
BIVB (Sté)
Défendeur :
ANPA (Sté), CNIV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
M. Beaufrère, Mme Percheron
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Melun, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau
Avocats :
Mes Gautheron, Giafferri, Calvet.
Vu l'appel formé le 20 janvier 2004 par le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne d'une ordonnance rendue le 6 janvier 2004 par le juge de référés du Tribunal de grande instance de Paris qui lui a interdit sous astreinte de réitérer ou de poursuivre une campagne publicitaire pour les vin de Bourgogne,
Vu les conclusions du 27 avril 2004, par lesquelles le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de débouter l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme de ses demandes et de la condamner à payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, subsidiairement, de renvoyer les parties à saisir le juge du fond, plus subsidiairement, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle sur la conformité au droit communautaire du régime d'interdiction des publicités collectives en faveur de boissons alcooliques d'appellation d'origine,
Vu les conclusions du 25 février 2004 par lesquelles le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine, se joignant d'appel, demande à la cour de réformer l'ordonnance, sauf en ce qu'elle a déclaré recevable son intervention volontaire, de débouter l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme de ses demandes, subsidiairement de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle proposée par le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et de condamner l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme à payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions du 25 mars 2004 par lesquelles l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme demande à la cour de confirmer l'ordonnance attaquée et de condamner le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine à lui payer, chacun, la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Considérant que le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne a entamé en mars 2003 une campagne promotionnelle pour les vins de Bourgogne par la publication dans le journal Le Monde, puis en septembre 2003, dans la revue TGV distribuée sur les lignes de la SNCF, de publicités représentant une étiquette stylisée de vin de Bourgogne décrivant les qualités de ces vins en termes oenologiques, sur fond de silhouettes féminines vues à travers la transparence de verres de vin blanc ou rouge ; qu'estimant que ces publicités sont illicites, l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme a saisi le juge des référés en interdiction de leur diffusion et de la suite de la campagne prévue par le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne; que le premier juge a fait droit à la demande;
Considérant que, pour contester cette décision, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine soutiennent, d'une part, que l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique, sur lequel se fondu l'interdiction prononcée, n'est pas applicable aux actions de propagande collective menées, conformément à leur mission légale par les organismes professionnels officiellement chargés de la promotion des vins d'appellation d'origine, dès lors que l'interdiction, pénalement sanctionnée, ne concerne que la publicité pour une boisson alcoolique déterminée, comme le montrent sa rédaction et les travaux préparatoires du la loi, d'autre part, que ce qui revient, en méconnaissance de leur statut, à interdire toute action de promotion des interprofessions est contraire aux articles 28 et 49 du traité de la Communauté européenne;
Sur l'application de l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique
Considérant que l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique dispose que la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse dus fabricants, des agents et des dépositaires, ainsi que du mode d'élaboration, dus modalités de vente et du mode de consommation du produit;
Considérant que ce texte, inclus dans le chapitre III du Code de la santé publique intitulé "publicité des boissons ", et l'incrimination pénale dont il est assorti à l'article L. 3351-7 du même Code, s'appliquent aux actions promotionnelles un faveur du vin considéré comme un produit alcoolique, et ne sont pas restreintes aux publicités effectuées pour le compte d'une marque, d'un fabricant ou d'un vendeur déterminé; qu'en effet, ces dispositions ne distinguent pas entre les publicités réalisées pour un ensemble de producteurs de boissons alcooliques et celles de l'un d'entre eux;que, d'autre part, le fait qu'une publicité collective ne puisse pas contenir l'ensemble des mentions autorisées par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique n'entraîne pas, à défaut de distinction explicite, l'exclusion de ce type de publicités du champ d'application du texte; que le caractère seulement facultatif de la peine complémentaire d'interdiction à la vente, prévue par l'article L. 3351-7 du Code de la santé publique à l'encontre des personnes physiques en cas de récidive, ne fait pas obstacle à l'application de la peine principale d'amende aux organismes interprofessionnels chargés de la promotion du vin, ni même, éventuellement, au prononcé de cette peine complémentaire contre les personnes physiques qui exerceraient une activité de vente de la boisson alcoolique concernée;qu'enfin, il convient de noter que, tout en prétendant que ce texte ne lui est en rien applicable, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne a pris soin de mentionner dans ses publicités l'avertissement prévu par le dernier alinéa de l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique;
Considérant que le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme ne contestent pas que les publicités en cause, qui contiennent des éléments promotionnels autres que ceux limitativement autorisés par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique, tombent sous le coup de l'interdiction résultant de ce texte, qu'elles s'inscrivent, selon les indications figurant sur le site Internet du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne versées aux débats, dans da plus grande campagne de presse de l'histoire des vins de Bourgogne ", destinée à durer jusqu'en 2006 et à montrer au public, "à travers un langage évocateur et dus visuels féminins qui suggèrent toute leur finesse ", que "les vins de Bourgogne révèlent un univers riche fait d'élégance, de légèreté et de modernité [...] propre à séduire une cible de jeunes adultes mais aussi un public de connaisseurs "; que dans ces circonstances, le juge des référés a justement décidé que les publicités déjà réalisées et celles à venir, dont il n'est pas contesté qu'elles doivent être effectuées dans des termes semblables, constituent au préjudice de l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme un trouble manifestement illicite, dés lors que les mesures qu'il a ordonnées ne sont pas contraires aux dispositions communautaires;
Sur la conformité au droit communautaire
Considérant que, selon la Cour de justice des Communautés européennes, ni l'article 30 (devenu article 28) du traité sur la libre circulation dus marchandises, ni l'article 56 (devenu article 49) de ce même traité relatif à la libre prestation des services ne s'opposent à une interdiction des annonces publicitaires pour les boissons alcooliques, sauf s'il apparaît que, dans les circonstances de droit et de fait qui caractérisent la situation dans l'Etat membre concerné, dont l'appréciation relève dus juridictions nationales, la protection de la santé publique contre les méfaits de l'alcool peut être assurée par des mesures affectant de manière moindre le commerce intracommunautaire;
Considérant que le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine ne démontrent pas que les limitations apportées par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique aux publicités collectives en faveur du vin, qui n'ont pas pour effet de les interdire explicitement ou " implicitement ", sont disproportionnées aux objectifs de santé publique et de lutte contre les méfaits de l'alcool visés par ce texte, en ce qu'elles ne seraient pas propres à garantir la réalisation des objectifs qu'elles poursuivent et iraient aux delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint, ni que des mesures d'effet équivalent au regard de ces objectifs pourraient être prises en affectant de manière moindre le commerce intracommunautaire ; qu'il s'ensuit que les dispositions prises par le premier juge ne sont pas contraires aux dispositions communautaires invoquées et, qu'à défaut de difficulté d'interprétation, il n'y a pas lieu de saisir la juridiction européenne de la question préjudicielle proposée à titre subsidiaire par le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et par le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine
Sur les frais de la procédure
Considérant que le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, appelant principal qui succombe en son recours, doit supporter les frais de cette procédure au profit de l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme pour les montants figurant au dispositif du présent arrêt;
Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne. Confirme l'ordonnance rendue le 6 janvier 2004 par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris. Condamne le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne à payer à l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.