Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-21.474
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Heckel (SA)
Défendeur :
Adidas Sarragan France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Parmentier, Didier, SCP Piwnica, Molinié.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 24 septembre 2002), que la société Heckel, qui a pour objet la distribution, l'importation et l'exportation de tous articles chaussants, de confection, de mode et de sécurité, a conclu le 3 octobre 1983 un contrat de distribution exclusive avec la société Adidas pour la distribution des produits de cette société dans un certain secteur, dont l'étendue et la nature fait notamment l'objet du litige entre les parties ; que, conclu pour cinq ans, le contrat fut reconduit le 3 octobre 1988 puis le 3 octobre 1993 ; que, par lettre recommandée du 16 mars 1998, la société Adidas a notifié à la société Heckel la résiliation du contrat à compter du 2 octobre 1998; que des pourparlers s'en sont suivis entre les parties sur les conditions possibles d'une collaboration sous une autre forme ; que par acte du 10 décembre 1998, la société Heckel a fait assigner la société Adidas en paiement de dommages-intérêts en se prévalant de la violation par son fournisseur de la clause d'exclusivité, de l'abus de dépendance économique dont elle aurait été victime et de la rupture abusive des relations contractuelles;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société Heckel fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Adidas au paiement de dommages-intérêts pour non-respect de l'exclusivité consentie, alors, selon le moyen : 1°) que le contrat litigieux indiquait, dans son préambule: "en raison du marché très particulier que constitue la distribution à travers les foyers militaires et les économats, d'une part, et des excellentes relations que "Heckel" entretient avec l'ensemble des services militaires, d'autre part, " Adidas " a confié à " Heckel " la distribution de ses produits pour ce secteur militaire" et stipulait dans ses articles 1 et 3, respectivement, que "Par le présent contrat, " Adidas " confère à "Heckel" la distribution de tous les produits revêtus de la marque Adidas (ci-après dénommés " les produits ") à travers les foyers et économats militaires" et que "Heckel prospectera et livrera exclusivement l'ensemble des foyers, économats militaires, clubs militaires, gendarmeries, CRS, douanes. Heckel s'interdit de vendre à tout autre acheteur et en particulier: - clubs et collectivités civiles, - détaillants de sport, - magasins de chaussures, - groupement et associations civiles, - grandes surfaces, centrales d'achat et chaînes de succursalistes, sans que cette liste puisse être considérée comme exhaustive"; qu'en jugeant que ces stipulations étaient claires et précises, quand elles ne permettaient pas de déterminer sans ambiguïté l'étendue de l'exclusivité conférée à la société Heckel par la société Adidas, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil : 2°) qu'en considérant que M. Delecour, ancien directeur commercial de la société Adidas, n'indiquait nullement que la société qu'il représentait avait voulu concéder la distribution auprès des armées ou des services des douanes, de la police ou des pompiers, après avoir relevé que l'attestation de l'intéressé précisait que la société avait entendu consentir un droit de distribution exclusif pour " les milieux militaires, policiers ou douaniers, et de pompiers " la cour d'appel a dénaturé l'attestation qui lui était soumise et violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'en jugeant qu'il ne résultait pas de l'attestation de M. Richard, responsable de l'administration des ventes de la société Adidas, ainsi libellée : " mes supérieurs hiérarchiques successifs m'ont toujours présenté la société Heckel comme étant chargée de la distribution exclusive des produits Adidas auprès des militaires, de la police, des pompiers et des douanes ; j'avais consigne jusqu'à mon départ de la société Adidas, en cas de sollicitation d'un client entrant dans ce groupe, de le renvoyer vers la société Heckel " que la société Adidas avait confié à la société Heckel la fourniture des armées ou des administrations, de la police, de la douane ou des services de secours, la cour d'appel a dénaturé le document qui lui était soumis, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 4°) qu'en jugeant qu'une vente conclue directement avec l'armée de l'air par la société Adidas ne méconnaissait pas l'exclusivité conférée par cette dernière à la société Heckel après avoir relevé que cette exclusivité concernait notamment les milieux militaires, policiers ou douaniers, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'en relevant qu'en mentionnant les foyers et économats, les parties ont désigné les entités qui, selon des modalités diverses, avec l'autorisation ou le contrôle des armées ou des administrations, exercent des activités de service ou de revente auprès des personnels des armées ou administrations, sans convenir de confier à la société Heckel la distribution aux armées ou administrations elles-mêmes et que le contrat exprime clairement la portée que les parties ont entendu donner à la clause d'exclusivité, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et troisième branches, a justement décidé que les stipulations contractuelles étaient dépourvues d'ambiguïté et que la violation de la clause d'exclusivité alléguée n'était pas constituée;que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses deuxième et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus;
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société Heckel fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Adidas au paiement de dommages-intérêts pour abus de dépendance économique, alors, selon le moyen : 1°) que l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de se part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que dans l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents; qu'en statuant sur la dépendance alléguée de la société Heckel envers la société Adidas sans préciser quel marché elle retenait, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce dans se rédaction applicable aux faits de l'espèce; 2°) qu'en retenant que rien ne montrait l'illusion qu'il y aurait à envisager que la société Heckel distribue des produits d'autres marques, sans s'expliquer sur ses conclusions qui indiquaient qu'il était illusoire d'envisager qu'elle puisse d'approvisionner en produits Reebok ou Nike, dès lors que ces deux enseignes disposaient de réseaux de distribution établis, auxquels Heckel était étrangère, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; 3°) qu'en retenant que rien ne rendait impossible l'adhésion de la société Heckel à la nouvelle charte à laquelle la société Adidas Sarragan France soumettait ses distributeurs, sans rechercher si une telle adhésion n'était pas économiquement exclue dès lors que la société Heckel exerçait l'activité de grossiste et non de détaillant, la cour d'appel a privé se décision de toute base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce; 4°) qu'enfin, l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents; que la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur s'apprécie au regard du chiffre d'affaires réalisé par ce dernier dans le marché considéré ; qu'en s'attachant à la part des produits du fournisseur dans le chiffre d'affaires global de la société Heckel quand seul devait être pris en compte la part du chiffre d'affaires réalisé dans un marché déterminé, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce dans se rédaction applicable aux faits de l'espèce;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt ayant examiné la position dominante et l'état de dépendance allégué sur le marché en cause des équipements de sports, lequel n'était pas discuté par les parties, le premier grief manque par le fait qui lui sert de base ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève qu'il n'est pas établi que la société Heckel, à laquelle cette preuve incombait, ne peut exercer sans proposer des produits de marque Adidas et en particulier que rien ne montre l'illusion qu'il y aurait à ce qu'elle distribue d'autres marques et que rien ne rend impossible son adhésion à la nouvelle charte à laquelle la société Adidas soumet ses distributeurs ; que la cour d'appel qui a répondu, pour les écarter, aux conclusions prétendument omises, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en troisième lieu, qu'en l'état des conclusions de la société Heckel lesquelles ne contestaient pas, comme l'arrêt l'a relevé, les éléments chiffrés fournis par la société Adidas quant au chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec différents fournisseurs, et n'ont pas fait valoir que ces données n'étaient pas pertinentes au regard de l'abus allégué, la société Heckel n'ayant elle-même fourni aucun chiffre, le grief de la troisième branche est nouveau, mélangé de fait et de droit et irrecevable; qu'il suit de là que le moyen, irrecevable en sa troisième branche et non fondé en ses autres branches, ne peut être accueilli ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Heckel fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Adidas au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de distribution, alors, selon le moyen : 1°) qu'engage se responsabilité le fournisseur qui, pour mettre fin aux relations contractuelles, l'ayant uni à son distributeur pendant une durée de quinze ans, lui indique sommairement que "conformément aux dispositions de l'article 15 relatif à la durée, nous souhaiterions résilier par la présente le contrat qui nous lie. Par conséquence, nos relations contractuelles cesseront à la date du 2 octobre 1998. Nous vous remercions pour votre collaboration dans le passé et vous prions de recevoir, messieurs, nos salutations distinguées" ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que manque à son obligation de loyauté et de bonne foi, et engage sa responsabilité, le fournisseur qui, ayant mis fin, après quinze ans, au contrat de distribution exclusive, propose à son ancien distributeur d'entrer dans un réseau de détaillants soumis à une charte de qualité, quand ce distributeur n'a jamais exercé que l'activité de grossiste et qu'une telle solution est économiquement inenvisageable; qu'en se bornant à énoncer que la proposition faite par la société Adidas à la société Heckel d'adhérer à la charte de distribution n'avait aucun caractère vexatoire et que la société Heckel avait pris le temps de l'étudier, sans rechercher concrètement si la proposition était ou non économiquement envisageable pour le grossiste évincé, la cour d'appel a privé se décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la lettre de résiliation litigieuse n'avait pas à être motivée et ne comportait aucun terme brutal, la cour d'appel, qui a constaté que le préavis avait été respecté, a, à bon droit, exclu le caractère fautif de la rupture alléguée;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu qu'aucune stipulation n'interdisait ni ne contraignait la société Adidas à faire des propositions à la société Heckel, laquelle les a suscitées en sollicitant la négociation des futures relations commerciales et ayant relevé que si la société Heckel considère que la proposition qui a lui été faite n'était pas adaptée à sa situation, elle ne manifestait aucune mauvaise foi et n'était pas totalement déplacée puisque la société Heckel a pris le temps de l'étudier, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.