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Décisions

TPICE, 1re ch., 19 mai 1994, n° T-2/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie nationale Air France (Sté)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, TAT (SA), British Airways plc (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schingten

Juges :

MM. García-Valdecasas, Kirschner, Vesterdorf, Lenaerts

Avocats :

Mes Marissens, Vajda, Winckler, Subiotto, Allan, Flynn.

TPICE n° T-2/93

19 mai 1994

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

Les faits à l'origine du litige

1 Par requête déposée au greffe du Tribunal, le 5 janvier 1993, la société anonyme à participation ouvrière Compagnie nationale Air France (ci- après "Air France") a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 27 novembre 1992 (IV-M. 259 - British Airways/TAT, ci-après "décision"), relative à une procédure d'application du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version révisée publiée au JO 1990, L 257, p. 13, ci-après "règlement").

2 Il ressort du dossier que l'opération de concentration en cause a été notifiée à la Commission le 23 octobre 1992, conformément à l'article 4 du règlement. Le 31 octobre 1992, la Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes l'avis prévu par l'article 4, paragraphe 3, du règlement (JO C 283, p. 10). Aux termes du point 4 de cette communication, la Commission invitait "les tiers concernés à lui transmettre leurs observations éventuelles sur le projet de concentration".

3 A la suite de cette publication, la partie requérante a soumis ses observations par lettre du 9 novembre 1992; elle a notamment contesté la définition du marché en cause retenue par la Commission, estimant que cette définition ne tenait pas compte de la situation de la concurrence sur l'ensemble du marché communautaire des transports aériens, en particulier du renforcement de la position de l'une des parties à l'opération en cause, British Airways plc (ci-après "British Airways"), sur le réseau international intracommunautaire.

4 La correspondance entre la requérante et la Commission s'est poursuivie par lettres des 10 novembre, 17 novembre, 19 novembre, 23 novembre, 2 décembre et 21 décembre 1992.

La décision attaquée

5 Dans la décision, la Commission constate, en application de l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement, que l'opération de concentration concernée ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.

6 Il ressort de la décision que l'opération de concentration en cause concerne l'acquisition, par British Airways, de 49,9 % du capital de la compagnie TAT European Airlines (ci-après "TAT EA"), les 50,1 % restants du capital continuant à être détenus par TAT SA (ci-après "TAT").

7 L'accord d'acquisition prévoit, en outre, une option d'achat de British Airways sur lesdits 50,1 %, pouvant être levée à tout moment jusqu'au 1er avril 1997. De son côté, TAT se voit accorder le droit de demander à British Airways d'acheter les 50,1 % restants du capital de TAT le 1er avril 1997. Selon les termes mêmes du point 5 de la décision, la Commission a considéré que, puisqu'il n'était pas certain que ces options soient exercées, il n'y avait pas lieu de prendre en compte cette seconde transaction potentielle pour l'appréciation de l'opération notifiée.

8 Il ressort également de la décision (points 6 et 7) qu'un accord d'actionnaires conclu entre British Airways et TAT prévoit que

a) le conseil d'administration de TAT EA sera composé de 9 membres dont 5 seront nommés par TAT et 4 par British Airways;

b) le président et le directeur général de TAT EA, qui occupaient les mêmes positions dans TAT, sont confirmés dans leurs fonctions pour une période initiale de deux ans avec l'accord de British Airways;

c) les décisions majeures ne peuvent être adoptées par le conseil d'administration de TAT EA que si au moins un des membres nommés par TAT et un des membres nommés par British Airways se prononcent en faveur de la proposition (les décisions concernées incluent, entre autres, toute modification du "business plan" concernant la période 1993/1996, élaboré et approuvé par TAT et British Airways en même temps que l'accord d'acquisition);

d) le directeur général adjoint chargé des affaires commerciales sera nommé par British Airways.

9 Le "business plan" prévoit notamment:

1) les routes desservies par TAT EA ainsi que les avions et les horaires avec lesquels elle opérera;

2) le plan de la flotte;

3) les projections relatives au nombre de passagers à transporter et le rendement à réaliser;

4) la stratégie quant aux routes internationales.

10 Sur la base de ces éléments, la Commission conclut que TAT EA "sera contrôlée conjointement" par British Airways et TAT (point 9).

11 Aux points 10 à 13 de la décision, consacrés à la question de savoir si l'on est en présence d'une concentration, au sens de l'article 3 du règlement n° 4064-89, la Commission conclut, tout d'abord, que la durée prévue de la filiale commune - soit approximativement six ans et demi, puisqu'il est prévu que l'accord sur l'entreprise commune cessera le 1er avril 1999 en cas de non-levée des options - est suffisamment longue pour créer une modification permanente des structures des entreprises concernées.

12 Elle constate ensuite que, suite à la cession d'une partie du capital, TAT abandonne ses activités dans le domaine couvert par la cession, de sorte qu'elle ne peut plus être considérée comme un concurrent actuel ou potentiel de TAT EA ni de British Airways. Quant aux relations de concurrence entre British Airways et TAT EA, la Commission constate que British Airways exercera une influence substantielle et croissante sur la façon dont l'entreprise commune sera dirigée et exploitée et jouera un rôle prépondérant dans sa direction.

13 Sur la base de ces considérations, la Commission constate que l'acquisition, par British Airways, du contrôle conjoint de TAT EA n'a ni pour objet ni pour effet la coordination du comportement concurrentiel d'entreprises qui restent indépendantes, au sens de l'article 3, paragraphe 2, alinéa premier, du règlement, et en conclut que l'opération en question constitue une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, dudit règlement.

14 Après avoir constaté, au point 14 de la décision, que l'opération est de dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement, la Commission examine, aux points 15 à 26, sa compatibilité avec le Marché commun.

15 La Commission constate que British Airways n'était en aucune façon présente sur les routes domestiques françaises avant l'opération contestée, tandis que TAT EA y détenait en 1991 3,8 % du trafic régulier global, en termes de nombre total de passagers transportés, et qu'Air France (directement ou à travers Air-Inter) y représentait 84,9 % du nombre de passagers. Elle en tire pour conclusion que l'opération en question ne conduit à aucune imbrication avec les routes domestiques de TAT EA, et qu'elle a pour effet de conférer à British Airways un accès limité au réseau domestique français et certaines possibilités d'alimenter ses activités à partir de la France.

16 En ce qui concerne les routes internationales de TAT EA et de British Airways, la Commission constate ensuite que les seules routes sur lesquelles existe une imbrication des services de TAT EA et de British Airways sont Paris-Londres et Lyon-Londres.

17 C'est sur la base de ces deux routes internationales que la Commission procède à la définition du marché en cause. Selon la décision (point 19), cette définition doit partir d'une route ou d'un faisceau de routes s'il y a substituabilité entre les routes qui le composent. Les autres facteurs susceptibles de s'avérer importants, toujours selon la décision, sont, d'une part, les conditions structurelles des aéroports et leurs capacités et, d'autre part, l'impact d'un réseau étendu ou de grand volume à l'intérieur d'une aire géographique donnée.

18 En ce qui concerne la substituabilité entre les routes en question, la Commission estime que chaque "paire de villes", à savoir Paris-Londres et Lyon-Londres, pourrait être considérée comme un marché. Elle est, toutefois, d'avis que, dans le cadre de l'opération en cause, le problème de la substituabilité entre aéroports est d'une importance considérable. A cet égard et en ce qui concerne la route Londres-Paris, la Commission examine la situation de la concurrence dans les différents aéroports qui entrent en ligne de compte. Elle relève que, si toutes les compagnies opèrent uniquement à partir de l'aéroport Charles-de-Gaulle du côté de Paris, divers aéroports sont utilisés du côté de Londres. British Airways exploite principalement la route Paris-Londres à partir de l'aéroport d'Heathrow, mais, par l'intermédiaire de Dan Air, elle la dessert également à partir de l'aéroport de Gatwick. TAT EA ne dessert cette route qu'à partir de Gatwick. Les principaux concurrents de TAT EA et de British Airways n'ont pas de route à destination de Paris à partir de Gatwick.

19 Sur la base de cet examen, la Commission constate que l'opération en cause n'entraîne pas de modifications des parts de marché de British Airways et de TAT EA en ce qui concerne la route Heathrow-Paris, mais que, sur la route Gatwick-Paris, elle a pour effet de conférer aux participants à l'opération litigieuse une part de marché de 98,6 %, à savoir 81,6 % à Dan Air (British Airways) et 17 % à TAT EA.

20 Globalement, c'est-à-dire en ce qui concerne l'ensemble du trafic aérien entre Londres et Paris, l'opération de concentration aboutit à une part de marché de 52,2 % pour le groupe British Airways-TAT EA, à savoir 49,5 % pour British Airways et 2,7 % pour TAT EA, dont les concurrents sont Air France avec 32,9 %, British Midland avec 9,4 %, Air UK avec 3,7 %, Air Brymon avec 1,1 % et la catégorie "autres" avec 0,6 % du marché.

21 En ce qui concerne la route Londres-Lyon, la Commission relève que British Airways et Air France n'opèrent qu'à partir de Heathrow, tandis que TAT EA ne la dessert qu'à partir de Gatwick. Sur aucune des deux routes, il n'existe d'autres concurrents. Si l'opération en cause n'entraîne pas de conséquences en ce qui concerne la route Heathrow-Lyon, elle confère au groupe British Airways-TAT EA 100 % du marché à partir de Gatwick. Globalement, cela signifie que le groupe détient 58,6 % du marché (45,3 % pour British Airways et 13,3 % pour TAT EA), Air France détenant les 41,4 % restants.

22 La Commission considère qu'il existe un certain degré de substituabilité entre les aéroports d'Heathrow et de Gatwick, mais que cette substituabilité ne joue pas nécessairement du fait de la congestion des deux aéroports en cause.

23 Elle en conclut (point 23) que la position conférée à British Airways par l'opération de concentration est susceptible d'entraver la concurrence sur les routes concernées. L'absence, à Gatwick et à Heathrow, de créneaux horaires disponibles pourrait constituer une barrière à l'entrée de concurrents éventuellement intéressés par les routes en question. Pour tenir compte de cet élément, les parties à l'opération ont pris, vis-à-vis de la Commission, l'engagement de céder, le cas échéant, un certain nombre de créneaux horaires aux compagnies désireuses d'exploiter les routes concernées.

24 Sur la base de ces considérations et des engagements pris par les parties à l'opération de concentration, la Commission conclut, au point VII de sa décision, que l'opération en cause ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.

Procédure et conclusions des parties

25 Par ordonnance du 15 juillet 1993, le Tribunal (première chambre) a admis le Royaume-Uni ainsi que British Airways et TAT à intervenir dans la présente affaire à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.

26 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 23 février 1994.

28 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission du 27 novembre 1992 (IV-M.259 - British Airways/TAT);

- condamner la Commission aux dépens.

29 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner la partie requérante aux dépens.

30 Le Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

31 La partie intervenante TAT conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable;

- à défaut, le rejeter comme infondé en fait comme en droit;

- déclarer le recours déraisonnable et vexatoire au sens de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure;

- condamner la partie requérante à la totalité des dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

32 La partie intervenante British Airways conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable ou infondé;

- condamner la requérante aux dépens, y compris ceux encourus par la partie intervenante.

Sur la recevabilité

Exposé sommaire des moyens et arguments des parties

33 Sans soulever formellement l'exception d'irrecevabilité, la Commission exprime "ses doutes sur la recevabilité du présent recours, faute pour la requérante d'avoir démontré qu'elle est individuellement concernée par l'acte dont elle sollicite l'annulation". La Commission soutient, à cet égard, que, étant donné que le règlement n'organise pas de procédure de plainte, les conditions définies par la Cour dans son arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391), dans le contexte de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, pourraient être retenues, mutatis mutandis, comme critères en vue d'apprécier la recevabilité d'un recours contre une décision de compatibilité adoptée dans le cadre du règlement.

34 La Commission reconnaît que la requérante a exprimé ses observations sur l'opération en cause à la suite de la communication, prévue à l'article 4, paragraphe 3, du règlement, ce qui serait une condition nécessaire, mais néanmoins insuffisante pour admettre la recevabilité de son recours.

35 Elle reconnaît encore qu'Air France constitue le principal concurrent de l'entreprise TAT. Toutefois, d'après la Commission, Air France n'a pas indiqué en quoi l'opération en question affecterait de manière substantielle sa position sur le marché en cause, ainsi que le requiert la jurisprudence précitée. Elle relève, à titre d'exemple, que la requérante n'a pas défini les marchés dans lesquels la nouvelle entité pourrait user de sa position dominante éventuelle à l'encontre d'Air France.

36 Le Royaume-Uni se rallie à l'avis de la Commission selon lequel il conviendrait que le Tribunal applique, dans la présente affaire, les principes définis dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, et considère également que les règles régissant les aides étatiques fournissent une analogie commode avec les règles établies en matière de concentrations par le règlement.

37 La partie intervenante TAT se rallie elle aussi, pour l'essentiel, à l'argumentation développée par la Commission. Pour ce qui concerne, plus précisément, le premier critère destiné à apprécier la recevabilité d'un recours, à savoir l'intervention utile dans la procédure administrative, TAT ajoute que cette condition n'est pas remplie en l'espèce. TAT soutient qu'Air France n'a fait que répondre à une invitation à présenter des observations, contenue dans la publication effectuée en application de l'article 4 du règlement, et que de telles observations ne constituent pas une demande d'ouverture d'une procédure approfondie ou d'une interdiction de l'opération notifiée, qui aurait fait l'objet d'un rejet de la part de la Commission.

38 British Airways soutient qu'Air France n'a pas d'intérêt à agir au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, tel qu'il a été interprété dans une jurisprudence constante par la Cour. Selon elle, Air France n'a pas fait d'efforts sérieux pour démontrer en quoi son propre intérêt économique ou juridique est affecté par la mesure qu'elle conteste. Selon British Airways, Air France a introduit son recours en qualité de simple concurrente, tant sur les routes concernées par l'opération en particulier que dans la Communauté en général.

39 La requérante considère, en premier lieu, que, de par sa seule participation à la procédure administrative, elle a déjà été individualisée de manière suffisante pour que son recours soit jugé recevable. En second lieu, la requérante estime que, étant présente dans le même secteur d'activité que les entreprises bénéficiaires de la décision, sa position concurrentielle a nécessairement été substantiellement affectée par l'opération en cause, à cause de sa nature concentrative. Ces deux éléments lui conféreraient un intérêt individuel au sens de l'article 173 du traité.

Appréciation du Tribunal

40 Le Tribunal rappelle, liminairement, que la partie requérante n'est pas destinataire de la décision, qui est adressée à British Airways et à TAT. Il s'ensuit que le recours n'est recevable que si la partie requérante est directement et individuellement concernée par la décision au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, lequel reprend les dispositions de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE.

41 En l'espèce, il est constant entre les parties que la requérante est directement concernée par la décision. Il convient, dès lors, d'examiner si elle est également individuellement concernée par ladite décision.

42 A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que "les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que s'ils sont atteints en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise de manière analogue à celle du destinataire" (voir arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, et arrêt du Tribunal du 28 octobre 1993, Zunis Holding e.a./Commission, T-83-92, Rec. p. II-1169).

43 Il incombe donc au Tribunal d'examiner, si, en l'espèce, la partie requérante se trouve dans une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne.

44 A cet égard, le Tribunal constate, en premier lieu, que la partie requérante, suite à la communication prévue par l'article 4, paragraphe 3, du règlement, a, par lettres des 9, 10, 19 et 23 novembre 1992, fait part à la Commission de ses observations critiques, étayées par des données chiffrées et des statistiques, sur l'opération de concentration en cause et que la Commission a répondu, par lettre du 17 novembre 1992, signée par le membre en charge des questions de concurrence, à ces critiques. Celles-ci concernaient, d'une part, la définition du marché dont il fallait, selon la requérante, tenir compte lors de l'appréciation des effets de l'opération de concentration sur le marché, et, d'autre part, les effets de l'opération de concentration sur la position concurrentielle de British Airways vis-à-vis des autres opérateurs, et surtout d'Air France. La requérante a, ainsi, lors de cette correspondance, fait valoir, en substance, les mêmes critiques que celles qu'elle a présentées dans ses mémoires écrits devant le Tribunal. Il ressort de la réponse écrite, du 17 novembre 1992, de la Commission que le membre en charge des questions de concurrence avait donné instruction à ses services d'étudier avec soin les observations d'Air France "de manière à ce que celles-ci soient pleinement prises en considération dans le cadre de l'examen de la compatibilité de cette opération avec le Marché commun".

45 Il convient de constater, en deuxième lieu, qu'il ressort du texte même de la décision attaquée que la situation concurrentielle sur les deux marchés identifiés comme étant les marchés concernés, suite à l'opération de concentration, a été appréciée par la Commission en tenant compte surtout de la situation d'Air France. En effet, au point 17 de sa décision, la Commission compare la situation concurrentielle, sur les routes domestiques françaises, de British Airways, de TAT et d'Air France pour conclure que "la principale compagnie aérienne opérant sur ce marché est de loin Air France ... avec une part de 84,9 % du nombre total de passagers...". Au point 20 de sa décision, où la Commission examine la question de la substituabilité entre les aéroports, la situation de British Airways, de TAT et d'Air France est examinée de très près. Il en est de même au point 21 de la décision.

46 Il ressort, en troisième lieu, du dossier que la partie requérante a été obligée, selon un accord conclu entre elle, le gouvernement français et la Commission, le 29 octobre 1990, de se désinvestir totalement de sa participation dans la compagnie TAT au plus tard le 30 juin 1992 et que l'opération de concentration entre cette même compagnie TAT et British Airways a été notifiée à la Commission quatre mois plus tard.

47 Le Tribunal considère que ces trois circonstances suffisent pour caractériser la situation de la partie requérante par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l'individualisent de manière analogue à celle des destinataires de la décision.

48 Il s'ensuit que le recours est recevable.

Sur le fond

49 A l'appui de ses conclusions, la partie requérante a soulevé quatre moyens.

a) Le premier est tiré de la violation de l'article 3, paragraphes 1, 2 et 3, du règlement, en ce que la Commission aurait méconnu le caractère véritable de l'opération en question, qu'elle aurait considérée à tort comme une opération créant une entreprise commune concentrative au lieu d'admettre que British Airways a, en réalité, pris seule le contrôle de TAT EA.

b) Le deuxième moyen est tiré de la violation de l'article 1er, paragraphes 1 et 2, de l'article 2, paragraphes 1 et 3, et de l'article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement, en ce que la Commission n'aurait pas exactement défini le marché en cause, ni au niveau des produits ni sur le plan géographique.

c) Le troisième moyen est tiré de la violation de l'article 190 du traité CEE, en ce que la Commission, dans sa description du marché en cause, se serait limitée aux routes directement concernées par l'opération en question.

d) Le quatrième moyen est tiré d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime et de l'article 155 du traité CEE, en ce que la Commission a déclaré l'opération en cause compatible avec le Marché commun nonobstant le fait qu'une telle opération, si elle avait été connue en temps utile, aurait rendu impossible la conclusion de l'accord du 29 octobre 1990 entre la requérante, le gouvernement français et la Commission.

Sur le premier moyen, tiré de la violation de l'article 3, paragraphes 1, 2 et 3, du règlement

1. Sur la recevabilité du moyen

50 La Commission estime que le premier moyen n'est pas recevable puisque la requérante n'a pas démontré, au vu des particularités de fait du cas d'espèce, telles qu'elles ont été décrites au point 12 de la décision, en quoi l'existence d'un contrôle unique de la part de British Airways sur TAT EA, au lieu d'un contrôle conjoint, porterait atteinte aux intérêts légitimes d'Air France en affectant substantiellement sa position sur le ou/les marchés en cause. Au contraire, le fait de considérer que British Airways n'a acquis qu'un contrôle conjoint avec TAT impliquerait un réexamen de l'opération lors du passage à un contrôle unique, c'est- à-dire si l'option d'achat prévue en faveur de British Airways est levée. Il ne serait pas exclu que, dans le cadre de cet examen et compte tenu de l'évolution des conditions du transport aérien - secteur qu'elle considère comme étant en plein mouvement -, la Commission arrive à une conclusion différente quant à la compatibilité de l'opération avec le Marché commun ou estime nécessaire, pour en déclarer la compatibilité, d'assortir sa décision de nouvelles charges. Elle conclut, dans sa duplique, que "l'acquisition par une entreprise d'un contrôle unique ou conjoint sur une autre entreprise n'est pas sans importance en ce qui concerne l'appréciation de l'impact d'une telle acquisition sur la concurrence au titre de l'article 2 du règlement".

51 La partie requérante répond que la concurrence est affectée différemment en cas d'acquisition d'un contrôle unique et en cas d'acquisition d'un contrôle conjoint. En effet, dans la première hypothèse, un opérateur économique disparaît du marché, en renforçant sur celui-ci la position de l'entreprise acquéreuse. Il s'ensuit, selon la requérante, que l'appréciation portée par la Commission sur la compatibilité d'une opération de concentration avec le Marché commun dépend, notamment, de la nature unique ou conjointe du contrôle acquis.

52 Le Tribunal constate qu'il ressort clairement des mémoires de la Commission qu'elle considère elle-même que la question de savoir si TAT EA est contrôlée uniquement par British Airways ou conjointement par British Airways et TAT "n'est pas sans importance" en ce qui concerne l'appréciation de l'opération en cause au regard de l'article 2 du règlement. En effet, la Commission relève, dans la duplique, que le passage d'un contrôle conjoint de British Airways à un contrôle unique sur TAT EA devrait faire l'objet d'une notification et d'un examen par ses services, lequel pourrait, toujours selon la Commission, aboutir à une conclusion différente quant à la compatibilité de ladite opération avec le Marché commun.

53 Il s'ensuit que, selon cette logique, il est incontestable que la requérante a un intérêt à soumettre au contrôle du Tribunal l'appréciation portée par la Commission sur la nature conjointe ou unique du contrôle acquis par British Airways sur TAT EA et que le moyen est donc recevable.

2. Sur le fond du moyen

54 Le moyen s'articule en deux branches, tirées, d'une part, de ce que la Commission aurait méconnu le vrai caractère de la concentration en cause, et, d'autre part, de ce que la Commission aurait apprécié de manière erronée l'option ouverte à British Airways par l'accord d'actionnaires.

a) Sur la première branche du moyen

- Exposé sommaire des arguments des parties

55 La requérante soutient que le point de savoir s'il y a prise de contrôle unique ou en commun d'une entreprise est une question de fait qu'il convient d'apprécier à la lumière des objectifs économiques poursuivis par l'entreprise acquéreuse. L'ampleur de la prise de participation, les systèmes de votation et l'existence d'un "business plan" ne seraient que des éléments d'ordre financier et juridique qui ne permettraient pas, à eux seuls, de résoudre cette question.

56 Selon la requérante, il ressort clairement des constatations figurant dans la décision même que l'objet réel de la concentration en cause est d'intégrer les opérations, tant domestiques qu'internationales, de l'entreprise TAT EA dans l'organisation et la structure de British Airways. Toutefois, la Commission aurait omis d'examiner la réalité sous-jacente. Ainsi, elle n'aurait pas pris en considération le contenu du "business plan", alors que, selon la requérante, ce contenu est tel que l'on ne pourrait que constater que l'entité présentant la forme juridique d'une entreprise commune n'est qu'un écran derrière lequel se cache, en réalité, une absorption conférant un contrôle unique à British Airways.

57 La requérante en conclut que, pour décider que l'opération en cause aboutissait à la création d'une entreprise commune au sens de l'article 3, paragraphe 2, du règlement, et non à une acquisition, au sens de l'article 3, paragraphe 1, de TAT EA par British Airways, avec contrôle unique de cette dernière, la Commission n'a eu égard qu'à des éléments juridiques, sans tirer les conclusions logiques de ses propres constatations de nature économique, violant par là les dispositions de l'article 3, paragraphes 1 à 3, du règlement.

58 La Commission, qui conteste avoir commis une violation de l'article 3 du règlement en concluant que British Airways a acquis un contrôle conjoint avec TAT sur TAT EA, souligne qu'elle a pris en considération, à cet égard, non seulement des éléments d'ordre juridique et financier, mais aussi et surtout la nature des décisions qui nécessitent toujours l'accord des deux entreprises fondatrices, notamment le contenu du "business plan" de l'entreprise commune. Elle précise que le "business plan" concerne, en effet, un certain nombre de questions telles que les routes desservies par la filiale commune, les avions, les horaires, la stratégie en routes internationales, etc., qui sont, de par leur nature, étroitement liées à la stratégie commerciale de TAT EA.

59 Le Royaume-Uni estime que la Commission a conclu à juste titre que TAT EA est contrôlée conjointement par British Airways et par TAT et que, en tout état de cause, même si l'argumentation de la Commission sur ce point est inexacte, elle n'a pas faussé le dispositif de la décision constatant la compatibilité de la concentration notifiée avec le Marché commun.

60 D'après la partie intervenante TAT, les faits de l'espèce font clairement apparaître que British Airways ne saurait en aucun cas être considérée comme contrôlant seule l'entreprise commune TAT EA, en droit ou en fait. En droit, TAT contrôlerait toutes les décisions importantes relatives à l'activité de TAT EA tant que l'option de rachat n'est pas exercée par British Airways.

61 La partie intervenante British Airways soutient qu'il est évident qu'elle ne dispose pas d'un contrôle exclusif sur TAT EA étant donné que TAT conserve la majorité des actions, nomme la majorité des administrateurs de TAT EA et que ses représentants occupent les fonctions de président et de directeur général de TAT EA.

- Appréciation du Tribunal

62 Il convient de rappeler, liminairement, que, selon l'article 3, paragraphe 3, du règlement, "aux fins de l'application du présent règlement, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seul ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise".

63 Au vu des circonstances de fait et de droit de l'espèce, le Tribunal considère que c'est à juste titre que la Commission a conclu à l'existence d'un contrôle conjoint, exercé par les deux parties British Airways et TAT, sur l'entreprise commune créée par l'opération en cause.

64 En effet, il ressort, notamment, de la décision, d'une part, que TAT conserve actuellement 50,1 % du capital de TAT EA et, d'autre part, que les décisions majeures ne peuvent être adoptées par le conseil d'administration de TAT EA que si au moins un des membres nommés par TAT et un des membres nommés par British Airways se prononcent en faveur de la proposition.

65 Au vu de ces constatations et même si British Airways exerce une influence substantielle qui ira même en croissant, c'est à juste titre que la Commission a conclu à l'existence d'un contrôle conjoint. En effet, le "business plan", qui contient les options majeures de l'entreprise commune, a été arrêté conjointement par British Airways et TAT et ne pourra être modifié sans l'accord de TAT, laquelle constitue l'actionnaire majoritaire de TAT EA et dispose de la majorité des voix au sein de son conseil d'administration ainsi que des postes de président et de directeur général.Dans cette perspective, l'existence d'un accord de représentation et d'un système de "code-sharing" entre TAT EA et British Airways n'est pas de nature à contredire que c'est conjointement avec TAT que British Airways contrôle TAT EA, de tels accords ne modifiant en rien la répartition des compétences dans la gestion de TAT EA, et donc les modalités du contrôle exercé sur cette entreprise, pas plus que le statut juridique de cette dernière. En effet, de tels accords sont le résultat de négociations entre les parties et ne peuvent être conclus qu'avec le consentement de la direction de TAT EA, selon les règles statutaires de cette entreprise, telles qu'elles ont été précédemment analysées.

66 Il s'ensuit que la première branche du moyen doit être rejetée.

b) Sur la seconde branche du moyen

- Exposé sommaire des arguments des parties

67 La partie requérante relève que la date d'expiration du délai dont dispose British Airways pour lever l'option qui lui est ouverte sur le reste du capital de TAT EA coïncide avec la date d'entrée en vigueur des règles communautaires assurant la liberté de cabotage au sein des États membres, soit le 1er avril 1997. Cette coïncidence ne serait aucunement fortuite et ôterait en fait l'incertitude quant à la levée de l'option par British Airways. En ne tenant pas compte de ce fait, la Commission aurait violé les dispositions de l'article 3 du règlement.

68 La Commission rétorque que, lorsqu'elle examine la compatibilité d'une opération de concentration avec le Marché commun, elle doit se fonder non pas sur des éléments plus ou moins hypothétiques, tels que l'éventuelle levée d'une option dans l'avenir, mais uniquement sur les éléments de fait et de droit existants au moment de la notification. La coïncidence de date relevée par la requérante ne saurait modifier cette analyse.

69 La partie intervenante TAT expose, d'une part, que les prestations de services de transport aérien fournies par TAT EA en France ne pourraient en aucun cas être qualifiées de cabotage et, d'autre part, que l'achat, par British Airways, d'une participation dans une entreprise établie dans un autre État membre ne constituerait que l'exercice de sa liberté d'établissement.

- Appréciation du Tribunal

70 Comme le soutient la partie défenderesse, l'appréciation, par la Commission, de la compatibilité d'une opération de concentration avec le Marché commun doit être effectuée uniquement sur la base des circonstances de fait et de droit existantes au moment de la notification de cette opération et non sur la base d'éléments hypothétiques dont la portée économique ne peut pas être évaluée au moment où intervient la décision.

71 En l'espèce, il ressort du dossier que la levée, par British Airways, de l'option qui lui est ouverte présente un caractère hypothétique en ce sens, d'une part, qu'il est constant que British Airways n'avait pas, à la date à laquelle est intervenue la décision, utilisé cette option et, d'autre part, que la partie requérante n'a pas établi que British Airways avait à cette date ni qu'elle a désormais l'intention de l'utiliser.

72 Dans ces circonstances, c'est à juste titre que la Commission n'a pas pris en compte cette transaction potentielle pour porter une appréciation sur l'opération de concentration dont elle était saisie. Il s'ensuit que la seconde branche du moyen doit être rejetée.

Sur le deuxième moyen tiré de la violation des articles 1er, 2 et 8 du règlement

Exposé sommaire des arguments des parties

73 La requérante considère que la définition du marché en cause retenue par la Commission aux points 19 à 22 de la décision, selon laquelle les deux marchés pertinents seraient les routes Paris-Londres et Lyon-Londres, est très incomplète et de ce fait erronée, dans la mesure où elle ne correspond pas à la réalité économique. Elle fait grief à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la réalité économique du réseau européen de British Airways. Cette réalité aurait exigé que la Commission retienne, comme marché pertinent, le marché du transport aérien international assuré n'importe où sur le territoire du Marché commun entre États membres différents. Si la Commission avait procédé ainsi, elle aurait constaté, d'une part, que l'opération de concentration en cause permet à British Airways de drainer, par le biais de TAT EA, une clientèle française vers Londres pour la faire bénéficier de ses services de transport aérien international à partir de cette ville et, d'autre part, que, grâce à cette opération, British Airways possède ou contrôle quatre des sept transporteurs desservant la liaison Londres-Paris et est la seule compagnie active au départ de tous les aéroports londoniens directement ou indirectement.

74 Par ailleurs, la requérante fait grief à la Commission d'avoir négligé la circonstance que l'article 3, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2408- 92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires (JO L 240, p. 8), prévoit que tout État membre sera tenu d'autoriser, dès le 1er avril 1997, le cabotage à l'intérieur de son propre territoire par des transporteurs aériens titulaires d'une licence accordée par un autre État membre. La requérante fait valoir que, à partir du 1er avril 1997, British Airways pourra donc, grâce à l'opération de concentration en cause, développer sous sa propre bannière ou sous celle de TAT EA une activité à l'intérieur du territoire français à partir de Paris et de Lyon, ce dont la Commission aurait dû tenir compte.

75 La requérante conclut que, en appréciant les effets de l'opération de concentration en cause uniquement sur les deux routes directement concernées par celle-ci, la Commission n'a pas correctement apprécié la compatibilité de l'opération avec le Marché commun. Elle ajoute que, ayant démontré que la Commission n'a pas défini correctement le marché pertinent, il ne saurait lui être fait grief de n'avoir ni démontré ni cherché à démontrer que l'opération en cause crée ou renforce une position dominante sur le marché.

76 La Commission répond que la délimitation du marché en cause à laquelle elle a procédé dans la décision est conforme tant à la jurisprudence de la Cour (arrêt du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebuero, 66-86, Rec. p. 803), qu'à sa propre pratique. Elle ajoute qu'elle a également tenu compte, comme le demande la requérante, des effets de l'opération, à un niveau plus global, sur la concurrence entre transporteurs aériens de taille européenne et, en particulier, de l'incidence de l'intégration de TAT EA dans le réseau de British Airways sur la concurrence que se livreront à l'avenir à ce niveau plus global les transporteurs de cette taille.

77 Le Royaume-Uni et les parties intervenantes TAT et British Airways se rallient aux thèses de la Commission quant à la définition du marché pertinent. Le Royaume-Uni considère qu'il n'est pas établi que la concentration ait entraîné sur l'un des marchés en cause la création ou le renforcement d'une position dominante ayant pour conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative. Il estime qu'aucune base juridique ne justifiait donc une décision autre que celle qui a été adoptée. TAT relève qu'en élargissant la définition du marché Air France rend corrélativement plus improbable l'établissement d'une position dominante de British Airways sur le marché ainsi défini. Elle considère donc que, si l'on retenait la définition du marché proposée par la requérante, il faudrait, a fortiori, autoriser la concentration en cause. Enfin, British Airways précise encore qu'une définition du marché aussi large que celle proposée par la requérante est inappropriée en raison de la diversité et de l'éparpillement des services à prendre en considération.

Appréciation du Tribunal

78 Il convient de rappeler que, selon l'article 2, paragraphe 2, du règlement, "les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le Marché commun". Au contraire, selon le paragraphe 3 du même article, les opérations de concentration qui créent ou renforcent une telle position doivent être déclarées incompatibles avec le Marché commun.

79 Il ressort de ces dispositions que la Commission est tenue de déclarer une opération de concentration compatible avec le Marché commun dès lors que deux conditions sont remplies, la première étant que l'opération en cause ne crée ni ne renforce une position dominante et la seconde que la concurrence sur le Marché commun ne soit pas entravée de manière significative par la création ou le renforcement d'une telle position. En l'absence de création ou de renforcement d'une position dominante, l'opération doit donc être autorisée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les effets de l'opération sur la concurrence effective.

80 Afin d'apprécier si la première condition est remplie dans un cas concret, il appartient à la Commission de définir tout d'abord le marché pertinent (voir, par analogie, l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 69, et, sur pourvoi, l'arrêt de la Cour du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. p. I- 0000).

81 A cet égard, il convient de rappeler que, en l'espèce, la Commission a retenu au point 19 de sa décision, comme étant le marché pertinent, chaque "paire de villes" constituant le point de départ et le point d'arrivée des routes qu'elle a considérées comme étant directement concernées par l'opération en cause, pour conclure, au point 26 de sa décision, que ladite opération ne crée ni ne renforce une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée.

82 La partie requérante ayant fait valoir, d'une part, qu'elle ne conteste pas, en principe, le bien-fondé de la définition retenue par la Commission, mais, d'autre part, qu'elle la considère comme très incomplète et de ce fait erronée, il appartient au Tribunal de vérifier la définition du marché pertinent retenue par la Commission.

83 A cet égard, le Tribunal estime que la définition du marché à laquelle a procédé la Commission est correcte, tant du point de vue du produit concerné que du point de vue géographique.

84 En effet, la définition du marché retenue est conforme aux principes indiqués par la Cour dans son arrêt Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebuero, précité, en ce sens que la Commission a, aux points 17 à 21 de sa décision, examiné les deux routes sur lesquelles existait une imbrication des services proposés par les parties à l'opération de concentration, à savoir Paris-Londres et Lyon-Londres, et leur substituabilité éventuelle avec d'autres lignes pour en conclure, d'une manière convaincante, d'une part, qu'il n'y a pas de substituabilité entre ces deux routes et d'autres et, d'autre part, qu'il y a très peu de substituabilité entre les deux routes elles-mêmes.

85 En outre, le Tribunal constate qu'il ressort, même si c'est de manière courte et sommaire, des points 17 et 19 de la décision que la Commission ne s'est pas bornée à examiner les effets de l'opération projetée seulement sur les deux routes directement concernées par l'opération projetée mais a, également, apprécié les effets de celle-ci de manière plus globale, d'une part, en ce qui concerne les opérations internationales à partir de la France (point 17) et, d'autre part, en ce qui concerne les effets sur un réseau extensif ou de grand volume (point 19). Il s'ensuit que le grief fait à la Commission par la requérante sur ce point manque en fait et ne saurait donc être retenu par le Tribunal.

86 En tout état de cause, il convient de relever, avec le Royaume-Uni, que la partie requérante n'a - ni expressément ni implicitement - prétendu dans ses mémoires devant le Tribunal que la Commission a commis une erreur d'appréciation en constatant que l'opération en cause ne créait ni ne renforçait une position dominante sur les marchés considérés comme pertinents par cette dernière, pas plus qu'elle n'a prétendu qu'une telle position aurait été créée ou renforcée sur le marché tel qu'elle estime qu'il aurait dû être défini. Dans ces circonstances, elle ne saurait contester la légalité de la décision de la Commission de déclarer l'opération compatible avec le Marché commun.

87 Ce résultat n'est en rien infirmé par les arguments présentés par la partie requérante dans la deuxième et la troisième branches du moyen. En effet, si, comme l'a relevé la Commission au point 17 de sa décision, l'opération de concentration en cause permet à British Airways d'attirer une clientèle française vers ses services de transport aérien international au départ du Royaume-Uni et s'il est exact que British Airways contrôle quatre des sept transporteurs desservant la liaison Londres-Paris et à supposer même encore qu'il soit correct que British Airways pourra, par le biais de ladite opération, plus facilement que d'autres compagnies aériennes non-françaises, développer une activité à l'intérieur du territoire français après le 1er avril 1997, il n'en demeure pas moins que la partie requérante n'a pas démontré en quoi de telles circonstances auraient dû amener la Commission à interdire l'opération de concentration en cause, en l'absence de création ou de renforcement d'une position dominante sur quelque marché que ce soit.

88 Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l'article 190 du traité

Exposé sommaire des arguments des parties

89 La requérante soutient que la Commission, ayant été placée par la requérante en présence de deux définitions différentes, et obligatoirement complémentaires, du marché du produit et du marché géographique concernés par l'opération de concentration litigieuse, a violé l'article 190 du traité en ce qu'elle a omis d'exposer les motifs qui l'ont amenée à ne fonder la décision attaquée que sur l'une de ces deux définitions.

90 La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour, elle n'est pas tenue de motiver le rejet des moyens présentés par les parties à la procédure administrative, ni, a fortiori, le rejet de ceux présentés par des tiers. Au surplus, elle aurait non seulement intégré dans sa définition les éléments tenant notamment à l'existence de réseaux européens et aux conditions prévalant dans les aéroports, mais aussi fourni les données nécessaires pour justifier l'absence de prise en considération détaillée des effets de la concentration sur le réseau de British Airways.

91 Les parties intervenantes, pour autant qu'elles formulent des observations sur ce point, se rallient à l'argumentation de la Commission.

Appréciation du Tribunal

92 Il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que, si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, DSM/Commission, T- 8-89, Rec. p. II-1833, point 257).

93 En l'espèce, le Tribunal considère que la motivation de la décision fait apparaître clairement les éléments de fait et de droit ainsi que les autres considérations qui ont amené la Commission à prendre la décision attaquée. La Commission n'ayant pas été tenue de motiver son rejet de la définition plus large du marché proposée par Air France, tiers à l'affaire, elle ne saurait donc être considérée comme ayant manqué, sur ce point, à son obligation de motivation.

94 Le Tribunal rappelle au surplus que, ainsi qu'il l'a constaté ci-dessus (point 86), la Commission a, en fait, dans sa décision, non seulement pris en compte les deux routes directement concernées par l'opération de concentration, mais a, également, apprécié de manière plus globale les effets de l'opération de concentration projetée.

95 Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation de la confiance légitime

Exposé sommaire des arguments des parties

96 Dans le cadre de ce moyen, la requérante explique que, le 29 octobre 1990, à la suite de son opération de concentration avec d'autres compagnies françaises de transport aérien - UTA et Air Inter - elle a conclu avec la Commission et le gouvernement français un accord qui lui a imposé de ne plus faire partie des organes de décision de TAT, dont elle était alors actionnaire, et d'assurer son désinvestissement total de ladite compagnie au plus tard le 30 juin 1992. Cette obligation de désinvestissement aurait eu pour unique objectif d'assurer sur le marché du transport aérien domestique français la présence, face à la requérante, d'une entreprise concurrente indépendante.

97 La requérante expose que, non seulement il n'avait nullement été envisagé qu'une compagnie étrangère de taille comparable, à savoir British Airways, puisse lui être substituée comme actionnaire co-contrôlant ou contrôlant TAT EA, mais qu'une telle éventualité aurait rendu impossible la conclusion de l'accord sur ce point. Elle ajoute que, ni pendant les négociations préparatoires, ni à l'occasion de la conclusion même de l'accord du 29 octobre 1990, la Commission n'a fait savoir qu'elle estimerait envisageable, voire compatible avec le Marché commun, que la requérante soit remplacée dans la compagnie TAT par une compagnie concurrente étrangère de la même taille. La décision litigieuse serait donc en contradiction avec l'accord en cause.

98 La requérante en conclut que la Commission, en déclarant compatible avec le Marché commun l'opération de concentration entre British Airways et TAT EA, a manqué, à tout le moins en ce qui concerne l'activité domestique de cette dernière, à son obligation de protéger la confiance légitime de la requérante et ainsi a violé le principe général communautaire de protection de la confiance légitime et l'article 155 du traité, lesquels priment les dispositions d'un règlement.

99 La Commission oppose à cet argument que le contrôle acquis par British Airways sur TAT EA, loin de trahir la lettre et l'esprit de l'accord du 29 octobre 1990, ne fait que renforcer les chances d'une concurrence accrue sur le marché domestique français grâce à la réaffirmation de TAT EA comme "entreprise concurrente indépendante face à Air France", ce qui était son seul souci au moment de la conclusion de l'accord. Selon la Commission, le fait qu'une telle éventualité, qu'elle ne pouvait d'ailleurs prévoir, n'ait pas été envisagée pendant les discussions préalables à la conclusion dudit accord, ne saurait lui créer l'obligation d'interdire - en violation de surcroît des principes fondamentaux de la Communauté, dont la liberté d'établissement - une opération de concentration compatible avec les règles de concurrence du Marché commun.

100 Le Royaume-Uni soutient que ce moyen est, "sur le plan des principes, fondamentalement erroné". En outre, il estime qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre l'accord en question et la décision, ni, partant, d'atteinte à la confiance légitime.

101 Les deux autres parties intervenantes se rallient à l'argumentation de la Commission et du Royaume-Uni.

Appréciation du Tribunal

102 Il convient de rappeler qu'il est une conséquence de la hiérarchie des actes juridiques de la Communauté, telle qu'elle est fixée dans le traité et a été consacrée par la jurisprudence communautaire, qu'un acte de portée générale ne peut pas être modifié implicitement par une décision individuelle (voir l'arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I-1125, point 44). Il s'ensuit qu'une institution communautaire ne peut pas être forcée, au titre du principe de la protection de la confiance légitime, d'appliquer une réglementation communautaire contra legem.

103 Le Tribunal constate que, en tout état de cause, dans le cas d'espèce, il ressort du dossier que l'accord conclu entre le gouvernement français, Air France et la Commission le 29 octobre 1990 ne contient que des engagements souscrits par les deux premières parties, la Commission n'ayant, pour sa part, pris aucun engagement. Ainsi, il ne ressort nullement des termes mêmes dudit accord ni d'aucun autre élément invoqué devant le Tribunal que la Commission se soit engagée à ne pas déclarer compatible avec le Marché commun une concentration entre TAT et une compagnie concurrente de la même taille qu'Air France. La partie requérante n'a pas, dès lors, établi à suffisance de droit qu'une quelconque confiance légitime a été créée dans son chef.

104 Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

105 De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

106 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions et la partie défenderesse et les parties intervenantes ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux des parties intervenantes TAT et British Airways. La partie requérante ayant été condamnée à ses propres dépens ainsi qu'à ceux de la partie défenderesse et des parties intervenantes TAT et British Airways, les conclusions de la partie intervenante TAT, tendant à ce que le Tribunal applique l'article 87, paragraphe 3, du règlement, relatif au remboursement des frais frustratoires ou vexatoires, sont devenues sans objet.

107 Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, dudit règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume-Uni supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre),

Déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la partie défenderesse et les parties intervenantes TAT et British Airways.

3) Le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.