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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 8 septembre 2004, n° 04-09673

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Publicis Conseil (SA), Besson

Défendeur :

Gaumont (SA), SFR (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Bommart-Forster, SCP Annie Baskal, SCP Bolling-Durand-Lallement

Avocats :

Mes Brault, Kiejman, Renaudin, Lombard.

CA Paris n° 04-09673

8 septembre 2004

Vu les appels interjetés le 16 avril 2004, par la société Publicis Conseil, le 19 avril 2004, par la société Française de radiotéléphone (ci-après SFR) et, le 12 mai 2004, par Luc Besson, d'un jugement rendu le 30 mars 2004 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a :

* déclaré les demandes de la société Gaumont en contrefaçon irrecevables

* débouté Luc Besson de ses demandes en contrefaçon pour atteinte à son droit moral de co-auteur sur le film Le Cinquième élément,

* dit que les sociétés SFR et Publicis Conseil ont commis et commettent des actes de parasitisme au préjudice de la société Gaumont par la diffusion de leur campagne de publicité (affiches, encarts publicitaires parus dans la presse et " spot télévisé ") à raison de la reprise délibérée d'éléments évocateurs du film Le Cinquième élément dont la société Gaumont est le producteur,

* ordonné à ces sociétés de faire cesser ces actes illicites, sous astreinte de 15 000 euros par jour passé le délai de 15 jours après la signification du jugement,

* condamné in solidum les sociétés SFR et Publicis Conseil à payer à la société Gaumont la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* autorisé la publication du dispositif du jugement dans trois revues ou périodiques au choix de la société Gaumont et aux frais des sociétés défenderesses tenues in solidum et ce, dans la limite de 10 000 euros HT par insertion,

* donné acte à la société Publicis Conseil qu'elle accorde sa garantie à la société SFR pour les condamnations ainsi prononcées,

* débouté les parties du surplus de leurs demandes,

* condamné in solidum la société SFR et la société Publicis Conseil aux dépens ;

Vu l'ordonnance, en date du 12 mai 2004, autorisant Luc Besson et la société Gaumont à assigner à jour fixe et l'assignation, signifiée le 17 mai 2004, aux termes desquelles, ils demandent à la cour, au visa des articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 1382 du Code civil de :

* débouter la société SFR et la société Publicis Conseil de leurs appels principaux,

* recevoir Luc Besson en son appel principal et la société Publicis Conseil en son appel incident,

* sur le grief de contrefaçon infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société Gaumont irrecevable et débouté Luc Besson de ses demandes,

* sur le grief de parasitisme, infirmer le jugement déféré en ses seules dispositions relatives au montant de la réparation du préjudice subi par Luc Besson et la société Gaumont,

* statuant à nouveau sur la contrefaçon, juger que :

- le société SFR et la société Gaumont ont commis un acte de contrefaçon en reproduisant, en publiant et en diffusant des encarts publicitaires représentant Milla Jovovich sous les traits et dans le costume du personnage principal du film Le Cinquième élément,

- elles ont ainsi porté atteinte aux droits patrimoniaux que détient la société Gaumont sur le film en sa qualité de producteur, ainsi qu'au droit moral de son réalisateur, Luc Besson, en dénaturant les images de ce film à des fins promotionnelles et mercantiles contraires à son intention et à l'esprit de son œuvre,

- elles ont en outre commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Gaumont, en diffusant au cours de leur campagne de presse es annonces se référant très explicitement au film afin de tirer de sa renommée,

* en conséquence, de faire cesser d'urgence l'atteinte portée aux droits de Luc Besson et de la société Gaumont en faisant injonction aux sociétés défenderesses de :

- procéder au retrait aussi bien sur la voie publique qu'en tous points de vente de toutes les affiches représentant Milla Jovovich dans le costume du personnage du film Le Cinquième élément ainsi que tout " visuel " publicitaire (catalogue, dépliant, prospectus, tract, accessoire, etc) reproduisant des éléments tirés du film,

- suspendre toute diffusion, sur toutes les chaînes de télévision (hertzienne, câble, etc) du " spot " publicitaire querellé,

- suspendre toute publication et diffusion de tout encart publicitaire reproduisant ces mêmes images par voie de presse,

* leur faire interdiction de reproduire, publier et diffuser, sur tous supports (affiches, prospectus, matériel publicitaire en tous genres, presse etc), toute image, cliché et illustration tiré ou s'inspirant du film sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée à compter du prononcé du jugement à intervenir,

* condamner solidairement les sociétés défenderesses, en réparation du préjudice d'ores et déjà subi par eux, à verser à :

- la société Gaumont, une indemnité de 1 500 000 euros au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux du fait de la contrefaçon partielle des éléments tirés du film Le Cinquième élément, et une indemnité additionnelle de 1 500 000 euros au titre du préjudice résultant de leurs agissements parasitaires,

- Luc Besson, une indemnité de 2 000 000 euros au titre de l'atteinte à son droit moral résultant de la divulgation, de la dénaturation et de la mercantilisation des images de son film,

* ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais des deux sociétés défenderesses, dans cinq revues ou périodiques de leurs choix, à concurrence de 20 000 euros HT par insertion, ainsi que sur le site internet de la société SFR et de la société Publicis Conseil, pendant une période ininterrompue de 90 jours à compter de la décision à intervenir, et ce, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, passé le délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

* condamner in solidum la société SFR et la société Publicis Conseil à leur payer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Vu les conclusions signifiées le 14 juin 2004, aux termes desquelles la société Publicis Conseil, poursuivant la confirmation du jugement déféré sur l'absence de contrefaçon de droits d'auteur, demande à la cour de :

* au visa de l'article 122 du nouveau Code de procédure civile, du contrat de production audiovisuelle de Luc Besson et des articles L. 131-3 et L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, de :

- juger la société Gaumont et Luc Besson irrecevable en leur action, en ce qu'ils invoquent la contrefaçon partielle des costumes et décors du film Le Cinquième élément, réalisé par Jean-Paul Gaultier, Jean-Claude Mezières et Moebius, la société Gaumont irrecevable en son action, faute de justifier de sa qualité de cessionnaire des droits d'adaptation publicitaire des co-auteurs du film Le cinquième élément,

- débouter en tout état de cause Luc Besson et la société Gaumont de l'intégralité de leurs demandes fondées sur la prétendue contrefaçon partielle du personnage et des éléments scénographiques du film Le Cinquième élément,

- infirmer le jugement déféré sur le parasitisme économique, et, statuant à nouveau, les débouter de leur action fondée sur le parasitisme, qui ne saurait invoquer la reprise des éléments déjà critiqués au titre de la contrefaçon, et qui repose sur l'affirmation inexacte de la référence constante au film et à son personnage dans la campagne de presse accompagnant le lancement publicitaire critiqué, d'autant qu'aucun grief n'est imputable à ce titre à la société Publicis Conseil,

* au visa de l'article 1382 du Code civil, condamner in solidum Luc Besson et la société Gaumont au paiement d'une somme de 15 000 euros pour procédure abusive, de celle de 30 000 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Luc Besson au paiement d'une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sa campagne de dénigrement et les nombreuses contrevérités qu'il a diffusées sciemment à son préjudice,

* lui donner acte de ce que sa garantie serait acquise à la société SFR, et, qu'elle prendrait en charge le montant des condamnations indemnitaires qui seraient prononcées dans l'hypothèse où la cour jugerait que le spot ou les visuels de la campagne publicitaire créés par elle constitueraient une contrefaçon partielle du film Le Cinquième élément et/ou des agissements parasitaires,

* condamner in solidum Luc Besson et la société Gaumont aux dépens de première instance et d'appel ;

vu les conclusions, en date du 15 juin 2004, par lesquelles la société SFR, sollicite de la cour :

* à titre principal,

- sur les défaut d'intérêt à agir, juger, au visa de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, irrecevable Luc Besson et la société Gaumont en leur action, faute de justifier d'un intérêt légitime à agir,

- sur le défaut de titularité des droits d'auteur en cause, juger irrecevable Luc Besson et la société Gaumont en leur action, faute d'être titulaires des droits d'auteur sur les éléments revendiqués au titre de la contrefaçon et faute d'être cessionnaire des droits d'adaptation publicitaire,

* à titre subsidiaire,

- au visa des articles L. 121-1, L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes fondées sur la contrefaçon et, en conséquence, juger que la campagne de publicité Vodafone Live - qu'il s'agisse des visuels ou du spot publicitaire - ne constitue pas la contrefaçon du film Le Cinquième élément et de débouter Luc Besson et la société Gaumont de toutes leurs demandes au titre de l'atteinte aux droits patrimoniaux et moraux d'auteur,

- au visé de l'article 1382 du Code civil, infirmer le jugement des actes de parasitisme au préjudice de la société Gaumont, en conséquence, juger que les mêmes faits ne peuvent donner lieu à un action en contrefaçon et un action en parasitisme, juger qu'aucun acte de parasitisme n'est prouvé en l'espèce et débouter la société Gaumont de toutes ses demandes de ce chef,

- sur l'abus de droit, juger l'exercice par Luc Besson et la société Gaumont de leur droit d'auteur et l'action en responsabilité intentée par la société Gaumont pour parasitisme, en conséquence, débouter Luc Besson et la société Gaumont de l'ensemble de leurs demandes et faire droit à sa demande reconventionnelle et, au visa de l'article 1382 du Code civil, les condamner in solidum à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice porté à son image de marque, ainsi que, au visa de l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile, à une somme de 15 000 euros pour procédure abusive,

* à titre infiniment subsidiaire, ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires de la société Gaumont et Luc Besson et dire n'y avoir lieur à publications judiciaires,

* en tout état de cause, condamner, in solidum la société Gaumont et Luc Besson à lui verser une indemnité de 30 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Sur ce, LA COUR,

* sur la procédure :

- sur le défaut d'intérêt légitime à agir de Luc Besson et la société Gaumont :

Considérant que la société SFR soutient que Luc Besson et la société Gaumont n'auraient, au sens de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, aucun intérêt à agir au motif qu'ils auraient eu pleinement connaissance de la campagne publicitaire, par elle initiée, près de deux mois avant son lancement et qu'ils l'auraient validée sur pièces et en auraient tiré profit, en la laissant poursuivre ; que si préjudice il y a, il serait patent que la société Gaumont et Luc Besson se le serait créé eux-mêmes en n'intervenant pas auprès d'elle, dès qu'ils auraient eu connaissance de ce projet, afin d'en solliciter le retrait, puis en attendant la fin de la première campagne, d'une durée d'un mois et demi, pour agir en justice, sans aucune mise en demeure préalable ; qu'ils auraient récidivé pour la seconde campagne en n'introduisant aucune procédure de référé pour tenter de la stopper ; que la campagne litigieuse leur aurait permis de bénéficier de la promotion du film Michel Vaillant ;

Mais considérant que la société SFR, qui ne procède que par extrapolation, ne démontre pas que deux employés du service marketing de la société Europacorp, maison, de production de Luc Besson, auraient validé la maquette d'un encart publicitaire portant sur le film Michel Vaillant à paraître sur un prospectus de l'opérateur où aurait figuré la publicité litigieuse ; que, au surplus et même dans l'hypothèse où cette preuve aurait été apportée, la société SFR n'établit pas que ces salariés auraient été habilités à procéder à une telle validation ;

Que les premiers juges ont donc justement retenu qu'il ne saurait être fait grief à la société Gaumont d'avoir laissé diffuser la campagne publicitaire litigieuse des lors qu'il n'est nullement établi que celle-ci ou Luc Besson ait eu connaissance de son contenu avant son lancement et que la participation de la société Europacop, dont Luc Besson est le président, à la soirée de lancement de cette campagne ne prouve nullement sa connaissance personnelle du contenu de celle-ci ;

Qu'il s'ensuit que Luc Besson et la société Gaumont, ayant un intérêt légitime à agir, sont recevables en leur action ; que ce moyen qui n'est pas sérieux sera donc rejeté ;

- sur le recevabilité de l'action de la société Gaumont et de Luc Besson en contrefaçon :

Considérant, en droit, que l'article L. 132-24, 1er alinéa, du Code de la propriété intellectuelle, pose, au bénéfice du producteur, la présomption selon laquelle le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une œuvre audiovisuel, autres que l'auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus ) l'auteur (...), cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'œuvre audiovisuelle ;

Considérant, en l'espèce, que le contrat de production audiovisuelle, conclu le 29 novembre 1990, stipule, en son article II que les droits cédés comprennent le droit de reproduction et le droit de représentation du film ainsi que les droits d'utilisation secondaire et dérivée ;

Que ce contrat ne fait donc pas, contrairement aux prétentions de la société SFR et la société Publicis Conseil, échec à la présomption tirée de l'article précédemment mentionné ;

Que la seul circonstance, par elles invoquée, et retenue, à tort, par les premiers juges pour déclarer la société Gaumont irrecevable en son action en contrefaçon, selon laquelle ledit contrat dresse une liste des droits dérivés, au nombre desquels ne figure pas les droits d'adaptation publicitaire, mais la contrefaçon d'un personnage qui porte atteinte à ses droits d'utilisation secondaire et dérivée ;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera, sur ce point, infirmé et la société Gaumont déclarée recevable en son action en contrefaçon ;

Considérant, par ailleurs, que la société SFR fait valoir que Luc Besson et la société Gaumont, pour caractériser la contrefaçon, par eux alléguée, invoqueraient exclusivement le costume du personnage Leeloo, interprété par Milla Jovovich, et des éléments du décor conçus et réalisés, pour le premier, par Jean-Paul Gaultier, et pour les seconds, par les dessinateurs Moebius et Jean-Claude Mezières, ainsi que Dan Weil ;

Que, s'agissant de la société Gaumont, elle fait valoir que, faute par cette dernière, de prouver être cessionnaire des droits d'auteur de ses co-auteurs, elle serait irrecevable en son action, et, s'agissant de Luc Besson, que celui-ci se serait investi d'un droit moral sur le film en sa qualité de réalisateur, alors que ce droit ne saurait s'étendre à des créations dont il n'est pas l'auteur ;

Mais considérant que, en premier lieu, force est de constater que la société Gaumont n'invoque pas une atteinte au droit moral mais uniquement une atteinte à ses droits patrimoniaux ; que ce moyen qui n'est pas fondé, sera donc rejeté ;

Que, en second lieu, si les œuvres cinématographiques, sont classifiées dans la catégorie dite des œuvres de collaboration et, à ce titre, soumises aux règles de l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui impose aux personnes qui ont concouru à la création de l'œuvre, d'exercer leurs droits d'un commun accord, il convient de relever en l'espèce, que la société SFR a manifestement fait preuve d'une approche restrictive, voire caricaturale, des moyens et de l'argumentation développés par Luc Besson au soutien de son action ; que, en effet, Luc Besson est parfaitement explicite dans ses écritures d'appel, il n'entend poursuivre que la contrefaçon du personnage (page 10 de l'assignation à jour fixe devant la cour) et non pas du seul costume de l'héroïne de son film ; que ce moyen qui n'est pas sérieux, sera donc rejeté ;

Qu'il s'ensuit que la société Gaumont et Luc Besson sont recevables en leurs actions ;

* sur le fond :

- sur la contrefaçon du personnage de Leeloo :

Considérant, en droit, qu'un personnage de fiction est susceptible, sous la condition de constituer une œuvre originale, de protection et sa reproduction, faute d'autorisation de son auteur, de constituer, notamment en cas d'identification immédiate, une contrefaçon ;

Considérant, en l'espèce, qu'il ne saurait être sérieusement contesté que le personnage de Leeloo constitue, en lui-même, par la combinaison de ses éléments caractéristiques et pérennes tout au long du film - costume composé tantôt de bandelettes blanches tantôt d'un tee-shirt blanc moulant laissant toujours apparaître en partie son buste, cheveux rouge/orange - une œuvre originale ; que, par ailleurs, il suffit de se reporter aux articles de presse et critiques cinématographiques pour constater, au travers du succès international du film Le Cinquième élément, que Leeloo a acquis la stature d'un véritable personnage mythique ;

Considérant qu'il résulte de la visualisation du film Le Cinquième élément, du film publicitaire litigieux, de l'ensemble des documents audiovisuels et des encarts publicitaire régulièrement produits aux débats, que le personnage choisi pour illustrer la campagne publicitaire de la société SFR, porte une perruque aux cheveux rouges/oranges et qu'il est revêtu d'un corsage imitant les bandelettes blanches laissant apparaître, comme dans le film Le Cinquième élément, son ventre et ses bras dénudés, créant ainsi visuellement une identification immédiate entre le personnage de la publicité et celui de Leeloo ;

Considérant que la société SFR et la société Publicis Conseil ne peuvent sérieusement soutenir que la perruque rouge/orange portée par Milla Jovovich dans la campagne publicitaire litigieuse serait un clin d'oil à la couleur rouge du logo SFR, alors que, d'une part, le recours à un postiche n'était pas indispensable, sauf à vouloir rechercher l'identification avec le personnage de Leeloo, puisque Milla Jovovich s'était, pour d'autres publicités, teint ses propres cheveux et, que la couleur de ce postiche est plus proche de celle du personnage du film que du " rouge SFR " ;

Que, s'agissant de l'élément constitué du costume à bandelettes blanches, si ce costume a un sens dans le film Le Cinquième élément puisqu'il induit par la scène du laboratoire, Leeloo, ayant été " régénéré " dans un caisson, porte des bandelettes opératoires, la société SFR et la société Publicis Conseil ne justifient en aucune manière la reprise de cet élément dans les documents publicitaires, si ce n'est pour permettre une identification avec le personnage du film, étant, en outre, observé que le bas de costume porté par Milla Jovovich dans le spot et les encarts publicitaires est aussi une reprise du costume de Leeloo, même pantalon moulant avec bande ;

Considérant qu'il s'ensuit que le personnage du spot ou des encarts publicitaires, en reprenant, dans la combinaison de ses éléments essentiels, la création originale du personnage de Leeloo, est de nature à créer une confusion dans l'esprit du public concerné, dont le coeur de cible, selon Patricia Levy, directrice de la marque et de la publicité de la société SFR est celui des 25-34 ans qui a été le public privilégié du film Le Cinquième élément, de sorte qu'il a, en raison des ressemblances relevées, pu immédiatement identifier le personnage comme étant une déclinaison de celui de Leeloo, et légitimement en attribuer la paternité à Luc Besson ;

Que d'ailleurs, la cour relève que dans le magazine du syndicat national de la publicité télévisée, en date du 10 novembre 2003, il était indiqué : ainsi, c'est la jolie Leeloo du Cinquième élément qui vante les mérites du service Vodafone Live, nouvelle offre de service multimédia du numéro deux du marché du mobile dans un spot à grand spectacle ; que cet article a été repris par le journal France Soir dans son édition du 12 novembre 2003 ;

Que enfin, Luc Besson et la société Gaumont relèvent avec impatience, que l'identification au personnage de Leeloo est renforcée par la reprise d'éléments scénographiques tirés du Cinquième élément puisque l'on retrouve dans le spot publicitaire les buildings modernes, en arrière plan, rappelant le décor du film dont la majeur partie de l'action se déroule dans les rues d'un Manhattan futuriste ; qu'un tel choix pourrait être de " libre parcours " s'il ne correspondait très exactement à celui de la séquence culte du film de Luc Besson, dont chaque spectateur conserve le souvenir, au cours de laquelle Leeloo se jette dans le vide du haut d'un immeuble ;

Que les quelques différences invoquées par la société SFR et la société Publicis Conseil à savoir que, dans le spot et les encarts publicitaires, le personnage porte des bijoux et accessoires et qu'il est maquillé de rouge aux paupières, aux lèvres et aux ongles, ne sont pas suffisantes pour modifier l'impression visuelle d'ensemble laissée par celui-ci ; que, enfin, est inopérant l'argument selon lequel les attitudes et comportements psychologiques ne seraient pas identiques, puisque les deux exercices, l'un cinématographique, l'autre publicitaire, n'ont pas la même finalité, d'autant, que la forme imprimée, donc statique, des encarts publicitaires est peu propice à retracer les évolutions psychologiques d'un personnage et que le format d'un spot, dont la durée est nécessairement brève, ne permet pas de créer, à l'instar d'une œuvre cinématographique de long métrage, de véritables caractéristiques des personnages, de leurs goûts, voire de leurs manies, de leurs qualités et de leurs défauts ;

Considérant qu'il s'ensuit que, en reproduisant, sans en avoir sollicité l'autorisation préalable, le personnage de Leeloo du film Le Cinquième élément, la société SFR et la société Publicis Conseil se sont rendues, par application des dispositions de l'article L. 335-2, du Code de la propriété intellectuelle, coupable d'un acte de contrefaçon ;

Que en conséquence, le jugement déféré sera confirmé ;

- sur le parasitisme :

Considérant, en droit, que le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, la société SFR et la société Publicis Conseil rappelant exactement que, engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, l'action en responsabilité pour parasitisme ne peut être exercée cumulativement à l'action en contrefaçon qu'à la condition que le demandeur invoque et apporte la preuve de faits distincts ou d'une faute distincte de la contrefaçon ;

Mais considérant que, en l'espèce, force est de constater que l'action en parasitisme n'est pas fondée sur le grief tiré de l'imitation du personnage de Leeloo, qui a été retenu au titre de la contrefaçon ;

Que, en effet, la société SFR et la société Publicis Conseil se sont, outre leur comportement contrefaisant, délibérément placées dans le sillage du film Le Cinquième élément, en s'efforçant constamment d'établir une filiation entre le produit objet de la campagne publicitaire et cette œuvre cinématographique ;

Qu'ainsi, dans un encart publicitaire, contenant un éditorial de Pierre Bardon, directeur général de SFR, peu important que cette société s'efforce d'en minimiser la portée en indiquant qu'il n'aurait pas été mis en ligne, dès lors que sa seul conception est, en tout état de cause, révélatrice de la démarche entreprise, puisqu'il est expressément mentionné pour le lancement de Vodafone Live, SFR a choisi Milla Jovovich, la star emblématique du " Cinquième élément " ;

Que manifestement la société SFR et la société Publicis Conseil ne se sont pas bornés à contrefaire le personnage de Leeloo, mais, pour lancer de nouveaux produits souvent exclusifs et " bluffants " (éditorial de Pierre Bardon), ont pris le parti de s'immiscer dans le sillage d'une œuvre cinématographique résolument innovante et film-culte dans lequel pouvait se reconnaître la génération à laquelle était destinée la campagne publicitaire ;

Qu'il convient de relever que dans une vignette parue en première page d'un prospectus diffusé par la société SFR sur son site internet, l'on voit Milla Jovovich, entourée par quatre cubes volants mystérieux, représentation qui, en raison de nombre de ces cubes comme leur disposition, est manifestement destinée à évoquer les quatre pierres emblématiques du film formant avec Milla Jovovich, les cinq éléments ;que en ayant recours à une telle représentation, l'annonceur entendait s'inscrire, pour toucher l'esprit du public, dans la perspective d'une séquence emblématique de l'œuvre de Luc Besson ;

Que d'ailleurs, dans un encart publicitaire, dont la société SFR ne peut dénier l'existence puisqu'il est régulièrement versé aux débats, il est expressément indiqué pour le lancement de Vodafone Live, SFR a choisi Milla Jovovich, la star emblématique du Cinquième élément. A côté des 4 icônes du cube, c'est la 5e icône de Vodafone Live ;

Que le recours à Milla Jovovich, pour incarner le personnage central du spot et des encarts publicitaires, renforce en parti pris de la société SFR et de la société Publicis Conseil de s'inscrire dans le sillage de l'œuvre de Luc Besson ;qu'il y a lieu de noter, à cet égard, le compte rendu paru dans le journal l'Expression, daté du 5 novembre 2003, du plan média de l'opération. L'ensemble de ce vaste plan de communication vise à mettre Vodafone Live en phase avec une cible urbaine, jeune, hyperactive dont les références trouvent leurs racines dans MTV, le cinéma fantastique hollywoodien, la BD ou encore la musique. SFR a donc souhaité collaborer avec Milla Jovovich star proche de ce type de cible. C'est surtout une personnalité qui, de par son rôle dans Le Cinquième élément, porte en elle les germes de l'avant-garde technologique que représente Vodafone Live, ou encore dans le quotidien France Soir du 12 novembre 2003, SFR et son agence Publicis Conseil ont choisi Milla Jovovich pour incarner l'image de l'un de ses produits. Ainsi, c'est la jolie Leeloo du Cinquième élément qui vante les mérites du service Vodafone Live ;

Qu'ainsi force est de constater que, en renvoyant au moins implicitement ou encore de manière subliminale, mais constante, au film Le Cinquième élément, le spot et les encarts publicitaire parasitent incontestablement cette œuvre et que c'est donc par une juste appréciation que les premiers juges ont retenu que, contrairement aux allégations de la société SFR et la société Publicis Conseil, le recours à un réalisateur connu et la mise en œuvre d'investissements importants pour la campagne SFR ne sauraient ôter à celle-ci son caractère parasitaire, dès lors que le choix délibéré de chercher l'identification avec Le Cinquième élément permettait à cette société de s'affranchir de l'aléa lié à l'échec possible auprès du coeur de cible du nouveau service de téléphonie mobile promu, aléa d'autant plus important qu'il s'agissait aux dires de Patricia Levy, directrice de la publicité chez SFR, de gens qui commencent à être blasés ;

Que la référence fréquente et directe au film dont le titre est expressément cité à plusieurs reprises constitue également un fait distinct de celui retenu au titre de la contrefaçon ;

Que la société SFR et la société Publicis Conseil, en inscrivant, sans nécessité absolue, la campagne publicitaire relative au lancement du produit Vodafone Live dans le sillage de l'œuvre de Luc Besson, ont commis une faute engageant, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, leur responsabilité puisqu'elles ont de la sorte profité des fruits d'un travail intellectuel et d'investissements réalisés par des tiers leur causant ainsi un préjudice directement lié à leur comportement fautif ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef ;

* sur la garantie de la société Publicis Conseil :

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a donné acte à la société Publicis Conseil qu'elle accorde sa garantie à la société SFR pour les condamnations prononcées ;

* sur les mesures réparatrices :

Considérant qu'il est établi, et non sérieusement contesté, que le lancement du produit Vodafone Live a fait l'objet d'une campagne publicitaire de très grande ampleur, Pierre Bourdon, directeur général de la société SFR, déclarant à CB News, le 28 octobre 2003, qu'il s'agissait du plus gros lancement jamais réalisé par SFR ; qu'il résulte du plan média remis à Me Agnus, huissier de justice, à la suite de ses opérations de constat dressées les 4 décembre 2003 et 16 janvier 2004 que :

* le spot télévisé a fait l'objet, en novembre et décembre 2003, de plus de 2 000 passages TV (toutes chaînes confondues),

* plus de 18 000 affiches ont été mises en place sur la voie publique durant cette même période,

* des encarts publicitaires ont paru dans plus de 150 journaux et magazines,

* dans les 1 500 points de vente que compte la société SFR en France, ont été mise en place 70 visuels différent (catalogues, fascicules, dépliants, cartes, tracts, tapis de souris) représentant Milla Jovovich ;

Que cette première campagne publicitaire a été suivie, postérieurement au jugement de première instance, par une seconde vague d'une ampleur comparable ainsi qu'il l'a été constaté le 10 mai 2004, par me Bargain, huissier de justice ; que, à Paris, les affiches SFR recouvraient, sur les seuls abribus, un emplacement publicitaire sur quatre ; que le plan média communiqué, sur injonction du Président du Tribunal de grande instance de Paris, le 7 juin 2004, fait notamment, apparaître une campagne d'affichage comportant 16 444 emplacements sur l'ensemble du territoire et 1 696 télédiffusions du spot sur 25 chaînes différentes ;

Qu'il convient de relever que pour le passage d'un seul spot sur la chaîne TF1, à la mi-temps de la rencontre de football Monaco/Chelsea, le coût de diffusion pour 30 secondes, alors que ce spot est d'une durée de 40 secondes, s'élevait à 84 000 euros ; qu'il résulte, en outre, d'un document émis par l'argus de l'audiovisuel (TNS), que le montant du budget consacré à la diffusion de ce spot, sur la seul chaîne TF1, pour la période du 25 avril au 28 avril 2004, soit quatre jours, s'élève à la somme de 1 098 000 euros ;

Considérant qu'il convient de relever que, antérieurement à la campagne publicitaire en cause, l'œuvre cinématographique Le Cinquième élément n'avait donné lieu à aucune exploitation dérivée et que, notamment, aucun de ses personnages n'avait fait l'objet d'une quelconque commercialisation à des fins publicitaires ; que l'ampleur des deux campagnes contestées ont, nécessairement, banalisé le personnage de Leeloo, faisant ainsi obstacle au plein exercice par la société Gaumont des droits d'exploitation dérivée dont elle est, conformément aux articles II c et II D, al. 4, du contrat de production du 29 novembre 1990, titulaire, alors même que l'image du personnage Leeloo avait un très fort impact auprès du public ;

Considérant par ailleurs, que la société Gaumont a, pour la production du film Le Cinquième élément, investi des sommes très importantes compte tenu, notamment, de la nature de cette œuvre qui a imposé de nombreuses contraintes techniques dont la société SFR et la société Publicis Conseil ont, par leur comportement parasitaires, tiré des avantages pécuniaires indus ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société SFR et la société Publicis Conseil seront in solidum condamnée à payer à la société Gaumont les indemnités suivantes :

* 750 000 euros au titre de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux du fait de la contrefaçon,

* 1 000 000 euros au titre du préjudice résultant des agissements parasitaires ;

Considérant que la contrefaçon du personnage de Leeloo constitue, en le mettant en scène dans le cadre d'une promotion d'un service de téléphonie, une dénaturation du personnage central de l'œuvre cinématographique Le Cinquième élément de Luc Besson, d'autant plus préjudiciable que les deux campagnes publicitaires massives ont été centrées sur ce personnage ;

Qu'il s'ensuit que la société SFR et la société Publicis Conseil seront condamnées in solidum à verser à Luc Besson une indemnité de 1 000 000 euros au titre de l'atteinte à son droit moral ;

Considérant que, pour mettre fin aux actes de contrefaçon et de parasitisme, il convient de confirmer la mesure de publication ordonnée par les premiers juges, suivant les mêmes modalités, sauf à faire mention du présent arrêt et de la compléter par une publication du présent arrêt sur le site internet de la société SFR et de la société Publicis Conseil, suivant les modalités prévues au dispositif du présent arrêt ;

Qu'il convient également de confirmer l'obligation faite à ces sociétés de cesser les actes illicites qui leur sont imputés, suivant les modalités précisées au dispositif du présent arrêt ;

* sur les autres demandes :

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société SFR n'est pas fondée à solliciter la condamnation de Luc Besson et de la société Gaumont au paiement de dommages et intérêts tant pour le préjudice porté à son image de marque qu'au titre de la procédure abusive ; que de même doivent être rejetées les demandes identiques de la société Publicis Conseil ainsi que celle formée au titre de la campagne de dénigrement alléguée ; que, en outre, elles ne sauraient bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande, sur ce même fondement, de les condamner in solidum à verser à Luc Besson et la société Gaumont une indemnité complémentaire de 25 000 euros ;

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit que les sociétés SFR et Publicis Conseil ont commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Gaumont et en ce qui concerne la garantie accordée par la société Publicis Conseil à la société SFR, les mesures d'interdiction et de publication avec les précisions apportées au présent dispositif ainsi que les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ; L'infirmant pour le surplus, et statuant à nouveau ; Rejette les fins de non-recevoir élevées par les sociétés SFR et Publicis Conseil, et déclare Luc Besson et la société Gaumont recevable en leurs actions ; Dit que les sociétés SFR et Publicis Conseil ont commis un acte de contrefaçon en reproduisant le personnage de Leeloo, en publiant des encarts publicitaires et en diffusant un spot télévisé de ce personnage de l'œuvre cinématographique Le Cinquième élément de Luc Besson ; Ordonne aux sociétés SFR et Publicis Conseil de : - procéder au retrait aussi bien sur la voie publique qu'en tous point de vente de toutes les affiches publicitaires concernant le produit Vodafone Live, reproduisant le personnage de Leeloo, représenté par Milla Jovovich, ainsi que de tout " visuel " publicitaire (catalogue, dépliant, prospectus, tract, accessoire, etc) ; - suspendre toute diffusion, sur toutes les chaînes de télévision (hertzienne, câble, etc) du spot publicitaire, reproduisant le personnage de Leeloo et concernant le produit Vodafone Live ; - suspendre toute publication et diffusion de tout encart publicitaire reproduisant ces mêmes images par voie de presses ; Leur fait interdiction de reproduire, publier et diffuser, sur tous supports (affiches, prospectus, matériel publicitaire en tous genres, presse etc), toute image, cliché et illustration tirés ou s'inspirant du film sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt ; Dit que la mesure de publication concernera le dispositif du présent arrêt ; Dit que le présent arrêt sera mis en ligne sur le site internet des sociétés SFR et Publicis Conseil, pendant une période ininterrompue de 90 jours dans un délai de quinze jours à compter de sa signification, et ce, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard ; Condamne in solidum les sociétés SFR et Publicis Conseil à verser les indemnités suivantes : * à la société Gaumont : - 750 000 euros au titre de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux du fait de la contrefaçon ; - 1 000 000 euros au titre du préjudice résultant des agissements parasitaires ; * à Luc Besson : - 1 000 000 euros au titre de l'atteinte portée à son droit moral ; Condamne in solidum les société SFR et Publicis Conseil à verser à Luc Besson et à la société Gaumont une indemnité de 25 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum les sociétés SFR et Publicis Conseil aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.