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Décisions

CCE, 12 février 1996, n° M.672

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

BP/Sonatrach

CCE n° M.672

12 février 1996

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

1. L'opération notifiée concerne la création d'une entreprise commune entre BP Exploration (in Salah) Ltd et la Société Nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach).

2. Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et le fonctionnement de l'accord sur Espace économique européen.

I. LES PARTIES

3. BP Exploration (in Salah) Limited est une filiale à 100 % de BP Exploration Company Ltd. laquelle est contrôlée à son tour, en dernière instance, par the British Petroleum Company plc (BP). BP est un des plus grands groupes pétroliers au niveau mondial et ses activités comprennent la prospection, l'extraction, le raffinage, le transport et la vente de pétrole et de gaz naturel ainsi que la production et la vente de produits de l'industrie pétrochimique.

4. Sonatrach est une entreprise publique algérienne qui a des activités intégrées de prospection, production, transport et vente d'hydrocarbures. Ses activités sont localisées principalement en Algérie.

II. L'OPERATION

5. BP Exploration (in Salah) Limited et Sonatrach créent, dans le cadre d'un contrat d'association, une entreprise commune qui aura pour activité la prospection, la production et la vente de gaz naturel provenant d'un district gazier algérien non encore développé, situé au sud-ouest de l'Algérie, couvrant une superficie totale d'environ 24 000 km². L'entreprise commune devrait produire environ [Supprimé; secret d'affaires: entre 5 et 10 milliards de m³] milliards de m³ de gaz naturel par an destinés à approvisionner le marché gazier de l'Europe continentale à partir de l'année 2002.

6. L'entreprise commune résulte de la création de trois entités. La première, l'organe contractuel des opérations conjointes (OOC), prendra en charge toutes les opérations se déroulant en territoire algérien et incluant notamment la prospection, l'appréciation, l'exploitation et le transport du gaz jusqu'à la frontière algérienne. La seconde entité, la société de commercialisation conjointe (SCC) sera chargée, en exclusivité, de la commercialisation du gaz naturel produit par l'opérateur conjoint. Il est aussi prévu dans le contrat d'association entre BP et Sonatrach la création d'une troisième entité, la société de services, qui sera chargée de fournir des prestations de services de promotion et de vente de gaz à la société de commercialisation conjointe dans le cadre d'un contrat de services.

7. Outre les aspects structurels mentionnés ci-dessus, le contrat d'Association entre BP et Sonatrach contient également un certain nombre de dispositions réglant les relations entre Sonatrach et l'entreprise commune. [Il est à noter que les dispositions réglant les relations entre l'entreprise commune et la Sonatrach ne portent nullement atteinte à la bonne exécution des contrats déjà conclus par la seule Sonatrach, avant la création de l'entreprise commune, concernant la vente en gros de gaz naturel à long terme quel que soit le moyen de transport considéré (gazoduc ou par bateau en ce qui concerne le GNL).]

Il s'agit:

- de la cession par la Sonatrach du contrat existant entre celle-ci et [Supprimé; secret d'affaires] concernant la fourniture de [Supprimé; secret d'affaires: moins de 5 milliards de m³/an] milliards de m3/an ainsi que les dispositions concernant la fourniture, par la Sonatrach, en cas de besoin, de gaz d'appoint concernant ce contrat avec [Supprimé; secret d'affaires] (gaz produit par la seule Sonatrach en dehors du territoire attribué à l'entreprise commune), qui permettent à l'entreprise commune d'avoir un débouché initial minimum avant d'effectuer les investissements importants requis par le projet; et

- des accords concernant le transport du gaz sur le réseau national algérien sans lesquels l'entreprise commune serait dans l'impossibilité d'écouler sa production.

III. CONCENTRATION

Contrôle conjoint

8. Pour assurer la gestion et l'exécution de l'ensemble du contrat d'association les parties ont établi un organe conjoint de gestion et d'exécution appelé "le Conseil de gestion". Au niveau de chacune des trois entités créées, l'organe contractuel des opérations conjointes (OOC), la société de commercialisation conjointe et la société de services, des organes spécifiques de décision ont été créés à savoir, le comité des opérations conjointes en ce qui concerne l'OOC, et des Conseils d'administration en ce qui concerne la SCC et la société de services.

9. Les deux parties, BP et Sonatrach, seront représentées au sein de chacun des organes d'administration et de gestion, mentionnés au paragraphe 8 ci-avant, sur une base de stricte parité concernant le nombre de membres désignés. Par ailleurs, toutes les décisions prises par ces organes requièrent l'unanimité des votes. Par conséquent, l'entreprise commune sera contrôlée conjointement par BP et Sonatrach.

Entité économique de pleine fonction

10. Les trois entités, l'OOC, la SCC et la société de services, composent une entité économique autonome intégrée qui opérera sur l'ensemble de la chaîne gazière : du développement à la commercialisation. L'entreprise commune disposera des ressources humaines et matérielles nécessaires pour assurer son existence à long terme, soit une période de 30 ans.

Absence de risque de coordination

11. Un risque significatif de coordination des parents sur les marchés de produit et géographique de l'entreprise commune est exclu pour les raisons suivantes:

12. Les activités de l'entreprise commune seront limitées à la souscription de contrats à long terme (qui sont le plus souvent de type "take or pay") sur le continent européen, couvrant une période initiale allant de 2002 à 2016. Sonatrach est déjà présente sur les marchés de produit et géographique de l'entreprise commune et continuera à l'être à l'avenir. BP n'est pas engagée, à l'heure actuelle, dans ce type d'activité sur le continent pour la période considérée. Or, les négociations de contrats à long terme pour cette période sont d'ores et déjà en cours, la majeure partie de la demande est d'ores et déjà couverte et l'ensemble de la demande devrait être couverte dans un avenir relativement proche. En effet, le marché des ventes en gros à long terme de gaz naturel présente un certain nombre de caractéristiques spécifiques. Avant d'entamer les travaux importants concernant l'exploitation et le transport du gaz naturel, il faut un engagement ferme des clients pour des grandes quantités dont la livraison s'échelonnera pendant plusieurs années (20 à 25 ans dans certains cas). Les travaux de développement et de transport ne sont généralement lancés qu'après signature des contrats. De ce fait, il s'écoule un laps de temps, souvent considérable (plusieurs années), entre le moment où le contrat est signé et le début des livraisons. La concurrence va donc jouer dans les marchés en cause, sur des livraisons futures de gaz naturel destinées surtout à couvrir les quantités découlant de l'augmentation de la demande le ("supply gap"). Il peut aussi y avoir une concurrence pour le remplacement des contrats existants qui viendraient à expiration pendant la période considérée.

13. Les activités de BP en Europe en ce qui concerne les ventes à long terme de gaz naturel se limitent au territoire du Royaume-Uni, y compris pour les contrats en cours de négociation concernant la période allant de 2002 à 2016. Il est peu probable que BP ait, à partir des concessions de gaz naturel détenues en mer du Nord la possibilité d'avoir une activité significative sur le continent en ce qui concerne les ventes de gaz naturel à long terme pour cette même période, compte tenu des éléments suivants:

- tout d'abord, jusqu'à l'année 2010, la majorité des besoins en gaz naturel des pays continentaux de l'Union européenne sont déjà couverts par des contrats à long terme (environ 80 %). Il ne resterait donc à couvrir que 20 % des besoins soit environ 70 à 80 milliards m3. Les principaux fournisseurs de la Communauté en gaz naturel, la Russie, la Norvège et l'Algérie disposent de réserves importantes et sont bien placés pour satisfaire cette demande.

- Ensuite, l'état d'avancement du projet de construction de "UK Gaz Interconnector" qui devrait relier à partir de 1998 le Royaume-Uni au continent est tel qu'il ne permet pas à BP de s'engager de façon significative dans des négociations de contrats à long terme pour la période considérée. Il est donc probable que lorsque cet interconnecteur sera mis en place, la totalité de la demande des pays de l'Union Européenne situés sur le continent sera déjà satisfaite pour la période en question.

- Enfin, on ne peut pas entièrement exclure à l'heure actuelle l'hypothèse de la construction éventuelle d'un gazoduc reliant directement les gisements britanniques de la mer du Nord au continent. Toutefois, les prévisions effectuées par la Commission [Voir document COM (95) 478] indiquent qu'à l'horizon de 2010 la production de gaz naturel du Royaume-Uni devrait être dédiée à la satisfaction de la demande interne et que par conséquent il ne resterait pas d'excédent pour l'exportation sur le continent.

Il faut aussi noter qu'en dehors du Royaume-Uni BP ne détient pas de gisement ou de concession d'exploration en Europe. BP détient des gisements de gaz naturel dans d'autres parties du monde notamment en Abou Dabi et en Australie, mais cette production est destinée essentiellement à l'approvisionnement du Japon en GNL.

14. La Sonatrach ne détient pas à l'heure actuelle de contrats de vente de gaz naturel au Royaume-Uni ou en Irlande. Il est peu vraisemblable que dans un avenir prévisible tant la Sonatrach que l'entreprise commune puissent avoir une activité significative au Royaume-Uni. Cela tient au fait que le Royaume-Uni est largement autosuffisant en gaz naturel et à l'absence d'un gazoduc reliant le Royaume-Uni au continent (voir § 13). En outre, il faut noter que les capacités de traitement du GNL au Royaume-Uni sont limitées.

15. Il est donc improbable que dans un avenir prévisible BP puisse être actif, d'une façon significative, sur les mêmes marchés que ceux de la Sonatrach ou de l'entreprise commune. Par conséquent, il est improbable que la création de l'entreprise commune donne lieu à la coordination entre les parents.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

16. Le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'écus (BP 49 363 millions d'écus, Sonatrach 9 310 millions d'écus). Le chiffre d'affaires réalisé par chaque partie dans la Communauté représente un montant supérieur à 250 millions d'écus, et chacune des entreprises ne réalise pas plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans un seul et même Etat membre. La concentration est donc de dimension communautaire.

IV. COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN

Marché de produits

17. Les parties ont défini le marché de produits concerné comme étant celui des ventes à long terme en gros de gaz naturel par gazoduc ou sous forme de GNL (gaz naturel liquéfié). Il s'agit d'un marché caractérisé par un petit nombre d'acheteurs et de vendeurs liés généralement par des contrats de ventes à long terme (20 à 25 ans) portant sur d'importantes quantités. Ces contrats lient généralement les producteurs à un grand importateur ayant souvent un monopole de distribution au niveau national. Il faut noter que compte tenu du fait que, pour la période d'activité initiale prévue de l'entreprise commune la demande est déjà couverte à 80 % par des contrats déjà conclus, la concurrence va jouer seulement en ce qui concerne les 20 % restant à couvrir, le "supply gap", si l'on retient l'hypothèse du renouvellement automatique des contrats arrivant à expiration pendant la période considérée. (voir § 12)

18. Le gaz naturel, compte tenu de sa faible densité énergétique, se distingue des autres sources d'énergie en raison d'un coût de transport et de stockage assez élevé par rapport au coût correspondant des autres combustibles. L'acheminement du gaz du producteur au consommateur nécessite d'importants investissements dans des gazoducs de transport à longue distance ou dans des installations de liquéfaction et de regazéification dans le cas du GNL. Il en résulte, que les coûts associés au changement de client par un producteur et au changement de fournisseur par les acheteurs rendent le marché du gaz naturel plus rigide que celui des autres combustibles.

Marché géographique

19. Le marché géographique pertinent pour ce qui concerne les activités de l'entreprise commune appararaît comme étant celui de l'Europe continentale, allant de la frontière russe au Portugal, en incluant la Turquie. Ce marché comprend donc l'ensemble des pays continentaux de la Communauté Européenne. (voir § 12)

20. En effet, le marché continental du gaz est aujourd'hui intégré au moyen d'un réseau de gazoducs transnationaux qui relient entre eux la plupart des pays de l'Union Européenne ainsi que ceux-ci à leurs fournisseurs. Tous les Etats membres de l'Union Européenne sont des importateurs nets de gaz naturel à l'exception du Danemark, qui exporte de faibles quantités vers l'Allemagne et vers la Suède, et surtout des Pays-Bas qui exporte de très grandes quantités, principalement vers l'Allemagne, mais également vers d'autres pays dont notamment la France, la Belgique et l'Italie.

Appréciation

21. En 1994, la consommation totale de gaz naturel dans les pays continentaux de la Communauté Européenne a été d'environ 216 milliards de m³. Environ 48 % de cette consommation totale (104 milliards de m³) a été satisfaite par du gaz produit dans ces pays compte tenu notamment des échanges inter-régionaux comprennant surtout des exportations de gaz hollandais vers d'autres pays continentaux de la Communauté Européenne.

Le solde, représentant environ 52 % de la consommation (112 milliards de m³), a été importé en provenance essentiellement de 3 pays (la Russie, la Norvège et l'Algérie) représentant ensemble plus de 98 % du gaz importé dans les pays continentaux de la Communauté européenne en 1994.

22. La Russie était en 1994 le premier fournisseur avec 53 % du gaz importé, suivi par l'Algérie (24 %) et la Norvège (21 %).

Si l'on considère la consommation totale, les parts de marché respectives de la Russie, de l'Algérie et de la Norvège étaient de 27 %, 13 %, et 11 %.

23. A l'horizon de l'an 2000, presque toute la demande de contrats à long termes est satisfaite par les engagements d'ores et déjà conclus. L'entreprise commune ne sera en mesure d'exporter du gaz vers le continent que vers l'année 2002, après que des investissements considérables pour la prospection, l'extraction et le transport du gaz soient réalisés. Ces travaux qui comprennent notamment la construction de 900 Km de gazoducs nécessiteront un investissement estimé à 2,5 milliards d'écus et permettront la production de [Supprimé; secret d'affaires: entre 5 et 10 milliards de m³] milliards de m³ par an intégralement destinés à l'exportation, essentiellement vers la Communauté européenne. L'exportation de gaz algérien, par la Sonatrach, vers les pays continentaux de la Communauté européenne atteindrait à cette époque un volume d'environ 54 milliards de m³, ce qui correspondrait à environ 20 % de la consommation de ces pays. La production de l'entreprise commune ne représenterait tout au plus que 3,5 % de la consommation de ces mêmes pays. L'addition des parts de marché de Sonatrach et de l'entreprise commune ne représenterait donc qu'environ 23,5 %, une part de marché qui demeurera inférieure à celle de la Russie qui devrait être supérieure à 25 % et qui serait à peu près equivalente à celle de la Norvège.

24. La demande de gaz naturel devrait croître à un rythme moyen d'environ 3 % par an d'ici l'an 2000 et d'environ 2,8 % entre 2000 et 2010. Sur base de ces prévisions, la consommation totale dans le marché géograhique en cause devrait atteindre environ 270 milliards de m³/an en l'an 2000 et environ 340 milliards en 2010. La production de gaz naturel des pays continentaux de la Communauté européenne devrait d'ici l'an 2000 se maintenir au même rythme actuel (légèrement supérieur à 100 milliards de m³/an) pour décroître progressivement à partir de l'an 2000.

25. Le degré d'auto-approvisionnement des pays continentaux de la Communauté européenne devrait donc diminuer progressivement en passant d'environ 50 % en 1994 à environ 40 % en l'an 2000 et à environ 25 % en 2010. La part de marché du gaz importé devra donc augmenter en conséquence. La Russie, l'Algérie et la Norvège continueront à être dans l'avenir les principaux fournisseurs de l'Europe continentale. A l'horizon de l'an 2000, deux nouveaux fournisseurs sont susceptibles d'entrer sur le marché européen du gaz. Il s'agit de deux nouveaux projets concernant la fourniture de GNL produit respectivement à Trinité et Tobago (environ 2 milliards de m³/an à destination de l'Europe à partir de la fin 1998) et au Nigéria (environ 7 milliards de m³/an à partir de 1999). Il existe un potentiel important de production de gaz au Moyen-Orient et en Asie Centrale à destination de l'Europe, mais les coûts de transport et les difficultés politiques devraient retarder le développement de ces ressources au-delà de l'an 2000.

26. S'agissant de la période 2002-2016, les projections d'évolution de la demande laissent augurer que la demande non-couverte par les contrats et options actuellement en cours, sera de l'ordre de 70 à 80 milliards de mètres cubes par an pour les pays continentaux de la Communauté Européenne. La filliale commune ne sera à même de délivrer dans le meilleur des cas que [...] milliards de mètres cubes par an et devra faire face à des concurrents puissants, disposant de gisements propres à être exploités durant cette période dans les autres zones de production (Russie, Norvège), et des moyens d'acheminement de ce gaz vers l'Europe.

V. CONCLUSION

27. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de considérer que la création de l'entreprise commune puisse entraver d'une manière significative la concurrence sur les marchés de la vente en gros de gaz naturel destiné à l'approvisionnement des pays continentaux de la Communauté Européenne.

28. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'accord sur l'Espace économique européen. Cette décision est prise sur la base de l'article 6, paragraphe 1, point b, du règlement du Conseil n° 4064-89.