Conseil Conc., 14 octobre 2004, n° 04-D-48
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par France Télécom, SFR Cégétel et Bouygues Télécom
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Soriano, par M. Nasse, vice-président, Mmes Aubert, Perrot ainsi que MM. Bidaud, Charrière-Bournazel, Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 25 juin 1999, sous le numéro F 1150, par laquelle l'association TENOR a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom, Cégétel, SFR et Bouygues Télécom ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu l'avis n° 99-1127 adopté par l'Autorité de régulation des télécommunications le 22 décembre 1999, à la demande du Conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-10 du Code des postes et des télécommunications ; Vu les observations présentées par l'association ETNA France, les sociétés France Télécom, Cégétel Groupe, SFR, Bouygues Télécom et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, l'association ETNA France, les sociétés France Télécom, SFR et Bouygues Télécom entendus lors de la séance du 20 juillet 2004 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. La saisine
1. La saisissante est une association, constituée en 1991, qui compte une centaine de membres, pour la plupart opérateurs de réseaux de télécommunications ouverts au publics ou fournisseurs de services de télécommunications. Elle a, depuis la saisine, été renommée ETNA France.
2. France Télécom est l'opérateur historique national. Sa division France Télécom Mobiles (FTM), opérateur de téléphonie mobile, a été filialisée le 23 août 2000. Fin 2000, FTM SA a été apportée à la société britannique Orange, acquise par France Télécom. Entre février 2001 et septembre 2003, environ 15 % du capital du groupe Orange a été mis en bourse. Depuis juin 2001, FTM se nomme Orange France.
3. Le groupe Cégétel (Vivendi Universal) est le premier opérateur alternatif français au travers de ses filiales à 80 % Cégétel (fournisseur de services de téléphonie fixe et de télécommunications et opérateur de boucle locale) et SFR (opérateur de téléphonie mobile) ainsi que de sa participation à 49,99 % dans Télécom Développement, opérateur de réseaux de téléphonie fixe et de données, dont les 50,01 % restants sont détenus par la SNCF. En 2003, Télécom Développement et Cégétel ont fusionné. La nouvelle entité (nommée Cégétel) a été rattachée à la société SFR. Le groupe se nomme désormais SFR Cégétel.
4. Bouygues Télécom est le troisième opérateur de téléphonie mobile en France métropolitaine. Autorisée à établir un réseau en décembre 1994 (soit 3 ans et demi après SFR et FTM, autorisées en mars 1991), Bouygues Télécom a lancé son offre commerciale en 1996.
5. Dans sa saisine, ETNA France dénonce les " difficultés rencontrées par ses membres du fait des agissements et des pratiques développées sur le marché des services de télécommunications, par les opérateurs de mobiles et l'opérateur historique France Télécom dominant le marché de la téléphonie mobile et de la téléphonie entre points fixes " et demande au Conseil de se prononcer sur le caractère anticoncurrentiel :
* " des conditions tarifaires du trafic fixe-mobile en l'absence, dans les faits, d'interconnexion directe ou négociée ouverte aux nouveaux entrants ;
* des accords passés par France Télécom avec ses partenaires étrangers visant à établir une surtaxe pour les appels à destination des mobiles en provenance de leurs territoires ayant pour effet d'aligner les tarifs de ces appels entrants sur les réseaux mobiles à ceux provenant du territoire national ;
* des offres commerciales, et notamment des offres "couplées", par lesquelles les opérateurs dominants sur le secteur de la téléphonie fixe ou mobile, voire sur les deux secteurs, mettent en œuvre une convergence commerciale que les nouveaux entrants ne sont pas en mesure de proposer. "
B. Le secteur intéressé
1. Le cadre législatif et réglementaire
6. En vertu de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications, l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture du service téléphonique au public sont autorisés par le ministre chargé des Télécommunications. Les autorisations, également appelées licences, sont délivrées pour une durée maximale de 15 ans.
7. La loi introduit également un régime de droit commun en matière d'interconnexion, en vertu duquel " les exploitants de réseaux ouverts au public font droit, dans des conditions objectives et transparentes, aux demandes d'interconnexion " des opérateurs autorisés. " L'interconnexion fait l'objet d'une convention de droit privé entre les deux parties concernées " (art. L. 34-8 du Code des postes et télécommunications). L'article D. 99-10 précise que " les conditions tarifaires des conventions d'interconnexion (...) ne doivent pas conduire à imposer indûment aux opérateurs utilisant l'interconnexion des charges excessives. "
8. Ce cadre général est complété par un régime de régulation asymétrique, s'appliquant uniquement aux opérateurs considérés par l'ART comme " exerçant une influence significative " (art. L. 36-7 (7°)) sur quatre activités du secteur des télécommunications (téléphonie fixe, liaisons louées, téléphonie mobile et interconnexion).
La téléphonie fixe
9. Depuis 1997, France Télécom a été reconnue de manière constante par l'ART comme exerçant une influence significative sur le marché de détail de la téléphonie fixe. A ce titre, elle publie chaque année un catalogue technique et tarifaire d'interconnexion destiné aux opérateurs autorisés. Ce catalogue est préalablement approuvé par l'ART. Ses tarifs doivent être orientés vers les coûts.
10. Ce catalogue inclut notamment une offre de sélection du transporteur, grâce à laquelle les abonnés de France Télécom peuvent passer leurs communications téléphoniques par le biais d'un opérateur alternatif, en composant, pour chaque appel, un préfixe (à un ou quatre chiffres) spécifique à cet opérateur en lieu et place du préfixe " 0 ".
11. Dès l'ouverture à la concurrence des services de téléphonie fixe, le 1er janvier 1998, ce mécanisme de sélection était disponible pour les communications nationales longue distance et internationales. Début 2000, un mécanisme de présélection a été introduit. Il permet à l'utilisateur de choisir un opérateur alternatif pour l'ensemble du trafic ouvert à la sélection, tout en continuant à numéroter avec le préfixe " 0 ". Enfin, la sélection a été élargie, le 1er novembre 2000, aux appels destinés à des lignes mobiles (appels fixe vers mobile ou appels entrants) et, le 1er janvier 2002, aux appels locaux.
12. Par ailleurs, France Télécom est l'opérateur chargé du service universel. Conformément à l'article 17 de son cahier des charges, approuvé par un décret n° 96-1225 du 27 décembre 1996, les tarifs correspondants sont homologués par les ministres chargés de l'Economie et des Télécommunications sur avis public de l'ART. Les tarifs de détail de téléphonie fixe de France Télécom sont notamment soumis à ce régime.
Les appels " fixe vers mobile " ou appels " entrants "
13. L'autorité de régulation des télécommunications (ART) rappelle, dans son avis n° 99-1127 du 22 décembre 1999 rendu dans le cadre de la présente affaire, qu'en vertu des licences des trois opérateurs de téléphonie mobile métropolitains, Orange France, SFR et Bouygues Télécom, ces opérateurs fixaient, à la date de la saisine, les tarifs de détail de téléphonie fixe pratiqués par France Télécom pour les appels destinés à leur réseau GSM. Dans ce système, dit d'interconnexion indirecte, le revenu des communications fixe vers mobile de France Télécom était reversé à l'opérateur GSM de l'appelé, après " rétention ", d'une part, de " peines et soins " (facturation et recouvrement) et, d'autre part, de la prestation d'acheminement du trafic sur le réseau de France Télécom.
14. Par une décision n° 99-197 du 1er mars 1999, l'ART a considéré que le trafic fixe vers mobile devait être soumis, comme les autres catégories de trafic, au régime de l'interconnexion directe, dans lequel l'opérateur de l'appelé détermine une charge de terminaison d'appels (ci-après CTA) qu'il facture à l'opérateur de l'appelant pour toute communication à destination de son réseau. Cette charge constitue alors un coût pour l'opérateur de l'appelant, lequel fixe par ailleurs le tarif de détail. Cette évolution étant nécessaire pour permettre à d'autres opérateurs que France Télécom de s'interconnecter aux réseaux des opérateurs GSM afin d'acheminer du trafic fixe vers mobile. Il devenait alors nécessaire que France Télécom puisse, comme ses concurrents, librement fixer le prix de détail des communications fixe vers mobile de ses abonnés. Les cahiers des charges des trois opérateurs GSM ont été modifiés en conséquence par des arrêtés des 10 et 13 septembre 2000, avec entrée en vigueur au 1er novembre 2000.
15. Cette évolution, dénommée " inversion des licences ", a coïncidé avec l'ouverture du trafic fixe vers mobile à la sélection du transporteur, qui devait également favoriser le développement de la concurrence sur ce segment. En outre, à compter de cette date, les tarifs de détail de France Télécom pour le trafic fixe vers mobile ont été, comme les autres tarifs de téléphonie fixe, soumis au régime d'homologation ministérielle (antérieurement, ils étaient fixés par les opérateurs GSM sans contrôle d'aucune sorte).
Le niveau des charges de terminaison d'appels sur les réseaux GSM
16. Comme le souligne l'ART dans son avis n° 99-1127, " le tarif de détail de l'appel entrant est généralement considéré comme élevé au regard du tarif d'une communication fixe à destination d'un réseau fixe ". Environ 80 % du montant de ces communications est constitué par la CTA reversée à l'opérateur GSM de destination.
17. Dans son avis, l'ART ajoute que " compte tenu de la demande des consommateurs en faveur d'une diminution du tarif de l'appel entrant, l'Autorité a engagé, au cours du mois de février 1999, des discussions avec les trois opérateurs mobiles pour parvenir à une baisse de ce tarif ", qui adviendra au second semestre 1999 à hauteur de 20 %.
18. Par ailleurs, depuis 2000, les opérateurs Orange France et SFR ont été, chaque année, reconnus par l'ART comme " exerçant une influence significative sur le marché national de l'interconnexion " au sens de l'article L. 36-7 (7°) du Code des postes et télécommunications. A ce titre, ces opérateurs se doivent notamment de négocier l'interconnexion dans des conditions non discriminatoires et d'orienter leurs tarifs d'interconnexion (c'est-à-dire leur CTA) vers les coûts.
19. Dans ce cadre, l'ART a, dans un premier temps, considéré dans sa décision de règlement de différend n° 00-1092 du 13 octobre 2000 opposant MFS Communications à Orange France, que la CTA pratiquée par FTM était excessive et a imposé une diminution de 20 % de cette CTA. SFR, soumise au même régime, s'est rapidement alignée. Dans un deuxième temps, l'ART a, par une décision n° 01-458 du 11 mai 2001, adopté en concertation avec les opérateurs GSM une méthode de restitution des coûts de terminaison, sous la forme de lignes directrices. Sur la base de cette méthode et des éléments de comptabilité communiqués par les opérateurs GSM, l'ART a imposé à Orange France et SFR, par ses décisions n° 01-970 et 01-971 du 16 novembre 2001, des baisses annuelles de leur CTA de 15 % entre 2001 et 2002, de 15 % entre 2002 et 2003 et de 12,5 % entre 2003 et 2004.
2. Les services de téléphonie fixe vers mobile aux entreprises
La croissance du trafic " fixe vers mobile "
20. Le trafic fixe vers mobile s'est considérablement développé avec l'essor de la téléphonie mobile (observatoire des marchés de l'ART) :
EMPLACEMENT TABLEAU
21. La clientèle professionnelle représentait, en 2000, 22,6 % des lignes mobiles et pesait pour 32,5 % dans le chiffre d'affaires de la téléphonie mobile et pour 27,3 % dans les volumes. S'agissant du trafic fixe vers mobile, cette clientèle générait 55,8 % des revenus en 1999 (60,7 % des volumes) contre 51,7 % en 2000 (53,4 % des volumes). Enfin, en 2000, 35 % du revenu dégagé auprès de cette clientèle sur les communications de téléphonie fixe relevait du trafic fixe vers mobile.
Les modalités d'acheminement du trafic
22. Pour un opérateur de téléphonie fixe autre que France Télécom souhaitant acheminer le trafic fixe vers mobile d'une entreprise, la collecte du trafic au niveau du client peut s'effectuer, ou bien par le biais d'une prestation d'interconnexion de France Télécom, ce qui suppose que le mécanisme de sélection du transporteur soit disponible (1er novembre 2000), ou bien par le biais d'un raccordement direct du site du client à une boucle locale entreprises (BLE) déployée par l'opérateur à proximité, ce qui suppose un trafic important généré par le client.
23. En l'absence de mécanisme de sélection du transporteur, une solution alternative consiste à mettre en place une plate-forme à partir de laquelle l'appelant peut composer le numéro de son destinataire. L'accès à la plate-forme se fait alors par la composition préliminaire d'un numéro spécial (la collecte est donc effectuée par France Télécom). Pour éviter cette double numérotation, il est possible d'installer un boîtier auprès de l'autocommutateur (PABX) du client, qui envoie automatiquement les appels sur la plate-forme lorsqu'il s'agit d'un numéro mobile.
Le reroutage international
24. Dans le cadre d'une architecture classique, le trafic collecté est acheminé sur le réseau longue distance de l'opérateur puis amené sur le réseau de l'opérateur GSM de l'appelé. L'interconnexion est réalisée au niveau d'une vingtaine de sites (qui matérialisent des " zones arrières ") situés sur le territoire métropolitain sous la forme d'un raccordement physique qui peut notamment consister en une co-localisation des équipements de l'opérateur tiers dans un site de l'opérateur GSM. Mais les opérateurs nouveaux entrants ont choisi de déployer, en 1998, des solutions dites de " tromboning " ou de " reroutage international ", consistant à envoyer le trafic collecté à un opérateur étranger géographiquement proche (typiquement British Telecom) afin que cet opérateur le renvoie à France Télécom, à charge pour cette dernière de le faire aboutir sur le réseau GSM de destination. Une telle architecture, aberrante d'un point de vue technique, s'est avérée financièrement attractive du fait que la tarification de la terminaison des appels convenue entre les opérateurs internationaux était alors indépendante du réseau de destination (par exemple, British Telecom rémunérait identiquement France Télécom pour les appels destinés à des lignes fixes ou mobiles situées en France métropolitaine) et qu'en conséquence, les conventions d'interconnexion signées entre France Télécom et les opérateurs GSM prévoyaient des reversements peu élevés pour la terminaison des appels internationaux sur les réseaux GSM (environ huit fois moindres que pour les appels nationaux). Dans ce cadre, un opérateur tel que Cégétel pouvait proposer un tarif HT par minute (la première étant indivisible) de 1,61 francs contre 2,46 francs pour France Télécom.
25. A partir de 1999, France Télécom a mis en place des mesures destinées à décourager le reroutage international. Dans son avis n° 99-1027, l'ART rappelle que le dispositif de rémunération des opérateurs historiques pour la terminaison des appels internationaux " a été conçu selon une logique de coopération, le versement d'une quote-part devant correspondre à la juste compensation touchée par une administration au titre de l'aboutissement d'un appel sur son réseau. (...) L'écart très important entre la quote-part traditionnellement perçue par l'opérateur fixe pour les appels en provenance de l'international (de l'ordre de 46 centimes [de francs] par minute à la fin 1998 dans l'exemple de la Grande-Bretagne) et la rémunération des opérateurs mobiles pour la terminaison des appels entrants d'origine nationale (de l'ordre de 2,54 francs hors taxes par minute) a créé une situation particulièrement favorable au développement et à la croissance du reroutage des appels entrants par l'international. [Lorsque l'appel est rerouté] la rémunération moyenne de l'opérateur mobile s'établit à 0,30 franc hors taxes par minute, montant qui ne couvre pas le coût réellement supporté par cet opérateur pour assurer la prestation de terminaison sur son réseau.(...) Afin de corriger la situation anormale décrite ci-dessus, France Télécom a, à partir de la fin de l'année 1998, engagé des négociations avec ses homologues en vue d'établir, de manière bilatérale et réciproque, des quote-parts "spéciales" sur les appels issus d'un poste fixe et destinés à un réseau mobile étranger. (...) Le niveau moyen des quotes-parts mobiles, ainsi négociées, s'établit à environ 1,25 franc hors taxes (...) "
26. Lors de l'audition du 16 février 2000, les représentants de France Télécom ont confirmé avoir " mis en place un système de surcharge, pour permettre aux opérateurs mobiles de mieux couvrir leurs coûts. " Il ressort des éléments du dossier (annexe 14 à la saisine de ETNA France, annexe 2 de l'avis n° 99-1027 de l'ART, annexe 4 du courrier du 17 mars 2000 de France Télécom) qu'une telle surcharge a été mise en place avec :
* le Royaume-Uni, le 1er janvier 1999 ;
* l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche et la Norvège, le 1er avril 1999 ;
* l'Italie, la Suisse, la Suède, la Grèce, l'Irlande, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, Israël, le Chili et Taiwan, entre avril et décembre 1999 ;
* Andorre, le Canada, les Etats-Unis, la Hongrie, le Portugal, la République Sud-africaine et Singapour entre décembre 1999 et le 15 février 2000.
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27. Pour l'essentiel des pays concernés, notamment l'ensemble des pays limitrophes à la France, la surtaxe s'établit à 0,15 DTS (panier de monnaies dont le cours est fixé par le FMI), soit entre 1,19 et 1,48 francs HT entre le 1er janvier 1999 et la mi 2002. Dans son avis n° 99-1027, l'ART conclut que ces surcharges " s'ajoutent au tarif appliqué au rerouteur par l'opérateur du pays tiers pour la prestation d'acheminement sur le réseau de l'opérateur historique de ce pays. De manière indirecte donc, les quotes-parts mobiles rendent le reroutage, via les pays concernés, économiquement moins rentable voire non rentable. "
28. Par ailleurs, il ressort d'un graphe communiqué par France Télécom le 8 février 2000 concernant le degré d'inefficacité de son réseau, que le taux d'échec, pour motif de congestion, des appels provenant de l'étranger à destination des réseaux GSM, a atteint des niveaux très importants entre les mois de janvier et d'octobre 1999 (jusqu'à plus de 30 % contre moins de 5 % en temps normal), alors même que le volume de trafic y afférent suivait une tendance croissante extrêmement régulière.
Les mobiles box
29. A partir de 1998, des installateurs ont également entrepris la commercialisation de boîtiers radio (également appelés " hérisson ", " mobile box " ou " GSM gateway ") destinés à être placés auprès du central téléphonique propre à l'entreprise cliente (PABX). Ces boîtiers permettent de transformer les appels fixes vers mobile de l'entreprise en appels mobile vers mobile, en les réémettant sur un réseau GSM. A cette fin, il est nécessaire d'insérer dans le boîtier une carte SIM (carte technologique pour terminaux GSM permettant d'identifier l'usager) relative à un contrat d'abonnement aux services de téléphonie mobile d'un opérateur GSM (ou d'un revendeur). L'intérêt économique d'une telle architecture réside dans le fait que les opérateurs GSM pratiquent des tarifs de détail substantiellement inférieurs au prix des appels fixe vers mobile. Dans un communiqué de presse du 4 mars 1998, l'ART a considéré que de tels boîtiers " qui permettent aux utilisateurs de bénéficier de tarifs moins chers pour leurs appels à destination des mobiles, [devaient] pouvoir être mis en œuvre ", bien que les licences des opérateurs GSM " ne leur permettent pas de fournir au public le service téléphonique entre points fixes. "
30. Par ailleurs, certains opérateurs de téléphonie fixe (notamment la société Kaptech, elle n'a été rachetée que plusieurs années après sa création par du groupe Neuf Télécom) ont déployé des parcs de boîtiers radio sur leur propre réseau longue distance, de manière à réémettre les appels fixe vers mobile reçus de leur clientèle sur les réseaux GSM. De telles solutions mobile box opérateur permettent à l'opérateur de téléphonie fixe de cibler la cellule GSM sur laquelle l'appel est réémis et donc d'obtenir une meilleure qualité de service en évitant de surcharger le réseau GSM, alors que lorsque le boîtier est installé auprès de l'usager, la cellule cible est déterminée par la position de celui-ci. Elles offrent aussi des possibilités d'optimisation tarifaire des abonnements GSM utilisés.
L'interconnexion directe
31. La mise en place, au 1er trimestre 1999, de mesures destinées à limiter le recours au reroutage international a également incité les opérateurs fixes alternatifs à négocier avec les opérateurs GSM une interconnexion directe à leurs réseaux. A ce sujet, des représentants de FTM ont confirmé, le 3 mai 2000, que " la demande d'interconnexion de la part d'opérateurs concurrents de France Télécom date de 1999, année au cours de laquelle des contacts avaient déjà été noués à ce sujet " et ajouté que cette opération " impose certaines contraintes [ce qui] implique de procéder à des prévisions en termes de trafic et des délais de mise en œuvre ". Pour autant, l'ART précise dans son avis n° 99-1127 ne pas avoir " été saisie d'un quelconque refus d'interconnexion d'un opérateur mobile à l'encontre d'un opérateur fixe ".
32. Dès le 3 février 1999, l'opérateur Télécom Développement est interconnecté au réseau de SFR. Suivront 9 Télécom en juin 2000 puis SIRIS, Colt, Completel, MCI et Télé 2. Orange France indique également que " après France Télécom, Colt est le premier opérateur fixe a avoir conclu une convention d'interconnexion (juillet 2000) [rejoint depuis par] Siris, 9T, MFS, Télécom Développement, Completel et Cable & Wireless. " En revanche, au 23 mai 2002, " Bouygues Télécom n'a conclu qu'une seule convention d'interconnexion directe avec un opérateur de téléphonie fixe. Il s'agit de l'opérateur Siris avec qui la convention a été signée le 18 juin 2001. "
Le développement de la concurrence
33. La part de marché de France Télécom sur le trafic fixe vers mobile est restée supérieure à 90 % (en volume et en valeur) jusqu'en 2000. Selon une étude de l'IDATE, cette proportion (en volume) était de 71 % pour l'opérateur historique en Allemagne (au 30 juin) et de 66,7 % au Royaume-Uni. Selon le rapport annuel 2000 de l'ART, la part de marché de France Télécom sur les communications longue distance et internationales s'établissait à 67,2 % (en volume) au 31 décembre 2000.
34. Au 1er semestre 2002, France Télécom commercialisait 75 % des 2 480 min de trafic fixe vers mobile des entreprises. Les opérateurs tiers se partageaient 25 % du marché dont 7 % pour Cégétel et 5 % pour MCI.
C. Les pratiques dénoncées
1. Les entraves aux solutions mobile box opérateur
35. En premier lieu, les représentants de SFR Cégétel ont indiqué, le 17 mai 2002, que le recours, par des opérateurs de téléphonie fixe, à des solutions mobile box opérateur relevait de " pratiques parasitaires ", qui " engendrent un manque à gagner " par rapport au revenu de terminaison normal. " Par ailleurs, nos infrastructures ne sont pas dimensionnées pour supporter ce supplément de trafic sortant. Aujourd'hui, ce trafic fixe vers mobile détourné est préoccupant mais reste limité. SFR a toutefois introduit une clause supplémentaire pour les abonnements GSM "professionnels grand public" par laquelle "la carte SIM ne peut être utilisée pour proposer une offre commerciale à un tiers et notamment, ne peut être utilisée par un exploitant de réseau de télécommunication ou un fournisseur de services de télécommunication aux fins de modifier l'acheminement d'un service de télécommunication sur un réseau public de télécommunication". Néanmoins, cette clause ne s'applique pas aux abonnements souscrits antérieurement à cette modification. "
36. Par la suite, SFR Cégétel a précisé que cette clause a été introduite en octobre 2001 et ce, " sur tous les types de contrats (Grand Public, Professionnels et Entreprises) ". Il ajoute que " dans le cadre de la commercialisation de l'offre Entreprises par certaines SCS, SFR a demandé à ces SCS de faire figurer cette clause dans les Conditions Générales d'Abonnements Entreprises. "
37. En deuxième lieu, les représentants de Orange France ont déclaré, le 28 juin 2002 : " Nous ne sommes pas favorables aux mobile box. Par rapport à un appel fixe vers mobile, les coûts que nous supportons pour un appel détourné sont supérieurs pour des revenus moindres. "
" Dans nos contrats d'abonnement, une clause interdit au souscripteur de transférer le bénéfice du contrat à un tiers. Toutefois, cette clause ne permet pas d'éviter qu'un opérateur souscripteur n'utilise son abonnement pour transformer le trafic fixe vers mobile qu'il collecte auprès de sa clientèle en trafic "Orange vers mobile". Afin d'éviter des dérives de la part de certains distributeurs, nous avons introduit, en septembre 2001, une nouvelle clause qui interdit explicitement la sous-location (l'abonnement doit exclusivement bénéficier au souscripteur) ". En outre, Orange France a indiqué le 9 décembre 2002 avoir " mis fin à la quasi-totalité des contrats de type "Société de Commercialisation de Services" en 2000 et 2001. "
38. En troisième lieu, les conditions générales de ventes de la société Bouygues Télécom précisaient, dès le 10 juillet 1998 : " Le contrat de service est conclu en fonction de la personne du Client, celui-ci s'interdit de céder ou de transmettre à un tiers à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit le contrat et/ou le bénéfice de l'utilisation de la carte SIM, sauf accord exprès de Bouygues Télécom ".
39. En quatrième lieu, la société Kaptech (groupe Neuf Télécom) indique que " les opérateurs mobiles savent identifier les cartes SIM qui sont utilisées dans des GSM box, par l'analyse des profils de trafic. Nous avons constaté en pratique : qu'en cas de risque de saturation des réseaux mobiles, les opérateurs mobiles savaient désactiver les cartes SIM ; que les opérateurs désactivent les cartes SIM qui ont les meilleurs rendements ".
40. Néanmoins, interrogés sur ce point au cours de l'instruction, aucun des trois opérateurs GSM n'a déclaré avoir mis en œuvre les clauses d'interdiction de revente de trafic. Télécom Développement a par ailleurs indiqué avoir déployé une solution mobile box opérateur en février 2002 à titre expérimental puis, en juin 2002, de façon plus importante. MCI déclare également avoir installé une telle solution en avril 2002.
2. Les tarifs de la société France Télécom aux entreprises pour le trafic fixe vers Orange France par rapport à la CTA de Orange France
a) Evolution des offres tarifaires et de la CTA
41. La partie variable de la CTA facturée par Orange France se compose d'un crédit temps qui donne droit à une durée de communication, au-delà de laquelle un prix par minute, décompté à la seconde, est pratiqué suivant la plage horaire d'appel, heure pleine - HP - ou heure creuse - HC. La partie fixe consiste en un montant annuel par bloc primaire numérique - BPN, dont la capacité est de 2 Mb/s. Depuis 1998, la CTA de Orange France a connu les évolutions suivantes :
EMPLACEMENT TABLEAU
42. En 1998, le prix public (hors taxe) des communications fixe vers Orange France de France Télécom s'élève à 2,46 francs pour la première minute (indivisible) et 2,487 francs [respectivement 1,244 francs] pour les minutes suivantes (décomptées à la seconde) en heure pleine [heure creuse].
43. A compter du 1er janvier 1999, France Télécom commercialise une nouvelle série d'offres auprès des entreprises. Modulance Itinéris Site, contre un abonnement mensuel de 200 francs par site, offre des réductions par tranche sur la facture fixe vers Orange France bimestrielle du site : 30 % entre 2,5 et 10 KF, 32 % entre 10 et 30 KF, 34 % entre 30 et 50 KF et 36 % au-delà. Avec Modulance Itinéris Multisite, une réduction de niveau réseau supplémentaire de 3 % s'applique à l'ensemble des sites déclarés contre un abonnement mensuel de 1 000 francs par réseau.
44. Atout RPV Itinéris présente une structure tarifaire différente. Moyennant 10 KF de frais d'accès pour le premier site et 5 KF pour les suivants, l'entreprise se voit offrir une réduction globale (et non tranche par tranche) sur ses communications fixe vers Orange France, suivant sa facture bimestrielle fixe vers mobile (et non fixe vers Orange France) : 25 % à partir de 70 KF, 29 % à partir de 150 KF ; 33 % à partir de 300 KF ; 37 % à partir de 500 KF ; 40 % à partir de 700 KF. Par ailleurs, une option grand site, dont les frais d'accès s'établissent à 5 KF par site, présente une réduction supplémentaire de 12 % sur les communications fixe vers Orange France du site si la consommation bimestrielle fixe vers mobile de ce site dépasse 50 KF. En outre, une option trafic interne ou flotte, pour laquelle les frais d'accès s'élèvent à 5 KF, offre une réduction supplémentaire de 12 % sur l'ensemble du trafic fixe vers Orange France interne, c'est-à-dire destiné à la flotte mobile de l'entreprise.
45. Le 1er juillet 1999, le prix public des communications fixe vers Orange France de France Télécom est abaissé à 1,97 francs pour la première minute et 1,97 francs [respectivement 0,98 francs] pour les minutes suivantes en heure pleine [heure creuse].
46. A cette date, France Télécom modifie également ses offres destinées aux entreprises. S'agissant de Modulance Itinéris Site (qui deviendra Avantage Itinéris), l'abonnement est supprimé. Les réductions (tranche par tranche) sont les suivantes sur la facture bimestrielle fixe vers Orange France du site : 14 % entre 1 et 2,5 KF ; 16 % entre 2,5 et 10 KF ; 18 % entre 10 et 20 KF ; 20 % entre 20 et 30 KF ; 22 % au-delà. En revanche, la commercialisation de Modulance Itinéris Multisite est interrompue le 26 juillet 1999. Par ailleurs, la nouvelle grille tarifaire de Atout RPV Itinéris offre les réductions suivantes sur les communications fixe vers Orange France, suivant la facture bimestrielle fixe vers mobile de l'entreprise : 8,6 % à partir de 50 KF ; 13,7 % à partir de 120 KF ; 18,8 % à partir de 240 KF ; 22,3 % à partir de 400 KF ; 24,9 % à partir de 550 KF. Enfin, l'option grand site est modifiée de telle sorte qu'elle peut être souscrite à partir d'un chiffre d'affaires fixe vers mobile réalisé sur le site de 40 KF (au lieu de 50 KF) par bimestre.
47. A la suite de l'inversion des licences, au 1er novembre 2000, le prix public des communications fixe vers mobile de France Télécom n'est modifié qu'après homologation par décision ministérielle en date du 23 janvier 2001, pour s'établir en ce qui concerne le trafic fixe vers Orange France et fixe vers SFR des entreprises, à 1,59 francs pour les 40 premières secondes et à 1,59 francs pour les minutes au-delà de cette durée.
48. Par ailleurs, les anciennes offres Avantage Itinéris, Modulance Itinéris Multisite et Atout RPV Itinéris sont remplacées, selon France Télécom, " de mars 2001 à août 2001 ", par de nouvelles formules tarifaires, lesquelles présentent des tarifs identiques pour le trafic fixe vers Orange France et pour le trafic fixe vers SFR. Avantage Mobiles Plus offre ainsi une réduction pouvant atteindre 12 % sur l'ensemble du trafic fixe vers mobile de l'entreprise si le chiffre d'affaires bimestriel avant remise y afférent dépasse 30 KF. Avec Avantage Mobiles Volume (offre réservée à des " entreprises multisites "), la réduction atteint 15 % si ce chiffre d'affaires dépasse 400 KF. Enfin, Atout RPV Mobiles propose une réduction de 14 % pour un chiffre d'affaires supérieur à 720 KF, assorti d'une remise supplémentaire de 15 % sur le trafic interne.
49. Le 1er mars 2002, le tarif de base de France Télécom pour les entreprises s'établit à 0,23 euros pour les 40 premières secondes et à 0,21 euros pour les minutes au-delà de cette durée.
50. Avantage Mobiles Plus 2, disponible à partir du 6 mai 2002, offre une réduction de 15 % pour un chiffre d'affaires fixe vers mobile bimensuel de 7 Keuros. Avantage Volume Mobiles 2 propose une remise de 15 % à partir d'un chiffre d'affaires fixe vers mobile bimestriel de 12 Keuros ainsi qu'une option site offrant une remise supplémentaire pouvant atteindre 3 %. Enfin, Atout RPV Mobiles 2 offre une remise de 14 % si le chiffre d'affaires fixe vers mobile bimestriel dépasse 30 Keuros par bimestre ainsi qu'une remise supplémentaire de 15 % pour le trafic interne et une remise pouvant atteindre 3 % au titre d'une option site.
b) Test de ciseau tarifaire
51. Il a été procédé, au cours de l'instruction, à un test de ciseau tarifaire, c'est-à-dire à la comparaison :
* d'une part, de la recette moyenne par minute qu'il était possible, au cours des différentes périodes, de percevoir au titre des offres tarifaires de FTM pour les communications fixe vers Orange France des entreprises,
* d'autre part, du coût moyen encouru, pour la fourniture de ces services, par un opérateur aussi efficace que France Télécom, c'est-à-dire interconnecté au réseau de FTM. Tant les recettes tirées de ces prestations que les coûts encourus pour leur fourniture sont dépendants des hypothèses faites sur le profil et le volume de consommation des entreprises.
La consommation des entreprises
52. Dans ses observations, France Télécom indique que 3,6 % du trafic fixe vers mobile des entreprises est acheminé en heure creuse.
53. Etant donné la présence de tarifications complexes en fonction du temps de communication, il convient de se donner une loi statistique de distribution des appels en fonction de leur durée, afin de raisonner en moyenne. A cette fin, il a été fait appel à la loi de Weibull employée par l'ART pour décrire la répartition des appels fixe vers mobile (coefficient en puissance de 0,629 et durée de référence de 70,5 secondes) dans le cadre de son contrôle du niveau des CTA d'Orange France et de SFR. Cette représentation conduit notamment à retenir une durée moyenne des appels de 100 secondes ainsi qu'un pourcentage d'appels de durée inférieure à une minute de 59,5 %. Ces ordres de grandeur sont conformes à ceux recueillis au cours de l'instruction (audition du 3 mai 2000, France Télécom : " la durée moyenne d'une communication fixe vers mobile est de 93,7 secondes " ; audition du 7 avril 2000, MCI : " statistiquement, 60 % des appels fixe vers mobile des clients MCI Worldcom sont inférieurs à 1 minute ").
54. S'agissant des volumes de consommation des entreprises clientes et du nombre de sites par entreprise, il a été distingué 19 profils de consommation. Les neuf premiers profils pèsent chacun 1/9ème du marché des entreprises de taille moyenne. Les dix suivants pèsent chacun 1/10ème du marché des grands comptes. Ce schéma de consommation a été basé sur les hypothèses suivantes :
* consommation annuelle fixe vers mobile : grand compte (à partir de 1MF) en moyenne 10 MF ; en moyenne 150 KF pour une entreprise de taille moyenne (grandeurs calculées à partir des éléments fournis par les opérateurs) ;
* la consommation (en minutes) de téléphonie fixe des entreprises est 5 fois supérieure à leur consommation (en francs) fixe vers mobile (observatoires des marchés 1999 et 2000 de l'ART) ;
* un tiers du trafic fixe vers mobile des entreprises relève des grands comptes ;
* un site d'une entreprise peut faire l'objet d'un raccordement direct à une boucle locale entreprises (BLE) lorsque son trafic annuel de téléphonie fixe est supérieur à 1,5 min (note de l'ART communiquée à France Télécom, le 10 juin 2003) ; 37 % du trafic de téléphonie fixe des entreprises peut être adressé en raccordement direct (courrier du 5 décembre 2003 du chef de l'unité concurrence et marchés de l'ART).
EMPLACEMENT TABLEAU
Calcul du coût moyen encouru par un opérateur aussi efficace que France Télécom pour la fourniture de ces services
Le coût moyen encouru par un opérateur aussi efficace que France Télécom pour la fourniture de ces services a été limité au seul coût incrémental : il s'agit donc d'une évaluation basse. Ainsi, l'opérateur disposant d'un réseau longue distance en propre et acheminant diverses catégories de trafic téléphonique ne supporte pas de coût incrémental d'acheminement pour le trafic fixe vers mobile. De même, l'opérateur adressant à la fois la clientèle des entreprises et des particuliers, les charges fixes de raccordement aux réseaux GSM n'ont pas été imputées au coût incrémental de l'acheminement du trafic fixe vers mobile des entreprises. Le coût incrémental est donc limité :
* à la contribution au service universel ;
* à la CTA de FTM ;
* aux coûts non techniques (impayés et frais commerciaux).
La contribution au service universel
55. Dans son rapport annuel 2002, l'ART indique les charges définitives de financement du service universel (la contribution par volume de trafic facturé est appliquée à chaque minute de trafic au détail ; la contribution au volume de boucle locale est appliquée à chaque minute de trafic émanant d'une boucle locale de l'opérateur) :
EMPLACEMENT TABLEAU
La CTA
56. La CTA pratiquée par FTM puis Orange France figure au § 41. Elle concerne la terminaison des appels livrés dans la " zone arrière " (le territoire national en compte une vingtaine), sauf pour SFR antérieurement au mois de septembre 2000 (la terminaison est alors nationale). Conformément à la pratique constante de l'ART, le coût des BPN est distribué sur la base d'un taux de remplissage de 2,6 min par an. Le calcul de la CTA moyenne par minute selon le profil de consommation donné par la loi de Weibull, comme exposé ci-dessus au § 53, et le taux de trafic en heure creuse donné au § 52, donne les résultats suivants :
EMPLACEMENT TABLEAU
Les impayés
57. Les factures impayées concernent entre autres les sommes dues au titre du trafic fixe vers mobile, de sorte que le taux moyen d'impayés sur la clientèle vaut également pour ce trafic. Dans ses observations, SFR Cégétel avance un taux de 3 % du chiffre d'affaires facturé pour couvrir les impayés des entreprises. MCI, dont la clientèle est exclusivement professionnelle, a par ailleurs communiqué des extraits des rapports de ses commissaires aux comptes pour les années 2001 et 2002 et de ses états financiers au 31 décembre 2001. Il en ressort que le coût total des impayés est compris entre 3 et 6 % du chiffre d'affaires facturé par MCI en 2002. Le rapport retient un taux de 2 % pour les grands comptes et de 4 % pour les entreprises de taille moyenne (soit un taux moyen de 3,33 %).
Les frais commerciaux
58. L'activité de fourniture du trafic fixe vers mobile, même considérée de façon incrémentale, engendre des frais dans le domaine de la gestion de la clientèle (facturation, mais aussi rapports de trafic, suivi commercial, etc...), du marketing (définition des offres, support vente), avant la vente (réponse aux appels d'offres, déplacement des personnels techniques et commerciaux) et lors de la vente (négociation, rémunération des ventes).
59. Ces diverses activités étant assurées par la Branche Entreprises (BE) de France Télécom, l'estimation du budget de celle-ci a fait l'objet de la première étape d'évaluation des coûts commerciaux liés à l'activité fixe vers mobile. Les éléments suivants ont été pris en compte :
* les effectifs constatés en 1997 et les partages de ceux-ci entre les personnels commerciaux et les autres types de personnel (cf. Rapport annuel de France Télécom pour 1997) ;
* le taux d'accroissement, constaté sur la période 1997-2002, pour l'ensemble des personnels commerciaux, gestion ou support de France Télécom ;
* un coût de 576 KF, par an, pour le personnel commercial,
* un coût moyen pour les autres types de personnel évoluant de 270 KF à 311 KF par an sur la période ;
* un taux de chargement environnemental de 45 %, identique à celui utilisé par le Conseil dans sa décision n° 03-D-43 relative au respect d'injonctions prononcées à l'encontre de la société France Télécom.
Estimation du budget de la BE :
EMPLACEMENT TABLEAU
60. La part de ce budget, devant être affectée à la seule activité fixe vers mobile, a été calculée en prenant comme clé de répartition la part de la marge totale imputable à cette activité :
* Pour la période comprise entre juillet 1999 et octobre 2000, des taux de marge (sur coûts directs non commerciaux) de 62,92 % pour l'ensemble des services de télécommunications aux entreprises contre 16,75 % pour le seul trafic fixe vers mobile ont été retenus. Le premier taux provient des données comptables de France Télécom et le second de l'écart entre, d'une part, le coût technique et de contribution au service universel supporté par France Télécom pour le trafic fixe vers Orange France à cette époque et, d'autre part, un revenu de référence qui serait dégagé sur ce trafic auprès des entreprises en considérant un niveau moyen de remise sur le tarif public de 4 centimes de francs par minute sur le fondement duquel France Télécom dit avoir élaboré ses tarifs de détail de façon à couvrir ses coûts, y compris la CTA de Orange France (courrier du 17 juillet 2002) ;
* Selon l'observatoire des marchés de l'ART, sur la période considérée, le trafic fixe vers mobile pesait alors pour 11,41 % dans la consommation des entreprises en services de télécommunications (et 14,47 % en excluant les services de téléphonie mobile) ;
* La part de marge du trafic fixe vers mobile dans la marge totale des services de télécommunications s'établit donc à 3,04 % (et 3,85 %, en excluant les services de téléphonie mobile) soit 11,41*(16,75/62,92) et 14,47*(16,75/62,92).
61. Pour la même période comprise entre juillet 1999 et octobre 2000, le budget de la BE (cf. tableau ci-dessus) peut être évalué à 1 287 MF au titre des effectifs commerciaux (laquelle traite l'ensemble des services de télécommunications aux entreprises) et à 9 677 MF pour les autres charges (qui concernent les services autres que la téléphonie mobile). Les clés de répartition calculées ci-dessus donnent un coût de la BE imputable au trafic fixe vers mobile de 412 MF sur la période (soit 3,04 % de 1 287 MF plus 3,85 % de 9 677 MF).
62. Ce coût représente 4,01 % du chiffre d'affaires de France Télécom et 0,0946 francs/min (rapporté au revenu de référence susmentionné).
63. En considérant ce coût comme constant au cours du temps, il en résulte des ratios entre frais commerciaux et chiffres d'affaires de 3,90 % en 1999, 4,17 % en 2000, 4,58 % en 2001 et 5,08 % en 2002 (rapporté aux prix moyens par minute de trafic fixe vers mobile des entreprises de 2,4275 francs en 1999, 2,2675 francs en 2000, 2,0657 francs en 2001 et 1,8614 francs en 2002 relevés dans l'observatoire des marchés de l'ART).
64. Au total, l'on peut retenir les estimations suivantes en ce qui concerne les coûts non techniques (coûts commerciaux et impayés) :
EMPLACEMENT TABLEAU
La recette moyenne par minute
65. Les offres tarifaires de France Télécom figurent aux § 42 à 50 ci-dessus. Le calcul de la recette moyenne par minute, avant remise, selon le profil de consommation donné par la loi de Weibull, comme exposé ci-dessus au § 53, et le taux de trafic en heure creuse donné au § 52, donne les résultats suivants :
EMPLACEMENT TABLEAU
66. Les remises accordées (sans prise en compte des remises supplémentaires accordées exclusivement sur le trafic interne des entreprises) ont été calculées, pour chaque offre et pour chacun des 19 profils de consommation avancés au § 54, à partir de la grille tarifaire de l'offre (en retranchant les éventuels abonnements et frais d'accès au service, ces deniers étant amortis sur 3 ans), du nombre de sites de l'entreprise et de sa consommation fixe vers mobile ou fixe vers Orange France (cette dernière étant prise égale à la moitié de la première). Le prix après remise considéré pour chaque profil est alors celui qui, parmi les offres en vigueur (Modulance Itinéris, Avantage Itinéris, Avantage Mobiles Plus, Avantage Mobiles Plus 2, Avantage Volume Mobiles, Avantage Volume Mobiles 2, Atout RPV Itinéris, Atout RPV Mobiles et Atout RPV Mobiles 2), apparaît le plus avantageux :
EMPLACEMENT TABLEAU
Résultats du test de ciseau tarifaire
67. Pour chaque mois compris entre janvier 1999 et mai 2002 (étendue du test) et pour chaque profil de consommation, le prix après remise p a été comparé au coût c incrémental supporté par un opérateur aussi efficace que France Télécom à la date considérée. Le taux de marge m = 1 - c / p est indiqué dans le tableau suivant :
EMPLACEMENT TABLEAU
68. Le taux de la marge moyenne sur chaque marché, en supposant que chaque profil y pèse pour 1/9ème, pour les entreprises moyennes et pour 1/10ème, pour les grands comptes, est reproduit dans le graphe ci-dessous :
EMPLACEMENT TABLEAU
69. Sur le marché des entreprises de taille moyenne, le taux de marge m est négatif entre janvier 1999 et octobre 2000 inclus. Sur le marché des grands comptes, le taux de marge m est négatif entre janvier 1999 et janvier 2001 inclus.
3. Les tarifs de la société Cégétel aux entreprises pour le trafic fixe vers SFR par rapport à la CTA de SFR
a) Evolution des offres tarifaires et de la CTA 70.
Depuis 1998, la CTA de SFR a connu les évolutions suivantes :
EMPLACEMENT TABLEAU
71. En 1998, la CTA de SFR s'établit à 2,135 francs pour la première minute et à 2,135 francs [respectivement 1,048 francs] pour les minutes suivantes en heure pleine [heure creuse]. La CTA pratiquée par FTM puis Orange France figure au § 41. Elle concerne la terminaison des appels livrés dans la " zone arrière " (le territoire national en compte une vingtaine), sauf pour SFR antérieurement au mois de septembre 2000 (la terminaison est alors nationale). Conformément à la pratique constante de l'ART, le coût des BPN est distribué sur la base d'un taux de remplissage de 2,6 min par an.
72. Depuis 1998, Cégétel propose aux entreprises un accès à ses services de téléphonie fixe selon deux modes : un accès Intégrale ou carrier access si le PABX du client est raccordé à une boucle locale entreprises (BLE) de Cégétel et un accès Contact ou equal access si le PABX du client est raccordé via le réseau de France Télécom.
73. Au 1er janvier 1999, Cégétel propose une offre Pléiade qui présente des tarifs fixe vers SFR fonction de la consommation annuelle de téléphonie fixe du site (offre Site) ou de l'entreprise (offre Groupe Tarif Unique). Une offre multi-sites Groupe-Evolution propose, par rapport à l'offre Site, une remise supplémentaire de 3 % sur la facture de chaque site de l'entreprise si le trafic de téléphonie fixe des 50 plus gros sites, adressé par Cégétel, dépasse 9,4 millions de minutes par an. Enfin, l'option Privilège SFR offre une " remise [supplémentaire] de 15 % sur les appels vers SFR à condition que le client ait souscrit à une Convention Parc Service SFR ou un contrat cadre SFR avec une flotte de mobiles minimal " (courrier du 12 août 2002).
Tarif fixe vers SFR en francs/min (première minute indivisible) suivant le trafic annuel de téléphonie fixe du site (de l'entreprise entre parenthèses), dans le cadre de l'offre Groupe Tarif Unique :
EMPLACEMENT TABLEAU
74. En juin 1999, Le 7 Entreprises présente un tarif fixe vers SFR de 2,10 francs/min (première minute indivisible). Une réduction de 10 % [respectivement 15 %] s'applique sur la facture mensuelle de téléphonie fixe (hors fixe vers mobile tiers) si celle-ci dépasse 2 KF [15 KF].
75. Au 7 juillet 1999, Le 7 Entreprises Premium présente un grille de tarifs fixe vers SFR fonction du trafic annuel de téléphonie fixe du client. Une réduction supplémentaire de 15 % s'applique sur l'ensemble du trafic fixe vers SFR au titre de Privilège SFR (option gratuite et sans condition d'accès).
EMPLACEMENT TABLEAU
76. Le 20 septembre 1999, la CTA de SFR est ramenée à 1,704 francs pour la première minute et à 1,704 francs [respectivement 0,852 francs] pour les minutes suivantes en heure pleine [heure creuse]. A compter du 1er septembre 2000, elle s'établit à 1,65 francs pour la première minute et à 1,65 francs [respectivement 0,825 francs] pour les minutes suivantes en heure pleine [heure creuse] tandis qu'une partie fixe est ajoutée, de 55 KF par BPN et par an.
77. Par ailleurs, le groupe SFR Cégétel précise que l'option Privilège SFR a été supprimée au profit d'une " option Convergence [s'appliquant aux] offres entreprises de Cégétel ". " Commercialisée depuis décembre 1998 [elle] offre une réduction de prix pour les appels "on-net" ", c'est-à-dire les appels fixe vers mobile destinés à la flotte SFR de l'entreprise. En effet, cette option, gratuite, est " réservée aux clients ayant souscrit à une offre de flotte de mobiles SFR avec option Convergence. " Cette " option Convergence SFR est commercialisée par SFR depuis novembre 1998. Réservée aux flottes entreprises de plus de 10 mobiles SFR, elle offre des facilités de réseau privé virtuel entre les mobiles SFR appartenant à la flotte de l'entreprise et à partir de ces mobiles vers le PABX de l'entreprise (communications "on-net") : numérotation abrégée, restrictions d'appels. Les conditions tarifaires sont : un abonnement mensuel de 20 francs par mobile et un quota de 20 % de temps de communications "on-net" gratuites en plus par rapport au temps de communications "on-net" réalisées. "
78. Le 3 novembre 1999, le tarif fixe vers SFR de Le 7 Entreprises est ramené à 1,90 francs/min (première minute indivisible), les réductions étant inchangées. Le 2 novembre 2000, le tarif fixe vers SFR de cette offre est ensuite ramené à 1,69 francs par minute (la première étant indivisible) et à 1,25 francs pour les appels fixe vers SFR Convergence. Une réduction de 10 % [respectivement 15 %] s'applique sur la facture mensuelle de téléphonie fixe (hors fixe vers mobile tiers) si celle-ci dépasse 15 kF [80 kF].
79. Le 25 novembre 1999, puis le 24 avril 2000, Le 7 Entreprises Premium est modifiée comme suit :
EMPLACEMENT TABLEAU
80. Le 21 janvier 2001, la CTA de SFR est ramenée à 1,32 francs pour la première minute et à 1,32 francs [respectivement 0,66 francs] pour les minutes suivantes en heure pleine [heure creuse] tandis que la partie fixe s'établit à 52 KF par BPN et par an.
81. A compter de septembre 2001, une offre Dialog Optimum présente trois grilles tarifaires suivant la consommation annuelle de téléphonie fixe du client (plus de 108 Keuros, plus de 216 Keuros et plus de 324 Keuros). Le tarif fixe vers SFR s'établit à 0,23 euros par minute (la première étant indivisible) pour la première grille et à 0,22 euros pour les deux autres.
82. Dialog Entreprises propose, le 11 septembre 2001, un tarif fixe vers SFR [respectivement fixe vers SFR Convergence] de 0,23 euros [0,16 euros] par minute (la période des 20 premières secondes, indivisible, est facturée au prix de la minute). Une réduction de 5 %, 12 % ou 15 % s'applique sur la facture mensuelle de téléphonie fixe si celle-ci dépasse respectivement 0,6 Keuros, 2,2 Keuros ou 9 Keuros.
83. Le 1er janvier 2002, les tarifs du 7 Entreprises Premium sont modifiés comme suit :
EMPLACEMENT TABLEAU
84. Le 1er mars 2002, la CTA de SFR s'établit à 0,1526 euros pour les 50 premières secondes et à 0,18211 euros [respectivement 0,09106 euros] pour les minutes au-delà de cette durée en heure pleine [heure creuse].
85. Le 15 mars 2002, Cégétel modifie ses offres, de telle sorte que les prix pratiqués sur le trafic fixe vers SFR et sur le trafic fixe vers Orange France sont identiques, sauf en ce qui concerne le trafic interne des entreprises. En premier lieu, les tarifs de Dialog Entreprises (accès Contact) sont ramenés, pour les appels fixe vers SFR Convergence à 0,16 euros par minute (la période des 20 premières secondes, indivisible, étant facturée au prix de la minute) et, pour les autres appels fixe vers SFR, à 0,20 euros pour les 20 premières secondes et 0,19 euros pour les minutes au-delà de cette période. Une réduction de 5 %, 12 % ou 15 % s'applique sur la facture mensuelle de téléphonie fixe si celle-ci dépasse respectivement 0,7 Keuros, 2,7 Keuros ou 9,9 Keuros. En second lieu, les tarifs fixe vers SFR de Dialog Optimum sont modifiés comme suit, suivant la consommation annuelle de téléphone fixe de l'entreprise :
EMPLACEMENT TABLEAU
b) Test de ciseau tarifaire
86. Comme pour les tarifs de France Télécom, il a été procédé, au cours de l'instruction, à un test de ciseau tarifaire, c'est-à-dire à la comparaison, d'une part, de la recette moyenne par minute qu'il était possible, au cours des différentes périodes, de percevoir au titre des offres tarifaires de Cégétel pour les communications fixe vers SFR des entreprises et, d'autre part, du coût moyen encouru, pour la fourniture de ces services, par un opérateur aussi efficace que Cégétel, c'est-à-dire interconnecté au réseau de SFR.
87. Les hypothèses faites sur le profil et le volume de consommation des entreprises, dont dépendent tant les recettes tirées de ces prestations que les coûts encourus pour leur fourniture, sont les mêmes que celles décrites aux § 52 à 54 ci-dessus.
Calcul du coût moyen encouru par un opérateur aussi efficace que Cégétel pour la fourniture de ces services
88. Comme pour France Télécom, le coût incrémental supporté par un opérateur aussi efficace que Cégétel pour la fourniture de services de communications fixe vers SFR comprend des coûts techniques et des coûts non techniques (impayés et frais commerciaux). Les coûts non techniques pris en compte sont les mêmes que ceux retenus pour France Télécom aux § 55 et 57à 64 ci-dessus. En revanche, les coûts techniques pris en compte sont non seulement la CTA chargée par SFR mais également, dans l'hypothèse où le site de l'entreprise n'est pas raccordé à une BLE, les coûts de collecte facturés par France Télécom à Télécom Développement qui assure le transit jusqu'au site de SFR. De plus, si les services de téléphonie fixe du groupe sont commercialisés par la société Cégétel, filiale à 80 %, l'acheminement est effectué par Télécom Développement. Or, à l'époque des faits, cette société n'est pas détenue majoritairement par SFR Cégétel. En particulier, elle est simplement mise en équivalence dans les comptes du groupe. Le coût incrémental d'un opérateur aussi efficace que Cégétel inclut donc également les sommes versées à Télécom Développement pour l'acheminement des communications.
Les coûts techniques
89. Premier cas : le site de l'entreprise n'est pas raccordé à une boucle locale entreprises (BLE) de Cégétel. Dans ce cas, le trafic est collecté par France Télécom (Télécom Développement en prend livraison au niveau d'un commutateur d'abonnés). Le coût de l'acheminement est alors au moins égal à la somme :
* de l'interconnexion (collecte) facturée par France Télécom à Télécom Développement (partie variable, BPN et liaison de raccordement) ;
* du coût de transit facturé par Télécom Développement à Cégétel (acheminement depuis un commutateur d'abonné de France Télécom jusqu'au site de SFR) ;
* de la contribution au service universel (au volume de trafic facturé) ;
* des charges liées à la terminaison des appels sur le réseau de SFR (partie variable, BPN et raccordement).
90. Pour l'évaluation des coûts supportés par un opérateur aussi efficace que Cégétel, il a été supposé que le taux de raccordement de Télécom Développement aux commutateurs d'abonnés de France Télécom s'établissait à 100 % au 1er janvier 1999. Les commutateurs d'abonnés se distinguent des commutateurs de transit, auxquels s'interconnectent généralement les opérateurs, par le fait qu'ils sont plus proches des abonnés dans le réseau. L'hypothèse retenue correspond donc à une capillarité très avancée du réseau de Télécom Développement, ce qui tend à diminuer les coûts de transit de Cégétel.
91. Dans la mesure où les charges d'interconnexion pratiquées par France Télécom sont calculées selon la méthode des coûts moyens incrémentaux de long terme (CMILT, coût par minute correspondant à un réseau de la dimension de celui de France Télécom construit avec les meilleures technologies disponibles), il a été considéré que Télécom Développement, dont le réseau est moins chargé, ne peut que supporter un coût moyen de transport sur son réseau, supérieur à ces charges. La partie variable du coût de collecte et de transit est donc au moins égale à la partie variable du tarif de la prestation de simple [respectivement double] transit qui figure au catalogue d'interconnexion de France Télécom lorsque l'appelant et l'appelé se trouvent [ne se trouvent pas] dans le même " zone arrière ". Rappelons que la prestation de simple transit permet d'acheminer le trafic au commutateur de transit le plus proche - niveau régional - et la prestation de double transit à n'importe quel commutateur de transit - niveau national. La probabilité pour que l'appelant et l'appelé se trouvent dans la même " zone arrière " est alors supposée à égale à un tiers, taux utilisé par l'ART dans ses tests (courrier du 5 décembre 2003).
92. Par ailleurs, la partie fixe du coût de collecte et de transit comprend, d'une part, les BPN (facturés à Télécom Développement par France Télécom) et, d'autre part, les liaisons de raccordement (idem). Pour ces charges, il a été supposé que 100 % de la collecte se fait au niveau des commutateurs d'abonnés (cf. supra), que la longueur des liaisons de raccordement est inférieure à 1 km (longueur minimale), que les frais d'accès au service sont amortis sur 3 ans (hypothèse utilisée par l'ART dans ses tests).
93. Les frais de raccordement, supportés par Télécom Développement dans le cadre de son interconnexion au réseau de SFR, sont évalués à 36 537 francs par BPN et par an en septembre 2000, contre 30 134 francs en janvier 2001 et 27 497 francs en janvier 2002, ont été rajoutés.
94. La somme des coûts de collecte et de transit, de contribution au service universel, de raccordement et de BPN (qui n'entrent en ligne de compte qu'à compter de septembre 2000) ainsi que de la partie variable de la CTA de SFR (qui comprend, avant septembre 2000, le transit en cas de livraison du trafic en " extra zone arrière ") conduit aux coûts techniques totaux suivants :
EMPLACEMENT TABLEAU
95. Second cas : le site de l'entreprise fait l'objet d'un raccordement direct à une BLE de Cégétel. Dans ce cas, aucun coût incrémental de collecte n'est supporté par Cégétel puisque celle-ci est détentrice des infrastructures correspondantes. Le coût évité par rapport à la configuration précédente est alors égal à la charge d'interconnexion de France Télécom au niveau des commutateurs d'abonnés (partie variable, BPN et liaisons de raccordement). Les coûts techniques totaux sont alors les suivants :
EMPLACEMENT TABLEAU
La recette moyenne
96. Les offres tarifaires de Cégétel ont été présentées aux § 71 à 85 ci-dessus. Dans les mêmes conditions qu'exposées supra, pour chaque offre (Pléiade, Le 7 Entreprises, Le 7 Entreprises Premium, Dialog Entreprises et Dialog Optimum) et pour chacun des 19 profils de consommation, le prix après remise fixe vers SFR est évalué (sans prise en compte des remises supplémentaires accordées exclusivement sur le trafic interne). Puis, pour chaque mois compris entre janvier 1999 et mai 2002, le prix considéré est, pour chaque profil de consommation, celui qui apparaît le plus attractif. Il convient de préciser que pour les offres antérieures à celles de septembre 2001, l'assiette de remise exclut le trafic local (qui n'était alors pas acheminé par Cégétel) estimé à un tiers du trafic total de téléphonie fixe en valeur et à deux tiers en volume (cf. observatoires des marchés de l'ART). Par ailleurs, pour les offres qui présentent à la fois des accès Intégrale et Contact, le meilleur tarif est considéré en supposant que seules les entreprises dont chacun des sites peut faire l'objet d'un raccordement direct (c'est-à-dire dont la consommation de téléphonie fixe, les communications locales étant exclues avant septembre 2001, est supérieure à 1,5 min par an) peuvent jouir des tarifs de l'accès Intégrale.
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Le résultat du test de ciseau tarifaire
97. Pour chaque mois compris entre janvier 1999 et mai 2002 et pour chaque profil de consommation, le prix après remise p a été comparé au coût c technique (la collecte est supposée se faire par raccordement direct si la consommation de téléphonie fixe, les communications locales étant exclues avant septembre 2001, est supérieure à 1,5 min par an et par site) et non technique incrémental supporté par un opérateur aussi efficace que Cégétel à la date considérée. Le taux de marge m = 1 - c / p est indiqué dans le tableau suivant.
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98. Le taux de la marge moyenne sur chaque marché pertinent, en supposant que chaque profil pèse 1/9ème, pour les entreprises moyennes, et 1/10ème, pour les grands comptes, est reproduit dans le graphe ci-dessous :
99. Sur le marché des grands comptes, la marge est négative sur l'ensemble de la période janvier 1999/avril 2002 inclus. Sur le marché des entreprises de taille moyenne, elle est nulle jusqu'en juin 1999 puis négative sur le reste de la période.
4. Les tarifs de la société Bouygues Télécom aux entreprises pour le trafic fixe vers Bouygues Télécom par rapport à sa CTA
a) Evolution des offres tarifaires et de la CTA
100. Depuis 1998, la CTA de Bouygues Télécom a connu les évolutions suivantes :
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101. Bouygues Télécom propose aux entreprises clientes de ses services de téléphonie mobile deux types d'offres d'acheminement du trafic fixe vers Bouygues Télécom, suivant que le trafic est ou non limité aux communications internes de l'entreprise.
102. S'agissant, en premier lieu, des offres limitées au trafic interne de l'entreprise, Bouygues Télécom propose, depuis mai 1999, une offre Cohésys consistant en un réseau privé virtuel (RPV ou VPN pour virtual private network) de téléphonie mobile pour les appels internes, qui présente une tarification (0,55 francs/min, première minute indivisible) plus avantageuse que pour le trafic externe ainsi que des fonctionnalités techniques telle que la numérotation abrégée. La brochure précise en outre que, par le biais d'une option, " vous étendez les avantages de Cohésys à vos appels depuis les téléphones fixes de l'entreprise vers les téléphones mobiles de votre réseau Cohésys et vous profitez de même d'un coût de 0,55 francs HT/min. "
103. En décembre 1999, la version FX de l'offre propose une intégration des lignes fixes de l'entreprise au plan privé du réseau virtuel pour les appels internes mobile vers fixe. Sa version FX Intégral étend cette fonctionnalité aux appels internes fixe vers mobile. L'écart de prix entre la version FX et la version FX Intégral s'élève à 10 francs par ligne mobile et par mois. Les communications internes fixe vers mobile sont facturées 0,50 francs/min (première minute indivisible).
104. Fin 2001, une offre Interne Illimité propose une tarification forfaitaire des communications internes selon une solution technique identique à celle du Réseau Privé (nouveau nom de Cohésys). Pour 35 euros par mois et par ligne mobile, les appels internes mobile vers mobile ne sont pas facturés. L'option gratuite Mobifixe offre un forfait de 30 heures de communications internes fixe vers mobile et mobile vers fixe par ligne mobile, les communications au-delà du forfait étant facturées 0,08 euros par minute.
105. En second lieu, Bouygues Télécom propose à ses clients, depuis novembre 1999, une offre Boîtier radio de type mobile box, mais limitée au trafic à destination des lignes Bouygues Télécom (trafic " on-net ") : " Il s'agit d'une option qui vient compléter l'offre mobile. (...) Le prix des communications effectuées à partir de la mobile box est celui du forfait choisi pour les appels on-net ; les appels à destination des autres GSM sont exclus de l'offre dans nos conditions générales de ventes. Si le boîtier était utilisé vers d'autres réseaux GSM, Bouygues Télécom serait en droit d'appliquer en sus une pénalité égale à deux fois le prix public Entreprises soit un prix total de 0,366 euros par minute dans le cas de l'abonnement Prix Minute ".
106. En revanche, Bouygues Télécom interdit aux abonnés de ses services de téléphonie mobile, dans ses conditions générales de vente à partir de septembre 2001, de développer, par ce biais, des solutions mobile box, sauf à souscrire à l'offre Boîtier radio.
b) Test de ciseau tarifaire.
107. Comme pour les offres de France Télécom et Cégétel, il a été procédé, au cours de l'instruction, à un test de ciseau tarifaire, c'est-à-dire à la comparaison, d'une part, de la recette moyenne par minute qu'il était possible de percevoir au titre de l'offre Cohesys de Bouygues et, d'autre part, du coût moyen encouru, pour la fourniture de ces services, par un opérateur aussi efficace que Bouygues Télécom, c'est-à-dire interconnecté au réseau de Bouygues Télécom.
108. Les hypothèses faites sur le profil et le volume de consommation des entreprises, dont dépendent tant les recettes tirées de ces prestations que les coûts encourus pour leur fourniture, sont les mêmes que celles décrites aux § 52 à 54 ci-dessus.
Les coûts
109. S'agissant des offres de Bouygues Télécom et des solutions mobile box, seule la charge de terminaison d'appel (partie variable et BPN) est considérée dans les coûts supportés par un opérateur de téléphonie fixe efficace, les solutions techniques étant différentes :
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CTA moyenne de Orange France, SFR et Bouygues Télécom
La recette moyenne par minute
110. S'agissant des offres limitées au trafic interne à l'entreprise (§ 102 à 104), les prix pratiqués par Bouygues Télécom sur le trafic interne fixe vers Bouygues Télécom s'établissaient, en mai 1999, à 0,55 francs par minute (la première étant indivisible) et, en décembre 1999 à 0,50 francs par minute (la première étant indivisible) auquel s'ajoutait un abonnement de 10 francs par ligne et par mois. En amortissant l'abonnement sur un trafic entrant de 28,6 minutes par ligne mobile et par mois (trafic de 4,8 min pour 2002 avancé par Bouygues Télécom dans ses observations, rapporté à un nombre de lignes de 14 005 en mi 2002 - 8 005 pour " Cohésys - Réseau Privé / FXI " et 6 000 pour Interne illimité selon le courrier du 23 mai 2002), le prix moyen par minute s'établit à 0,685 francs en mai 1999 contre 0,973 francs en décembre 1999.
111. La comparaison de ces prix moyens à la CTA de Bouygues Télécom fait apparaître, à partir du mois de mai 1999, des taux de marge sur CTA compris entre -300 % et -100 %. En outre, le prix moyen des communications de l'option Mobifixe de Interne Illimité est nul (option gratuite offrant 30 heures de communications mobile vers fixe ou fixe vers mobile par ligne mobile et par mois), ce qui conduit à un taux de marge infiniment négatif.
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D. Les griefs notifiés
112. Sur la base des constatations qui précèdent, une notification initiale a été effectuée le 10 avril 2001 comportant le grief suivant :
" Un grief [noté par la suite grief initial] est notifié à la société France Télécom sur le fondement des articles 82 du traité de Rome et L. 420-2 du Code de commerce, pour avoir mis en œuvre, au cours de l'année 1999, des pratiques ayant pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché de détail des appels fixes vers mobiles (appels entrants) destinés aux entreprises.
Ces pratiques ont consisté, de la part de France Télécom, à accorder au cours de l'année 1999, des offres de réduction au volume aux entreprises clientes à un niveau non compatible avec le niveau de terminaison d'appels qu'elle imposait alors aux entreprises désireuses de négocier des accords d'interconnexion. A cet élément s'ajoute, d'une part, le fait que des mesures ont été prises au cours de l'année 1999 afin d'empêcher les concurrents de recourir à du "reroutage international" et, d'autre part, le fait que les réductions au volume proposées n'étaient pas accessibles aux entreprises qui auraient souhaité acheter du trafic en gros dans le but de la revendre à leur clientèle d'entreprise. Cette pratique a pu, compte tenu de la position occupée en 1999 par l'opérateur historique sur le marché national de la téléphonie fixe vers mobiles limiter les échanges intracommunautaires. "
113. De façon complémentaire, les griefs suivants ont été notifiés le 30 juin 2003 : " France Télécom et Cégétel Groupe ont toléré, respectivement jusqu'en septembre et octobre 2001, que des opérateurs de téléphonie fixe recourent à leurs services de téléphonie mobile en vue d'offrir des services de téléphonie fixe vers mobile via des mobile box. Par la suite, elles ont mis en œuvre des mesures restrictives permettant de limiter, pour l'avenir, le recours à ce type de solution par le biais de leurs services.
Ces pratiques ont pour effet de favoriser certains opérateurs de téléphonie fixe dans l'exercice de la concurrence sur les marchés des services de téléphonie fixe vers mobile s'adressant, d'une part, aux grands comptes et, d'autre part, aux autres entreprises.
Ces pratiques discriminatoires, mises en œuvre par des entreprises disposant de positions dominantes sur les marchés de la terminaison des appels sur leur réseau GSM, contreviennent aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.
Un grief est notifié à ce titre à la société France Télécom. [noté 1]
Un grief est notifié à ce titre à la société Cégétel Groupe. "[noté 2]
114. " Depuis le mois d'avril 1999, alors que les opérateurs de téléphonie fixe n'ont plus la possibilité de recourir au reroutage international que de façon marginale, France Télécom pratique des prix de détail fixe vers FTM ou fixe vers Orange France sur les marchés des services de téléphonie fixe vers mobile pour grands comptes, d'une part, et entreprises de taille moyenne, d'autre part, qui ne couvrent pas le coût direct supporté par un opérateur de téléphonie fixe efficace pour ce type de trafic.
Cette pratique n'a pas induit de pertes pour France Télécom, puisque par le biais de sa branche puis filiale de téléphonie mobile FTM, l'actuelle société Orange France, elle perçoit des revenus de terminaison des appels sur son réseau GSM nettement supérieurs aux coûts directs engendrés par cette activité, qui est exercée en quasi-monopole.
Cette pratique a eu pour effet de restreindre l'émergence d'une concurrence sur les marchés considérés et de retarder l'interconnexion des opérateurs de téléphonie fixe concurrents de France Télécom au réseau GSM F1. Actuellement, elle permet à France Télécom de bénéficier d'un avantage indu dans l'exercice de la concurrence sur les marchés considérés.
Cette pratique, qui contrevient aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, revêt enfin une particulière gravité eu égard à la position dominante dont dispose France Télécom sur les marchés des services de téléphonie fixe vers mobile sur lesquels ces pratiques ont été mises en œuvre.
Un grief [noté 3] est notifié à ce titre à la société France Télécom. En vertu du principe de non bis in idem, ce grief ne vise pas l'offre sur mesure sanctionnée par le Conseil dans sa décision n° 01-D-46. "
115. " Depuis le mois d'avril 1999, alors que les opérateurs de téléphonie fixe n'ont plus la possibilité de recourir au reroutage international que de façon marginale, Cégétel Groupe pratique, par le biais de sa filiale à 80 % Cégétel, des prix de détail fixe vers SFR sur les marchés des services de téléphonie fixe vers mobile pour grands comptes, d'une part, et entreprises de taille moyenne, d'autre part, qui ne couvrent pas le coût direct supporté par un opérateur de téléphonie fixe efficace pour ce type de trafic.
Cette pratique n'a pas induit de pertes pour Cégétel Groupe, puisque par le biais de sa filiale à 80 % SFR, elle perçoit des revenus de terminaison des appels sur son réseau GSM nettement supérieurs aux coûts directs engendrés par cette activité, qui est exercée en quasi-monopole.
Cette pratique a eu pour effet de restreindre l'émergence d'une concurrence sur les marchés considérés et de retarder l'interconnexion des opérateurs de téléphonie fixe concurrents de France Télécom et de Télécom Développement au réseau GSM F2. Actuellement, elle permet à Cégétel Groupe de bénéficier, via la société Cégétel, d'un avantage indu dans l'exercice de la concurrence sur les marchés considérés.
Cette pratique contrevient aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.
Un grief [noté 4]est notifié à ce titre à la société Cégétel Groupe. "
116. " France Télécom et Cégétel Groupe permettent aux entreprises d'utiliser leurs services de téléphonie mobile pour acheminer leurs appels fixe vers mobile par le biais de boîtiers radio, à des niveaux de prix qui se situent en deçà du coût technique supporté par un opérateur de téléphonie fixe efficace pour ce type de trafic.
Ces pratiques ont pour effet d'évincer les opérateurs de téléphonie fixe des marchés pertinents des services de téléphonie fixe vers mobile s'adressant, d'une part, aux grands comptes et, d'autre part, aux autres entreprises, et ce, d'autant plus que France Télécom et Cégétel Groupe interdisent à ces opérateurs, respectivement depuis septembre 2001 et octobre 2001, de recourir à des solutions mobile box opérateur par le biais de leurs services de téléphonie mobile.
Ces pratiques, mises en œuvre par des entreprises disposant de positions dominantes sur les marchés de la terminaison des appels sur leur réseau GSM, contreviennent aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.
Un grief [noté 5] est notifié à ce titre à la société France Télécom.
Un grief [noté 6] est notifié à ce titre à la société Cégétel Groupe. "
117. " Bouygues Télécom propose, depuis mai 1999, des communications fixes vers Bouygues Télécom à ses entreprises clientes pour leurs besoins internes à des prix largement inférieurs aux coûts techniques supportés pour ce type de trafic par un opérateur de téléphonie fixe efficace (cette partie du grief est noté 7A]. En outre, Bouygues Télécom a toléré, jusqu'en septembre 2001, que des entreprises recourent à ses services de téléphonie mobile en vue d'acheminer leur trafic fixe vers mobile [noté 7B]. Enfin, cet opérateur propose à ses entreprises clientes, au moins depuis le mois de novembre 1999, une solution de cette nature limitée au trafic fixe vers Bouygues Télécom de l'entreprise [noté 7C]. Ces pratiques ont pour objet de renforcer la compétitivité de Bouygues Télécom dans le secteur des services de téléphonie mobile pour entreprises, mais elles ont pour effet potentiel d'écarter les opérateurs de téléphonie fixe d'une partie substantielle des marchés pertinents des services de téléphonie fixe vers mobile s'adressant, d'une part, aux grands comptes et, d'autre part, aux autres entreprises.
Ces pratiques, mises en œuvre par une entreprise disposant d'une position dominante sur le marché de la terminaison des appels sur son réseau GSM, contreviennent aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE. Un grief est notifié à ce titre à la société Bouygues Télécom. "
118. Les griefs notifiés le 30 juin 2003 ont été maintenus dans le rapport du 13 avril 2004.
II. Discussion
A. Sur la procédure
Sur la validité de la notification de griefs complémentaire et du rapport
119. Après une instruction conduite par un premier rapporteur, une notification de griefs mettant en cause la société France Télécom a été communiquée aux parties le 10 avril 2001. A la suite d'un complément d'instruction mené par un second rapporteur, une notification de griefs complémentaire, mettant en cause les sociétés France Télécom, Cégétel Groupe et Bouygues Télécom a été communiquée le 30 juin 2003. Ce document précise : " au vu notamment des évolutions jurisprudentielles intervenues depuis cette date, la présente notification de griefs complémentaire se propose de reprendre l'analyse des pratiques considérées. Elle annule et remplace en particulier la notification de griefs précédemment établie. Les observations formulées par le commissaire du Gouvernement et la société France Télécom à son propos sont en conséquence retirées du dossier. ". Ces observations ont, cependant, été annexées au rapport transmis aux parties le 13 avril 2004.
120. France Télécom soutient que n'est pas précisée, dans la notification de griefs initiale, la nature exacte des évolutions jurisprudentielles qui ont motivé la décision de procéder à une nouvelle analyse des faits et à la notification de griefs complémentaire et que cette absence de motivation ne lui a pas permis d'assurer sa défense. Elle affirme avoir été induite en erreur par le retrait, au stade de la notification de griefs complémentaire, du grief initial notifié le 10 avril 2001, puis sa réintroduction implicite au stade du rapport. Selon elle, la réintroduction de ses observations à la notification initiale en annexe au rapport viole le principe du déroulement loyal de la procédure selon lequel la partie mise en cause doit pouvoir être informée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle. Elle estime de plus que ni le rapporteur ni le rapporteur général n'étaient compétents pour retirer du dossier les observations formulées par les parties et le commissaire du Gouvernement à propos de la première notification, " au regard notamment du principe de séparation des organes d'instruction et de jugement ", principe valant pour la procédure pénale et devant " nécessairement régir la phase d'instruction devant le Conseil ".
121. L'article 36 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce prévoit que " le rapport soumet à la décision du Conseil de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés. ". Il en résulte que ni le rapporteur ni le rapporteur général ne sont compétents pour annuler un grief notifié. La formule " annule et remplace " employée dans la notification de griefs complémentaire du 30 juin 2003 est donc impropre, comme l'a justement noté France Télécom, et ne correspond pas à la procédure mise en œuvre dans les faits.
122. En premier lieu, la notification de griefs initiale du 10 avril 2001 vise la pratique ayant consisté, de la part de France Télécom, à mettre en œuvre auprès des entreprises, à partir de l'année 1999, des tarifs de détail sur le trafic fixe vers mobile non compatibles avec la charge de terminaison d'appels de sa branche, puis filiale, de téléphonie mobile Orange France. Ce grief a fait l'objet d'un mémoire en réponse par France Télécom. France Télécom a répondu à ce grief qui, avec la notification de grief, a été annexé au rapport du 13 avril 2004. En second lieu, le grief notifié le 30 juin 2003, décrit au § 114 ci-dessus, contient l'énonciation des pratiques ayant fait l'objet du grief initial du 10 avril 2001. Ainsi, le mémoire adressé en réponse à la notification complémentaire de griefs répond aussi à la notification initiale : en fait, les moyens formulés par France Télécom dans sa réponse à la notification complémentaire reprennent, entre autres, ceux de la réponse à la notification initiale. Ce second mémoire en réponse est annexé au rapport. En troisième lieu, dans son mémoire en réponse au rapport et lors de la séance, France Télécom a fait valoir ses observations à l'endroit du grief initial et des griefs complémentaires. Il s'en déduit que les stipulations de l'article 36 du décret 2002-689 ont été respectées.
123. Ainsi qu'en a jugé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 19 septembre 1990, société Herlicq et autres, l'article L. 463-2 du Code de commerce ne fait pas obligation au Conseil de dénoncer simultanément tous les griefs qu'il retient. En particulier, il peut procéder à une notification complémentaire de griefs sans porter atteinte aux droits de la défense à la condition que, comme en l'espèce, cette formalité soit accompagnée de toutes les garanties prévues par cet article pour permettre un déroulement contradictoire de la procédure. La notification de griefs initiale du 10 avril 2001, la notification de griefs complémentaire du 30 juin 2003 et la communication du rapport en date du 13 avril 2004 ont permis à France Télécom de prendre connaissance de l'ensemble des faits et qualifications qui lui étaient opposés et elle a disposé des délais prévus à l'article L. 463-2 pour y répondre.
Sur le champ de la saisine
124. Selon le groupe SFR Cégétel, aucun des trois griefs qui lui ont été notifiés ne présente un caractère d'antériorité à la saisine ou de continuité avec les faits dénoncés, de sorte que les pratiques en cause seraient exclues du champ de la saisine du Conseil.
125. Conformément à une jurisprudence constante, le Conseil est saisi in rem de l'ensemble des faits et des pratiques affectant le fonctionnement d'un marché, sans être lié par les demandes des parties saisissantes. Cela lui permet d'examiner, sans avoir à se saisir d'office, des pratiques anticoncurrentielles non mentionnées dans la saisine mais mises en œuvre soit sur le marché concerné par les pratiques dénoncées dans la saisine, soit sur des marchés connexes. En revanche, le Conseil n'est pas compétent pour examiner des faits postérieurs à la saisine et qui ne sont pas la continuité de faits antérieurs à celle-ci.
126. Dans sa saisine, ETNA France indique que " le marché concerné par la présente plainte est le marché des services de télécommunications et plus particulièrement le marché français des services de téléphonie au public (...) et plus particulièrement des appels entrants. ". ETNA France demande au Conseil de se prononcer sur les conditions tarifaires du trafic fixe-mobile en l'absence, dans les faits, d'interconnexion directe ou négociée ouverte aux nouveaux entrants. Elle ajoute " les services de téléphonie mobile et de téléphonie fixe font aujourd'hui l'objet d'offres distinctes. Cependant, les mêmes opérateurs peuvent ou pourront à très court terme, proposer les deux catégories de service. Ainsi, France Télécom est d'ores et déjà opérateur de téléphonie fixe et opérateur de réseau mobile. Les deux autres opérateurs de mobiles ont vocation à devenir des opérateurs de téléphonie fixe et développent d'ores et déjà des offres groupées de services mobiles et des services de téléphonie fixe " et demande, en conséquence, au Conseil de se prononcer sur le caractère anticoncurrentiel " des offres commerciales, et notamment des offres "couplées", par lesquelles les opérateurs dominants sur le secteur de la téléphonie fixe ou mobile, voire sur les deux secteurs, mettent en œuvre une convergence commerciale que les nouveaux entrants ne sont pas en mesure de proposer. ". Les pratiques tarifaires des opérateurs intégrés (France Télécom/Orange, Cégétel/SFR) ainsi que la politique commerciale des opérateurs mobiles en ce qui concerne les mobile box, qui permettent de transformer des appels fixes en appels mobiles, étaient donc bien visées par la saisine.
127. S'agissant de l'antériorité des pratiques par rapport à la saisine, sont mis en cause, aux paragraphes 114 et 115, les tarifs fixes vers mobiles offerts par France Télécom et Cégétel depuis avril 1999 et, au paragraphe 117, par Bouygues depuis mai 1999. De même, l'utilisation de mobile box par les entreprises clientes des services de téléphonie mobile d'Orange et de SFR, visée au paragraphe 116, a débuté dès 1998, soit antérieurement à la saisine.
128. En revanche, les pratiques de discriminations visées au paragraphe 113 (griefs 1 et 2) et 117 (grief 7B) ne débutent, concernant France Télécom et Bouygues, qu'au mois de septembre 2001 et, concernant le groupe SFR Cégétel, qu'au mois d'octobre 2001. Ces pratiques, qui interviennent postérieurement à la saisine du Conseil en date du 25 juin 1999, se trouvent par conséquent exclues du champ de compétence du Conseil, s'agissant du présent dossier. Les griefs 1, 2 et 7B sont écartés.
Sur les destinataires de la notification initiale et de la notification complémentaire de griefs
129. France Télécom rappelle que, par courrier en date du 20 octobre 2003, la société Orange France a expressément demandé au rapporteur à être mise dans la cause, d'une part en revendiquant sa responsabilité autonome, s'agissant de pratiques liées à l'exploitation de la licence GSM et, d'autre part, en indiquant qu'elle était la seule entité à pouvoir utilement se défendre contre ces griefs. France Télécom fait valoir que seule sa filiale Orange France, qui a assuré la continuité économique et fonctionnelle de la division France Télécom Mobiles, aurait dû être destinataire des griefs relatifs aux activités relevées sur le marché de la terminaison d'appel du réseau GSM de FTM. Elle ajoute que, jusqu'au 31 octobre 2000, les tarifs des appels fixes vers mobile étaient fixés par France Télécom Mobiles et que le grief relatif à l'incompatibilité entre ces tarifs et la charge de terminaison pour les appels entrants sur le réseau GSM de FTM aurait donc dû également être notifié à Orange France. France Télécom soutient que la division FTM et les filiales qui lui ont succédé doivent être considérées comme des entreprises autonomes au sens du droit de la concurrence et que le refus de l'inscrire parmi les destinataires de la notification de griefs n'a pas permis à Orange France d'assurer pleinement sa défense.
130. Le principe du caractère contradictoire de la procédure devant le Conseil, énoncé à l'article L. 463-1 du Code de commerce, impose que le Conseil ne se prononce que sur des griefs régulièrement notifiés à l'entreprise à laquelle ils doivent être imputés. La cour d'appel, dans un arrêt du 4 juillet 1990 (société Razel) a considéré que devait être annulée la procédure à l'issue de laquelle une entreprise avait été condamnée par le Conseil alors que les griefs notifiés l'avaient été à une autre filiale du même groupe. En conséquence, les droits à la défense de la société Orange France, non destinataire des griefs, ne peuvent avoir été lésés puisque le Conseil ne peut la mettre en cause dans le cadre de la présente procédure. Par ailleurs, France Télécom ne démontre pas en quoi le refus du rapporteur d'attraire sa filiale Orange France dans la procédure a pu nuire à l'exercice de ses droits de la défense. Le Conseil note, au surplus, que dans le cas d'espèce, malgré la non mise en cause de sa filiale, France Télécom a communiqué à sa filiale les notifications de griefs et le rapport et obtenu d'elle le versement au dossier d'observations complémentaires aux siennes. La question de l'imputabilité des pratiques sera discutée ci-dessous aux § 265 à 281.
Sur la recevabilité et le rejet de la saisine
131. SFR Cégétel émet " de sérieux doutes sur la qualité et l'intérêt de l'association TENOR à saisir le Conseil des pratiques visées dans son acte de saisine " dans la mesure où cette association ne défendrait pas " l'intérêt collectif des membres d'une profession " et où sa saisine " ne peut être regardée comme participant à la défense des problèmes communs de l'association TENOR ". SFR Cégétel ajoute que la saisine doit être rejetée pour défaut d'éléments probants puisque ETNA France n'a pas versé au dossier les éléments complémentaires qu'elle avait assurés détenir dans un procès-verbal d'audition du 13 juin 2000
132. L'article L. 462-5 du Code de commerce énonce que " le Conseil de la concurrence peut être saisi (...) pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge, par les organismes visés au deuxième alinéa de l'article L. 462-1 ", parmi lesquels figurent les " organisations professionnelles et syndicales ". TENOR est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, réunissant, à la date de la saisine, 120 sociétés du secteur des télécommunications, dont les opérateurs entrants sur les marchés nouvellement ouverts à la concurrence. L'intérêt à agir de TENOR et la qualité à agir de son président sont attestés par l'extrait du procès-verbal du conseil d'administration du 11 mai 1999, joint à la saisine, dans lequel il est rappelé que l'objet social de TENOR est notamment l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux de ses membres et noté que le Président est autorisé à mener toute action " visant à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles observées sur ce secteur qui ont pour effet, voire pour objet, d'évincer les nouveaux entrants, dont les membres de TENOR, en rendant impossible le développement d'une concurrence dans des conditions économiquement viables ".
133. Aucun texte ni principe ne fait obligation à la partie saisissante d'apporter au Conseil de la concurrence la preuve des agissements qu'elle dénonce. Dans le cas de saisines provenant d'entreprises, de collectivités ou d'organisations, comme en l'espèce, la saisissante se trouve généralement dans l'incapacité de fournir des éléments permettant, à eux seuls, de caractériser de façon certaine une pratique mise en œuvre par une autre entreprise, dès lors qu'elle n'a pas accès aux informations internes de celle-ci. C'est pourquoi le titre V du livre IV du Code de commerce confère aux rapporteurs du Conseil des pouvoirs d'enquête dont l'exercice garantit la possibilité, pour celui-ci, de se prononcer sur la base de faits proprement établis. En revanche, il appartient à la partie saisissante d'assortir ses déclarations d'indices crédibles permettant de présumer l'existence de pratiques illicites, ce que fait l'association ETNA France dans sa saisine.
Sur le respect du contradictoire et l'impartialité de l'instruction
134. France Télécom note que, dans le cadre de l'instruction, l'association ETNA France n'a pas été relancée malgré l'engagement du 13 juin 2000 de celle-ci de fournir des éléments d'actualité sur la situation des nouveaux entrants dans le secteur de la téléphonie fixe vers mobile, ce qui indiquerait que le rapporteur " n'a pas voulu rechercher les faits, pour ne pas risquer de compromettre son approche théorique et le grief qu'il en a tiré ". France Télécom relève également que, parmi les annexes du rapport, ne figure qu'un questionnaire du 2 août 2002 adressé à la société Télécom Développement alors qu'un questionnaire de ce type lui semble avoir également été envoyé aux opérateurs T-Systems, Kaptech et MCI. En outre, l'opérateur Completel a été entendu par le rapporteur sans qu'il soit possible de déterminer si un questionnaire lui avait été envoyé. De la sorte, France Télécom estime que " l'instruction a gravement manqué aux exigences du procès objectif, équitable et pleinement contradictoire " dans la mesure où " France Télécom avait un intérêt particulier à connaître " les éléments considérés.
135. S'il est loisible au rapporteur, chargé d'instruire une affaire en application de l'article L. 450-6 du Code de commerce, de procéder à toute audition ou demande de renseignements qu'il estime nécessaire, cette faculté ne constitue cependant pas une obligation. L'absence de demande ou de relance est donc sans incidence sur la régularité de la procédure.
136. S'agissant des questionnaires mentionnés par France Télécom, l'article L. 463-2 du Code de commerce dispose que le rapport " est accompagné des documents sur lequel se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés. ". Il s'ensuit que le rapporteur n'était pas tenu d'annexer son questionnaire au rapport, sauf à démontrer que les réponses apportées par les opérateurs ne pouvaient être analysées en l'absence de ce questionnaire. Or, France Télécom n'articule aucun argument en ce sens. De plus, France Télécom a disposé, à compter de la date de la réception de la notification de griefs complémentaire, des délais prévus à l'article L. 463-2 du Code de commerce pour accéder à l'ensemble du dossier et consulter les questionnaires incriminés.
137. Par ailleurs, France Télécom estime que les décisions de secret des affaires concernant les sociétés Télécom Développement et Kaptech sont " incohérentes et très critiquables au regard des griefs notifiés et du dommage à la concurrence imputé aux pratiques visées par ces griefs " dans la mesure où elles ont soustrait du débat des éléments portant " sur les conditions d'acheminement et sur le volume du trafic fixe vers mobile acheminé par les opérateurs de téléphonie fixe concurrents ", éléments qui seraient " à l'évidence nécessaires pour apprécier objectivement la réalité du jeu concurrentiel [et] la réalité du dommage aux concurrents imputés aux pratiques incriminées. "
138. L'article L. 463-4 du Code de commerce dispose que " le président du Conseil de la concurrence peut refuser la communication de pièces mettant en jeu le secret des affaires, sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à la procédure ou à l'exercice des droits des parties ; les pièces considérées sont retirées du dossier ". La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 1992, a jugé que " la finalité des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 [devenu l'article L. 463-4 du Code de commerce] excluait tout débat contradictoire devant le président du Conseil qui doit statuer en fonction des seules observations de la partie qui l'a saisi [de la demande de retrait au titre de l'article L. 463-4] " et a, dès lors, confirmé qu'une entreprise ne pouvait faire grief à la décision de secret des affaires d'avoir retiré du dossier un document présenté par une autre entreprise et lui appartenant.
Sur les mémoires en réponse
139. ETNA France relève que, dans leurs observations à la notification de griefs complémentaire, SFR et Cégétel " se réservent de développer à un stade ultérieur de la procédure " un " examen complet de la recevabilité et de la validité " de la saisine. De même, elle fait valoir que France Télécom, dans ses observations, refuse de répondre à deux des griefs qui lui sont notifiés au motif qu'ils auraient dû l'être à sa filiale Orange France, " alors même que ces griefs ont été clairement notifiés au groupe France Télécom ". ETNA France estime qu'une telle attitude, consistant à fournir des moyens de défense postérieurement aux observations à la notification de griefs complémentaire, " c'est-à-dire qui ne pourraient être connues, ni faire l'objet d'observation de la part du plaignant ", constitue " une flagrante violation du principe du contradictoire ", les éléments fournis dans ce cadre devant être écartés par le Conseil.
140. L'article L. 463-1 du Code de commerce dispose que " l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires. " Dans ce cadre, chaque partie doit disposer de la possibilité de répondre, dans des conditions équivalentes, aux moyens soulevés par la partie adverse. Le fait, pour une partie, de ne répondre à la notification de griefs, sur un certain point, que dans le cadre de son mémoire en réponse au rapport et non de ses observations à la notification de griefs ne saurait, en tant que tel, violer le principe du contradictoire dès lors que les moyens invoqués dans ce cadre peuvent être discutés lors de la séance, sauf à prouver que ces moyens requièrent une réponse écrite, ce qu'ETNA France ne fait pas au cas d'espèce.
Sur le rapport
141. France Télécom avance dans son mémoire en réponse qu'il est soutenu dans le rapport que l'effet de ciseau tarifaire constaté en raison du niveau des prix de ses offres fixe vers mobile aux entreprises est qualifié d'abus en raison de sa position dominante, non plus sur le marché de la terminaison des appels sur son réseau GSM, mais sur le marché des services de téléphonie fixes vers mobile aux entreprises. Elle soutient que ce revirement, par la confusion et les contradictions manifestes qu'il introduit sur la qualification même de grief au terme de la procédure d'instruction, viole les droits de la défense.
142. Il est précisé, en page 33 du rapport, que " le rapporteur maintient les griefs notifiés le 30 juin 2003 ". France Télécom ne démontre pas en quoi les arguments avancés dans le rapport en réponse aux observations des parties constitueraient un revirement implicite quant à la qualification retenue dans la notification de griefs.
Sur la durée de la procédure
143. Dans ses écritures, France Télécom s'interroge " sur la durée de la procédure et la capacité de la défense à retrouver certains éléments de faits de nature à justifier les pratiques qui lui sont reprochées " dès lors que les faits datent de 1999 et n'ont donné lieu à notification des griefs qu'à la date du 30 juin 2003.
144. France Télécom a été informée de l'existence et de l'objet de la saisine par un courrier du rapporteur, dès le 23 décembre 1999. Une notification de griefs initiale, à laquelle elle a répondu, lui a été transmise en date du 10 avril 2001. Des griefs complémentaires ont été notifiés le 30 juin 2003. France Télécom ne précise ni les éléments de fait qui n'auraient pu être retrouvés ni pourquoi ils n'auraient pu l'être en raison de la durée de la procédure qui ne saurait être qualifiée, en elle-même, d'excessive.
145. Au surplus, ainsi que la cour d'appel l'a rappelé à de nombreuses reprises (notamment dans un arrêt du 13 décembre 2001, Apprin et autres) la sanction qui s'attache au caractère déraisonnable de la durée de la procédure n'est pas la nullité de cette dernière, mais le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi. La nullité pourrait, cependant, être encourue si les parties établissaient qu'elles n'avaient pas été en mesure d'exercer normalement leurs droits de la défense, ce qu'elles ne démontrent pas en l'espèce.
Sur l'application du principe non bis in idem
146. France Télécom rappelle que le Conseil l'a condamnée, par sa décision n° 01-D-46, pour avoir mis en œuvre une pratique ayant consisté " à proposer et à appliquer un prix des communications fixes vers mobiles inférieur aux prix des terminaisons d'appels que cet opérateur est censé verser à sa division France Télécom Mobiles (devenue filiale depuis le 23 août 2000). " Elle soutient que, dans cette affaire, le Conseil, en sanctionnant une offre présentée à la société Renault, laquelle était basée sur une offre catalogue (Atout RPV Itinéris), a eu à examiner des offres catalogue, de sorte que sa décision n° 01-D-46 " recouvre à l'évidence le grief " de ciseau tarifaire notifié dans le cadre de la présente procédure. France Télécom ajoute que cette décision doit être regardée comme n'ayant pas remis en cause ses tarifs et les ayant implicitement validés en retenant que " s'il existe bien une offre catalogue (...) proposée par France Télécom Mobiles, les conditions de fourniture d'une prestation des appels fixes vers les téléphonies Itinéris de la société Renault ont fait l'objet d'une convention, distincte de l'offre catalogue, signée le 27 août 1999 " qui, seule, a été condamnée.
147. Le Conseil, dans sa décision n° 01-D-46 du 23 juillet 2001, a effectivement sanctionné France Télécom pour avoir, dans le cadre d'une offre sur mesure faite à la société Renault en 1999, proposé des remises sur les tarifs des communications fixes vers Itinéris de cette entreprise d'un montant tel que ces tarifs ne couvraient pas la CTA fixée par FTM. Cette décision vise spécifiquement une " pratique, mise en œuvre de manière dérogatoire aux conditions de vente figurant au catalogue de prix " et ne se prononce pas sur la légalité des prix catalogue alors que le grief 3 notifié à France Télécom dans la présente affaire et rappelé au paragraphe 114 ci-dessus, met en cause les tarifs catalogues offerts à l'ensemble des entreprises par France Télécom, et qu'il est d'ailleurs précisé en page 66 de la notification de griefs que : " en vertu du principe de non bis in idem, ce grief ne vise pas l'offre sur mesure sanctionnée par le Conseil dans sa décision n° 01-D-46 ".
B. Sur les marchés pertinents et la position des entreprises
1. Le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises
148. Cégétel conteste la délimitation des marchés des communications fixes vers mobiles des entreprises au motif que la demande des entreprises porterait sur un ensemble de prestations téléphoniques depuis des postes fixes et ne serait pas limitée aux seules communications fixes vers mobiles.
149. S'agissant de la substituabilité entre services de téléphonie fixe et mobile, les seconds paraissent se distinguer des premiers par la très grande disponibilité qu'ils offrent à l'usager, tant en réception qu'en émission : l'usager peut joindre ou être joint, où qu'il se trouve dans le territoire couvert. Ainsi, dans une étude relative à l'impact sur l'économie française de la téléphonie mobile de TERA Consultants (1991-2001 : la décennie du mobile), il apparaît que, selon des données des opérateurs, les raisons d'équipement en téléphone mobile les plus citées étaient, en 2001, " être facile à joindre " (63 %) et " appeler en cas d'urgence " (62 %). Dans une étude de novembre 2003 relative à la diffusion des technologies de l'information dans la société française, le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) indiquait que si le taux d'équipements en téléphone fixe diminue, en raison d'une substitution avec le téléphone mobile, c'est de seulement 1 % par an, et ce phénomène est prévu cesser d'ici la fin de la décennie. " Nous ne pensons pas que la substitution fixe/mobile se poursuivra au-delà car les deux types de terminaux ne sont pas strictement substituables : Le téléphone fixe est un équipement du foyer, tandis que le téléphone mobile est un outil individuel. ". En outre, l'accès à la téléphonie fixe demeure, selon le CREDOC, moins onéreux et offre plus de confort et de débit pour accéder à Internet. De plus, le trafic fixe vers mobile se distingue des autres catégories de trafic de téléphonie fixe (communications locales, longue distance et internationales) par le niveau élevé du prix de ces communications. Du point de vue de l'offre, cette distinction se justifie par l'importance des barrières à l'entrée dans le secteur de la téléphonie mobile liées à la rareté des fréquences et au niveau d'investissement requis en l'absence d'opérateurs virtuels. Ainsi, pour délimiter les marchés pertinents de l'espèce, il convient à titre de premier critère de séparer les appels fixes vers mobile de l'ensemble de la téléphonie fixe.
150. S'agissant de la téléphonie fixe, il convient ensuite de tenir compte des différences d'attention que portent les clientèles résidentielles et professionnelles à leurs factures téléphoniques respectives. En particulier, pour reprendre les termes des représentants de France Télécom : " dans le cas des particuliers, l'appelant est le payeur ; il contrôle donc directement sa consommation. Dans le cas des professionnels, l'appelant ne supporte pas directement la charge de son appel "(audition du 28 mai 2002). Par ailleurs, d'un point de vue technique, les particuliers ne disposent pas des équipements nécessaires au raccordement à une boucle locale d'entreprise (BLE) ou à l'installation d'un boîtier de numérotation (cf. § 22 et 23). Ces différences entre les deux types de clientèles entraînent des réactions différentes aux conditions et prix des services offerts. La séparation entre clientèle résidentielle et professionnelle constitue donc le second critère permettant de délimiter les marchés pertinents de l'espèce.
151. Au sein même de la clientèle professionnelle, le comportement des demandeurs apparaît différent selon la taille des entreprises.Les entreprises les plus importantes, dénommées " grands comptes " par les opérateurs (les 100 à 200 plus grandes entreprises françaises), peuvent seules justifier la mise en place d'une boucle locale entreprises (BLE). Par ailleurs, les entreprises de taille moyenne ne peuvent généralement pas se permettre, sur le plan de la gestion, de recourir à un trop grand nombre de fournisseurs, ainsi que l'ont signalé MCI et Completel. Du point de vue de l'offre, cette segmentation est justifiée par le fait que, pour adresser la clientèle des grands comptes, un opérateur doit disposer d'une importante force commerciale, être en mesure d'offrir une large gamme de services de télécommunications et avoir déployé des infrastructures de commutation, surtout de boucle locale, permettant de s'abstraire des conditions d'interconnexion de France Télécom.
152. Concernant la demande des entreprises, comme le notait le Conseil dans sa décision n° 01-D-46 : " à la différence des particuliers et des PME, les entreprises 'grands comptes' peuvent bénéficier de solutions techniques et commerciales leur permettant d'abaisser le coût de leurs appels fixes vers mobiles ; qu'ainsi, ces entreprises peuvent notamment recourir, pour les seuls appels émis à partir de postes appartenant à l'entreprise (appels internes) à des réseaux privés virtuels (RPV) nécessitant l'usage d'une numérotation spécifique ; que les 'grands comptes' se voient également généralement proposer par les opérateurs concernés des réductions de prix importantes en fonction des volumes de trafic ;". Ainsi, à l'intérieur du marché des appels fixe vers mobile émanant de la clientèle professionnelle, il y a lieu de distinguer deux segments de marché correspondant aux ''grands comptes'' et aux entreprises moyennes.
153. Du point de vue de l'offre, la sélection du transporteur n'a été ouverte au trafic fixe vers mobile qu'au 1er novembre 2000. L'acheminement de ce trafic suppose, par ailleurs, la mise en place d'une interconnexion directe avec chacun des opérateurs GSM ou de recourir à l'offre de transit d'un opérateur interconnecté, à moins que l'entreprise ait recours, lorsqu'elles sont disponibles, à des solutions de contournement dédiées à ce trafic.
154. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le marché des services d'acheminement du trafic fixe vers mobile des entreprises constitue un marché pertinent et que l'on peut y distinguer deux segments de marché en séparant la clientèle des entreprises de taille moyenne de celle des grands comptes.Sur ces marchés, sont présents les opérateurs de téléphonie fixe, Bouygues Télécom par le biais de ses offres VPN et de son offre Boîtier radio (cf. § 101 à 105), ainsi que les trois opérateurs GSM au travers de leurs abonnements de téléphonie mobile qui sont utilisés par des entreprises dans le cadre de solutions mobile box pour leurs besoins propres (cf. § 29). La dimension géographique de ces marchés est limitée à la France métropolitaine.
2. La position de France Télécom sur le marché des communications fixes vers mobiles des entreprises
155. La part de marché, tant en volume qu'en valeur, détenue par France Télécom sur les activités d'acheminement du trafic fixe vers mobile des entreprises était supérieure à 90 % en 1999 et à 80 % en 2000. S'agissant des grands comptes, France Télécom dégageait, au 1er avril 2002, un chiffre d'affaires avant remise de 30 Meuros par mois via son offre Atout RPV Mobiles destinée à cette clientèle, soit plus de 70 % du marché (les grands comptes pèsent pour un tiers du marché entreprises - cf. § 54 - lequel représentait 1 445 Meuros en 2002 pour le trafic fixe vers mobile selon l'observatoire des marchés de l'ART). En outre, il apparaît qu'une trentaine des entreprises du CAC 40 étaient clientes de l'offre Atout RPV Itinéris à la mi-2000. De plus, France Télécom dispose d'avantages concurrentiels déterminants dans l'exercice des activités de téléphonie fixe pour entreprises, qu'il s'agisse de son image de marque, de l'étendue de son offre de services, de la capillarité de son réseau, de son caractère verticalement intégré, de sa position d'opérateur historique, qui en fait l'" opérateur par défaut ".
156. France Télécom fait valoir que les prix de détail des communications fixes vers mobiles étaient, antérieurement au 1er novembre 2000, fixés par les opérateurs GSM, et que " la concurrence s'exerce essentiellement par les prix. (...) C'est donc bien en principe à l'entreprise qui détermine ce prix qu'il convient d'imputer la position d'offreur sur ce marché. ".
157. Mais, ainsi que le Conseil l'avait déjà relevé dans la décision n° 01-D-46 précitée, France Télécom se trouvait bien, à l'époque, en position d'offreur sur les marchés de l'acheminement du trafic fixe vers mobile des entreprises dès lors que " les prix de téléphonie fixe vers mobile au départ du RTC [réseau téléphonique commuté] étaient fixés par les opérateurs de téléphonie mobile, les prix de l'ensemble des prestations de télécommunications aux entreprises 'grands comptes' dont fait partie la société Renault, étaient négociés et fixés par la division 'grands comptes' de la branche 'entreprises' de la société France Télécom et non par la division 'France Télécom Mobiles " et " qu'en tout état de cause, l'opérateur présent sur le marché concerné était la société France Télécom et non France Télécom Mobiles, laquelle n'avait pas encore été filialisée et n'avait ni personnalité morale ni autonomie juridique ". Au surplus, elle fixait, au travers de sa division FTM, les prix de détail sur le trafic fixe vers mobile destiné aux lignes mobiles de cet opérateur, soit sur environ 50 % de ce trafic. Il résulte de ce qui précède que France Télécom dispose d'une position dominante sur les deux segments du marché pertinent des services d'acheminement du trafic fixe vers mobile des entreprises de taille moyenne, d'une part, et des grands comptes, d'autres part.
3. Sur l'existence d'un marché de la terminaison d'appel sur chacun des réseaux mobiles et la capacité des opérateurs GSM à fixer de façon indépendante le prix des terminaisons d'appel
158. Le marché pertinent des appels fixe vers mobile et ses deux segments se décompose entre, d'une part, un marché aval de collecte, transport et interconnexion directe des appels aux réseaux mobiles, où opèrent France Télécom (le dominant), les autres opérateurs de téléphonie fixe, et, éventuellement, les opérateurs mettant en œuvre des solutions de contournement de l'interconnexion directe, et un marché amont de terminaison des appels sur le réseau mobile appelé où opèrent les trois opérateurs GSM. La notification complémentaire de griefs et le rapport retiennent que sont pertinents les trois marchés amont de terminaison des appels correspondant aux trois réseaux GSM en service et que chacun des trois opérateurs est en position dominante sur son marché, puisqu'en monopole. Les entreprises mises en cause contestent cette analyse.
Les observations de France Télécom
159. La société France Télécom, dans le mémoire établi par sa filiale Orange France, dénonce le caractère erroné de l'analyse du marché pertinent qui conduit " à retenir un marché de la terminaison d'appel sur le réseau Orange, où celle-ci détiendrait une position dominante ". En premier lieu, elle fait valoir, sur la base d'une étude économique développant une analyse menée selon le test du monopoleur hypothétique, établie à sa demande par un cabinet d'études, " qu'il est parfaitement possible de recourir à des solutions mobiles box opérateurs et boîtiers radio entreprises sur l'un ou l'autre des réseaux mobiles pour contourner la charge de terminaison des appels d'Orange France ". Ces solutions seraient donc substituables à la terminaison d'appel sur le réseau de l'opérateur auquel le destinataire de l'appel est abonné, comme le confirmerait le fait que les mobile box se sont développées.
160. En second lieu, elle soutient que, s'agissant d'une prestation d'interconnexion, la demande des utilisateurs finals et des opérateurs est de pouvoir s'interconnecter à l'ensemble des autres opérateurs et non à un opérateur en particulier, et que le marché à retenir est donc celui de l'interconnexion, comme l'a fait la Commission européenne dans la directive " accès " du 7 mars 2002 et le Conseil, dans un avis du 24 septembre 1997, relatif à la désignation des opérateurs puissants sur un marché au sens de l'article L. 36-7 (7°) du Code des postes et télécommunications. Elle souligne que sur le marché de l'interconnexion, Orange France, avec une part de marché de 9 % en volume et de 35 % en valeur n'est pas en position dominante.
161. En troisième lieu, France Télécom conteste que chaque opérateur mobile soit en mesure de fixer le prix de sa terminaison des appels provenant du réseau fixe indépendamment de celui de la terminaison d'appels des autres opérateurs mobiles et fait valoir qu'elle-même a procédé à une baisse du montant de sa charge de terminaison d'appel (CTA) de sa seule initiative le 1er juillet 1999 et que Bouygues a appliqué de lui-même des baisses de sa CTA, sans y être contraint par l'ART.
162. En quatrième lieu, France Télécom soutient que l'affirmation selon laquelle les utilisateurs ne seraient pas sensibles au niveau du prix des appels entrants, et donc de la CTA, n'est pas démontrée et affirme que le Conseil a fait état d'un accroissement de l'élasticité de la demande au prix des appels entrants dans son avis n° 01-A-01 portant sur la tarification par France Télécom des communications téléphoniques au départ de son réseau vers des réseaux tiers.
Les observations de SFR Cégétel
163. La société SFR Cégétel discute également le bien-fondé d'une délimitation des marchés limitée aux appels entrants sur chaque réseau mobile. Elle soutient que, dans le cadre particulier de biens secondaires par rapport au bien principal (tels que les cartouches d'encre par rapport aux imprimantes ou les appels entrants par rapport aux appels sortants), la délimitation d'un marché autonome limité à ce seul bien secondaire ne se justifie que si les consommateurs sont insensibles à l'effet de son prix sur le marché principal. S'agissant de l'élasticité prix de la demande pour les appels entrants sur les réseaux mobiles, elle fait valoir que les entreprises se soucient du prix des appels vers les téléphones mobiles et considèrent ce type de service comme complémentaire des autres services de téléphonie pour lesquels elles lancent un appel d'offres et qu'il n'existe donc pas une demande des entreprises pour des services de téléphonie fixe vers mobile à destination d'un réseau mobile déterminé, et d'une offre correspondante de la part des opérateurs. Elle s'appuie sur le mémorandum accompagnant la recommandation de la Commission européenne de 2003 sur les marchés pertinents qui décrit des comportements de groupes fermés d'utilisateurs passant entre eux suffisamment d'appels pour qu'ils soient sensibles aux prix des appels entrants et donc au niveau des CTA de chaque réseau. Pour les offres dites " de flotte entreprise ", la substituabilité de chaque réseau de terminaison serait forte au moment du choix du réseau mobile par l'entreprise. Pour les utilisateurs privés, SFR Cégétel avance que leur insensibilité au prix des appels entrants n'est pas démontrée et s'appuie sur l'avis du Conseil n° 01-A-01 précité. Elle explique que, certes, l'ART faisait état, dans un colloque de janvier 1999, de l'absence d'élasticité prix de la demande pour les appels entrants mais que, depuis, la situation a fortement évolué. Elle estime que les publicités d'Orange et les siennes sur les baisses de leur CTA et la volonté de Bouygues de suivre ces baisses sont de nature à établir qu'il existe une pression concurrentielle sur ces tarifs.
164. SFR Cégétel critique encore la prépondérance donnée à l'analyse de la possibilité, pour chaque opérateur, de fixer sa CTA de manière indépendante, critère qui selon elle ne peut conduire à constater l'existence d'une position dominante que dans l'hypothèse où le marché pertinent aurait, au préalable, été défini, conformément à la méthodologie du droit de la concurrence qui privilégie la substituabilité de la demande. Elle dénonce la confusion faite entre le test de dominance et le test de définition des marchés. Pour elle, ce n'est pas parce que qu'un opérateur détient une infrastructure qu'il est en position dominante. Elle soutient que si les opérateurs GSM n'ont pas spontanément baissé leur CTA, c'est parce qu'ils ne pouvaient pas bouleverser l'ensemble de leur équilibre économique.
Les observations de Bouygues Télécom
165. Dans ses observations, Bouygues Télécom soutient également que la terminaison d'appel sur son réseau ne constitue pas un marché pertinent. Elle affirme qu'en tout état de cause elle n'y détient pas de position dominante dans la mesure où elle est incapable de s'y comporter de manière indépendante. En premier lieu, elle met en relief sa situation de troisième entrant sur le marché de la téléphonie mobile qui explique la fragilité de sa situation commerciale et financière, ainsi que les contraintes spécifiques qu'elle doit affronter. Notamment, afin de compenser ses handicaps, tels une couverture nationale insuffisante, elle a dû proposer les tarifs sortants les plus bas du marché, ce qui ne lui laisserait aucune marge de manœuvre sur le niveau de sa terminaison d'appel provenant du fixe.
166. En second lieu, Bouygues Télécom explique qu'elle a dû baisser sa charge de terminaison d'appel sous la seule pression concurrentielle. Elle signale que, dès septembre 1999, elle avait alerté l'ART sur les conséquences d'une baisse trop rapide des CTA déclarés puissants et sur l'effet de contagion sur l'opérateur plus petit et verse au dossier un courrier dans lequel elle signalait : " Même si, en droit, notre société pouvait dans cette hypothèse continuer à pratiquer des tarifs d'interconnexion supérieurs à ceux de ses concurrents, l'intensité de la concurrence sur le marché des mobiles est telle que nous n'aurions très probablement pas d'autre choix que d'aligner nos tarifs publics sur ceux de nos concurrents ". Elle affirme que France Télécom, qui achemine plus de 80 % du trafic fixe vers Bouygues Télécom, serait " en mesure d'exercer sa puissance d'achat de terminaison d'appel auprès de Bouygues Télécom pour tenter de la faire baisser, ce qu'elle n'a pas manqué de faire " au travers de différentes " pressions " : refus de payer des factures d'interconnexion entre octobre 1999 et janvier 2001 au motif que la CTA de Bouygues Télécom ne lui convenait pas ; pendant cette période, refus de signer la convention d'interconnexion ; courriers régulièrement adressés lui " demandant d'"aligner" ses tarifs sur ceux des deux autres opérateurs GSM " ; refus de répercuter, à la mi-2002, auprès de ses usagers, la structure tarifaire proposée par Bouygues Télécom, qui consistait à supprimer la période de facturation indivisible au profit d'une charge d'établissement d'appel. De fait, elle a appliqué (avec quelques mois de décalage) les baisses de CTA imposées par l'ART à Orange France et SFR en 2000 et 2002. Bouygues Télécom souligne, en comparant la situation de la France avec celle des autres pays européens, qu'avec trois centimes d'euros d'écart avec les CTA d'Orange et de SFR, elle fait partie des opérateurs derniers entrants dont la CTA s'éloigne le moins, en valeur absolue, de celle de ses concurrents. Selon elle, dans l'hypothèse d'une régulation, l'ART ne lui imposerait pas une CTA aussi basse. En séance, Bouygues Télécom a indiqué que le fait d'avoir une CTA plus élevée pouvait en effet renvoyer au consommateur l'image d'un " réseau cher " et que, par " effet de club ", les appelants pouvaient inciter les appelés à changer d'opérateur.
167. En troisième lieu, Bouygues Télécom note qu'en tout état de cause, le fait qu'un opérateur pratique des prix plus élevés que ses concurrents pour certaines prestations ne peut suffire à démontrer qu'il est en position dominante sur le marché concerné, et cite le cas des opérateurs alternatifs qui proposeraient des tarifs fixes vers Bouygues Télécom supérieurs, en moyenne, à ceux de France Télécom et ne répercutent pas ou très tardivement les baisses de la CTA de Bouygues Télécom. Elle conclut que le fait de pratiquer des tarifs plus élevés pour les services pour lesquels l'élasticité prix de la demande est la plus faible, comme les appels entrants, peut être socialement efficace et a permis aux opérateurs mobiles d'investir dans la différenciation de leur réseau et donc de promouvoir la concurrence.
Sur la méthode d'évaluation des marchés pertinents et d'appréciation de la position dominante
168. La délimitation d'un marché pertinent ou la mise en œuvre d'un test de dominance évaluant la possibilité pour une entreprise d'avoir un comportement indépendant de celui de ses concurrents et, in fine, des consommateurs, selon la définition adoptée par les autorités de la concurrence tant nationales qu'européennes, ont en commun d'avoir pour objectif l'évaluation du pouvoir de marché d'une entreprise, c'est-à-dire sa capacité à augmenter ses prix au-delà du prix concurrentiel, et donc de se comporter de manière indépendante. La primauté donnée à la prise en compte de la substituabilité de la demande dans la définition du marché pertinent est fondée sur le lien direct entre l'élasticité de la demande adressée à l'entreprise et sa marge, écart entre prix de vente et coûts : le niveau de cette marge révèle, en effet, le pouvoir de marché de l'entreprise.
169. Par ailleurs, la délimitation des marchés pertinents peut varier au fil du temps, à mesure que les caractéristiques des produits et des services évoluent et que les possibilités de substitution, du côté de la demande ou de l'offre se modifient. C'est le cas du secteur des télécommunications dans lesquels les évolutions technologiques et commerciales sont rapides. Il convient donc d'apprécier le périmètre des marchés pertinents et la position qu'y occupe l'entreprise en cause au moment où celle-ci a commis l'action prétendue abusive. Les pratiques, mises en cause dans les griefs décrits ci-dessus aux paragraphes 114 à 117, ont été constatées à compter du mois d'avril 1999 jusqu'à la fin 2001. Il convient donc d'apprécier, sur cette période, les conditions de l'offre et de la demande pour les services concernés.
170. Ce problème de temporalité est souligné par la Commission dans l'avertissement préalable à sa recommandation concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex-ante, conformément à la directive 2002-21-CE du Parlement européen et du Conseil relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de télécommunications électroniques (ci-après recommandation sur les marchés pertinents). La prise en compte de la temporalité explique pourquoi " La définition de marchés dans la recommandation ne porte pas préjudice à la définition de marchés dans le cadre d'affaires spécifiques en droit de la concurrence ". La définition des marchés dans le cadre de la recommandation doit en effet " être prospective " et " prendre en compte les évolutions technologiques ou économiques escomptées ou prévisibles sur une durée raisonnable ". De ce fait, il ne peut être exclu que les marchés définis aux fins du droit de la concurrence et ceux définis aux fins de la réglementation sectorielle ne soient pas identiques, même s'ils sont dans les deux cas définis selon des méthodes propres au droit de la concurrence.
171. Néanmoins, les éléments pris en compte par la Commission dans sa recommandation sur les marchés pertinents peuvent utilement être repris, à condition bien sûr de les situer dans le temps par rapport aux faits visés dans la présente saisine. La Commission constate ainsi que :
" Il importe donc de prendre en compte les possibilités de substitution du côté de la demande et de l'offre susceptibles d'influer sur les redevances de terminaison ainsi que le comportement des opérateurs de réseaux lors de la fixation des redevances. Il y aurait contrainte si les tentatives d'un opérateur de réseau d'augmenter les redevances de terminaison (ou de résister à une baisse) se soldaient globalement par une baisse de rentabilité. Ce type de substitution du côté de l'offre n'est pas possible à l'heure actuelle, mais pourrait le devenir à terme.
Ce pourrait être le cas avec des cartes SIM activées par logiciel, une technologie qui devrait être exploitée avant tout par les opérateurs ayant passé des accords préférentiels avec leurs utilisateurs finals en cas d'itinérance internationale.
Les redevances de terminaison d'appel mobile pourraient être limitées par les possibilités de substitution du côté de la demande. Mais la substitution du côté de la demande n'est pas possible sur le marché de gros. La demande à ce niveau est inextricablement liée à l'offre. L'opérateur (de l'appelé) ne peut acquérir d'une autre source la terminaison d'appel sur un réseau donné (...).
En revanche, il existe plusieurs possibilités de substitution du côté de la demande sur le marché de détail. Il peut s'avérer que d'autres formes d'appels ou de communications constituent des substituts raisonnablement proches des appels considérés plus haut (rappel automatique, renvoi d'appel, SMS) mais pour que ces possibilités de substitution parviennent à élargir le marché il faudrait qu'elles influencent le comportement de l'opérateur qui fixe les redevances de terminaison par une baisse de rentabilité globale. Différentes catégories d'appels peuvent être substituables : par exemple, un appel de réseau fixe à réseau mobile peut être remplacé par un appel de réseau mobile à réseau mobile. Pour diminuer la rentabilité du service et entraver le comportement de l'opérateur, l'appel de substitution doit être passé à l'intérieur du réseau de l'opérateur ("on net").
Associée à la possibilité offerte à des groupes fermés d'utilisateurs d'exercer une puissance d'achat (comme décrit plus bas), la substitution potentielle a une plus grande incidence puisqu'elle pourrait entraîner non seulement la perte des redevances de terminaison mais également l'abandon d'un réseau par les abonnés au profit d'un autre.
Un substitut possible à un appel mobile "off net" pourrait être un appel d'un réseau mobile à un réseau fixe. Cela se traduirait par la perte des redevances de terminaison, mais il est probable que la substitution ne soit valable que dans des circonstances particulières (par ex., si l'appelé se trouve à proximité d'un téléphone fixe déterminé).
En résumé, quelques-unes de ces possibilités de substitution pourraient limiter les redevances de terminaison mais leur influence réelle est également tributaire de circonstances pratiques. Il n'y a pas lieu de croire que l'un quelconque des substituts du côté de la demande mentionnés ci-dessus serait suffisant pour influencer le comportement de l'opérateur.
Une autre façon pour les utilisateurs finals et leurs opérateurs d'éviter de verser des redevances excessives est d'avoir recours à l'acheminement indirect du trafic entrant par des opérateurs internationaux ("tromboning") ou au reroutage du trafic. Il est possible, en particulier, de rediriger les appels de façon qu'ils semblent provenir du réseau mobile sur lequel ils doivent en fait aboutir. Cette pratique n'est viable que pour les utilisateurs finals qui passent un nombre considérable d'appels aboutissant sur un réseau mobile. En outre, les opérateurs de réseaux mobiles peuvent concevoir des services à tarifs différenciés pour distinguer ces catégories d'utilisateurs.
La puissance d'achat sur le marché de détail peut constituer un autre frein à la capacité des opérateurs de fixer des redevances de terminaison trop élevées. Cette puissance d'achat peut se manifester essentiellement de deux façons.
Premièrement, quand les utilisateurs de téléphones mobiles sont suffisamment désireux de recevoir des appels entrants pour que le prix de ces appels détermine le choix du fournisseur. Pour que ce facteur exerce une influence sur la fixation du prix de la terminaison d'appel, il faut qu'il revête autant d'importance aux yeux des utilisateurs que la tarification d'autres services tels que le prix des appels sortants, les frais d'abonnement, etc. En vertu du principe du paiement par l'appelant, c'est l'appelant et non l'appelé qui prend en charge l'appel et il n'y donc aucune relation directe entre les redevances appliquées et la demande de service de la part de l'utilisateur du réseau mobile sur lequel l'appel aboutit. Les utilisateurs de téléphones mobiles se sont avérés peu sensibles au niveau des redevances de terminaison appliquées sur leur propre réseau, autrement dit au prix payé par les appelants.
La puissance d'achat peut, en second lieu, provenir de groupes fermés et spécifiques d'utilisateurs dont les membres (qu'ils s'acquittent ou non d'une partie de la facture pour les appels entrants) passent entre eux un nombre suffisant d'appels pour que ces communications représentent une part importante de leur facture. Si les redevances de terminaison et donc le prix des appels entrants augmentent sur un réseau donné, les membres du groupe peuvent changer de réseau pour tirer parti des prix "on net" plus bas pratiqués sur un autre réseau. Cela dit, les opérateurs de réseaux mobiles sont en mesure d'établir une discrimination tarifaire parmi les diverses catégories d'utilisateurs: pour obtenir ce résultat, ils ont recours à des tarifs "on net" et des ristournes proposées à des groupes économiques fermés pour des appels vers des numéros mobiles spécifiques, par exemple.
De manière générale, en dépit de l'impression que les utilisateurs finals de services mobiles peuvent choisir le réseau auquel ils s'abonnent et qu'il est relativement facile de changer de réseau, il ne semble pas que la tarification de la terminaison d'appel sur le marché de gros soit soumise à des contraintes massives. Le marché peut être défini comme le marché de la terminaison d'appel sur chaque réseau mobile. Cela impliquerait, en l'état actuel des choses, que chaque opérateur de réseau mobile joue le rôle de fournisseur unique sur chaque marché. Cependant, même dans ce cas, la puissance sur le marché de chaque opérateur dépend de la puissance d'achat compensatrice, qui peut annuler le bénéfice de toute augmentation non provisoire de prix.
En l'état actuel des choses (compte tenu de la règle du paiement par l'appelant), on peut donc conclure que la terminaison d'appel sur les réseaux individuels est le marché pertinent approprié. Cependant, cette définition serait remise en cause i) par la possibilité technique de faire aboutir les appels sur d'autres réseaux (ce qui élargirait la définition du marché à la terminaison d'appel sur l'ensemble des réseaux); ii) par l'indication que des utilisateurs emploient d'autres moyens pour échapper à des redevances de terminaison élevées; ou iii) par l'indication que des utilisateurs s'abonnent à des réseaux sur la base du coût des appels entrants (les deux derniers facteurs impliqueraient une définition combinée du marché, comprenant l'accès, le départ d'appel et la terminaison d'appel).
Une définition du marché correspondant à la terminaison d'appel sur chaque réseau mobile impliquerait, en l'état actuel des choses, que chaque opérateur de réseau mobile joue le rôle de pourvoyeur unique sur chaque marché. Cependant, même dans ce cas, la puissance sur le marché de chaque opérateur dépend de la puissance d'achat compensatrice, qui peut annuler le bénéfice de toute augmentation non provisoire de prix. "
172. En l'espèce, la première source de remise en cause évoquée par la recommandation de la Commission (la possibilité technique de faire aboutir les appels sur d'autres réseaux) n'est pas effective. Pour évaluer le pouvoir de marché des trois opérateurs GSM sur le marché amont de la terminaison d'appel provenant du fixe, il convient donc d'examiner le rôle et l'importance des solutions alternatives de contournement et la sensibilité de la demande au prix des appels entrants de façon à apprécier le niveau de la pression concurrentielle qui s'exerçait, à l'époque des faits, sur les CTA fixées par chacun des réseaux mobiles.
173. Outre l'interconnexion directe aux réseaux GSM contre paiement des CTA incriminées, les opérateurs ont recouru, durant la période considérée, à d'autres modalités techniques de terminaison : le reroutage international (l'appel est livré à un opérateur étranger qui termine le trafic via l'offre de terminaison internationale de France Télécom) et les solutions mobile box (l'appel est routé vers un boîtier qui réémet l'appel sur le réseau GSM).
174. Les parties mises en cause ne soutiennent pas que le reroutage international aurait exercé une pression concurrentielle sur les CTA fixées par les réseaux mobiles pour les appels fixes vers mobiles d'origine nationale. Le reroutage constitue pourtant une alternative possible au paiement de la CTA en provenance d'un fixe en la remplaçant par la CTA en provenance de l'étranger, ce que le gestionnaire du réseau GSM terminant l'appel ne peut détecter. La question de savoir si et quand cette alternative a été effective sera examinée plus loin (cf § 192-196). Cependant, on peut d'ores et déjà constater que les CTA n'ont pas baissé même lorsque le recours au tromboning s'est intensifié et qu'au contraire, les mesures mises en place ont visé à ramener la CTA pour les appels en provenance de l'international au même niveau que pour les appels nationaux.
175. France Télécom avance qu'il était " parfaitement possible de recourir à des solutions mobiles box opérateurs et boîtiers radio entreprises sur l'un ou l'autre des réseaux mobiles pour contourner la charge de terminaison des appels d'Orange France ". La mobile box permet de recueillir un appel provenant d'un fixe et de le réémettre sur une boucle radio d'un opérateur GSM. Elle est dite " opérateur " si elle est gérée par l'opérateur de téléphonie fixe qui a collecté l'appel ; elle est dite " entreprise " si elle est directement branchée en sortie du PABX de l'entreprise. Dans tous les cas, le réseau GSM de l'appelé ne peut reconnaître la provenance ''fixe'' de l'appel et facturer sa CTA. En tant qu'appel de réseau mobile à mobile, il bénéficie du système du bill and keep et sa terminaison n'est pas facturée par le réseau mobile destinataire au réseau mobile émetteur. L'opérateur ou l'entreprise utilisant la mobile box est facturé par l'opérateur mobile émetteur au tarif d'un appel sortant mobile vers mobile. La mobile box constitue donc une seconde alternative possible au paiement de la CTA en provenance d'un fixe. La question de savoir si et quand cette alternative a été effective sera examinée plus loin (cf § 197- 198).
176. La faible sensibilité des usagers au prix des appels entrants avait été notée par le Conseil dans son avis n° 01-A-01 précitée : " C'est ainsi que Bouygues Telecom a pratiqué pendant six mois, en 1997, une baisse de ses tarifs entrants, mais n'a constaté d'effet ni sur le trafic ni sur le nombre d'abonnements, les consommateurs étant apparemment peu sensibles au prix payé par ceux qui les appellent. Bouygues a donc réaligné ses tarifs sur ceux de France Télécom et de SFR ". Il notait également que cette faible sensibilité avait rendu possible le développement du marché de la téléphonie en France sur la base d'un déséquilibre entre le prix des appels sortants et des appels entrants, les communications entrantes étant certes plus chères que dans d'autres pays européens mais les prix des communications sortantes étant parmi les plus bas. Si le Conseil a, en effet, envisagé dans le même avis que " En conséquence, le prix des appels entrants est appelé à devenir un enjeu concurrentiel non négligeable entre les opérateurs mobiles ", il s'agissait d'une évaluation prospective et non d'un constat sur la situation prévalant à la date des faits dénoncés dans la présente saisine. De même, les observations des parties mises en cause, soutenant que le comportement des demandeurs a évolué depuis l'avis du Conseil, sont sans pertinence sur l'analyse de la pression concurrentielle qui s'exerçait sur les opérateurs mobiles à l'époque du lancement des offres litigieuses.
177. Le rôle prépondérant joué par le régulateur dans la baisse des CTA de SFR et Itinéris constatée depuis 2000 (cf. paragraphes 16 à 19 ci-dessus) confirme la faible pression exercée par les usagers du fait de leur sensibilité au prix des appels entrants.
178. S'agissant de Bouygues, ses représentants ont confirmé, dans le cadre de la présente affaire, la constatation faite par le Conseil dans l'avis n° 01-A-01 : " En 1997, nous avons pratiqué, pendant 6 à 8 mois, un prix des appels fixe vers mobile inférieur à ceux de nos concurrents. Nous n'avons observé aucun effet sur nos ventes" et précisaient : " A l'époque, les études sur des panels de consommateurs nous confirmaient que le prix des appels fixes entrants n'était pas un critère déterminant du choix du consommateur" (PV d'audition du 20 mai 2002). De même, la progression de la part de marché de Bouygues Télécom ne paraît pas avoir été ralentie par l'augmentation d'environ 15 %, opérée en juin 1998, du prix de détail des appels fixe vers Bouygues Télécom de France Télécom. Enfin, s'agissant d'une offre prépayée Nomad dont le prix des appels entrants était plus élevé que pour les abonnements, les représentants de Bouygues Télécom ont indiqué que ce facteur n'avait " pas freiné le lancement " de cette offre.
179. Si Bouygues a, de sa propre initiative, partiellement suivi, en 2000 puis en 2002, le mouvement de baisse initié par le régulateur, sa CTA est demeurée supérieure d'environ 20 % à celles de SFR et d'Itinéris, tandis qu'il pratiquait des prix inférieurs sur les appels sortants. Les observations de Bouygues faisant valoir qu'elle est contrainte, en tant que troisième entrant, de proposer des prix attractifs pour les appels sortants et ne peut donc pas aligner sa CTA sur celle de ses concurrents, suggèrent l'absence de pressions concurrentielles sur cette CTA.
180. Au total, l'insensibilité de la demande de téléphonie mobile au prix des appels entrants, illustrée par l'absence d'effet des tentatives de Bouygues décrites au §178, et par le fait que Bouygues puisse durablement maintenir sa CTA à un niveau très sensiblement plus élevée que celle de ses concurrents montre que la terminaison d'appel sur chaque réseau mobile constitue un marché distinct sur lequel chaque opérateur est l'unique offreur. Seule la présence effective de solutions alternatives à la terminaison d'un appel sur le réseau de l'opérateur mobile auquel est abonné l'appelé pourrait mettre en causse cette constatation.
181. S'agissant des arguments avancés par Bouygues selon lesquels la puissance d'achat détenue par France Télécom lui permettrait d'exercer une pression à la baisse sur le niveau de la CTA sur le réseau Bouygues, il apparaît toutefois, au vu des éléments avancés par Bouygues Télécom, que France Télécom a finalement accepté " le paiement des montants contestés à tort " (en ce qui concerne le prétendu refus de payer des factures) et a simplement précisé " vous conviendrez que France Télécom est maître de sa politique tarifaire quelle que soit la structure tarifaire retenue par Bouygues Télécom pour sa terminaison d'appel " (en ce qui concerne le prétendu refus de répercuter la structure tarifaire de CTA), les autres allégations n'étant étayées par aucun élément probant. Au total, les éléments avancés par Bouygues Télécom tendent plutôt à mettre en évidence le fait que, malgré ses tentatives et relances répétées, France Télécom, qui achemine pourtant plus de 80 % du trafic fixe vers Bouygues Télécom, n'est pas en mesure de peser sur la fixation de la CTA de Bouygues Télécom.
182. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, chacun des trois opérateurs mobiles est en mesure de fixer le niveau de la CTA qu'il facture aux opérateurs de manière indépendante, dès lors que ne seraient pas effectives les solutions alternatives permettant de contourner le paiement de la CTA. Ces possibilités de contournement seront examinées ci-après, en même temps que le pertinence du test de ciseau.
C. Sur les pratiques de ciseau tarifaire mises en œuvre par les sociétés France Télécom et Cégétel (griefs 3 et 4)
183. Il est reproché à la société France Télécom d'avoir, à partir du printemps 1999, proposé aux entreprises des offres fixes vers mobiles Itinéris à des tarifs ne couvrant pas les coûts variables encourus pour la fourniture de ces prestations, dont la CTA fixée pour son réseau mobile, et d'avoir ainsi, en faussant le jeu de la concurrence sur le marché des appels fixes vers mobiles, abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché amont de la terminaison des appels sur ce réseau mobile.
184. Les opérateurs entrants sur les marchés de la téléphonie fixes nouvellement ouverts à la concurrence ne pouvaient, en effet, proposer aux entreprises, à des tarifs compétitifs, des prestations fixes vers mobiles Itinéris via une interconnexion directe au réseau FTM, sans encourir de pertes du fait de l'obligation qui pesait sur eux d'acquitter la CTA fixée par Itinéris. En revanche, la CTA facturée par Itinéris ou la division FTM à France Télécom étant largement supérieure aux coûts effectifs de fourniture de la prestation de terminaison d'appel sur son réseau mobile, les tarifs des télécommunications fixes vers mobiles mis en cause couvraient, pour le groupe France Télécom, les coûts variables effectivement encourus et ne généraient pas de pertes.
185. De même, il est reproché à la société Cégétel d'avoir, à partir du printemps 1999, proposé aux entreprises des offres fixes vers mobiles SFR à des tarifs ne couvrant pas les coûts variables encourus pour la fourniture de ces prestations, dont la CTA fixée pour le réseau SFR, et d'avoir ainsi, en faussant le jeu de la concurrence sur le marché des appels fixes vers mobiles, abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché amont de la terminaison des appels sur ce réseau mobile.
186. Les opérateurs entrants sur les marchés de la téléphonie fixes nouvellement ouverts à la concurrence ne pouvaient, en effet, proposer aux entreprises, à des tarifs compétitifs, des prestations fixes vers mobiles SFR via une interconnexion directe au réseau SFR, sans encourir de pertes. En revanche, les pertes réalisées par la société Cégétel sur ses prestations fixes vers mobiles aux entreprises étaient récupérées sur la CTA facturée par SFR filiale du même groupe.
187. Cette pratique, dite " de ciseau tarifaire ", consistant pour un opérateur, généralement verticalement intégré, fixant à la fois les tarifs de détail sur un marché et le tarif d'une prestation intermédiaire nécessaire pour l'accès au marché de détail, à ne pas laisser entre les deux un espace suffisant pour la couverture des autres coûts encourus pour la fourniture de la prestation de détail, constitue un abus de position dominante.Pour ce qui concerne l'espèce, il a déjà été sanctionné par le Conseil dans sa décision n° 01-D-46, dans laquelle il a considéré que France Télécom avait abusé de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile pour grands comptes en pratiquant, à l'occasion d'une offre sur mesure à la société Renault conclue en 1999, un prix de détail sur les appels fixe vers FTM inférieur à la CTA alors pratiquée par FTM.
188. Les entreprises France Télécom et Cégétel contestent qu'elles aient abusé de leur position dominante en mettant en cause la pertinence en soi du test de ciseau tarifaire développé en l'espèce et la pertinence de la méthodologie utilisée.
1. Sur la pertinence en soi d'un test de ciseau tarifaire
a) Du fait de l'inexistence de présélection pour les appels fixes vers mobiles avant novembre 2000.
189. Cégétel et France Télécom soutiennent qu'un test de ciseau n'a pas de sens sur la période pendant laquelle les opérateurs mobiles fixaient eux-mêmes les tarifs des communications fixes vers mobile. Les deux opérateurs considèrent encore qu'un test de ciseau tarifaire n'a aucune pertinence avant novembre 2000, car, avant cette date, la présélection pour les appels fixes vers mobiles n'était pas possible et qu'il n'existait donc pas d'offre de gros de France Télécom (ou de Cégétel) sur laquelle les opérateurs tiers auraient pu s'appuyer pour proposer des services concurrents. Or, en l'absence de possibilité de concurrence possible, il ne saurait leur être fait grief d'avoir mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire.
190. Mais le fait qu'avant le 1er novembre 2000, les opérateurs mobiles déterminaient eux-mêmes le tarif des communications fixes vers mobile, France Télécom leur reversant un montant correspondant à la CTA après avoir déduit une " rétention " correspondant aux frais de collecte et d'acheminement et des " peines et soins " pour les frais commerciaux (cf. § 13 et 14 ci-dessus), laisse tout son sens à la recherche d'un effet d'éviction des concurrents dû au fait que la comparaison entre ces tarifs fixes vers mobile et ceux que ces concurrents pourraient offrir en payant une CTA de ce niveau, fait apparaître une marge négative.
191. S'agissant des possibilités de faire concurrence à France Télécom ou à Cégétel au niveau de la collecte, il convient de souligner que, pour les sites de taille importante, les concurrents pouvaient raccorder les clients à une BLE tandis que des solutions de boîtier de numérotation automatique existaient pour les autres clients (cf. § 22 et 23). Au niveau de la terminaison, les propos des représentants de France Télécom cités au § 31 ci-dessus confirment que la demande d'interconnexion de la part d'opérateurs concurrents de France Télécom date de 1999, année au cours de laquelle des contacts avaient déjà été noués à ce sujet, tandis que France Télécom a, selon son fax du 27 mai 2002, proposé dès avril 1999 une offre de transit. S'agissant de Cégétel, l'opérateur Télécom Développement a été interconnecté au réseau de SFR dès le 3 février 1999. Sur chacun des marchés considérés, France Télécom et Cégétel pouvaient donc subir la concurrence, même avant le 1er novembre 2000. Le fait que ces contacts n'aient pas débouché sur la conclusion de contrats dès 1999 n'enlève rien de sa pertinence au test de ciseau réalisé alors même que, du fait de cet effet de ciseau, les concurrents potentiels n'étaient pas en mesure de bâtir à l'intention des entreprises des offres rentables en matière de communications fixes vers mobiles Itinéris et SFR, en ayant recours à l'interconnexion directe aux réseaux mobiles concernés.
b) Du fait des solutions de contournement : mobile box et reroutage
192. France Télécom soutient que le reroutage international a constitué une solution alternative à l'interconnexion directe jusqu'en 2000 et que le niveau de CTA ne pouvait donc générer d'effet de ciseau. Elle relève que Télécom Développement cite le mois de mars 2000 comme date à partir de laquelle elle a cessé de recourir au reroutage international, tandis que T-Systems indique : " à partir de novembre 2000, nous avons pu utiliser les interconnexions avec les trois opérateurs mobile pour acheminer notre trafic. Le reroutage, qui représentait 100 % du volume en 1998 et 1999 n'a plus représenté que 50 % du trafic en 2000 puis est devenu marginal ". Par ailleurs, pour MCI, " le reroutage international a été largement utilisé en 1998. Puis, il s'est progressivement tari au cours de l'année 2000 ". Pour sa part, Bouygues Télécom souligne que " contrairement aux affirmations des opérateurs fixe concernant l'arrêt du reroutage international, la terminaison de trafic sur le réseau de Bouygues Télécom a continué à subir la pratique du re-routage plusieurs années après sa soit-disante disparition " et présente un graphe duquel il ressort que son trafic entrant international n'a sensiblement diminué qu'au second semestre 2002.
193. France Télécom soutient, toutefois, que le trafic rerouté par les opérateurs de téléphonie fixe se serait déporté, au gré de l'instauration des accords de surcharge, sur des pays pour lesquels de tels accords n'avaient pas encore été signés. A l'appui de sa thèse, elle indique dans ses observations : " Au cours de l'année 2000, et sur les 13 pays répertoriés dans le tableau figurant à l'annexe 10, au moins 4 pays sont concernés par la mise en place des surcharges mobile : le Royaume-Uni (1er janvier 2000), la Belgique (1er janvier 2000), les Pays-bas (1er mars 2000) et l'Allemagne (1er juin 2000). Le trafic international fixe mobile entrant reste néanmoins constant sur la période. Alors que le trafic fixe mobile entrant en provenance de l'Allemagne chute de manière importante en juin avec l'activation des surcharges mobiles, l'on constate que le trafic se déporte sur plusieurs autres pays. "
194. Mais, par un courrier du 29 mars 1999 (annexe 14 à la saisine de ETNA France), France Télécom a informé les opérateurs d'une évolution de son catalogue d'interconnexion concernant " la mise en place de quotes-parts spécifiques à destination des réseaux mobiles de sept nouveaux pays ", dont l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas à compter du 1er avril 1999, en sus du Royaume-Uni, déjà concerné au 1er janvier 1999. Or, l'ART précise dans son avis n° 99-1127 que " les quotes-parts mobiles, telles qu'inscrites au catalogue d'interconnexion de France Télécom, reflètent, de manière réciproque, le niveau que l'opérateur historique du pays tiers sur le réseau duquel l'appel est rerouté applique effectivement aux communications (fixes) vers un réseau mobile en France ", de sorte que les opérateurs historiques du Royaume-Uni, d'une part, de l'Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas, d'autre part, ont, de façon réciproque, mis en œuvre les accords de surcharge vers la France à compter respectivement du 1er janvier 1999 et du 1er avril 1999. De plus, le 17 mars 2000, France Télécom a communiqué une " note détaillée " sur l'application des accords de surcharge, accompagnée de la liste des pays concernés au 15 février 2000. Or sur cette liste figurent notamment les Pays-Bas et l'Allemagne. Ces éléments contredisent les dates avancées par France Télécom dans ses observations (1er janvier 2000 pour le Royaume-Uni et la Belgique, 1er mars 2000 pour les Pays-bas et 1er juin 2000 pour l'Allemagne).
195. Le caractère constant du trafic entrant international sur l'année 2000, à le supposer établi, ne saurait étayer la thèse selon laquelle le trafic rerouté se serait déporté, lors de l'instauration des accords de surcharge, sur des pays pour lesquels de tels accords n'avaient pas encore été signés. Au surplus, il ressort de l'examen de l'annexe 10 des observations de France Télécom que ce trafic diminue en réalité de 44,4 min à 35,6 min par mois entre janvier 2000 et janvier 2001, cette baisse étant pour l'essentiel imputable à la diminution du trafic issu de l'Allemagne, de 22,7 min à 9,7 min par mois sur cette période. Aussi, il ne peut non plus être soutenu que le trafic rerouté par l'Allemagne a été déporté sur d'autres pays.
196. Il résulte de ce qui précède que les accords de surcharge avec les principaux pays à travers lesquels le trafic était rerouté ont été mis en place au premier trimestre 1999 et qu'aucun élément ne permet d'établir que d'autres voies de reroutage ont été significativement utilisées. De plus, il ressort d'un graphe, communiqué par France Télécom le 8 février 2000 concernant le degré d'inefficacité de son réseau, que le taux d'échec, pour motif de congestion, des appels provenant de l'étranger à destination des réseaux GSM, a atteint des niveaux très importants entre les mois de janvier et d'octobre 1999 (jusqu'à plus de 30 % contre moins de 5 % en temps normal). Ces évolutions étaient de nature à signaler aux opérateurs que ce mode de contournement de la CTA, qualifié " d'anormal " par l'ART, devait disparaître et à les inciter à chercher à conclure des accords d'interconnexion directe avec les opérateurs mobiles car il était devenu risqué de développer des investissements basés sur la technologie du reroutage.
197. En ce qui concerne les mobiles box, les opérateurs GSM ont versé au dossier différents éléments concernant leur développement. Pour l'année 2001, seul SFR a communiqué des estimations. Selon cet opérateur, un trafic de 16,6 min on-net de SFR (c'est-à-dire SFR vers SFR) aurait été détourné dans le cadre de solutions mobile box. En extrapolant ce chiffre à l'ensemble des opérateurs, le trafic total des mobile box en 2001 pourrait s'établir à environ 100 min, soit 2 % du trafic fixe vers mobile des entreprises. Pour l'année 2002, Orange France avance une estimation de 70 heures par ligne et par mois et de 1 500 lignes à la mi 2002, soit 6,3 min par mois à cette date. Bouygues Télécom indique pour sa part que " l'usage en masse par les opérateurs de téléphonie fixe de solutions type mobile box en substitution à la terminaison directe a démarré en 2002 ". Une enquête identifiant, sur son trafic sortant, les lignes Bouygues Télécom souscrites par des opérateurs et dont la consommation mensuelle dépasse 100 heures fait apparaître une croissance importante du trafic correspondant à compter de la mi-2002 (p. 48 du mémoire en réponse). A cette date, le trafic correspondant s'établit à 60 000 heures (3,6 min) par mois. Enfin, dans son mémoire en réponse (p. 54 et 55), SFR Cégétel avance des graphes relatifs à l'évolution du trafic d'interconnexion de SFR émanant de différents opérateurs de téléphonie fixe qui font apparaître une décroissance très sensible de ce trafic liée " vraisemblablement, à la mise en place de tels équipements ", à compter, suivant l'opérateur considéré, de juillet 2002, mai 2003 et septembre 2003.
198. Ces éléments indiquent, de façon concordante, que les solutions mobile box et a fortiori des solutions mobile box opérateur étaient très peu développées en 2001. Au cours du premier semestre 2002, des opérateurs ont pu déployer ce type de solution (cf. § 40). A la mi-2002, le trafic mobile box peut être estimé à environ 15 min par mois (en extrapolant pour SFR le trafic de 6,3 min pour Orange France et de 3,6 min pour Bouygues Télécom), soit 3,5 % du trafic fixe vers mobile des entreprises. Plus récemment, l'ART indiquait : " Selon différents opérateurs, les appels par le biais des hérissons [autre nom des mobile box] représenteraient début 2004 entre 10 % et 20 % des appels fixe vers mobile. Il semble qu'une grande partie du trafic des opérateurs fixes alternatifs à destination des réseaux mobiles passe par des hérissons " (consultation publique sur l'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles).
199. Il résulte de ce qui précède que le reroutage a cessé de constituer une solution alternative effective à cette interconnexion à partir d'avril 1999 et que les mobile box n'ont constitué une solution alternative effective à l'interconnexion directe qu'à partir du début de 2002. Il s'en déduit que le test de ciseau tarifaire est pertinent sur la période avril 1999 à fin 2001 car, durant cette période, les opérateurs alternatifs sur le fixe ne disposaient pas de moyens permettant de significativement échapper à l'obligation d'acquitter la CTA imposée par les opérateurs GSM du fait de leur position dominante.
c) Du fait de l'encadrement réglementaire des tarifs de détail de France Télécom
200. France Télécom estime, par ailleurs, que le grief notifié " ne tient visiblement aucun compte du fait que les tarifs et plus largement l'activité de France Télécom font l'objet au quotidien d'un encadrement réglementaire contraignant, qui porte notamment sur le respect par France Télécom des règles de concurrence en matière tarifaire ", au travers de l'homologation de ses tarifs relevant du service universel (cf. § 12).
201. Mais, ainsi que le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 04-D-22 du 21 juin 2004 relative à la saisine de l'Association française des opérateurs privés en télécommunications (AFOPT) et de l'Association des opérateurs de services de télécommunications (AOST) portant sur la commercialisation par France Télécom du tarif promotionnel " Primaliste longue distance ", l'approbation par le ministre compétent de l'offre tarifaire de France Télécom n'a pas pour effet de lui conférer le caractère d'un acte administratif (décision n° 98-MC-03 du 19 mai 1998). La Commission a par ailleurs souligné, dans sa décision Deutsche Telekom AG du 21 mai 2003, que " l'applicabilité des règles de concurrence n'est pas exclue, dès lors que les dispositions sectorielles concernées laissent aux entreprises qui y sont soumises la possibilité d'un comportement autonome susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence ".
d) Du fait de la structure du groupe Cégétel
202. Cégétel soutient que la mise en œuvre d'un ciseau tarifaire suppose l'intégration verticale de l'entreprise en cause, lui permettant d'abuser sur un marché aval de la position dominante qu'elle détient en amont et fait valoir que Cégétel et SFR ne peuvent être considérées comme suffisamment intégrées verticalement pour être considérées comme un seul et même opérateur pouvant mettre en œuvre une politique de tarification commune, qui profiterait à SFR au détriment de Cégétel. Elle estime que " la présence d'actionnaires minoritaires [dans les deux sociétés] ne les autorise pas à avoir une unité de comportement, conduisant par exemple à déterminer ensemble une politique tarifaire de détail " et que la SNCF, actionnaire majoritaire de Télécom Développement, n'a aucun intérêt à ce que Cégétel dans laquelle elle détient une participation de 20 %, consente des pertes dans le cadre d'une stratégie de groupe de SFR Cégétel. Elle précise encore que la CTA est facturée à Cégétel par Télécom Développement.
203. En l'espèce, la pratique de ciseau tarifaire consiste, pour un opérateur à la fois de téléphonie fixe et mobile, à pratiquer, via sa branche de téléphonie fixe, un prix de détail non compatible avec la CTA pratiquée par sa branche de téléphonie mobile. Il s'agit donc d'une pratique de groupe, au sens où l'une au moins des deux branches de l'opérateur (la branche de téléphonie fixe) n'agit pas dans son seul intérêt mais dans celui du groupe. Il s'agit également de pratiques coordonnées, au sens où l'une au moins des deux branches de l'opérateur tient compte du prix pratiqué par l'autre pour sa propre tarification.
204. Sur la période des pratiques considérées, SFR et Cégétel sont filiales à 80 % du holding Cégétel Groupe. Le groupe de téléphonie mobile britannique Vodafone détient par ailleurs 20 % de SFR tandis que Télécom Développement, détenue à 50,01 % par la SNCF et à 49,99 % par Cégétel Groupe, détient 20 % de Cégétel.
205. Télécom Développement, détenue conjointement par la SNCF, ne subit pas de pertes s'agissant de l'acheminement des appels fixe vers SFR puisque cet " opérateur d'opérateurs " paye la CTA à SFR mais la facture à Cégétel dans le cadre de sa prestation de gros d'acheminement du trafic. S'agissant de la politique tarifaire de Cégétel sur les marchés de détail de la téléphonie fixe, la position d'actionnaire minoritaire de la SNCF au sein du capital ne lui donne pas le pouvoir de la contrôler et de s'y opposer.
206. De fait, il ressort du dossier qu'antérieurement au 15 mars 2002, les offres de Cégétel proposent systématiquement un tarif fixe vers SFR moins élevé que le tarif fixe vers Orange France (sans prise en compte de l'option Convergence SFR), à l'exception des offres Pléiade de 1998 et Dialog Optimum de septembre 2001, alors que les CTA de Orange France et de SFR étaient équivalentes. Le fait que Cégétel fixe son tarif fixe vers Orange France en fonction de ses propres coûts, notamment de la CTA de Orange France, tandis qu'elle ne tient pas compte de la CTA de SFR pour le trafic fixe vers SFR est bien la preuve que la politique du groupe est coordonnée, au sens où l'une des branches de l'opérateur (la branche de téléphonie fixe) met en œuvre une politique tarifaire qui prend son sens lorsque les intérêts de l'autre branche sont également pris en compte. La coordination nécessaire à cette stratégie peut prendre place entre deux filiales du même groupe sans que l'une soit filiale de l'autre.
e) Du fait de l'orientation vers les coûts de la CTA
207. Selon SFR Cégétel, le fait que la CTA de SFR soit soumise au contrôle de l'ART et donc au principe d'orientation vers les coûts, entraîne que ce prix ne peut, par hypothèse, être ni excessif ni discriminatoire, ce qui limiterait la possibilité d'un effet de ciseau tarifaire au seul cas où le prix de la prestation offerte sur le marché aval serait "prédateur". Or, le groupe ajoute que pour pouvoir être mise en œuvre, une pratique de ciseau tarifaire " prédateur " suppose que l'opérateur qui la met en œuvre augmente ses prix dans le but de récupérer ses pertes. Or, Cégétel estime qu'il faut pour ce faire que l'entreprise soit " suffisamment dominante " pour avoir la capacité financière d'assumer une telle politique, hypothèse qui ne serait pas vérifiée en raison des pertes de SFR.
208. S'il est exact que, par décision n° 99-823 en date du 30 septembre 1999, SFR et Orange ont été reconnus par l'ART comme " exerçant une influence significative sur le marché national de l'interconnexion " au sens de l'article L. 36-7 (7°) du Code des postes et télécommunications et tenus, à ce titre, d'orienter leur tarifs d'interconnexion (c'est-à-dire leur CTA) vers les coûts, cette obligation a été mise en place de façon progressive par le régulateur, comme il ressort d'une décision de règlement de différend entre cette société et MFS Communications/MCI Worldcom (n°2000-1092 du 13 octobre 2000). L'ART a constaté, dans cette décision, que les tarifs pratiqués dans les pays européens, une fois corrigés de facteurs comme la densité et la répartition de la population dans une zone et du taux de couverture, étaient inférieurs d'au moins 20 % à ceux de France Télécom Mobiles. L'Autorité en déduit : " Que les comparaisons internationales montrent qu'une baisse des tarifs de France Télécom Mobiles est nécessaire ; Que cette baisse doit néanmoins tenir compte de l'existence en France d'un déséquilibre entre le prix des appels sortants et entrants : il apparaît en effet qu'en France, les communications entrantes sont certes plus chères que dans d'autres pays européens mais que les prix des communications sortantes sont parmi les plus bas, ce qui est un facteur de développement du marché de la téléphonie mobile ; Qu'afin de ne pas compromettre l'équilibre économique de l'activité mobile en France, il convient de donner un caractère progressif à l'orientation vers les coûts et à la baisse du prix des appels entrants. ". De fait, la baisse de CTA d'Orange initiée par cette décision, et suivie de celle de SFR, a été suivie de plusieurs autres baisses comme indiquées au § 19 ci-dessus. Il est donc inexact d'affirmer que la CTA des deux opérateurs était orientée vers les coûts au moment des faits mis en cause dans la présente affaire.
209. Le taux élevé de la CTA par rapport aux coûts effectivement supportés par les opérateurs mobiles pour la terminaison des appels sur leurs réseaux permet aux groupes France Télécom et Cégétel de pratiquer des prix bas sur les communications fixes vers les mobiles de leur réseau sans consentir à de moindres profits. S'agissant de Cégétel, la pratique incriminée ne relève pas de la prédation puisque, lorsque SFR termine l'appel, le groupe se verse à lui même la CTA et lorsque l'appel est terminé par Orange et que Cégétel doit effectivement acquitter la CTA, les tarifs sont sensiblement plus élevés (cf. § 206). Une telle pratique de ciseau tarifaire ne pose donc pas la question, comme dans le cas d'une pratique de prédation, de la récupération à terme des pertes consenties dans le but d'évincer des concurrents.
f) Du fait de la position de nouvel entrant de Cégétel
210. SFR Cégétel soutient qu'en tant que nouvel entrant dans le secteur de la téléphonie fixe, Cégétel supportait des " désavantages structurels par rapport à l'opérateur historique France Télécom " car contrairement à cette dernière, elle se devait d'investir dans les infrastructures. Or, dans un secteur comme celui des télécommunications, où les coûts de réseau sont essentiellement fixes, il est normal que les nouveaux entrants vendent à des prix inférieurs à leurs coûts, leur problème étant " de disposer des financements nécessaires pour couvrir leurs pertes jusqu'à ce qu'ils aient une taille critique permettant de générer des profits. " Dans sa décision n° 00-D-23 du 31 mai 2000, le Conseil l'aurait reconnu en indiquant qu'il est " souvent nécessaire à un nouvel entrant sur le marché de pratiquer, pour un bien ou un service donné, un prix inférieur à son coût de revient ". Au surplus, " étant donné la position historique de France Télécom sur le marché de la téléphonie fixe, ses concurrents tels que Cégétel se trouvent contraints de pratiquer des prix inférieurs à ceux de France Télécom s'ils veulent gagner des parts de marché ".
211. Cette situation débouche, selon Cégétel, sur une situation spécifique, une pratique de ciseau tarifaire produisant des effets sur un seul et même marché étant simultanément reprochée à plusieurs opérateurs, alors qu'un seul d'entre eux est dominant sur ce marché. Or, note Cégétel, c'est France Télécom qui, la première, a mis en œuvre des pratiques de réduction au volume sur le trafic fixe vers Orange France. Elle en conclut que seules les offres de l'opérateur dominant devraient faire l'objet d'un test de ciseau tarifaire. Elle fait valoir, par ailleurs, que rien n'oblige une entreprise détenant une part de marché minime, à facturer en dessous de ses coûts.
212. L'abus de position dominante que constitue une pratique de ciseau tarifaire trouve sa source, en l'espèce, à l'amont, dans la position monopoliste de SFR quant à la terminaison des appels destinés à son réseau lorsque les solutions de contournement ne sont pas significativement disponibles. L'abus dû au ciseau a lieu, à l'aval, au détriment des concurrents de Cégétel ne disposant pas d'un réseau intégré. La position minoritaire de Cégétel sur le marché aval ne change en rien l'objet de la pratique mais, éventuellement, l'importance de son effet. Par ailleurs, France Télécom a pratiqué des remises de volume sur le trafic fixe vers Orange France à partir du 1er septembre 1997 (offre Réduction au volume Fixe vers Mobile, annexe 6 du courrier du 17 mars 2000), soit antérieurement à l'ouverture du secteur à la concurrence et donc aux offres de Cégétel. Néanmoins, il appartenait à SFR Cégétel, si elle estimait ces remises illicites, d'en saisir les autorités compétentes, comme l'aurait fait tout autre opérateur de téléphonie fixe non intégré, plutôt que d'y répondre par sa propre pratique d'un effet de ciseau sur le trafic fixe vers SFR.
213. SFR Cégétel ajoute que pour compenser ses désavantages structurels, elle se devait de " proposer des offres commercialement plus attractives " auprès de " clients répondant à certains profils de consommation ". Elle prétend notamment que les offres incriminées " ne sont pas même des offres générales que tout un chacun pourrait satisfaire ". Le groupe Cégétel ajoute que ses offres " ont constitué des "sacrifices" de la part d'un opérateur fixe pour pénétrer le marché " et que globalement, une telle politique est à même de lui rapporter des clients ou de fidéliser ces derniers ou de réduire d'autres postes de charges tels que les coûts d'acquisition de la clientèle en ciblant des clients davantage sensibilisés à certaines marques du groupe. " Or, il n'est pas démontré que les autres opérateurs fixes alternatifs concurrents de Cégétel se soient trouvés dans une situation qui ne leur permettait pas également de consentir des réductions sur les appels fixe vers mobile en réduisant leur marge sur leur partie fixe de la communication téléphonique ".
214. Mais SFR Cégétel n'indique pas en quoi ses offres seraient réservées à certains clients. Les éléments versés au dossier indiquent, au contraire, que les offres incriminées sont des offres catalogue accessibles à toute entreprise, sauf en ce qui concerne les remises supplémentaires accordées exclusivement sur le trafic interne (Convergence SFR) qui sont réservées aux clients disposant d'une flotte de mobiles SFR mais qui, en tout état de cause, n'ont pas été prises en compte dans le cadre du test de ciseau tarifaire. SFR Cégétel ne précise pas non plus de quelle manière Cégétel compterait récupérer les " sacrifices " consentis, lesquels consistent, selon SFR Cégétel, à ce que Cégétel pratique un prix inférieur à son coût incrémental (lequel intègre la CTA de SFR). En réalité, ces " sacrifices " ne seront pas récupérés par Cégétel mais par SFR, au travers de la marge qu'elle dégage sur sa CTA. Cette situation distingue en particulier Cégétel des opérateurs de téléphonie fixe concurrents qui, s'ils s'alignent sur ses tarifs fixe vers SFR, supportent effectivement des pertes.
2. Sur la pertinence de la méthode utilisée pour le test
a) Le périmètre pertinent
215. Cégétel fait valoir que les offres incriminées s'inscrivent dans le cadre d'offres globales, dont la téléphonie fixe vers mobile, et a fortiori, les communications fixes vers Cégétel, ne sont qu'un élément et que la rentabilité globale des offres de Cégétel ne fait pas de doute. Elle dénonce également la segmentation excessive auquel aurait procédé le rapport, en distinguant 9 périodes et 19 types d'entreprises, ce qui conduirait nécessairement à identifier des abus potentiels d'autant plus nombreux puisque la potentialité d'abus serait d'autant plus forte que le marché est étroit. Elle estime qu'un effet de ciseau doit s'apprécier sur un marché pertinent.
216. Mais, en premier lieu, le trafic fixe vers mobile se démarque, dans le secteur de la téléphonie fixe, par une certaine agressivité tarifaire ainsi que par le recours à des moyens de contournement. Selon les représentants de MCI, ces particularités découlent du fait qu'excepté pour les grands sites, " le fournisseur retenu pour la téléphonie fixe vers mobile est choisi pour l'ensemble des prestations de téléphonie fixe, voire pour l'ensemble des services de télécommunications " (audition du 18 novembre 2002). De la même façon, T-Systems fait valoir que, ce trafic pesant pour 35 % des consommations de téléphonie fixe, " une des préoccupations majeures des entreprises en matière de téléphonie devient donc de faire baisser ce poste de coût. Il est alors impossible pour un opérateur fixe de ne pas répondre à ce besoin, sauf à perdre toute chance de vendre d'autres services de téléphonie " (courrier du 19 novembre 2002). En effet, selon les représentants de Completel, " le nombre moyen de fournisseurs par client s'établit à 1,1 " ce qui, s'agissant des clients du secteur public et des grandes entreprises, s'explique par le fait que le recours à une procédure d'appel d'offres " permet essentiellement de faire baisser les prix ", d'autant que " le marché s'est structuré autour de quelques acteurs polyvalents, les opérateurs de niche ayant en particulier quasiment disparu " (audition du 15 novembre 2002).
217. Aussi, les entreprises clientes (surtout de taille moyenne) retiennent-elles fréquemment le même fournisseur pour l'ensemble du trafic téléphonique, en portant une attention particulière aux tarifs pratiqués sur le trafic fixe vers mobile, de sorte que chaque opérateur intégré peut s'appuyer sur des tarifs attractifs sur le trafic fixe vers mobile destiné à son réseau GSM pour remporter, par effet de levier, des clients sur l'ensemble du trafic fixe vers mobile voire sur l'ensemble du trafic de téléphonie fixe.
218. A priori, la demande de communications fixes vers mobile porte sur les trois réseaux destinataires des appels puisque l'appelant n'a pas le choix du réseau mobile de son interlocuteur. Toutefois, en ce qui concerne les entreprises, le même décideur choisit le prestataire pour les communications fixes et le réseau de la flotte de mobiles de l'entreprise, les communications fixes vers les mobiles de la flotte constituant une part importante de l'ensemble des communications fixes vers mobiles de l'entreprise. Le tarif des communications fixes vers mobiles du réseau choisi pour la flotte constitue donc un critère important dans la sélection du prestataire pour l'ensemble des services de téléphonie fixe. Un ciseau tarifaire entre les tarifs des communications fixes vers mobiles d'un réseau donné et la CTA de ce réseau est alors susceptible d'évincer les offres des concurrents.
219. Ces caractéristiques justifient que l'effet d'éviction des pratiques mises en cause soit apprécié sur le périmètre des tarifs offerts par France Télécom et Cégétel pour les communications fixes vers mobiles à destination de leur réseau, d'une part aux entreprises moyennes, d'autre part aux " grands comptes ".
220. En second lieu, la segmentation opérée entre 9 profils de consommation pour les entreprises moyennes et 10 profils pour les " grands comptes " n'a pas pour objet d'identifier un effet de ciseau pour chacun de ses profils mais de mesurer cet effet de ciseau en fonction d'un calcul aussi précis que possible des revenus des offres mises en cause et de leurs coûts, ceux-ci étant fonction des profils de consommation des entreprises. Cette précision n'a pas pour effet d'accroître artificiellement la probabilité de trouver un effet de ciseau dans la mesure où celui-ci est apprécié en moyenne, sur l'ensemble des profils. Il s'avère que sur la totalité des profils examinés (hormis le profil n° 10 de novembre 2000 à janvier 2001 pour France Télécom (cf. § 67 ci-dessus) et les quatre premiers profils sur la période de janvier à juin 1999 pour Cégétel (cf § 97 ci-dessus)), la marge est négative. La marge moyenne qu'il est possible de réaliser sur ces offres est donc inévitablement négative, quelque soit la répartition de la clientèle d'entreprise entre ces différents profils de consommation. Les graphiques au § 68 (France Télécom) et au § 98 (Cégétel), ci-dessus, donnent un exemple de marge moyenne calculée pour une répartition du total égale pour chaque profil.
221. Par ailleurs, la prise en compte l'évolution au cours du temps des tarifs et de la CTA permet de déterminer s'il y a ou pas effet de ciseau à chacune des dates de la période, ce qui est sans incidence sur la probabilité, à chaque date, que l'effet de ciseau soit vérifié.
b) Les coûts pertinents
Les coûts de concurrents efficaces
222. Cégétel conteste l'utilisation des coûts de France Télécom sur laquelle repose la mise en évidence d'un effet de ciseau tarifaire puisque, s'agissant d'une pratique analysée de façon ex post, il est possible de se fonder sur la situation des concurrents eux-mêmes qui seraient plus efficaces que France Télécom. En particulier, elle soutient qu'un opérateur réellement efficace acheminerait son trafic fixe vers mobile en utilisant le reroutage international jusqu'en 2000 et les mobiles box à partir de 2001.
223. Mais l'interdiction de pratiques ayant pour effet l'exclusion de concurrents sur un marché ne peut être limitée aux pratiques qui n'excluraient que des concurrents plus efficaces que l'entreprise en position dominante qui les met en œuvre. Elle doit s'étendre à celles qui ont pour effet d'exclure des concurrents au moins aussi efficaces que lui car les tarifs de détail qui, compte tenu de la CTA, ne permettent pas à un concurrent ayant les mêmes coûts que France Télécom de faire des offres compétitives, l'accès au marché étant donc réservé à des concurrents plus efficaces, élèvent les barrières à l'entrée sur les marchés des communications fixes vers mobiles aux entreprises par des moyens ne relevant pas de la concurrence par les mérites. Dans sa décision Deutsche Telekom AG du 21 mai 2003, la Commission précise qu'" on peut conclure à l'existence d'un effet de ciseau abusif lorsque la différence entre les prix de détail d'une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l'opérateur dominant pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché aval. (...) Une marge insuffisante entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail d'un opérateur verticalement intégré occupant une position dominante constitue plus particulièrement un comportement anticoncurrentiel, dès lors que d'autres opérateurs se trouvent écartés de la concurrence sur le marché en aval, même s'ils sont au moins aussi efficaces que l'opérateur historique. " Or, comme il a été démontré en II B 2, France Télécom est dominant sur le marché des communications fixe vers mobile. Il est donc justifié de calculer le test de ciseau en fonction de ses coûts.
224. Au surplus, le fait que les nouveaux entrants bénéficient de coûts plus bas que ceux de France Télécom est contesté par l'association ETNA France qui note dans ses observations que " les nouveaux entrants ayant des réseaux vides et plus évolutifs que l'opérateur historique, ils n'arrivent pas encore à atteindre les économies d'échelle, particulièrement en ce qui concerne le gestion et la supervision du réseau ". De même, s'agissant du recours d'un opérateur efficace au reroutage international et aux solutions mobile box, il a été relevé ci-dessus que les opérateurs de téléphonie fixe ne disposaient pas, d'avril 1999 à fin 2001, de solution alternative à l'interconnexion aux réseaux GSM. En effet, comme exposé ci-dessus aux § 192 à 199, d'une part, le coût du trafic rerouté à l'international était devenu très proche du niveau de CTA tandis que la qualité était fortement dégradée jusqu'en octobre 1999, d'autre part, les solutions mobile box opérateur étaient très peu développées.
Les coûts incrémentaux
225. Cégétel considère que les coûts commerciaux pris en compte au stade du rapport ne correspondent pas à des coûts incrémentaux mais à des coûts communs à l'ensemble des produits et services fournis et précise qu'il est illusoire de vouloir isoler la part des coûts commerciaux directement attribuable au service de téléphonie fixe vers mobile.
226. Mais s'agissant de prix de détail et d'une activité qui ne peut être considérée comme accessoire à une autre, la fourniture de prestations fixes vers mobiles génère cependant des coûts commerciaux qui pourraient être évités si l'opérateur ne fournissait pas ce type de prestation.
c) Sur les évaluations retenues pour les coûts et les revenus
227. France Télécom regrette l'opacité de l'utilisation de la loi de Weibull dans le calcul de la charge de terminaison de FTM. France Télécom conteste également l'évaluation des coûts non techniques qui ne lui semblent pas refléter ceux d'un opérateur efficace, notamment parce qu'ils sont basés sur des données de l'année 1997, date à laquelle il n'y avait pas de concurrence sur les marchés de la téléphonie fixe et il était reproché aux opérateurs en monopole certaine inefficacité. Le coût de personnel retenu pour les forces de vente, de 576 KF par personne et par an, est notamment, selon elle, trop élevé et le taux de chargement environnemental de 45 % ne serait pas applicable à l'activité de vente sur le marché entrepris. France Télécom s'étonne de plus que le coût de personnel de Cégétel soit estimé à seulement 282 KF. France Télécom fournit des estimations de coûts techniques et non techniques pour 2001 dont le total s'élève à 27,11 cts d'euros la minute.
228. S'agissant des recettes moyennes calculées pour ses offres, France Télécom considère qu'il aurait été nécessaire de se baser sur les données réelles de trafic qu'elle a communiquées et non sur des estimations bâties à partir de la loi de Weibull. Elle soutient que la réalisation du test à partir du meilleur prix après remise augmente la probabilité de conclure à un effet de ciseau sur les différents segments et déplore ne pas connaître l'option tarifaire prise en compte sur chaque segment. Selon elle, prendre en compte les taux de réduction en amont appauvrit les enseignements du test. Elle obtient, avant réduction et sur la base des caractéristiques réellement constatées, un revenu moyen de 31,37 cts d'euros la minute. France Télécom dénonce encore le choix du taux de réduction le plus élevé pour une segmentation très fine de la clientèle qui ne repose pas sur la définition du marché pertinent. L'effet de ciseau sur chaque segment serait ainsi maximal alors qu'il pourrait être inférieur pour certaines entreprises du segment.
229. France Télécom conclut que compte tenu d'un coût moyen total de 27,11 cts d'euros par minute et d'un revenu moyen de 31,37 cts d'euros par minute, la réduction maximale est égale à 13,6 % alors que la réduction moyenne (expliquée dans ses observations du 30 septembre 2003) est de 10,99 %.
230. Cégétel discute également l'utilisation d'une loi de Weibull et recommande l'utilisation d'hypothèses réelles de trafic. Elle conteste, s'agissant des coûts non techniques, le coût élevé retenu pour le personnel commercial, de 576 KF par personne et par an, ainsi que la charge environnementale retenue, de 45 %. De façon plus générale, elle soutient que la plupart des hypothèses retenues dans le rapport sont contestables et en avance d'autres (page 70 à 72 de ses observations du 30 septembre 2003) sur la base desquelles elle affirme que l'effet de ciseau disparaît totalement pour la plupart des périodes examinées. Elle retient ainsi, un taux de remplissage des BPN (blocs numériques primaires) de 3,8 Mmn par an contre 2,6 Mmn pour le rapport.
231. Au total, pour la période d'avril à septembre 1999, Cégétel renvoie à ses propres observations sur la pertinence même du test en soutenant, d'une part, que les modalités de l'offre tarifaire de terminaison d'appel sur le réseau de SFR n'étaient pas encore finalisées et que d'autre part, les tarifs fixes vers mobiles étaient fixés par les opérateurs mobiles eux-mêmes (cf. § 189). Cégétel justifie ensuite les marges négatives constatées, sur la base de ses propres hypothèses, pour la période de novembre 1999 à janvier 2001, par le fait que les tarifs mis en cause avaient anticipé les baisses de CTA de SFR du 1er septembre 2000 et du 22 janvier 2001. A partir de février 2001, les calculs faits par Cégétel ne font plus apparaître d'effet de ciseau.
232. S'agissant de l'utilisation de la loi de Weibull pour l'évaluation de la distribution des entreprises en fonction de la durée de leurs communications, France Télécom et Cégétel n'ont fourni aucun élément montrant que la distribution qu'elles auraient effectivement constatée s'éloigne significativement de celle donnée par la loi de Weibull, utilisée par l'ART. Au demeurant, ces ordres de grandeur sont conformes à ceux recueillis au cours de l'instruction (audition du 3 mai 2000, France Télécom : " la durée moyenne d'une communication fixe vers mobile est de 93,7 secondes " ; audition du 7 avril 2000, MCI : " statistiquement, 60 % des appels fixe vers mobile des clients MCI Worldcom sont inférieurs à 1 minute ").
233. S'agissant des coûts techniques, la valeur de 2,6 min par an retenue par le rapport pour le remplissage des BPN figure dans la convention d'interconnexion entre SFR et Télécom Développement, en date du 29 juin 1998, et dans une note communiquée au rapporteur par l'ART, le 10 juin 2003.
234. Mais s'agissant des modifications effectuées par le rapporteur au stade du rapport, elles ont été introduites afin de tenir compte des compléments d'information apportés par les parties mises en cause et la plupart d'entre elles ont eu pour effet de diminuer les coûts ou d'augmenter les revenus et donc de réduire l'effet de ciseau évalué au stade de la notification de griefs complémentaires. Ainsi, la prise en compte d'un taux de 3,6 % d'appels acheminés en heures creuses, donnée par France Télécom, réduit les coûts. Cégétel a par ailleurs informé le rapporteur d'une modification rétroactive des charges de service universel. Le rapport a également tenu compte du fait, suivant en cela les observations de Cégétel, que certaines de ces entreprises clientes pouvaient être raccordées à une boucle locale et donc ne pas supporter la charge variable du tarif de collecte de France Télécom. Le taux d'impayés a été réduit de 7 % à 2 % pour les grands comptes et 4 % pour les entreprises moyennes.
235. En revanche, des coûts commerciaux de 3,9 % du chiffre d'affaires en 1999 à 5,08 % en 2002 ont été rajoutés conformément au principe exposé au § 226 ci-dessus. Ces évaluations ne sont pas remises en cause par les parties. Ainsi, Cégétel et France Télécom contestent certaines hypothèses utilisées dans le rapport, mais sans apporter le moindre élément probant justifiant la prise en compte d'autres montants. Cégétel conteste également la clé de répartition retenue (au prorata de la marge) et indique en utiliser d'autres comme " la prise de commande ou le temps passé par le commercial à vendre ses produits ", mais sans apporter d'éléments sur les résultats qui en découleraient.
236. Les contestations des éléments numériques entrant dans le test de ciseau sont insuffisamment probantes. Elles ne constituent pas un ensemble cohérent propre à permettre de reconstituer un test alternatif et ne rapportent pas la preuve de la non validité du test retenu par le rapport.
237. Au total, le test du ciseau tarifaire est pertinent tant ce qui concerne sa nature que son mode de calcul. Pour ce qui concerne la période durant laquelle il révèle une pratique anticoncurrentielle, elle est définie par les deux conditions cumulatives : le test fait apparaître une marge négative ; les moyens de contournement du paiement de la CTA ne peuvent être significativement mis en œuvre.
238. En conclusion, s'agissant de France Télécom, il résulte de ce qui précède qu'en pratiquant des tarifs pour les communications fixe vers Orange France pour les entreprises de taille moyenne, d'une part, et pour les grands comptes, d'autre part, entre avril 1999 et, respectivement, octobre 2000 et janvier 2001 inclus, qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la CTA sur le réseau FTM, France Télécom a mis en œuvre une pratique qui avait pour objet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises.
239. S'agissant de Cégétel, il résulte de ce qui précède qu'en pratiquant des tarifs pour les communications fixe vers Cégétel SFR pour les entreprises de taille moyenne, d'une part, et pour les grands comptes, d'autre part, respectivement depuis juin et avril 1999 jusqu'à la fin 2001, qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la CTA sur le réseau SFR, Cégétel a mis en œuvre une pratique qui avait pour objet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises.
3. Sur l'effet des pratiques
a) Les pratiques de France Télécom
240. France Télécom soutient que l'instruction n'a pas permis de démontrer que son comportement aurait constitué un frein au développement de la concurrence sur le trafic fixe vers mobile, marché sur lequel le Conseil aurait d'ailleurs constaté la vigueur de la concurrence à l'occasion de son avis n° 01-A-01. En réalité fait-elle valoir, " ce n'est pas la mise en place de ses offres mais uniquement la mise en œuvre des surcharges mobiles (...) qui a empêché les "passagers clandestins" que sont les rerouteurs de continuer à se développer ". D'ailleurs, les prix de France Télécom " se situent dans la moyenne du marché ", comme l'illustre un graphe en annexe n° 6 de ses observations. Plus encore, ses concurrents ont pu, en recourant au reroutage jusqu'au mois de novembre 2000, pratiquer " des tarifs très agressifs et en tout état de cause le plus souvent très inférieurs à ceux pratiqués par France Télécom. Quelques exemples suffisent à le démontrer : Ainsi, First Telecom proposait en février 1999 au grand public un tarif de 1,48 franc TTC par minute sans aucun engagement de volume. EasyPhone proposait un tarif de 1,18 franc HT par minute. Un peu plus tard sur la période, Cégétel Entreprises propose un tarif de 0,60 FHT par minute, World Telecom affiche un tarif standard de 1,30 à 1,99 mais propose des tarifs "sur mesure" à 0,74 FHT par minute. Télé 2 affiche 1,14 FHT par minute, SIRIS propose 1,30 à 1,55 FHT par minute... "
241. Mais sur la période comprise entre avril 1999 et janvier 2001, sur laquelle des effets de ciseau sont détectés, la part de marché de France Télécom sur le trafic fixe vers mobile des entreprises s'établissait à plus de 85 %. Par ailleurs, dans son observatoire des télécoms du 30 octobre 2000, le CIGREF estime à 79 % la part de marché détenue par Orange France sur la clientèle des grandes entreprises (75 % en valeur en 1999 selon l'étude du cabinet Pierre Audoin Conseil). Sur l'ensemble du secteur de la téléphonie mobile, la part de marché de Orange France s'établit aux alentours de 50 % en nombre de lignes.
242. Dans sa décision Deutsche Telekom AG du 21 mai 2003, la Commission a d'ailleurs considéré, dans un cas de double dominance amont et aval comparable à la situation dans laquelle se trouve France Télécom dans la présente affaire, qu'" avec la démonstration par la Commission de l'existence d'un effet de ciseau, l'abus de position dominante est donc suffisamment démontré ", sans qu'il soit nécessaire de procéder à un examen de la situation effective de la concurrence sur le marché.
243. En tout état de cause, il apparaît, en premier lieu, qu'aucun autre opérateur que France Télécom ne s'est interconnecté au réseau de Orange France avant le mois de juillet 2000, ce qui ne saurait résulter uniquement de " contraintes techniques ", comme le prétend France Télécom, puisque Télécom Développement s'interconnectait au réseau de SFR dès le mois de février 1999. Comme exposé ci-dessus, cette situation ne peut non plus s'expliquer par la poursuite à grande échelle du reroutage international.
244. En second lieu, il apparaît également que, s'agissant des grands comptes, les tarifs de France Télécom, combinés à l'instauration des surcharges, ont eu un effet d'éviction. Dans son courrier du 6 février 2001, Cégétel communique ainsi une série d'appels d'offres de 1999 portant sur le trafic fixe vers mobile de grands comptes et auxquels elle n'a pu, hormis sur le trafic fixe vers SFR, " répondre positivement ". Il s'agit des groupes Axa, Saint-Gobain, Otis, Total, Pechiney et Elf, pour un chiffre d'affaires total de plus de 100 MF. Un article du 4 octobre 1999 de La lettre des télécommunications, intitulé " seulement 3 000 portables pour IBM France mais 4,2 millions de francs de fixe vers mobile ", indiquait également que cette entreprise, après avoir retenu FTM pour sa flotte mobile pour des raisons de couverture radio, avait entièrement confié son trafic fixe vers mobile à Cégétel, qui proposait une réduction de 30 % par rapport aux tarifs de France Télécom. Mais, du fait de l'instauration des accords de surcharge, " cette aubaine a fait long feu (...) Nous avons dû changer notre fusil d'épaule en mai dernier en modifiant dans nos autocommutateurs Siemens l'acheminement de tous les 06 destinés aux abonnés de France Télécom " (c'est-à-dire du trafic fixe vers Orange France). Ce trafic a finalement été confié à " France Télécom dans le cadre de son offre "Atout RPV" ".
245. Il résulte de ce qui précède qu'en pratiquant des tarifs pour ces communications fixe vers Orange France pour les entreprises de taille moyenne, d'une part, et pour les grands comptes, d'autre part, entre avril 1999 et, respectivement, octobre 2000 et janvier 2001, qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la CTA sur le réseau FTM, France Télécom a faussé le jeu de la concurrence sur les marchés des appels fixes vers mobiles des entreprises moyennes et des grands comptes. Cette pratique, par son objet et son effet, contrevient aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce. Compte tenu de la dimension nationale du marché affecté, cette pratique est également susceptible d'affecter les échanges intra-communautaires et est donc prohibée par l'article 82 du traité CE.
b) Les pratiques de ciseau tarifaire de la société Cégétel
246. SFR Cégétel soutient que le fait qu'aucun autre opérateur que Télécom Développement ne se soit interconnecté au réseau de SFR entre février 1999 et juin 2000 ne résulte pas des tarifs fixe vers SFR de Cégétel mais du fait que les autres opérateurs alternatifs n'avaient pas encore un trafic suffisant. En effet, pour rentabiliser une interconnexion au réseau de SFR, il faudrait, selon le groupe, acheminer un minimum de 8 min/an.
247. Mais pour évaluer le trafic minimal nécessaire, il convient de rappeler que SFR Cégétel amortit les charges fixes sur un an. En retenant une période de trois ans identique à celle utilisée dans le test de ciseau (période également utilisée par l'ART dans ses tests), les données de SFR Cégétel conduisent à un trafic fixe vers SFR minimal de 2,24 min/an. Un opérateur de téléphonie fixe acheminant un tel trafic achemine donc globalement 6,72 min/an de trafic fixe vers mobile, soit une part de 0,2 % sur le marché entreprises en 1999.
248. SFR Cégétel soutient qu'elle commercialise des offres globales de téléphonie fixe et qu'en isoler un élément dans le cadre d'un test de ciseau ne peut conduire qu'à une analyse inexacte. Il aurait plutôt fallu, selon le groupe, démontrer que les opérateurs alternatifs sont contraints de subir globalement des pertes sur la téléphonie fixe uniquement en raison du tarif fixe vers SFR de Cégétel. Or, si tel avait été le cas, cela aurait conduit à leur éviction.
249. Mais, avec environ un tiers des lignes mobiles appartenant au réseau de SFR et donc environ un tiers du trafic fixe vers mobile destiné à ce réseau, Cégétel peut tirer profit de sa compétitivité artificielle sur le trafic fixe vers SFR pour remporter des clients sur l'ensemble du trafic fixe vers mobile. L'effet d'une telle pratique est sensiblement plus limité que celle mise en œuvre par France Télécom, puisque cette dernière domine le marché aval et pratique des effets de ciseau sur la moitié (au lieu du tiers) du trafic fixe vers mobile. En revanche, les effets de ciseau mis en œuvre par Cégétel couvrent une période plus longue et sont d'une ampleur plus importante. Par le biais de cette pratique durable de tarification artificielle, Cégétel, premier concurrent de France Télécom, a bénéficié d'un avantage indu dans l'exercice de la concurrence, au détriment des autres nouveaux entrants.
250. Il résulte de ce qui précède que SFR Cégétel a mis en œuvre, par le biais de Cégétel, une pratique de ciseau tarifaire anticoncurrentielle sur le trafic fixe vers SFR des entreprises de taille moyenne, d'une part, et des grands comptes, d'autre part, jusqu'à fin 2001 et, respectivement, depuis juin 1999 et avril 1999. Cette pratique contrevient, par son objet et son effet, aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce. Compte tenu de la dimension nationale du marché affecté, cette pratique est également susceptible d'affecter les échanges intra communautaires et est donc prohibée par l'article 82 du traité CE
D. Les pratiques de ciseau tarifaire liées aux mobile box (griefs 5,6 et 7c)
251. Il est reproché aux sociétés France Télécom et Cégétel Groupe de permettre aux entreprises d'utiliser leurs services de téléphonie mobile pour acheminer leurs appels fixe vers mobile par le biais de boîtiers radio, à des niveaux de prix qui se situent en deçà du coût technique supporté par un opérateur de téléphonie fixe efficace pour ce type de trafic, alors qu'elles interdisent aux opérateurs concurrents, respectivement depuis septembre 2001 et octobre 2001, de recourir à des solutions mobile box opérateur par le biais de leurs services de téléphonie mobile.
252. France Télécom soutient que les conditions générales d'abonnement de Orange France ont toujours interdit l'utilisation de ses services dans le cadre de solutions mobile box, y compris lorsque ces solutions sont mises en œuvre par une entreprise pour ses besoins propres, puisqu'une clause oblige l'utilisateur à recourir à un terminal agréé. De la sorte, le grief qui lui a été notifié s'agissant des mobile box revient à considérer comme anticoncurrentiel le simple fait d'avoir toléré les mobile box et à créer une obligation de contrôle, par Orange France, de l'utilisation de ses services de téléphonie mobile, ce qui irait au-delà de la responsabilité particulière incombant à un opérateur dominant sur un marché. France Télécom considère également qu'elle ne peut être tenue pour responsable du comportement adopté par un tiers. Elle ajoute que Orange France n'est pas matériellement en mesure d'exercer un tel contrôle. Pour sa part, Bouygues Télécom rappelle que " dans son communiqué du 4 mars 1998, l'ART avait relevé que, aux termes des licences [des opérateurs GSM, ceux-ci] n'étaient pas autorisés à proposer des offres spécifiques réservées aux utilisateurs de boîtiers de raccordement. Mais l'ART précisait, tout aussitôt, qu'elle considérait "que de tels boîtiers de raccordement, qui permettent aux utilisateurs de bénéficier de tarifs moins chers pour leurs appels à destination des mobiles, doivent pouvoir être mis en œuvre". "
253. La société Cégétel, dans ses observations, explique que, si les mobiles box ont été tolérées pour les entreprises alors qu'elles étaient interdites pour les opérateurs, c'est en raison d'un communiqué publié par l'ART le 4 mars 1998, dans lequel celle-ci préconisait une tolérance des mobile box pour les utilisateurs finaux mais n'émettait aucune recommandation particulière pour les opérateurs, position partagée par de nombreux autres régulateurs européens.
254. Au vu de ce qui précède, faute d'éléments probants quant à l'objet ou l'effet concurrentiel propre des mobile box, il n'est pas établi que France Télécom, SFR Cégétel ou Bouygues Télécom du fait de l'existence des mobile box ait contrevenu aux articles L. 420-2 du Code de commerce ou 82 du traité CE.
E. Les pratiques de ciseau tarifaire de la société Bouygues Télécom hors mobile box (grief 7, partie a)
255. Il est reproché à la société Bouygues Télécom d'avoir, à partir du printemps 1999, proposé une offre Cohesys permettant aux entreprises de passer des communications fixe vers mobile Bouygues à des tarifs ne couvrant pas les coûts variables encourus pour la fourniture de ces prestations, dont la CTA fixée pour son réseau mobile, et d'avoir ainsi, en faussant le jeu de la concurrence sur le marché des appels fixe vers mobile, abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché de la terminaison des appels sur ce réseau mobile.
256. Selon Bouygues Télécom, pour incriminer une entreprise dominante sur un marché au titre d'une pratique produisant ses effets sur un autre marché, il serait nécessaire que l'entreprise dispose, à tout le moins, d'une " prééminence " sur ce second marché (arrêt Tetra Pak du 14 novembre 1996 de la CJCE). Or, Bouygues Télécom ne dispose pas d'une telle situation sur les marchés de l'acheminement du trafic fixe vers mobile aux entreprises, de sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir mis en œuvre des pratiques de ciseau tarifaire. Bouygues Télécom estime que ses pratiques n'ont pu avoir d'effet sensible sur le marché en raison de l'" insignifiance " du nombre d'entreprises et du trafic concerné (2 419 entreprises de plus de 10 salariés et 4,8 min de trafic fixe vers mobile en 2002).
257. Bouygues Télécom, n'étant pas un opérateur intégré, n'est présent sur le marché aval des services fixe vers mobile que virtuellement au travers des réseaux privés placés sous la responsabilité des entreprises clientes (voir § 152). Dans ces conditions, la preuve n'est pas rapportée que la pratique de ciseau reprochée à Bouygues Télécom ait eu un objet contrevenant aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 CE.
258. Le volume avancé par Bouygues Télécom relève de ses offres de type VPN (Cohésys, Réseau Privé, Interne Illimité) limitées au trafic interne de l'entreprise. Bouygues Télécom commercialise également une offre Boîtier radio, qui représentait, à la mi-2002 environ 225 lignes pour un trafic d'environ 200 heures par ligne et par mois (courrier du 23 mai 2002), soit un trafic de 2,7 min par mois. Le trafic fixe vers Bouygues Télécom total de Bouygues Télécom s'établit donc à 3,1 min par mois à la mi-2002, soit 0,7 % du trafic fixe vers mobile des entreprises.
259. Or, Bouygues Télécom représente par ailleurs moins d'un sixième des lignes mobiles, de sorte qu'elle ne peut que difficilement bénéficier de sa plus grande attractivité sur le trafic fixe vers Bouygues Télécom pour remporter des clients sur l'ensemble du trafic fixe vers mobile. D'ailleurs, Bouygues Télécom n'est pas opérateur de téléphonie fixe et n'achemine pas de trafic fixe vers Orange France ou fixe vers SFR mais uniquement du trafic fixe vers Bouygues Télécom et ce, uniquement aux clients de ses services de téléphonie mobile.
260. Il ressort de ces éléments que Bouygues Télécom n'est pas en mesure de fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval de la téléphonie fixe vers mobile. Il n'est donc pas établi que Bouygues Télécom, au travers de ses offres d'acheminement du trafic fixe vers mobile réservées à ses entreprises clientes, ait mis en œuvre une pratique prohibée du fait de ses effets, même potentiels, par les articles L. 420-2 du Code de commerce ou 82 du traité CE.
F. Conclusion de l'analyse des pratiques
261. En conclusion, les circonstances de cette espèce mettent en évidence le caractère anormal de la structure des prix fixe vers mobile et mobile vers mobile au regard de l'ampleur relative des moyens techniques qu'il est nécessaire de mobiliser pour acheminer les deux types d'appels. Il ne fait aucun doute que l'application du principe de non gaspillage des moyens devrait conduire à ce que les appels fixe vers mobile utilisent la connexion directe du réseau fixe de l'appelant au réseau mobile de l'appelé, puis la boucle radio de l'appelé, alors que seuls les appels mobile vers mobile devraient mobiliser deux boucles radio : celle de l'appelant puis celle de l'appelé. Mais le niveau extrêmement élevé du prix de la mobilisation de la boucle radio du réseau de l'appelé quand il termine un appel venant d'un fixe génère une rente dont l'origine est fondée sur le monopole que chaque réseau GSM exerce sur la connexion à ses abonnés. Cette rente résulte de prix de monopole régulés ex ante pour les opérateurs puissants : le Conseil, dans la présente décision, s'est donc limité à examiner la neutralité concurrentielle de l'utilisation de cette rente et à qualifier les pratiques des opérateurs qui, parce qu'ils sont intégrés et se versent cette rente à eux mêmes, peuvent y renoncer sans subir de perte alors que leurs concurrents ne disposant que de réseaux fixes non intégrés ne peuvent s'y soustraire. Le Conseil constate que ces concurrents défavorisés ont inventé deux façons de se soustraire au paiement de la rente : le reroutage international d'abord ; les mobiles box ensuite. Il constate aussi que la technique des mobile box (le hérisson) a été adoptée par les bénéficiaires de la rente eux mêmes lorsque l'appel qu'ils traitent se termine sur un réseau GSM concurrent afin de mobiliser à leur avantage l'écart entre la charge élevée de terminaison d'appel provenant d'un fixe et le prix nul de la même terminaison d'appel puisque, selon le principe du Bill and Keep, elle n'est pas facturée.
262. Le gaspillage de moyens techniques pour un service de qualité inférieure auquel conduisent reroutage et hérissons démontre que la situation créée, quant à la cause de base, par l'incohérence qui s'attache à faire payer de trois prix très différents l'objet identique qu'est la terminaison d'appel, selon que l'appel provient du fixe, du même GSM ou d'un autre, nous place dans un optimum de second rang, c'est à dire une situation dégradée pour le surplus du consommateur. C'est pourquoi le Conseil, dans la présente décision, n'a retenu que les pratiques de ciseau tarifaire mises en œuvre par les opérateurs intégrés parce que, par leur objet et leurs effets anticoncurrentiels, elles ont diminué irrégulièrement le niveau de concurrence qui subsistait malgré la dégradation initiale. C'est pourquoi aussi le Conseil ne retient ces pratiques que pour la période où reroutage et hérissons n'étaient plus, ou pas encore, significativement utilisables, parce que ces moyens ont permis d'atténuer l'inégalité de la compétition entre opérateurs intégrés et autres opérateurs, malgré les caractéristiques économiquement très inefficaces de ces moyens : ils ont permis de retrouver une situation meilleure pour le surplus du consommateur, mais qui reste de second rang au regard du surplus qui devrait pouvoir être atteint par des régulations ex ante et ex post efficaces.
G. Sur les sanctions
263. Les infractions retenues aux § 245 et 250 ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
264. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490,17 euros ".
Sur l'imputabilité des pratiques
265. France Télécom fait valoir que la pratique de ciseau tarifaire qui lui est reprochée relève directement des conditions d'exploitation de la licence GSM et doit être imputée à la société Orange France et les entités qui l'ont précédée dans l'exploitation de cette licence. France Télécom soutient que l'affirmation selon laquelle la société Orange France ne serait pas une entreprise autonome de France Télécom est en contradiction avec l'ensemble des décisions prises par l'ART, dans lesquelles France Télécom et FTM sont distinguées, et avec les propres décisions du Conseil, à savoir les décisions n° 02-D-69, 00-MC-17, 01-D-72, 01-D-46 et 01-D-66.
266. France Télécom estime en effet qu'il n'est pas démontré en quoi elle aurait, à l'époque, interféré sur la " définition de la politique marketing et commerciale de la division " FTM. En outre, cette division aurait disposé, selon elle, d'une " autonomie technique ", au sens où elle était responsable intuitu personae de son activité de téléphonie mobile et où elle procédait elle-même aux investissements relatifs à son réseau GSM.
Sur la période antérieure à la filialisation (avril 1999-août 2000)
267. France Télécom et France Télécom Mobiles constituaient, au moment des faits, une seule et même entreprise. Les activités mobile de France Télécom étaient alors exercées au sein de France Télécom sous la marque Itinéris, dans une division dénommée " France Télécom Mobiles ", dépourvue de toute personnalité morale et qui n'est devenue une filiale de l'entreprise que le 23 août 2000.
268. Aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (cf. notamment l'arrêt du 14 mars 1997, Spie Batignolles et GTIE), s'agissant d'entités n'ayant pas la personnalité juridique, constitue une entreprise l'entité qui dispose d'une autonomie lui permettant de définir sa propre stratégie commerciale, financière et technique et de s'affranchir du contrôle hiérarchique du siège social, la charge de la preuve reposant sur la société qui invoque la responsabilité de cette entité.
269. Aucune des décisions citées par France Télécom dans ses observations ne reconnaît l'autonomie de FTM antérieurement à sa filialisation. Dans la décision n° 01-D-46, le Conseil précise même que les prix de l'ensemble des prestations téléphoniques destinées aux " grands comptes ", dont les communications fixes vers mobiles " sont fixées par la division " grands comptes " de la branche entreprises de France Télécom et non par FTM, " laquelle n'avait pas encore été filialisée et n'avait ni personnalité morale ni autonomie juridique ".
270. Le Conseil a encore considéré, dans une décision 04-D-22 du 21 juin 2004, que la division de téléphonie mobile de France Télécom n'était pas, début 1999, une entité autonome, en notant que : " la séparation comptable entre les diverses activités de l'opérateur historique a été imposée afin de garantir une allocation sincère et transparente des coûts entre les activités sous monopole et les activités en concurrence et de permettre un contrôle du respect par ce même opérateur des règles de concurrence, mais ne garantit pas l'autonomie de la politique commerciale des divisions concernées. De même, le contrôle tarifaire ex-ante des tarifs de l'opérateur historique a pour objet de vérifier le caractère abordable des prix du service universel et la loyauté de la concurrence, dans un contexte de passage de situation de monopole à celui d'une ouverture progressive à la concurrence. Le fait que les tarifs des communications mobiles ne soient pas soumis à homologation s'explique par les conditions de concurrence différentes qui prévalent sur le marché des télécommunications mobiles et non par l'autonomie de la division concernée. Enfin, le fait que les activités fixes et mobiles fassent l'objet d'autorisations distinctes ne démontre pas que les titulaires de ces autorisations sont autonomes alors que rien n'interdit à une même personne d'être titulaire de plusieurs autorisations (le cahier des charges de France Télécom évoque lui-même " les activités pour lesquelles il [l'opérateur] dispose d'une autorisation autre) ".
271. Par ailleurs, comme l'a indiqué le Conseil dans sa décision n° 95-D-66, " une entité économique ne constitue une entreprise que si ses organes dirigeants sont à même de déterminer librement une stratégie industrielle, financière et commerciale pleinement autonome ". (Décisions n° 98-D-26, 99-D-57, CA Paris, 19 janvier 1999, 2 mars 1999). Or, France Télécom et France Télécom Mobiles n'ont apporté aucun élément de nature à démontrer que les organes dirigeants de France Télécom Mobiles étaient libres de déterminer leur stratégie industrielle, financière et commerciale. Conformément à la loi n° 90-658 du 2 juillet 1990, France Télécom SA est dirigée par un conseil d'administration dont le président est chargé de mettre en œuvre la politique, conformément aux orientations définies par le conseil. Le président du conseil d'administration de France Télécom assume, sous sa responsabilité, la direction générale de France Télécom SA et la représente dans ses rapports avec les tiers. Il est assisté d'un comité exécutif, organe de direction qui réunit le président, assisté notamment des directeurs de divisions. Ce comité exécutif prend les décisions qui concernent l'ensemble du groupe et la maison mère. "
272. France Télécom n'avance, dans ses observations aucun élément de nature à montrer que des évolutions postérieures à l'époque des faits relevés dans cette décision (début 1999) devraient conduire à modifier cette analyse pour la période d'avril 1999 au 23 août 2000, date de la filialisation de FTM.
Sur la période postérieure à la filialisation (août 2000-janvier 2001)
273. Pour la période postérieure à la filialisation, France Télécom fait état d'un renforcement de l'autonomie commerciale de FTM à compter de son intégration au groupe Orange (le 29 décembre 2000) et du lancement de la marque Orange en France (le 21 juin 2001). Dans son document de référence 2002, France Télécom indique ainsi que, depuis la filialisation, les contrats et conventions entre elle et sa filiale " sont progressivement adaptés au nouveau contexte dans lequel s'inscrivent les relations contractuelles entre France Télécom et Orange France. ". Au niveau du groupe Orange, un relationship agreement a également été signé le 17 janvier 2001 avec France Télécom, soit un mois avant l'introduction en bourse d'environ 15 % du capital d'Orange, pour régir les relations entre le groupe et sa maison mère
274. Ainsi que le rappelait le Conseil dans son rapport annuel 2001, le droit de la concurrence s'applique aux entreprises et non aux sociétés dotées d'une personnalité juridique. Le terme d'entreprise peut désigner tous les opérateurs économiques qui exercent une activité commerciale et qui interviennent sur un marché, qu'ils soient constitués sous forme de société ou non, et qui disposent d'une autonomie suffisante pour décider de commettre ou de participer à la mise en œuvre d'une pratique anticoncurrentielle. S'agissant de filiales juridiquement distinctes, la CJCE, dans un arrêt du 21 février 1973, Europemballage Corporation, Continental Can a jugé que " la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère ; que tel peut être le cas lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la maison mère (...) ".
275. Aucune des décisions du Conseil citées par France Télécom à l'appui de sa thèse ne constate l'autonomie d'Orange France à l'égard de France Télécom. La décision 01-D-72 ne se prononce que sur la recevabilité de la saisine. La décision 02-D-69 rejette des demandes de mesures conservatoires présentées par UFC Que Choisir et la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie ainsi que les saisines correspondantes.
276. De fait, si les élément fournis par France Télécom sur la période postérieure à la filialisation, suggèrent que FTM/Orange France a pu acquérir, du fait de son rattachement au groupe Orange et de l'évolution de ses relations contractuelles avec France Télécom, une plus grande autonomie vis-à-vis de cette dernière à compter de l'année 2001, il n'apparaît pas que la filialisation, à elle seule, ait, entre août et décembre 2000, conféré une autonomie suffisante à FTM en matière de politique commerciale.
277. Par exemple, la coordination des tarifs de détail fixes vers Orange France et de la CTA du même réseau, avec la prise en compte des coûts réels de terminaison d'appel et non de la CTA, favorisée jusqu'à l'inversion des licences le 1er novembre 2000, par leur fixation au sein de la division FTM, s'est poursuivie postérieurement à la filialisation de FTM comme le montre la persistance de l'effet de ciseau tarifaire jusqu'en janvier 2001.
278. Enfin, en estimant l'autonomie d'Orange France dans les circonstances de l'espèce, le Conseil n'entend pas juger de l'autonomie ou de la non autonomie d'Orange France au regard de la totalité de ses pratiques possibles. Toute entreprise filiale possède généralement une marge d'autonomie vis-à-vis de sa maison mère. Mais s'agissant, comme en l'espèce, d'une pratique de ciseau, à objet anticoncurrentiel, entre le prix de services fournis par la mère et celui de ceux fournis par la fille, la coordination des deux prix est nécessaire ce qui ne peut être le fait que de la mère. Supposer que la mère et sa fille ont fixé, indépendamment l'une de l'autre, chacune ses prix reviendrait à admettre que l'effet de ciseau ne résulte que du hasard, ce que France Télécom ne soutient pas.
279. Au surplus, des éléments postérieurs au rattachement de FTM au groupe Orange suggèrent que l'autonomie d'Orange France est restée relative. Ainsi, une convention signée le 17 janvier 2001 entre France Télécom et Orange prévoyait que la politique financière de la filiale devrait être menée en étroite collaboration avec la maison mère.
280. Il résulte de ce qui précède que la pratique prohibée qualifiée au § 245 est imputable à la société France Télécom, maison mère du groupe. Cégétel
281. Le degré d'intégration du groupe Cégétel est très poussé comme en témoigne la description du groupe Cégétel dans le document de référence de Vivendi de 2001 : " cette présence et cette dimension globale sont au cour du projet d'entreprise du groupe Cégétel ", dont la stratégie consiste " à investir dans des réseaux de télécommunications qui lui sont propres afin de fournir à ses clients un large éventail de services (...) ". Le Comité exécutif du groupe comprend outre le président, un directeur adjoint et des directeurs généraux pour l'administration et les finances, la branche réseaux et systèmes ainsi que les affaires sociales et les ressources humaines, le DG de Cégétel et le DG de SFR, également DG adjoint du groupe. Il ressort de plus des éléments relevés aux § 202 à 206 ci-dessus que la pratique de ciseau relevée est une pratique coordonnée entre les sociétés Cégétel et SFR, prenant son sens parce qu'elles ont deux filiales du même groupe.
282. La pratique est donc imputée à la maison mère du groupe, à l'époque des faits, Cégétel Groupe. Le 18 décembre 2003, la Compagnie financière pour la radiophonie (Cofira) a absorbé la société SFR avant de fusionner avec la société Cégétel Groupe, laquelle a ensuite changé de dénomination pour s'appeler SFR. Cette pratique est donc imputable à la société SFR.
Sur la gravité des pratiques
283. S'agissant de France Télécom, la pratique revêt une gravité particulière compte tenu de sa position d'opérateur historique qui lui confère une position dominante sur les marchés de la téléphonie fixe, notamment sur le marché aval affecté en l'espèce, et lui donne la maîtrise de beaucoup des paramètres dont dépendent les conditions de l'entrée sur le marché de nouveaux concurrents, tels que, en l'espèce, les modalités du rééquilibrage entre le trafic entrant international et le trafic entrant national. L'opérateur historique dispose, de plus, d'avantages concurrentiels déterminants, notamment en termes d'intégration verticale et de présence sur l'ensemble des marchés, qui rend d'autant plus grave son recours à des pratiques ne relevant pas d'une concurrence par les mérites.
284. La pratique de ciseau tarifaire de SFR Cégétel se distingue quant à elle par une ampleur et une durée des effets de ciseau constatés plus fortes que dans le cas de France Télécom. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que, nouvel entrant sur les marchés de la téléphonie fixe, Cégétel n'a pu prendre que tardivement conscience de la responsabilité particulière que lui donne, sur les marchés avals, son pouvoir de marché sur la terminaison d'appel sur le réseau SFR.
Sur le dommage à l'économie
285. Le rapport propose une quantification de l'ampleur de chaque pratique de ciseau tarifaire, égale à la perte totale, par rapport au coût incrémental, qu'aurait supporté, sur chaque marché pertinent, un opérateur aussi efficace que l'auteur de la pratique mais non intégré, s'il avait pratiqué les mêmes tarifs de détail sur le trafic fixe vers mobile destiné au réseau de ce dernier, pour la même clientèle et le même volume de trafic. Il en ressort un montant d'environ 114 Meuros pour les pratiques de France Télécom entre avril 1999 et janvier 2001 (747,4 MF) et 12 Meuros pour les pratiques de SFR Cégétel entre avril 1999 et décembre 2001.
286. En séance, le rapporteur a reconnu, s'agissant de France Télécom, que ce montant ne pouvait mesurer le dommage à l'économie puisqu'il s'agissait de la somme des remises accordées à ses entreprises clientes, ce qui correspondait donc à un bénéfice pour le consommateur à court terme. Mais, considérant que ces remises avaient été financées par le caractère élevé de la CTA de Orange France, le rapporteur en a déduit que France Télécom avait dégagé un surprofit en pratiquant une CTA non compatible avec son tarif de détail le plus bas sur le trafic fixe vers Orange France (1,634 francs/min entre janvier et juin 1999 et 1,621 francs/min entre juillet 1999 et janvier 2001, cf. § 66). Sur ce surprofit, évalué à plus de 244 Meuros (entre avril 1999 et octobre 2000, période principale des effets de ciseau), une part d'environ 10 % (soit 24 Meuros) correspondrait alors au fait que les nouveaux entrants ont payé une CTA trop élevée pour pouvoir concurrencer France Télécom, tandis que, sur les autres 90 % (soit 220 Meuros), correspondant au trafic acheminé par France Télécom, seuls 114 Meuros auraient alors été reversés aux entreprises clientes par le biais des remises, les 106 Meuros restants mesurant alors la perte de surplus des entreprises clientes du fait qu'elles n'ont pas toutes bénéficié du tarif de détail le plus bas eu égard au système des remises au volume.
287. Mais le dommage causé à l'économie par une pratique anticoncurrentielle ne peut correspondre qu'à l'impact effectif, à court et long terme, de cette pratique sur l'équilibre en prix et en quantités issu de la rencontre de l'offre et de la demande sur les marchés concernés.Or, en l'espèce, rien ne permet d'affirmer avec certitude que, si France Télécom n'avait pas mis en œuvre de pratiques de ciseau tarifaire, elle aurait alors pratiqué une CTA plus basse, de sorte que son niveau de CTA pourrait être considéré comme excessif a posteriori, ni de déterminer à quel niveau la CTA se serait alors fixée. En tout état de cause, étant donné le caractère global de l'équilibre recherché par les opérateurs GSM entre leurs activités de détail et d'interconnexion, on ne peut non plus affirmer avec certitude qu'une baisse de CTA n'aurait pas entraîné une hausse des tarifs de détail de la téléphonie mobile, de sorte que, collectivement, les consommateurs auraient pu y perdre.
288. S'agissant d'une pratique d'éviction, un dommage découle, en revanche, de l'affaiblissement des concurrents, ce qui conduit, à long terme, à une moindre intensité de la concurrence sur les marchés considérés, à des prix plus élevés et à un plus faible surplus du consommateur. Mais l'évaluation d'un tel dommage, à supposer que la collecte des données nécessaires soit possible, est en l'espèce rendue impossible par le fait que, d'une part, les sorties du marché, nombreuses depuis la commission des pratiques, ne sauraient être imputées aux seuls effets de ciseau sur le trafic fixe vers mobile dès lors que le secteur a connu entre temps un retournement de conjoncture suivi d'une phase de consolidation. D'autre part, le développement des solutions mobile box opérateur depuis 2002 rend délicate l'appréciation du caractère concurrentiel ou non des prix pratiqués par les acteurs présents sur les marchés de l'acheminement du trafic fixe vers mobile des entreprises.
289. Il n'en demeure pas moins qu'en s'appuyant sur le pouvoir de marché qu'elles détenaient en amont, s'agissant de la terminaison d'appel sur leurs réseaux mobiles, les groupes France Télécom et Cégétel, opérateurs intégrés sur les marchés de la téléphonie fixe et mobile, ont, en premier lieu, retardé l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché des communications fixes vers mobiles.L'interconnexion directe d'opérateurs alternatifs au réseau mobile de France Télécom n'a en fait débuté qu'en juillet 2000. En ce qui concerne le groupe Cégétel, alors que l'interconnexion directe de Telecom Développement au réseau SFR a été réalisée en février 1999, celle des autres opérateurs tiers n'est intervenue qu'à partir de juin 2000. L'effet de ces pratiques sur l'intensité de la concurrence sur le marché des communications fixes vers mobiles a été d'autant plus important que, à partir du début de l'année 1999, le reroutage n'a plus permis que de façon marginale de bâtir des offres concurrentes compétitives. Le fait que beaucoup d'entreprises ne s'adressent qu'à un seul fournisseur pour l'ensemble des prestations de téléphonie fixe constitue de plus un facteur de transmission de ces déséquilibres aux autres marchés de la téléphonie fixe.
290. L'impact de ces déséquilibres sur les prix payés par les entreprises pour leurs communications reste cependant difficile à mesurer, toutes choses égales par ailleurs, particulièrement dans un contexte marqué par l'ouverture récente à la concurrence du secteur. On peut toutefois relever que les communications téléphoniques représentent une charge importante pour les entreprises et que leur prix est en conséquence susceptible d'influer de façon non négligeable sur leur rentabilité. Les seules communications fixes vers mobiles se sont élevées, pour l'ensemble des entreprises, à 1 260 millions euros en 1999 (cf. § 20 ci-dessus : 55,8 % de 14,8 Mds de francs) et à 1 460 millions euros en 2000 (cf. § 20 ci-dessus : 53,4 % de 17,9 Mds de francs), soit 2 720 Meuros sur la durée des pratiques, 80 à 90 % de ces communications étant acheminées par France Télécom.
Sur la situation particulière des entreprises
291. La société France Télécom a réalisé en France, au cours de l'exercice 2003, un chiffre d'affaires hors taxes de 19 248 465 111 euros.
292. En vertu du principe non bis in idem, il convient de déterminer le montant de la sanction en tenant compte de la sanction déjà infligée dans le cadre de la décision n° 01-D-46 du Conseil, au titre de la pratique de ciseau tarifaire mise en œuvre à l'occasion de l'offre sur mesure à la société Renault. Dans le cadre de ce dossier, les remises hors catalogues accordées s'établissaient au total à 13,5 MF, dont 2,7 MF au titre du trafic fixe vers mobile. Une sanction totale de 40 MF avait été infligée à France Télécom.
293. Compte tenu des éléments généraux et individuels appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à France Télécom une sanction pécuniaire de 20 Meuros, avant de prendre en compte l'effet de non bis in idem, ramené à 18 Meuros après cette prise en compte.
294. La société SFR a réalisé en France, au cours de l'exercice 2003, un chiffre d'affaires hors taxes de 6 591 505 232 euros.
295. Compte tenu des éléments généraux et individuels appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à SFR une sanction pécuniaire de 2 millions d'euros.
Décision
Article 1er : Il est établi que les sociétés France Télécom et SFR ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 82 du traité CE.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* à la société France Télécom une sanction de 18 000 000 euros ;
* à la société SFR une sanction de 2 000 000 euros ;