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Décisions

CA Toulouse, 3e ch. corr., 3 décembre 1992, n° 1155

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Delpech, Silvestre

Avocats :

Mes Hanoun, Serieys, Lamouroux, Etelin, Merle.

TGI Toulouse, ch. corr., du 6 mai 1992

6 mai 1992

La cour statuant sur les appels successivement et régulièrement formés dans les délais légaux par Robert C, Mireille C1 épouse C, Dominique M, prévenus, et le Ministère public, agissant à l'encontre des quatre prévenus, du jugement rendu le 6 mai 1992 par le Tribunal correctionnel de Toulouse ;

M. Robert C, Mme Mireille C, M. Dominique M et M. Jean Michel B, prévenus, régulièrement cités sont présents et assistés de leur conseil la décision sera contradictoire.

Les époux C font plaider leur relaxe en faisant valoir qu'ils sont étrangers à l'Atelier pour l'Emploi ainsi qu'aux Etablissements X et qu'ainsi leur responsabilité pénale ne saurait être recherchée faute d'avoir jouer le moindre rôle dans la commission des infractions. M. C indique encore que son seul souci était d'organiser la commercialisation des produits fabriqués par l'atelier protégé afin de trouver l'investissement nécessaire pour développer les activités et donc l'embauche des personnes protégées. Mme C précise qu'elle n'a aucune responsabilité pour ce qui concerne le défaut de label ainsi que pour la publicité mensongère et qu'elle ne voit pas en quelle qualité elle pourrait être condamnée de ces chefs ;

M. M fait lui aussi plaider sa relaxe, car il estime avoir agi, à propos des infractions liées au défaut de label, sans intention frauduleuse. Il s'estime de plus victime d'un règlement de compte politique local ;

Le Ministère public requiert la confirmation des sanctions prononcées sauf en ce qui concerne B qu'il estime coupable d'infraction au label, car le label vise non l'institution mais le produit fabriqué, et invoquant un argement de texte il précise que le terme "quiconque" employé par l'article L. 361 du Code du travail vise tant ceux qui sont impliqués dans le circuit commercial et la distribution des produits donc M. B. De même est-il encore requis la condamnation des prévenus du chef d'escroquerie, le Ministère public estimant qu'il y a au fasse entreprise car les buts de l'association ont été dévoyés et le circuit commercial organisé était inspiré par un souci de lucre, étranger à l'objet de l'Association ;

B fait plaider la confirmation du jugement déféré et sa relaxe en faisant valoir qu'il avait été tenu à l'écart du fonctionnement de l'APE et du CAT et que d'ailleurs il n'assistait pas aux conseils d'administration. Il fait observer qu'il est arrivé au CAT en 1989, alors que cet établissement commercialisait depuis 1976 des produits sans le label. Il affirme avoir agi de bonne foi ;

Les faits

En juin 1987, la préfecture de la Haute Garonne et plus précisément la DDASS initiait me enquête sur le fonctionnement de l'Association "Vivre à Couret" et en août 1987 le préfet du département portait plainte en raison d'une présomption de l'utilisation abusive du label "handicapé" à des fins purement commerciales et lucratives ;

L'association "Vivre à Couret" a été fondée en 1973 par Dominique M qui en est le président et qui en 1976 créer un CAT puis en 1986, l'APE (Atelier pour l'Emploi). Celui-ci n'a aucune forme juridique spécifique et l'on peut seulement noter qu'il succède dans la temps à l'APEH (Atelier de Production et d'Emploi pour Handicapé) créé par C à Roissy en Brie en 1983 et qui a cessé sas activités le 31.03.1986 à la suite du refus des autorités de lui accorder le label, et à l'établissement le 24.05.1985 d'un PV pour commercialisation sous l'enseigne portant le terme "Handicapé". L'APE fonctionne d'ailleurs avec certaines machines et des produits provenant de l'APEH, dont il parait difficile de déterminer si ces équipements ont été offerts comme le prétend M. C à l'APE ou s'ils ont été payés, peut être par le truchement de nota de frais comme cela semble résulter de l'instruction ?

C'est pourtant en janvier 1987 que M. M a contacté l'inspection du travail pour obtenir des renseignements relatifs à la création d'un atelier protégé et n'a déposé son dossier qu'en juillet 1987 et indiqué, en août 1987, à l'inspecteur qu'il voulait transformer une activité qui existait à Roissy et qu'il avait reprisa

Auparavant, en 1985 C avait contacté B en lui proposant de représenter le CAT et une délibération du CA de l'Association au cours d'une réunion du 29.04.1986 faisait état d'une possibilité de reprise de l'APEH de Roissy

Le CAT qui compta 5 ateliers, chercha alors des débouchés, et sous l'impulsion de C, engagé en 1985, va connaitre une forte augmentation de sa clientèle qui passa de 331 clients en 1985 et après la création de l'APE en 1986 à 1912 clients en 1987

C au statut mal défini, mais aux talents de vendeur indéniables réalise en 1987 un chiffra d'affaires de 1 700 000 F sur lequel il touche une commission de 595 219 F ;

Les produits issus de l'APE sont vendus par une équipe de 8 à 15 représentants opérant dans le Nord et la région parisienne, placés sous la responsabilité de Mme C engagée en 1987 pour superviser, centraliser et traiter leur commande. Elle travaille dans des bureaux loués à Boulogne par l'APE et touche une commission de 7 % qui lui a rapporté au titre de 1987 la somme de 624 830 F ;

La comptabilité de l'APE était tenue grâce à l'ordinateur de la SARL X dont la gérante était Mme M alors que M. M par ailleurs Maire de Couret (ce qui explique la désignation du Juge d'instruction de Toulouse par la chambre criminelle de la Cour de cassation) y était employé en qualité de représentant ;

Selon M. B un seul handicapé provenant du CAT était employé par l'APE. Mme Sarradet, responsable de l'atelier, cousine de Mme M indiquait que dans un premier temps un handicapé avait été employé puis ultérieurement un deuxième, Salon l'inspecteur du travail, deux handicapés étaient présents le jour de son contrôle, non pas salariés de l'APE mais mis à disposition par le CAT ;

Le 14.10.1986, l'Inspecteur du travail dressait PV à l'encontre du CAT pour usage illégal de label après avoir constaté que le catalogue présenté par le CAT à la clientèle faisait état de sa raison sociale sous la forme "CAT Le Cominge" de même que certains articles de papeterie, la facturation faisant état d'une fabrication par des travailleurs handicapés. Le 3.12.1987 un autre PV était dressé à l'encontre de l'APE les facturas et bons de livraison remis aux clients portant la mention "Association Vivre à Couret, Insertion - réinsertion socioprofessionnelle des Handicapés". Ni le CAT, ni l'ABE n'avaient déposé de demande de label, même si par lettre du 20.10.1986, B s'était renseigné auprès de l'inspection du Travail à ce sujet et avait reçu une réponse par lettre du 25.11.1986 rappelant par ailleurs les textes répressifs en la matière, dont il a déclaré à l'audience du tribunal avoir perdu le souvenir ;

La comparaison d'une facture CAT - APE et une facture APE client faisait ressortir des coefficients multiplicateurs pouvant atteindra J4, que les clients acceptaient, convaincus que les produits provenaient du travail d'handicapés. Il était encore constaté que la plupart des produits négociés dans le cadre de l'APE ne transitaient même pas par Couret, mais étaient livrés directement à l'atelier parisien ;

Il conviant encore d'observer à ce propos qu'une liste de produits est fixée par arrêté ministériel, qui font l'objet d'une priorité d'accès aux marchés publics pour les entreprises ayant obtenu l'agrément de l'article 175 du Code de la famille et de l'aide sociale brosserie, savons, encaustiques, et qu'il s'agit précisément du domaine d'activité de l'APE et que sont précisément démarchés les clients qui ont des raisons soit de se soumettre à ces priorités (communes, établissements publics) soit d'y sacrifier en contrepartie de leur obligation d'employer des travailleurs handicapés ;

B précisait qu'aucune publicité n'était faite par le CAT, saule apparaissait sa raison sociale, le mot handicapé n'apparaissant sur les factures, qu'après transaction. Des bons de commande étaient néanmoins édités, portant la mention "handicapé" par le CAT au profit de l'APE, ainsi que des cartes de visite et papiers à en-tête. Un catalogue édité par l'APE pour la vente de ses produits portait référence à l'association et la mention " handicapé " ainsi d'ailleurs dans les dernières pages, des vêtements X, sous la rubrique APE, alors qu'aucun handicapé n'était employé par cette société ;

Une trentaine de clients était contactée par des enquêteurs sous forma de questionnaire. Les réponses obtenues démontrant que ceux-ci avaient contracté de l'APE car il s'agissait de fabrication par des handicapés, soit par obligation légale, soit dans un but humanitaire

Sur quoi,

LA COUR,

Attendu que l'analyse des articles 362-2 et R. 323-10 du Code du travail, ainsi que l'a d'ailleurs justement souligné le tribunal, démontre que les travailleurs handicapés ne sauraient être destinés à accomplir un travail susceptible de générer des profits comparables à ceux du marché ordinaire de l'emploi et que l'utilisation du label, ne peut, sans être viciée et détournée de sa finalité favoriser la création d'une exploitation de type commerciale classique avec recherche continuelle du plus grand profit quand bien même ce serait pour dégager de nouveaux emplois destinés à des handicapés ainsi que l'a soutenu M. C ;

Attendu que l'article L. 323-8 du Code du travail prévoit que les employeurs peuvent s'acquitter partiellement de l'obligation d'emplois d'un pourcentage de travailleurs handicapés "en passant des contrats de fournitures, de sous-traitance ou de prestation de service ou des ateliers protégés.., ou des centres d'aide par le travail (CAT)" ;

Qu'ainsi cas CAT ont la possibilité de commercialiser leur production auprès d'employeurs astreints à une obligation légale et dont ils doivent pouvoir justifier qu'ils l'ont effectivement rempli par la production notamment, de documents portant l'origine des fournitures et donc, quant il s'agit d'un CAT, la raison sociale de celui-ci ;

Que le tribunal a justement déduit qu'il en résultait que toutes les transactions ainsi effectuées sous le nom du CAT en référence au nom de l'association contenant le mot handicapé, ne tombaient pas sous le coup de l'article L. 362-2 puisque justifiées par l'article L. 323-8 du Code du travail, et que c'est donc à juste titre que les prévenus B, Robert C et M ont été renvoyés des fins des préventions liées à ces faits ;

Attendu cependant que toutes les transactions effectuées pour le compte de l'APE tombent en revanche sous le coup de la loi, l'APE n'étant ni en droit ni en fait un atelier protégé n étant pas titulaire du surcroît du label et qu'ainsi seront retenus de ces chefs las prévenus M (tant pour l'ARE que pour X), Mme C ainsi que N. C dont le réseau commercial, primitivement mis en place par lui au titre de l'APEH, était utilisé pour écouler les produits APE ;

Attendu qu'aucun contrat visé à l'article 408 du Code pénal n'existe en l'espèce et que dès lors les abus de confiance reprochés aux prévenus ne sauraient être constitués ;

Attendu que l'édition d'un catalogue au profit de l'APE qui contient l'appellation "Atelier" associée à la raison sociale de l'association qui contient quant à elle le mot "handicapé" manifestement employée pour créer une confusion de la notion d'atelier protégé, caractérise le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur alors surtout que l'APE non seulement n'est pas un atelier protégé, mais qu'il ne pourrait même y prétendre comme l'a souligné le tribunal, l'effectif des handicapés étant insuffisants par rapport à celui du personnel valide ;

Que seront retenus de ces chefs les prévenus M, Robert C et Mireille C, celle-ci en dépit de ses dénégations ayant en sa qualité de responsable des représentants immanquablement utilisé ce catalogue ;

Attendu que ledit catalogue mentionnait également certains produits émanant de la SARL X, par ailleurs fournisseur du CAT qu'ainsi se trouve encore caractérisé le délit de publicité mensongère à l'encontre de M et Robert C, puisque la SARL était totalement indépendante de l'Association "Vivre à Couret" ;

Que de même aucun handicapé n'ayant travaillé dans la SARL X, les ventes même peu nombreuses, effectuées à partir dudit catalogue, caractérisent le délit de tromperie à l'encontre de M et de Robert C ;

Attendu que c'est à juste titre que le Tribunal a écarté les poursuites de délit d'escroquerie après avoir souligné que l'association "Vivre à Couret" n'était pas une fausse entreprise, pas plus que le CAT et que l'ARE avait néanmoins employé quelques handicapés même s'ils étaient peu nombreux :

Attendu que B directeur du CAT s'est cantonné à ce rôle et n'est intervenu que dans le cadre de cet établissement dans des conditions régulières pour mener des activités dont il a été démontré qu'elles ne tombaient pas sous le coup de la loi pénale et qu'il conviendra dans ces conditions de confirmer la décision de relaxe dont il a bénéficié ;

Attendu dans ces conditions que les premiers juges ont en des énonciations suffisantes et des motifs auxquels la Cour se rapporte après les avoir expressément adoptés, exactement exposé les faits de la cause et les ont justement appréciés en :

1) Relaxant

- Jean Michel B des fins de l'ensemble des poursuites

- tous les prévenus des délits d'abus de confiance et d'escroquerie

2) Constatant

- que le délit d'infraction au label n'était pas constitué pour ce qui concerne l'activité du CAT ainsi que celui de tromperie pour ce qui concerne les ventes intervenues sous le seul couvert de l'APE

3) Déclarent coupables

a) Dominique M

* d'infraction aux labels (APE), de tromperie pour X et de publicité mensongère (APE et X)

b) Robert C

* d'infraction aux labels (ARE), de tromperie pour X et de publicité mensongère <ARE et X)

c) Mireille C

* d'infraction aux labels (ARE), de publicité mensongère pour ARE

Attendu que le jugement déféré sera donc confirmé sur les déclarations de culpabilité ainsi définies ;

Attendu cependant en ce qui concerne l'application des peines que la cour confirmera également celles infligées à M et Mireille C qui tiennent un juste compte de la gravité des faits et des comportements des auteurs et qu'elle aggravera la peine de Robert C en le condamnant à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 150 000 F d'amende ; qu'en effet, celui-ci est apparu tout au long de l'instance comme l'instigateur principal du réseau commercial mis en place et son principal bénéficiaire dont il tirait de substantiels profits, alors qu'il ne pouvait ignorer les infractions qu'il commettait en raison de sa fraîche et précédente expérience dans le cadre d'une entreprise similaire.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort Déclare recevables les appels successivement interjetés à l'encontre du jugement du 6 mai 1992 ; Confirme ledit jugement en ce qu'il a prononcé la relaxe de Jean Michel B ; Confirme ledit jugement - sur les déclarations de culpabilité - sur les peines prononcées à l'encontre de Dominique M 1 an d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F d'amende ; Le Président a pu donner au condamné l'avertissement prévu par l'article 737 du Code de procédure pénale en raison de son absence à l'audience de lecture de l'arrêt. Mireille C 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 F d'amende ; Le Président n'a pu donner au condamné l'avertissement prévu par l'article 737 du Code de procédure pénale en raison de son absence à l'audience de lecture de l'arrêt. - sur les mesures de publicité ordonnées publication par extraits du présent arrêt contenant las éléments développés des préventions retenues, dans les journaux La Dépêche du Midi, édition de Toulouse Le Monde Le coût de chacune de ces publications, aux frais du condamné, ne dépassant pas la somme de 5 000 F Reforme ledit jugement sur la peine infligée à Robert C et le condamne à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 150 000 F d'amende. Condamne M Dominique, C Robert et C Mireille aux dépens. Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale Le tout en vertu des textes susvisés ; Ordonne que le présent arrêt soit mis à exécution à la diligence de Monsieur le Procureur Général.