Conseil Conc., 12 octobre 2004, n° 04-D-47
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Exécution de la décision n° 03-D-12 du 3 mars 2003
Le Conseil de la concurrence, (Commission Permanente),
Vu la lettre enregistrée le 29 décembre 2003 sous le numéro 03/0095R, par laquelle le ministre a saisi le Conseil de la concurrence du non respect de l'injonction prononcée par le Conseil dans sa décision n° 03-D-12 du 3 mars 2003 relative à des pratiques relevées dans le secteur des escaliers préfabriqués en béton ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 3 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 25 novembre 2003 ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et celles des sociétés L'industrielle du béton, Morin système et architectonique (MSA), Normandie béton, Prefa 26, Prefall et Socarel ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés L'industrielle du béton , Morin système et architectonique (MSA), Normandie Béton, Prefa 26, Prefall, Socarel et Le Béton Mécanique entendus au cours de la séance du 14 septembre 2004, les autres sociétés ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. La saisine
1. Par décision en date du 3 mars 2003, le Conseil de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires de 675 000 euros à la société Morin système et architectonique (MSA), de 500 000 euros à la société L'industrielle du béton, de 400 000 euros à la société Socarel, de 200 000 euros à la société Normandie béton et à la société Prefall, de 115 000 euros à la société Le Béton mécanique, de 75 000 euros à la société Prefa 26, de 12 400 euros à la société Préfabrication O-P Lafarge (OPL) et de 10 000 euros à la société Lafarge béton Prefa.
2. Cette décision a été notifiée aux entreprises le 5 mars 2003 par lettres recommandées, huit d'entre elles en accusant réception le 6 mars : les sociétés L'industrielle du béton, Le Béton mécanique, Morin système et architectonique (MSA), Normandie Béton, Prefa 26, Prefall, Préfabrication O-P Lafarge (OPL) et Lafarge béton préfa, et la neuvième, la société Socarel, le 10 mars 2003.
3. Il a également ordonné à ces mêmes sociétés de faire publier, dans un délai de trois mois à compter de la notification, la seconde partie ainsi que le dispositif de la décision, dans les revues "Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment" et la "Revue technique du bâtiment et des constructions industrielles" sous le titre : "Décision du Conseil de la concurrence relative à des pratiques relevées dans le secteur des escaliers préfabriqués en béton", à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires.
4. En application des dispositions des articles L. 462-5 et L. 464-8 du Code de commerce, le ministre a saisi le Conseil de la concurrence, le 29 décembre 2003, pour non respect de cette injonction.
B. Les comportements des entreprises
5. La société Morin système et Architectonique (MSA) a contesté la décision du Conseil devant la cour d'appel de Paris. Elle a également introduit, le 4 avril 2003, une demande de sursis à exécution de cette décision. Le 20 mai 2003, le conseiller délégué par le premier président de la cour a ordonné le sursis à l'exécution de payer la sanction pécuniaire, mais n'a pas fait droit à la demande de sursis en ce qui concerne l'exécution de l'injonction de publier la décision du Conseil, précisant toutefois que la décision pouvait être assortie d'une mention faisant état du recours introduit.
6. Le 26 juin 2003, l'avocat de la société MSA, mandaté par toutes les sociétés, a contacté les revues désignées sur les conditions et le coût de la publication de la décision du Conseil de la concurrence. A la suite de cette démarche, le 2 juillet 2003, la "Revue Technique du Bâtiment" a indiqué, qu'en raison de la périodicité de la revue, l'annonce ne pouvait paraître que dans le numéro 217, correspondant à une parution fin septembre, sous réserve que le bon de commande lui parvienne, avec la totalité du règlement, avant le 15 septembre 2003 (annexe C, cote 34). Quant à la revue "le Moniteur des Travaux Publics", elle a envoyé son devis le 17 juillet 2003, en précisant qu'elle ne pouvait procéder à l'insertion que si elle recevait la totalité du règlement.
7. Le 19 septembre 2003, la seconde partie de la décision n° 03-D-12 du Conseil ainsi que le dispositif sont publiés dans la revue "le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment"(annexe C, cote 55). Fin septembre, il en est de même dans le numéro 217 de "la Revue Technique du Bâtiment et des Constructions Industrielles"(annexe C, cote 65). Ce numéro correspond aux mois de septembre/octobre, car la revue est bimestrielle.
II. Discussion
A. Sur le principe du respect de l'injonction de publication
8. Les sociétés Normandie Béton, Prefa 26 et Socarel contestent la possibilité pour le Conseil de prononcer une sanction pour non respect d'une injonction de publication.
9. Mais l'article L. 464-3 dispose que : "Si les mesures et injonctions prévues aux articles L. 464-1 et L. 464-2 ne sont pas respectées, le Conseil de la concurrence peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l'article L. 464-2". Il en résulte que le Conseil peut sanctionner des entreprises qui ne se sont pas conformées à une injonction, prononcée en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce. L'injonction de publier aux frais de l'entreprise la décision est au nombre des injonctions prévues par cet article L. 464-2.
10. La société Morin système et Architectonique (MSA), conteste le droit, pour le Conseil, d'infliger une sanction tant que toutes les voies de recours n'ont pas été épuisées et que la décision du Conseil ordonnant cette injonction n'est pas devenue définitive.
11. Selon les termes de l'article L. 464-7 alinéa 2, "Le recours n'est pas suspensif. Toutefois, le premier président de la cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité". Il en résulte que les décisions du Conseil sont exécutoires de plein droit, dès leur notification aux entreprises concernées. Seul le sursis ordonné par le premier président de la Cour d'appel de Paris peut suspendre ce caractère exécutoire.
12. Les sociétés Normandie Béton, Prefa 26 et Socarel font valoir que l'injonction a été respectée, puisque la décision a été publiée, même si celle-ci l'a été avec un retard de quelques mois.
13. Mais les modalités de l'exécution de l'injonction fixées dans la décision du Conseil de la concurrence font partie intégrante de l'injonction, et notamment son délai d'exécution. L'exécution tardive d'une injonction peut donc être sanctionnée au titre de l'article L. 464-3 du Code de commerce. Or, en l'espèce, les publications demandées sont intervenues avec un retard de trois mois par rapport à la date fixée par le Conseil pour l'exécution de cette injonction.
B. SUR LES SANCTIONS
14. Aux termes de l'article L. 464-2 : "Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné (...). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. (...) Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxe le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre".
15. Aucune des entreprises auxquelles incombait l'obligation de publier, dans le délai indiqué, qui courait dès la notification, les 6 ou 10 mars 2003, de cette décision du Conseil de la concurrence, n'a accompli, avant le 26 juin 2003, de démarche en vue de la publication, qui n'a été faite, dans les deux revues désignées par le Conseil, qu'en septembre 2003. Certes, ce retard provient en partie de l'attente de l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris concernant la demande de sursis à l'exécution de l'injonction de publication, que la société MSA avait sollicitée, et dont le résultat n'a été connu que le 20 mai, soit quelques jours avant le délai fixé pour l'exécution de l'injonction.
16. Mais il convient, cependant, d'observer que les entreprises mises en cause n'ont pris, à la suite de la notification de la décision du Conseil de la concurrence, aucune disposition, telle qu'une demande de devis, de nature à leur permettre d'obtenir une publication rapide en cas de rejet de la demande de sursis.
17. En ce qui concerne le montant de la sanction, la publication, intervenue au mois de septembre 2003 alors qu'elle aurait dû être effectuée au mois de juin, n'a pas créé, du fait de ce seul retard, un dommage à l'économie.
18. Il faut tenir compte également de la durée du retard, qui n'a pas excédé trois mois, et de la faible périodicité des deux revues qui ne permettait pas, une fois connu le résultat du sursis à exécution, une publication avant la date limite, correspondant au 10 juin 2003.
19. C'est pourquoi il y a lieu de limiter la sanction infligée à chaque entreprise au montant de 300 euros, quel que soit le chiffre d'affaires réalisé, dont le plus faible est celui, de 459 643 euros, réalisé par la société Lafarge Béton Prefa, en France, au cours de l'année 2003, année de son dernier exercice clos.
Décision
Article 1er : Il est établi que les sociétés les sociétés L'industrielle du béton, Le Béton mécanique, Morin système et architectonique (MSA), Normandie Béton, Prefa 26, Prefall, Préfabrication O-P Lafarge (OPL) et Lafarge béton Prefa et Socarel ont enfreint les dispositions de l'article L. 464-3 du Code de commerce.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Normandie Béton, une sanction de 300 euros ;
à la société Prefa 26, une sanction de 300 euros ;
à la société Socarel, une sanction de 300 euros ;
à la société Prefall, une sanction de 300 euros ;
à la société L'industrielle du béton, une sanction de 300 euros ;
à la société OP Lafarge, une sanction de 300 euros ;
à la société Lafarge Béton Prefa, une sanction de 300 euros ;
à la société Le Béton mécanique, une sanction de 300 euros ;
à la société Morin système et architectonique, une sanction de 300 euros.
Délibéré sur le rapport oral de Mme Wibaux, par M. Lasserre, président, Mme Aubert et M. Nasse, vice-présidents ainsi que M. Robin, membre.