TPICE, 1re ch. élargie, 29 juin 1995, n° T-31/91
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Solvay SA
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Juges :
MM. Barrington, Saggio, Kirschner, Kalogeropoulos
Avocats :
Mes Simont, Foriers, Block, Coutrelis.
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),
Contexte économique
1 Le produit faisant l'objet de la procédure, la soude, est utilisé dans la fabrication du verre (soude dense) ainsi que dans l'industrie chimique et en métallurgie (soude légère). Il convient de distinguer la soude naturelle (dense), exploitée essentiellement aux Etats-Unis d'Amérique, et la soude synthétique (dense et légère), fabriquée en Europe au moyen d'un procédé inventé par la requérante il y a plus de cent ans.
2 A l'époque des faits, les six producteurs communautaires de soude synthétique étaient les suivants :
- la requérante, le premier producteur dans le monde et dans la Communauté, avec une part du marché communautaire s'élevant à presque 60 % ;
- Imperial Chemical Industries Plc, le deuxième producteur dans la Communauté, détenant plus de 90 % du marché du Royaume-Uni ;
- les "petits" producteurs Chemische Fabrik Kalk (ci-après "CFK") et Matthes & Weber (Allemagne), Akzo (Pays-Bas) et Rhône-Poulenc (France) avec environ 26 % tous ensemble.
3 Sur le marché allemand, la requérante - qui exploitait des usines, entres autres, en Allemagne et y exerçait ses activités par le biais de sa filiale Deutsche Solvay Werke - était, à l'époque des faits, de loin le premier producteur avec une part de marché de plus de 50 %. CFK, une filiale de Kali & Salz AG (appartenant au groupe BASF), en détenait environ 15 %.
Procédure administrative
4 A la suite de vérifications sans avertissement effectuées en 1989 auprès des principaux producteurs de soude de la Communauté et complétées par des demandes de renseignements, la Commission a envoyé, par lettre du 13 mars 1990, à la requérante une communication des griefs articulée en plusieurs parties, qui concerne, entre autres, une infraction à l'article 85 du traité CEE, reprochée à la requérante et à CFK.
5 Le 28 mai 1990, la requérante a formulé ses observations écrites sur cette communication des griefs. Par lettre du 29 mai 1990, la Commission a invité la requérante à participer à une audition prévue pour les 25 à 27 juin suivant. Par lettre du 14 juin 1990, la requérante a décliné cette invitation.
6 Il ressort du dossier que, au terme de la procédure décrite ci-dessus, le collège des membres de la Commission, lors de sa 1 040e réunion, tenue les 17 et 19 décembre 1990, a adopté la décision 91-298-CEE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.133-B : Carbonate de soude - Solvay, CFK, JO 1991, L 152, p. 16, ci-après "décision"). Cette décision constate, en substance, que la requérante et CFK ont participé, depuis 1987 environ jusqu'à la date de l'adoption de la décision, à un accord de partage du marché allemand et leur inflige, en conséquence, une amende de, respectivement, trois millions et un million d'écus.
7 La décision a été notifiée à la requérante par lettre recommandée datée du 1er mars 1991.
8 Il est constant (voir ci-après point 26) que le texte de la décision notifiée n'avait pas fait l'objet d'une authentification préalable, par l'apposition des signatures du président et du secrétaire exécutif de la Commission, dans les conditions prévues par l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur 63-41-CEE de la Commission, du 9 janvier 1963 (JO 1963, 17, p. 181), maintenu provisoirement en vigueur par l'article 1er de la décision 67-426-CEE de la Commission, du 6 juillet 1967 (JO 1967, 147, p. 1), modifié en dernier lieu par la décision 86-61-CEE, Euratom, CECA de la Comission, du 8 jabvier 1986 (JO L 72, p. 34), alors en vigueur (ci-après "règlement intérieur").
Procédure juridictionnelle
9 C'est dans ces conditions que la requérante a introduit le présent recours, enregistré au greffe du Tribunal le 2 mai 1991.
10 La procédure écrite devant le Tribunal a suivi un cours régulier. Après la clôture de la procédure écrite, la requérante a déposé, le 10 avril 1992, une "requête ampliative", dans laquelle elle a soulevé un moyen nouveau visant à ce que la décision attaquée soit déclarée inexistante ; renvoyant à deux articles de presse parus dans le Wall Street Journal du 28 février 1992 et dans le Financial Times du 2 mars 1992, elle a fait valoir, entre autres, que la Commission avait publiquement indiqué que l'absence d'authentification des actes adoptés par le collège de ses membres était une pratique suivie depuis des années et que, depuis 25 ans, aucune décision n'avait fait l'objet d'une authentification. Ces déclarations de la Commission se référaient à des affaires alors pendantes devant le Tribunal, dans lesquelles plusieurs recours avaient été introduits contre une autre décision de la Commission constatant une entente dans le domaine du polychlorure de vinyle et qui ont donné lieu à l'arrêt du Tribunal du 27 février 1992 (BASF e.a./Commission, T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-315, ci-après "arrêt PVC"). Dans le délai qui lui a été imparti par le président de la première chambre, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Commission a présenté des observations écrites sur la requête ampliative.
11 La Cour ayant statué sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt PVC du Tribunal, par arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C-137-92 P, Rec. p. I-2555), le Tribunal (première chambre élargie) a arrêté des mesures d'organisation de la procédure invitant notamment la Commission à produire, entre autres, le texte de sa décision, telle qu'authentifiée à l'époque, dans les langues où elle fait foi, par les signatures du président et du secrétaire général et annexée au procès-verbal.
12 La Commission a répondu qu'il lui paraissait indiqué, aussi longtemps que le Tribunal n'aurait pas statué sur la recevabilité du moyen tiré d'une absence d'authentification de la décision, de ne pas aborder le bien-fondé du moyen ainsi soulevé.
13 Dans ces circonstances, par ordonnance du 25 octobre 1994, basée sur l'article 65 du règlement de procédure, le Tribunal (première chambre élargie) a enjoint à la Commission de produire le texte susmentionné.
14 Suite à cette ordonnance, la Commission a produit le 11 novembre 1994, entre autres, le texte de la décision en langues française et allemande, dont la page de couverture est revêtue d'une formule d'authentification, non datée, signée par le président et le secrétaire exécutif de la Commission. Il est constant que cette formule n'a été apposée que plus de six mois après l'introduction du présent recours (voir ci-après point 26).
15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience des 6 et 7 décembre 1994. A l'issue de l'audience, le président a prononcé la clôture de la procédure orale.
Conclusions des parties
16 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- en ordre principal, annuler la décision attaquée ;
- en ordre subsidiaire, annuler la décision attaquée en tant qu'elle inflige à la requérante une amende de 3 millions d'écus ;
- en ordre plus subsidiaire encore, fixer l'amende à un taux symbolique ou, à tout le moins, la réduire de manière substantielle et équitable ;
- en toute hypothèse, condamner la Commission aux dépens.
17 Dans sa requête ampliative, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal déclarer inexistante ou, à tout le moins, nulle la décision attaquée.
18 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer irrecevables les conclusions de la requête formulées "en ordre principal" en tant qu'elles visent la totalité de la décision ;
- rejeter le troisième moyen de la requête comme irrecevable en tant qu'il est fondé sur l'article 172 du traité CEE ;
- rejeter les moyens soulevés dans la requête ampliative comme irrecevables ou, pour le moins, non fondés ;
- pour le reste rejeter le recours comme non fondé ;
- condamner la requérante aux dépens.
19 Il y a lieu de constater que, à la suite du prononcé de l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, précité, et, en réponse à une question écrite posée par le Tribunal, la requérante a déclaré que ses conclusions ne visent plus à obtenir une déclaration d'inexistence de la décision, mais une simple annulation de celle-ci. Elle a également demandé au Tribunal de n'examiner les moyens avancés à l'appui de ces conclusions que sous l'angle de l'annulation.
Sur les conclusions visant à l'annulation de la décision
20 Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante soulève une série de moyens, qui se répartissent en deux groupes distincts. Dans le premier groupe de moyens, relatifs à la régularité de la procédure administrative, la requérante invoque plusieurs violations des formes substantielles. Dans sa requête ampliative, elle fait valoir que, contrairement à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, la décision notifiée n'a été ni signée par le président de la Commission ni authentifiée en temps utile par celui-ci et par le secrétaire général. De plus, il n'y aurait pas eu de notification valable au sens de l'article 191 du traité CEE et de l'article 16, troisième alinéa, du règlement intérieur. En outre, la requérante fait grief à la Commission d'avoir violé le principe de l'intangibilité des actes adoptés par les autorités communautaires en modifiant la décision après la date officielle de son adoption. Dans sa requête, la requérante reproche à la Commission d'avoir violé le principe de collégialité. Elle souligne que, contrairement à l'article 4 de son règlement intérieur, la discussion du projet de la décision attaquée n'a pas été reportée, bien qu'au moins un de ses membres ait sollicité un tel report pour lui permettre d'examiner utilement le dossier qui lui aurait été communiqué tardivement.
21 Dans le second groupe de moyens, la requérante invoque une violation des articles 85 et 190 du traité CEE, des règles relatives à l'administration de la preuve ainsi que du principe de la présomption d'innocence, en ce que la Commission n'aurait aucunement établi, pour la période postérieure au premier semestre 1989 et jusqu'à la date de l'adoption de la décision, la matérialité de l'entente reprochée. Enfin, elle souligne le caractère excessif de l'amende infligée, qui serait, d'une part, basée sur une durée trop longue de l'infraction alléguée et dont le taux élevé serait, d'autre part, sans commune mesure avec la gravité de celle-ci.
22 Le Tribunal estime opportun de procéder, d'abord, à l'examen du moyen que la requérante a tiré, dans sa requête ampliative, d'une authentification irrégulière de l'acte adopté par la Commission.
Sur le moyen tiré de l'authentification irrégulière de l'acte adopté par la Commission
Arguments des parties
23 Dans sa requête ampliative, la requérante fait grief à la Commission d'avoir violé l'article 12 de son règlement intérieur, en ce que la décision notifiée n'aurait pas été revêtue de la formule d'authentification préalable requise. A cet égard, elle se réfère aux deux articles de presse susmentionnés (voir ci-dessus point 10), annexés à cette requête et parus peu après le prononcé de l'arrêt PVC, dans lequel le Tribunal a relevé des irrégularités formelles graves de la décision en cause. La requérante relève, en outre, qu'une lecture comparative des versions notifiée et publiée de la décision fait ressortir une divergence fondamentale : alors que la formule finale de la première se lit "pour la Commission, Sir Leon Brittan, Vice-président", la seconde comporte la formule "par la Commission...".
24 A l'audience, la requérante a déclaré, renvoyant à l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, précité, que l'authentification prévue par l'article 12 du règlement intérieur de la Commission doit intervenir avant la notification de l'acte attaqué. Elle a souligné que l'authentification tardive à laquelle le président et le secrétaire général de la Commission ont procédé en l'espèce est intervenue après la notification de la décision, et même après l'introduction du présent recours, et ne saurait donc être considérée comme une régularisation valable du vice de procédure originel, sous peine de nier le concept même de formalité substantielle. La requérante a ajouté que, l'authentification étant intervenue plus d'un an après l'adoption de la décision, il est évident que le président et le secrétaire général de la Commission n'étaient humainement plus à même de vérifier si ce qu'on leur demandait d'authentifier était bien conforme à ce qui avait été adopté.
25 La Commission soutient, à titre principal, que le moyen doit être rejeté comme tardif et donc irrecevable. En réponse à une question écrite posée par le Tribunal, la Commission a précisé que, en l'occurrence, il n'existe aucun élément de droit ou de fait qui se serait révélé pendant la procédure, au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. D'une part, l'arrêt PVC ne saurait être considéré en soi comme un fait nouveau (voir l'ordonnance du Tribunal du 26 mars 1992, BASF/Commission, T-4-89 Rév., Rec. p. II-1591, point 12). D'autre part, il serait douteux que les déclarations de représentants de la Commission, faites dans le cadre d'une autre procédure, puissent, telles quelles, être qualifiées de "fait nouveau" dans le cadre de la présente procédure. En outre, la simple référence à des articles de presse relatifs à une autre affaire dans laquelle elle n'a pas été impliquée ne saurait, de manière générale, permettre à une partie d'invoquer un fait nouveau, sous peine d'ouvrir la porte à toutes sortes de spéculation. Enfin, la procédure d'adoption de la décision dans l'affaire PVC aurait été en partie caractérisée par des contraintes temporelles spécifiques. Tel n'ayant pas été le cas dans la présente affaire, il ne serait pas justifié de supposer, contrairement à la présomption de validité dont bénéficie la présente décision, que la procédure suivie dans l'affaire PVC ait été, dans toutes ses modalités, identique à la procédure suivie dans d'autres affaires mettant en cause l'application des articles 85 et 86 du traité CEE. Quant aux discordances textuelles mentionnées par la requérante, la Commission estime qu'elles auraient déjà pu être relevées dès le début de la procédure.
26 Quant au fond, la Commission a expliqué, à l'audience, que la date précise à laquelle la décision a été authentifiée, par les signatures du président et du secrétaire exécutif de la Commission, ne peut plus être indiquée à l'heure actuelle. Il serait toutefois clair que cette authentification est intervenue au début de 1992, et ce par mesure de précaution, après que les problèmes d'authentification eurent été soulevés devant le Tribunal dans le cadre des affaires ayant donné lieu à l'arrêt PVC.
27 La Commission a toutefois soutenu que l'authentification d'une décision ne doit pas nécessairement précéder la notification de celle-ci. En effet, l'authentification ne constituerait pas une partie intégrante du processus d'adoption, par le collège, de la décision même et l'article 12 du règlement intérieur ne fixerait aucune date précise à cet effet. Par conséquent, une authentification effectuée après la notification serait juridiquement valable, dans la mesure où elle confirme, avec un degré de certitude suffisant, que le texte de la décision adoptée par le collège des membres de la Commission est identique à celui qui a été notifié à l'entreprise concernée. Tel serait précisément le cas en l'espèce, la décision ayant effectivement été adoptée telle quelle par le collège le 19 décembre 1990, si bien que le principe de collégialité aurait été respecté ; en outre, à la différence de la décision PVC, les textes adopté, notifié et publié seraient identiques et la décision en l'espèce ne serait affectée d'aucun des autres vices dont la décision PVC était prétendument entachée.
28 La Commission a ajouté que l'authentification n'est qu'un moyen de garantir la sécurité juridique lorsqu'il y a un litige sur la correspondance du texte notifié avec le texte adopté. Or, en l'espèce, un tel litige n'existerait pas. Par conséquent, le fait que le président et le secrétaire général de la Commission n'ont pas apposé leurs signatures avant la notification n'aurait pas affecté de manière substantielle la position de la requérante. La circonstance que l'authentification de la décision a été effectuée après sa notification et même après l'introduction du présent recours ne serait pas essentielle pour la requérante, en ce qu'elle ne pourrait pas, en soi, jeter le doute sur l'authenticité du texte en cause. Ainsi, la présomption de validité dont bénéficient les actes administratifs devrait trouver sa pleine application.
29 La Commission a souligné que, dans ces circonstances, vouloir dénier aux signatures du président et du secrétaire exécutif de la Commission apposées a posteriori sur le texte de la décision le caractère d'une authentification valable reviendrait à un pur formalisme dénué de sens, d'autant plus qu'il serait communément admis qu'une telle formalité constitue, par la force des choses, une certaine fiction, étant donné que des textes volumineux ne peuvent pas être contrôlés intégralement. En effet, lorsqu'une autorité administrative ou judiciaire signe un document, il ne faudrait pas s'attendre à ce que toutes les personnes signataires aient lu le texte entier de ce document.
Appréciation du Tribunal
- Sur la recevabilité
30 En vue d'apprécier la recevabilité du moyen nouveau, tiré d'une authentification irrégulière et soulevé après la clôture de la procédure écrite dans la requête ampliative, il convient de rappeler que, selon l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, l'appréciation de la recevabilité du moyen restant réservée à l'arrêt mettant fin à l'instance.
31 A cet égard, le Tribunal estime, tout d'abord, que les déclarations faites par des représentants de la Commission au sujet de l'absence systématique, pendant plusieurs années, d'authentification des actes adoptés par le collège de ses membres constituent un élément de fait, susceptible d'être invoqué par la requérante à l'appui de son recours. En effet, s'il est vrai que ces déclarations sont intervenues dans le seul contexte de l'affaire PVC, leur contenu couvre toutes les procédures d'application des articles 85 et 86 du traité qui se sont déroulées jusqu'à la fin de l'année 1991, y compris la procédure faisant l'objet du présent litige.
32 Le Tribunal considère, ensuite, que, si l'absence d'authentification de la décision attaquée était un fait déjà acquis avant l'introduction du présent recours, il ne pouvait être attendu de la requérante qu'elle s'en prévale déjà dans sa requête, déposée le 2 mai 1991. En effet, le texte de la décision, notifié sous la forme d'une ampliation certifiée conforme par la signature du secrétaire général de la Commission, n'était pas de nature à révéler, même lors d'une lecture attentive, le fait que l'original de la décision n'avait pas été authentifié à l'époque.
33 La requérante ne pouvait pas non plus savoir, dès avant le dépôt de sa requête, que, suivant les déclarations postérieures de la Commission, la procédure d'authentification prévue par l'article 12 du règlement intérieur de la Commission était "tombée en désuétude" depuis longtemps (voir l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, précité, point 32), étant donné que, à ce moment là, le fait que cette formalité était prétendument tombée en désuétude n'avait pas encore été porté à la connaissance du public intéressé. Il s'ensuit que le défaut d'authentification préalable de la décision notifiée constitue un élément de fait qui s'est révélé à la requérante pendant la présente procédure.
34 Quant au point de savoir si la production, dans la requête ampliative déposée le 10 avril 1992, après la clôture de la procédure écrite, du moyen nouveau fondé sur ledit élément de fait peut être considérée comme ayant été effectuée en temps utile ou si elle n'aurait pas dû intervenir à une date antérieure de la procédure, il convient de constater que l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure ne prévoit ni un délai ni une formalité spécifique pour la production d'un moyen nouveau ; en particulier, cette disposition ne prescrit pas qu'une telle production doive, sous peine de forclusion, avoir lieu immédiatement ou dans un délai déterminé après la révélation des éléments de droit et de fait qui y sont visés. Or, le Tribunal estime que, s'agissant de la production d'un moyen, la forclusion, en ce qu'elle restreint la faculté pour la partie concernée d'avancer tout élément nécessaire au succès de ses prétentions, ne saurait être admise, en principe, que si elle fait l'objet d'une réglementation explicite et non équivoque. Il s'ensuit que la requérante était libre de soulever le moyen nouveau dans sa requête ampliative déposée après la clôture de la procédure écrite et avant l'ouverture de la procédure orale.
35 Par ailleurs, même si ladite disposition devait être interprétée en ce sens qu'un moyen nouveau n'est recevable que s'il est produit le plus rapidement possible, il importe de constater que la requérante aurait, en l'espèce, satisfait à cette exigence. En effet, s'il est vrai que la Commission avait déjà fait savoir, lors de l'audience du 10 décembre 1991 dans les affaires ayant donné lieu à l'arrêt PVC, que la non-authentification des actes adoptés par le collège de ses membres correspondait à une pratique constante, il y a lieu de souligner que ni la requérante ni ses avocats n'étaient impliqués dans ces affaires et que la requérante n'était donc pas censée connaître le contenu de cette déclaration orale de la Commission avant que paraissent, fin février/début mars 1992, les deux articles de presse susmentionnés. Par conséquent, il ne pouvait être attendu de la requérante qu'elle invoque le moyen en question déjà dans sa réplique, déposée le 20 décembre 1991. En ce qui concerne enfin le délai écoulé entre la parution de ces articles et l'introduction de la requête ampliative, le Tribunal considère qu'il revêt un caractère raisonnable, en ce qu'il était objectivement nécessaire pour un réexamen attentif, à la lumière du contenu desdits articles, du texte de la décision et de la procédure suivie en vue de son adoption, afin de déceler d'éventuels vices de forme.
36 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'authentification irrégulière de la décision doit être déclaré recevable.
37 Il convient d'ajouter que, en tout état de cause, le Tribunal, dans son ordonnance du 25 octobre 1994, a ordonné à la Commission de produire, entre autres, le texte de la décision authentifié à l'époque. Ainsi qu'il ressort des motifs de l'ordonnance, le Tribunal a, d'une part, tenu compte de l'arrêt du 15 juin 1994, précité, dans lequel la Cour, eu égard à l'aveu de la Commission que les actes adoptés par le collège de ses membres n'étaient plus authentifiés depuis longtemps, a jugé que l'absence d'authentification d'une décision telle que celle faisant l'objet du présent litige constitue une violation des formes substantielles (point 76). D'autre part, il s'est inspiré d'une jurisprudence constante selon laquelle la violation des formes substantielles peut être examinée d'office par le juge communautaire (arrêts de la Cour du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité, 1-54, Rec. p. 7, Italie/Haute Autorité, 2-54, Rec. p. 73, du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18-57, Rec. p. 89, et du 7 mai 1991, Interhotel/Commission, C-291-89, Rec. p. I-2257, point 14, et Oliveira/Commission, C-304-89, Rec. p. I-2283, point 18).
- Sur le fond
38 Il y a lieu de rappeler les termes de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, dans la version en vigueur à l'époque des faits :
"Les actes adoptés par la Commission... sont authentifiés, dans la ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire exécutif.
Les textes de ces actes sont annexés au procès-verbal de la Commission où il est fait mention de leur adoption.
Le président notifie, en tant que de besoin, les actes adoptés par la Commission."
En ce qui concerne les différentes étapes de la procédure susmentionnée, le Tribunal estime que l'économie même de cette réglementation implique un ordre de déroulement, suivant lequel les actes sont d'abord, conformément au premier alinéa de la disposition, adoptés par le collège des membres de la Commission et font ensuite l'objet d'une authentification, avant d'être, le cas échéant, notifiés aux intéressés, en vertu du troisième alinéa de la disposition et, éventuellement, publiés au Journal officiel. Par conséquent, l'authentification d'un acte doit forcément précéder sa notification.
39 Cet ordre, qui résulte d'une interprétation littérale et systématique, est confirmé par la finalité de la disposition relative à l'authentification. En effet, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 15 juin 1994, précité, cette disposition est la conséquence de l'obligation incombant à la Commission de prendre les mesures aptes à permettre d'identifier avec certitude le texte complet des actes adoptés par le collège (point 73). La Cour a ajouté, dans ce même arrêt, que l'authentification a ainsi pour but d'assurer la sécurité juridique en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par le collège, afin que puisse être vérifiée, en cas de contestation, la correspondance parfaite des textes notifiés ou publiés avec le texte adopté et, par là même, avec la volonté de leur auteur (point 75). La Cour en a conclu que l'authentification constitue une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité CEE (point 76).
40 En l'espèce, il y a lieu de constater que l'authentification de la décision attaquée a été effectuée après la notification de celle-ci. Par conséquent, il y a eu violation d'une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité.
41 Il convient de préciser que cette violation est constituée par le seul non-respect de la forme substantielle en cause. Elle est, dès lors, indépendante de la question de savoir si les textes adopté, notifié et publié présentent des divergences et, dans l'affirmative, si ces dernières revêtent ou non un caractère essentiel, raison pour laquelle il est sans importance que les différences textuelles relevées par la requérante - respectivement "pour la Commission" et "par la Commission" - doivent être considérées comme insignifiantes.
42 Indépendamment des considérations exposées ci-dessus, il y a lieu de rappeler que l'authentification a été effectuée en l'espèce après l'introduction du recours. Or, il est exclu que, après le dépôt de l'acte introductif d'instance, une institution puisse faire disparaître, par une simple mesure de régularisation rétroactive, un vice substantiel dont la décision attaquée est entachée. Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'une décision qui inflige à l'entreprise concernée une sanction pécuniaire.En effet, une régularisation effectuée après l'introduction du recours priverait ex post de tout fondement le moyen tiré d'une absence d'authentification préalable à la notification. Le Tribunal estime qu'une telle solution serait contraire, encore une fois, à la sécurité juridique et aux intérêts des justiciables frappés par une décision imposant une sanction. Par conséquent, il y a lieu de constater que le vice résultant de la violation d'une forme substantielle n'a pas été régularisé par l'authentification intervenue une année après l'introduction du recours.
43 Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de l'authentification irrégulière de l'acte adopté par la Commission doit être accueilli.Par conséquent, il y a lieu d'annuler la décision, dans la mesure où elle concerne la requérante, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens soulevés par la requérante à l'appui de ses conclusions en annulation, en particulier sur le moyen tiré d'une violation des articles 85 et 190 du traité, des règles relatives à l'administration de la preuve ainsi que du principe de la présomption d'innocence. Il n'y a pas lieu en particulier d'examiner, à la lumière des explications données par la requérante à l'audience, si la Commission a établi l'existence d'une infraction pour la période après le premier semestre 1989 jusqu'à la date de l'adoption de la décision.
Sur les dépens
44 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé dans l'essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de l'instance, sans qu'il soit besoin de prendre en considération le désistement partiel de la requérante quant à ses conclusions visant à obtenir une déclaration d'inexistence de la décision.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
Déclare et arrête :
1) La décision 91-298-CEE de la Commission, du 19 décembre 1990, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.133-B : Carbonate de soude - Solvay, CFK), est annulée dans la mesure où elle concerne la requérante.
2) La Commission est condamnée aux dépens.